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DossierLa voix est-elle devenue intelligente?

Smart pairing, alerting, automatisation du contrôle qualité... Si le commerce via des assistants vocaux demeure timide en France, les promesses concernant l'IA pour une exploitation efficace du canal vocal se concrétisent.

Publié par Stéphanie Marius le
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La voix est-elle devenue intelligente?

1 Les innovations vocales se multiplient

Alors que la décrue annoncée du canal téléphonique ne vient pas, les innovations digitales liées à la voix commencent à bousculer les usages au sein des services clients. "La décroissance des appels est assez lente, ces derniers représentent encore 70% de nos interactions clients", affirme Vincent Tachet, Chief Information Officer de l'outsourceur Webhelp. De même, le téléphone demeure le canal favori de 55% des Français, selon l'Observatoire des services clients 2019 publié par BVA. Le click to call (l'internaute demande à être rappelé) est plébiscité (84% se disent satisfaits de ce mode de contact, selon la même source). "Ces dernières années, de nombreux cabinets annonçaient la diminution des appels téléphoniques au sein de la GRC, se souvient Cristina Barlier, Senior Solution Consultant chez Genesys, éditeur de solutions dédiées aux centres de contacts. Ce n'est pas du tout le cas aujourd'hui, surtout pour les demandes à forte valeur. Les clients finaux privilégient ce canal pour être rassurés, malgré l'explosion du messaging, via WhatsApp, Facebook Messenger ou Apple Business Chat."

La croissance d'acteurs spécialisés dans la téléphonie d'entreprise et les centres d'appels, à l'instar d'Aircall, en témoigne. Ainsi, l'éditeur vient de boucler une levée de fonds de 65 millions de dollars (environ 60 millions d'euros). Le logiciel d'Aircall s'intègre aux autres outils métiers utilisés par les entreprises: CRM, helpdesk (Salesforce, Zendesk, Hubspot, Microsoft Dynamics, etc.) mais aussi aux outils de communication interne (tels que Slack ou Microsoft Teams). "L'intérêt des intégrations est de permettre à un agent de service client de répondre tout de suite: "Bonjour M. Mathieu, je vois que votre commande passée hier est en cours de livraison, aviez-vous une question sur la date de livraison prévue?", plutôt que "Bonjour, pouvez-vous m'épeler votre nom ? Mathieu avec un ou deux T ?"", explique Jonathan Anguelov, cofondateur et COO d'Aircall.

2 La transcription et l'analyse de la voix s'améliorent, l'automatisation a le vent en poupe

Plus largement, l'automatisation du traitement des interactions vocales a le vent en poupe. En 2018, le cabinet OC&C Strategy avait estimé le chiffre d'affaires des voicebots à 40 milliards de dollars dans le monde en 2022. Un an plus tard, le cabinet Roland Berger, en collaboration avec Viseo, comptabilise 1,7 million de possesseurs d'enceintes vocales en France et prédit une croissance annuelle de 25 % à l'échelle mondiale jusqu'en 2023. Pourtant, les applications de commerce conversationnel demeurent embryonnaires dans l'Hexagone. L'enseigne Carrefour est pionnière, elle lance une expérience d'achat alimentaire fondée sur la voix via Google Assistant. Le service est disponible sur les smartphones, les enceintes vocales et écrans connectés compatibles avec l'assistant de Google. La liste des courses est partagée avec les membres de la famille et concerne les produits disponibles à la livraison ou en drive chez Carrefour. L'assistant propose également à l'utilisateur ses produits préférés.

Concernant l'analyse de la voix à destination des voicebots et chatbots, les éditeurs de solutions destinées aux centres de contacts prônent un certain agnosticisme mais la solution Google Dialogflow revient fréquemment. À l'instar de Genesys: "Nous avons investi plus de 250 millions de dollars en R&D, notamment pour les voicebots et chatbots, indique Cristina Barlier. L'objectif est notamment de désengorger les plateaux avec des automates. Nos clients réalisent des PoC (proof of concept) pour tester ces solutions et beaucoup nous parlent de Google." De même, Vocalcom, éditeur de solutions de centres de contacts, propose des voicebots pour des retailers ou entreprises telles que Renault Nissan, Shopee (équivalent d'Amazon en Indonésie pacifique) ou Ahold Delhaize en Belgique. En parallèle, l'usage se répand lentement parmi les consommateurs: 74 % (au niveau mondial) affirment avoir déjà utilisé un assistant conversationnel pour réaliser un achat, mais ce chiffre inclut également les chatbots(1).

De son côté, l'outsourceur Webhelp a opté pour l'internalisation des compétences liées aux voicebots, via l'acquisition de Telecats, spécialisé en voice recognition services. L'outsourceur a ainsi développé, pour MSD France et MSD Vaccin, un voicebot destiné aux pharmaciens. L'outil indique la disponibilité d'une liste de médicaments commercialisés par le laboratoire de manière automatisée. Webhelp analyse la demande et cherche dans la base de données du laboratoire pour diffuser en synthèse vocale la réponse au pharmacien. "Nous avons dû construire un modèle spécifique avec les noms de médicaments et enregistré sur le serveur vocal ce que demandaient les pharmaciens", indique Vincent Tachet, Chief Information Officer de Webhelp. Le voicebot est entraîné avec des prosodies différentes (accents, tonalités masculines ou féminines...). Les médicaments demandés changent en fonction des saisons, il faut donc faire des mises à jour permanentes.

"L'investissement initial ne doit pas être négligé et il faut adopter une logique d'amélioration continue du bot. On sous-estime souvent les investissements nécessaires et la complexité de mise en oeuvre. Un voicebot à même de réduire les volumes d'appels nécessite deux à trois mois de mise en oeuvre", met en garde Vincent Tachet. L'outil est constitué d'un modèle linguistique et d'un modèle acoustique. Pour cela, il faut impérativement passer par une transcription manuelle (écouter la liste de noms de médicaments et la transcrire manuellement sans erreur). Cela sert de référence et permet d'entraîner le bot. "Une conversation téléphonique contient des hésitations, des répétitions, qu'il faut reproduire dans la transcription pour que le modèle ne soit pas pollué", précise Vincent Tachet. Selon l'expert, les outils d'entraînement proposés par Google sont assez complexes à mettre en oeuvre et pas toujours assez riches, ce qui justifie le développement de solutions spécifiques. L'anglais américain y est, par exemple, mieux reconnu que l'anglais britannique. Toutefois, en règle générale, la transcription des messages vocaux a beaucoup progressé: "les taux de transcription dépassent les 90% d'exactitude", assure Cristina Barlier (Genesys).

3 Alerting, smart pairing, ALP: la techno au service de la qualité

La reconnaissance vocale permet également de faciliter et personnaliser la relation client. Ainsi, via son offre Hermes360, Vocalcom propose une solution d'alerting, laquelle indique à l'agent qu'il parle trop fort au téléphone ou en même temps que le client, voire que son langage est inapproprié. "L'un de nos clients, acteur de l'énergie, a mis en place une cellule de rétention car une partie de ses contrats n'était pas renouvelée, explique Alexandre Oddos, EVP & Chief Operating Officer de Vocalcom. Grâce à l'analyse d'écoute, l'équipe a découvert que certains clients étaient prêts à rester lorsque la marque faisait preuve d'empathie. L'analyse des intonations et le word spotting ont permis d'améliorer le taux de recapture, supérieur à 10%."

Les équipes de Webhelp travaillent elles aussi, en collaboration avec la start-up Oto.ai, sur l'acoustic language processing (étude des spectres audio), pour en déduire des niveaux de satisfaction client en temps réel. "Cela nécessite très peu de paramétrage et d'entraînement, contrairement au speech analytics en temps réel, lequel demeure coûteux", prévient Vincent Tachet (Webhelp). Le speech analytics permet également à Webhelp d'automatiser partiellement son contrôle qualité. Durant la phase préalable, l'équipe définit ce qu'elle recherche dans les appels, puis la phase labelling permet de vérifier que le conseiller a bien dit ce qui était attendu.

Autre usage innovant permis par l'intelligence artificielle, le smart pairing. "Nous apprenons à la machine, via la solution Hermes360, que tel agent a des taux de succès plus importants avec tel type de client, explique Alexandre Oddos (Vocalcom). Une personne habituée à manifester son mécontentement sur plusieurs comptes de marques sur les réseaux sociaux peut ainsi être repérée et mise en relation avec le bon conseiller lorsqu'elle appelle." L'éditeur Genesys mise également sur une solution de routage prédictif dans son programme d'innovations: afin de gérer les appels entrants, sa solution de predictive routing s'appuie sur l'historique du client, définit les raisons pour lesquelles ce dernier appelle et la meilleure ressource pour traiter sa demande, afin d'éviter l'attente ou le rebond vers plusieurs interlocuteurs.

4 Et le predictive dialing?

À ces tendances montantes s'ajoute un outil de plus en plus controversé, le predictive dialer (automate d'appels prédictif). Destiné aux campagnes d'appels sortants, pour des campagnes à fort volume, il permet de maximiser l'occupation du conseiller. Le niveau de prédiction de l'automate est réglable: trop agressif, il compose trop rapidement, le conseiller peine à suivre le rythme, l'outil peut alors raccrocher lorsque les interlocuteurs décrochent. En réponse, l'Arcep (Autorité de régulation des communications électroniques et des postes) a rendu une décision applicable depuis le 1er août 2019 (décision n°2018-0881): "Interdiction, pour les systèmes automatisés émettant plus d'appels ou de messages qu'ils n'en reçoivent, d'utiliser des numéros géographiques (01-05), mobiles (06-07) ou polyvalents (09) comme identifiant d'appelant." Plusieurs acteurs, à l'instar d'Aircall, se positionnent contre ces automates: "Nous nous sommes toujours refusé à créer un predictive dialer car nous pensons que ces outils dégradent la relation client et l'image de marque de la société qui les utilise", affirme Jonathan Anguelov (Aircall).

"Pour compenser cette réduction imposée du démarchage téléphonique "sauvage", des acteurs créent des activités marketing sur les réseaux sociaux afin de faire venir le consommateur à eux", indique Alexandre Oddos (Vocalcom). Ainsi, le chauffagiste Garanka investit dans des campagnes sociales pointant vers son site web et collabore avec l'éditeur Vocalcom pour implémenter une solution de web to call: le consommateur est rappelé dans les minutes qui suivent sa visite sur le site. Les numéros utilisés sont liés à une campagne ou à un agent. Le consommateur est donc en mesure de rappeler le conseiller qui a tenté de le joindre en cas d'appel manqué. Respect de législations plus contraignantes sur le canal téléphonique, personnalisation des appels: loin d'une arme d'économies massives, les innovations liées à la gestion des interactions vocales trouvent leur pertinence lorsqu'elles sont mises au service d'une relation client fluidifiée et enrichie.

(1) Capgemini Research Institute, "Conversational Interfaces Research", étude consommateurs, avril-mai 2019.


Alors que le canal téléphonique demeure le premier point de contact pour les consommateurs, les marques et prestataires réalisent des progrès importants, notamment concernant l'analyse acoustique.

5 "Le contact humain demeure la solution que nous privilégions"

Pourquoi avoir choisi de privilégier le canal téléphonique pour communiquer avec vos clients durant la crise sanitaire?

Nous proposons à nos clients plusieurs canaux de communication. Par exemple, pour les contacter proactivement, nous optons pour une communication via le site web et l'envoi de SMS et d'e-mails. En revanche, nous proposons aux clients nécessitant une assistance personnalisée de nous contacter via les réseaux sociaux, sur nos comptes Twitter et Facebook, ou directement par téléphone, le contact humain étant la solution que nous privilégions. Nous tenons, notamment en période de perturbations, à être aux côtés de nos clients afin de les assister au mieux tout au long de leur démarche.

En temps normal, les interactions téléphoniques avec vos clients décroissent-elles au profit de l'écrit instantané ou du selfcare?

Non, pas nécessairement. Nous constatons que les interactions avec nos clients augmentent sur l'ensemble des canaux mis à leur disposition. Depuis deux ans, nous avons mis en place un chatbot sur le site Thalys.com ainsi qu'une foire aux questions dynamique et enrichie par les conseillers, et le chatbot s'avère être très populaire: nous recevons entre 8000 et 10000 questions par mois. Ceci nous permet de désengorger notre centre d'appels et de répondre aux questions les plus courantes des clients.

La GRC vocale est-elle internalisée ou externalisée?

Thalys, qui a été élu "Service clients 2019", a fait le choix de placer son centre de contacts au coeur même de l'entreprise, dans les bureaux de son siège social basé à Bruxelles. Depuis deux ans, nous avons également fait le choix de détacher deux conseillers au sein de notre centre opérationnel, véritable tour de contrôle de Thalys, pour être au plus près de notre activité en gares et dans les trains. Contrairement à beaucoup d'entreprises, nous n'avons pas externalisé notre centre d'appels, qui est ouvert de 7h30 à 22h, sept jours sur sept.


Griet Lissens, directrice qualité et service clients de Thalys, a misé en priorité sur le contact téléphonique pour assister les clients en difficulté durant la crise sanitaire.

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