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DossierActions de groupe: la politique des petits pas

Les entreprises doivent-elles craindre les actions de groupe? Alors que ces dernières se développent progressivement, il importe de prendre la mesure des insatisfactions et de mettre ses ressources en ordre de bataille pour traiter les feux naissants.

Publié par Stéphanie Marius le
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Actions de groupe: la politique des petits pas

1 Faut-il craindre les actions de groupe?

Désignée comme "l'arlésienne du droit de la consommation"(1), l'action de groupe, introduite en France via la loi Hamon de 2014, pourrait constituer une menace plus importante pour les entreprises dans un avenir proche. En cause, l'arrivée prochaine d'actions transeuropéennes et une proposition de loi visant à renforcer sa portée, déposée à l'Assemblée nationale par l'ancienne magistrate Laurence Vichnievsky et le député Philippe Gosselin(2). Cette dernière prévoit une sanction maximale équivalente à 5% du chiffre d'affaires hors taxe annuel de l'entreprise. "Si cette proposition de loi était adoptée en l'état, il s'agirait d'un véritable game changer", prévient Erwan Poisson, avocat associé au département contentieux du cabinet d'avocats d'affaires Allen & Overy. L'action de groupe désigne une voie de recours collectif pour les clients suite à l'achat d'un bien ou d'un service. Les clients mécontents sont représentés par une "entité qualifiée" (une quinzaine d'associations de consommateurs ont obtenu ce statut).

Pour l'heure, "le nombre d'actions intentées en France est clairement inférieur à ce qu'espéraient les promoteurs des textes. Par ailleurs, objectivement, ce ne sont pas des actions que les associations remportent facilement: elles en ont perdu un certain nombre et beaucoup se caractérisent par leur longueur", affirme Jean-Charles Jaïs, avocat associé du cabinet Linklaters, spécialisé en contentieux. Toutefois, "les associations sont enclines à accélérer dans différents domaines", nuance l'expert.

À date, la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes recense 13 actions de groupe relatives à la consommation. Quatre visent le secteur bancaire, quatre touchent le secteur immobilier (un accord amiable), trois, la téléphonie (là encore, un accord amiable est intervenu), une action (également résolue) était dirigée contre un camping, enfin, une action, en cours, vise BMW au sujet d'un vice caché au sein de certaines motos de tourisme. De nouvelles actions ont vu le jour récemment, à l'instar de l'association UFC-Que Choisir contre Canal+ au sujet d'un soupçon de vente forcée. Aucune entreprise n'a encore vu sa responsabilité définitivement engagée.

2 Des avancées prudentes, en concertation avec les entreprises

Dans un premier temps, "en raison du caractère trop restrictif du texte de 2014, plusieurs actions sont apparues irrecevables", explique François Carlier, délégué général de la CLCV, importante association de consommateurs française. Parmi celles-ci, figure la procédure introduite par la CLCV contre Axa Agipi, pour le non-respect du taux de garantie d'un placement en assurance-vie, fixé à 4,5%. En effet, la première version du texte se limitait aux différends relevant du Code de la consommation, excluant les problèmes de consommation liés au Code des assurances ou au Code de l'habitat. Le texte a, depuis, été révisé et englobe ces litiges. "En France, la politique des petits pas prévaut concernant l'évolution des mesures et l'indemnisation des consommateurs", juge Erwan Poisson.

En termes de délai, l'association de consommateurs, les clients et l'entreprise visée s'engagent dans une action de longue haleine. En effet, s'il n'existe pas de minimum concernant le nombre de personnes lésées, la première phase, destinée à établir la responsabilité de la compagnie, dure en général six ans. La phase d'indemnisation ne démarre qu'ensuite. Côté service clients, il convient de traiter ces consommateurs insatisfaits de manière individuelle afin de rétablir un dialogue et de parvenir à une résolution amiable.

3 Une mise en place toujours tâtonnante

Face à ces litiges individuels maîtrisables en termes d'image de marque, l'entreprise doit-elle craindre l'action de groupe, témoignage d'un produit ou service qui a déçu, d'une gestion de la relation client insuffisante à faire retomber la crise et d'un fond sociétal d'intolérance vis-à-vis de certaines pratiques commerciales? Pas si sûr. L'une des faiblesses de cette procédure concerne son peu d'appropriation par les magistrats et la nécessité d'une acculturation. Pour y parvenir, le recours à des tribunaux spécialisés, un temps évoqué, n'apparaît pas privilégié. "Le risque est d'aboutir à une hyperspécialisation de la procédure, donc à une interprétation figée, explique Patricia Foucher, cheffe du service juridique de l'Institut national de la consommation. Il importe plutôt de la faire vivre pour obtenir des décisions divergentes, obtenir la position de la Cour de cassation et faire évoluer la réglementation."

Erwan Poisson (Allen&Overy), que ses fonctions amènent à défendre les entreprises visées par les associations de consommateurs, se montre peu inquiet: "Nombreux sont les professionnels du droit qui s'interrogent sur les causes de l'insuccès de l'action de groupe. À mon sens, la prééminence des procédures pénales perdurera en France, en raison de la difficulté des associations de consommateurs à accéder aux preuves, contrairement à la procédure de discovery américaine." BNP Paribas a obtenu un jugement en sa faveur en première instance ainsi qu'en appel, l'affaire est désormais devant la Cour de cassation.

Les retombées médiatiques négatives de certaines affaires sont davantage à redouter, en raison de la possibilité d'un boycott des consommateurs ou d'un sentiment de méfiance durable à l'encontre de la marque. Ainsi, l'association UFC-Que choisir (laquelle n'a pas souhaité répondre à nos sollicitations) a menacé d'une action de groupe 20 compagnies aériennes et a lancé en juillet 2020 une action concertée avec dix autres associations membres du Bureau européen des unions de consommateurs une action concertée au plan européen via le mécanisme d'alerte externe. En cause, le droit au remboursement pour des vols annulés. L'affaire a été largement relayée dans les médias et via les réseaux sociaux, contrecarrant les efforts de plusieurs compagnies, dont Air France, pour faire accepter à leurs clients la substitution du remboursement de leur billet par un avoir.

De même, l'action de l'association contre LCL popularise la notion de substitution d'assurance emprunteur auprès du grand public et introduit davantage de frictions au sein du parcours de vente. "Les textes applicables prévoient qu'à l'expiration de tous les recours, des mesures de publicité doivent être prises par les associations de consommateurs à la télévision, à la radio, dans la presse écrite, etc. afin d'inviter les consommateurs touchés à se manifester", indique Erwan Poisson. Un épisode qu'il est crucial d'anticiper du côté du service clients, afin de mettre en place un numéro vert permettant de répondre aux consommateurs désireux de vérifier s'ils sont concernés.

4 Qui finance? Quelles craintes pour l'avenir?

Alors qu'à la création de l'action de groupe, Pierre Moscovici, alors ministre de l'Économie et des finances, avait salué une mesure "équilibrée", "ambitieuse", il avait mis en lumière sa dimension protectrice contre d'éventuelles activités prédatrices: "Ce texte ne créera [...] pas de chasseurs de primes pourchassant les entreprises". Toutefois, le financement des entités qualifiées interpelle. "Le danger: que le concurrent d'un acteur puisse, sous couvert d'une fondation, attaquer l'entreprise via une action de groupe afin de la déstabiliser", confie une source proche du dossier sous couvert d'anonymat.

Par ailleurs, le financement des associations pose problème car ces dernières ne peuvent pas mettre en place d'adhésion obligatoire. Ce phénomène explique que si peu d'actions soient diligentées. "Il s'agit d'un véritable enjeu pour l'avenir des actions de groupe: qui financera?", interroge Patricia Foucher (INC). Les associations de consommateurs, au regard de leur critère d'indépendance, ne peuvent être payées par des entreprises. La crainte de voir arriver des cabinets anglo-saxons avec des systèmes de fonds de pension, qui spéculeraient sur les actions de groupe et injecteraient des fonds en espérant un retour sur investissement, est perceptible.

Pour réduire les coûts, la CLCV, deuxième association de consommateurs français, qui compte 30000 adhérents, mise sur une action "follow up" (action de groupe suivant une action pénale, uniquement pour la phase d'indemnisation) à l'encontre du constructeur automobile Volkswagen, dans le cadre du "Dieselgate". "Nous demandons l'indemnisation des 900000 possesseurs de ces véhicules", indique François Carlier (CLCV). L'association a réuni, pour l'heure, une dizaine de plaignants. Même stratégie à l'encontre de BNP Paribas, pour son produit de crédits immobiliers "Helvet Immo".

Pourtant, la moitié seulement des 440 plaignants au pénal a choisi de se joindre à l'action de groupe. "Dans la durée, les coûts importants engendrés par ce type de procédures auront un effet sélectif", confirme le délégué général. La possibilité d'une alliance entre associations de différents États membres de l'Union européenne devrait renforcer leur surface financière. Le développement de ces actions, présentées à l'origine comme un moyen de contribuer à l'amélioration du pouvoir d'achat des consommateurs, sera-t-il de nature préventive, poussant les entreprises indélicates à "placer le client au coeur de leur stratégie, avec la mise en place de service après-vente accessible et efficace, de gestes commerciaux et d'une politique de résolution des litiges orientée vers des accords amiables et l'audit de plus en plus fréquent de leurs contrats types pour éviter les clauses abusives", selon les termes de François Molins, procureur général près la Cour de cassation(1)? Entreprises, clients et associations de consommateurs ont tout intérêt à privilégier la médiation, pour éviter à l'action de groupe les travers de la class action américaine.

(1) Source : "Rapport d'information", Assemblée nationale, présenté par Philippe Gosselin et Laurence Vichnievsky, 11 juin 2020

(2) Proposition de loi n°3329, déposée en septembre 2020

Les entreprises doivent-elles craindre les actions de groupe? Alors que ces dernières se développent progressivement, il importe de prendre la mesure des insatisfactions et de mettre ses ressources en ordre de bataille pour traiter les feux naissants.

5 "Comment se faire accompagner pour gérer la crise?", Emmanuelle Hervé

À partir de quelle étape intervenez-vous?

À chaud, nous gérons la bascule en organisation de crise. Il ne faut surtout pas rater le moment où elle commence. Les organisations sont souvent mal entraînées et font face au biais cognitif du déni. Elles ne se sentent pas concernées par la partie émotionnelle des réactions des clients et demeurent cantonnées à leur métier. Les dirigeants nous appellent parfois lorsqu'il y a le feu partout : des groupes Facebook d'opposition, des courriers d'avocats relatifs à une action de groupe... Il est alors bien tard. Par ailleurs, il convient de nouer en avance un partenariat avec un call center dédié pour éviter les surcoûts. Il importe de pouvoir déclencher un numéro vert immédiatement, car le pire serait que les consommateurs ne soient pas entendus.

Comment se préparer à gérer la crise?

En réponse à la crise, il importe de gérer les feux naissants. Toutefois, inutile de recourir immédiatement au communiqué de presse, au risque d'attiser le problème. Il faut simplement s'en préoccuper, repérer et traiter les signaux faibles. La conduite des entreprises en temps de crise est parfois dictée par le juridique, ce qui n'est pas un angle suffisant. Elles se mettent dans une posture défensive et ne parlent qu'un langage rationnel. Lorsque nous sommes sollicités, nous anticipons à peu près tous les scénarios. Pour organiser la gestion de crise, il convient de préparer les collaborateurs, de les former régulièrement à l'éventualité d'une crise, via des simulations. Il faut tout d'abord construire un plan de crise, qui définira quand et comment se réunit la cellule de crise et de qui est-elle composée.

Comment l'entreprise en crise doit-elle agir vis-à-vis de ses salariés?

Les employés doivent obtenir de l'information transparente et à jour. Il faut maintenir leur engagement. Selon le "Trust Barometer" établi par Edelman, l'employé bénéficie d'un taux de confiance très élevé, autour de 60%. Il convient d'exploiter cette chance. Le CEO devra certes s'exprimer, mais la confiance que le consommateur lui porte n'est pas excessive, autour de 40 à 50%. On peut résumer la bonne posture par le sigle ETA: empathie, transparence, action.

Emmanuelle Hervé, dg et fondatrice du cabinet de conseil en gestion de crise EH&A, dresse une liste des bonnes pratiques à mettre en oeuvre en termes de communication de crise face à une action de groupe.

6 "Il est possible d'ouvrir une plateforme d'appels en une à trois heures", Hugues de Mourgues

Dans quelle mesure faut-il répondre aux appels des consommateurs?

Ce sont les communicants qui décident de privilégier la transparence totale ou la discrétion. Il faut circonscrire les réponses de façon très stricte par rapport à une FAQ établie par l'équipe de communication de crise. Le piège est que les collaborateurs se placent trop dans l'empathie. Il convient toutefois de montrer que l'on est à l'écoute. Je conseille de privilégier les phrases courtes, comme "message bien noté", puis de passer à l'explication. Nous pouvons ouvrir une plateforme en une heure durant la journée ou, au maximum, trois heures la nuit.

Devez-vous obtenir un script complet?

Nos répondants ne doivent surtout pas improviser. Si on n'a pas la réponse à une question qui nous est posée, il faut impérativement rappeler. Nous organisons aussi des campagnes d'appels sortants: l'entreprise se montre proactive et écrit un courrier aux clients lésés en leur donnant un numéro de téléphone, et les appelle en parallèle.

Avez-vous recours à des KPI traditionnels pour évaluer le service fourni?

Nous sommes très concentrés sur la QS (qualité de service), qui doit être supérieure à 90%. Lorsqu'un centre d'appels indique mettre à disposition du client 100 personnes après un "20 Heures", c'est faux. Après la communication d'un numéro à la télévision, 100000 appels simultanés peuvent survenir. Personne n'a la capacité d'absorber ce volume. Mais cela retombe quelques minutes après la parution. Une vingtaine de collaborateurs peuvent assurer de façon performante la gestion des appels. Ces missions peuvent durer six mois. Au-delà, les entreprises s'organisent en interne.


Hugues de Mourgues, fondateur et dg du centre de contact QualiOne, spécialisé en gestion de crise, explique aux entreprises comment parer au plus pressé suite à l'explosion d'une crise liée à une action de groupe.

7 "Vers une action de groupe européenne", Geoffroy Didier

Elle doit être transposée dans les droits nationaux au plus tard le 25 décembre 2022, pour une entrée en vigueur le 25 juin 2023. L'action de groupe n'existe pas dans neuf pays de l'Union européenne, mais apparaît plus développée aux Pays-Bas et au Portugal.

Quel bilan peut-on faire des actions de groupe lancées en France depuis leur apparition? La France est-elle considérée comme un pays précurseur au sein de l'Union européenne?

Le système français est lourd, compliqué et réduit, dans le sens où un Français ne peut pas s'associer aujourd'hui à des personnes dans d'autres pays européens. Avec le recours collectif européen, il pourra s'associer à un consommateur italien ou un consommateur allemand s'ils subissent le même préjudice. La directive est entrée en vigueur le 4 décembre 2020, après sa publication au Journal Officiel de l'Union européenne. Les États membres ont désormais 24 mois pour transposer la directive dans leur législation nationale, et six mois supplémentaires pour la faire appliquer.

Sur quels critères seront choisies les "entités qualifiées" pour les actions de groupe transfrontalières?

Concernant les critères de désignation pour les entités qualifiées, les règles distinguent les cas transfrontaliers des cas nationaux. Dans le premier cas, les entités devront se conformer à une série de critères harmonisés. Elles devront démontrer 12 mois d'activité en faveur de la protection des consommateurs avant de demander à être désignées comme entité qualifiée, avoir un caractère non lucratif et garantir leur indépendance vis-à-vis des tiers dont les intérêts économiques s'opposent à ceux des consommateurs.

La limitation des actions collectives aux consommateurs pourrait-elle être élargie suite à la transposition de la directive européenne dans le droit français?

Le champ des recours collectifs inclura les infractions commerciales dans des domaines tels que la protection des données, les services financiers, les voyages et le tourisme, l'énergie, les télécom­munications, l'environnement et la santé, ainsi que les droits des passagers aériens et ferroviaires, en plus de la législation générale de protection des consommateurs. En France, le recours collectif actuel est un instrument sectoriel. Il ne couvre pas tous les domaines du champ d'application du Règlement européen. La directive européenne est donc beaucoup plus large.

Geoffroy Didier, député au Parlement européen, fait le point sur la directive européenne relative aux actions représentatives visant à protéger les intérêts collectifs des consommateurs.

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