Tunisie : des opportunités à saisir
L'un des enjeux du pays est d'entrer, durablement, dans les échanges internationaux. Notamment avec l'Union européenne. La délocalisation de centres d'appels constitue de réelles opportunités en termes de création d'emplois et de compétences. L'Etat n'envisage pas de dispositif de financement propre à l'accueil de ce type d'activité. En la matière, il prône le "cas par cas". D'autant que l'implantation, en septembre 2000, à Tunis de Teleperformance France crédibilise son offre d'implantation.
Délocalisation 15 décembre 2000. La date peut paraître anodine. C'est,
pourtant, le jour où la Tunisie s'est définitivement positionnée sur le marché
de la délocalisation des centres d'appels. Ce jour-là, la Société Tunisienne de
Télémarketing (STT) recevait ses premiers appels en provenance de France. La
filiale de Teleperformance France, leader hexagonal, offrant à la Tunisie une
crédibilité de premier plan. Ce qui tombe bien. Le pays entreprend une
véritable opération séduction à l'égard des investisseurs étrangers dans le
domaine. Il faut dire que l'enjeu est de taille. Le pays compte 15,1 % de
chômeurs (population active de plus de 3 millions de personnes) dont une grande
part chez les "maîtrisards" (jeunes diplômés) et fait de l'accès à l'emploi
l'une de ses priorités. Pour son Xe plan de développement économique
(2002-2006), le gouvernement de Tunis s'attend à gérer chaque année 80 000
demandes d'emplois additionnelles. Lutte contre le chômage donc ; mais avec des
secteurs d'activité à même de modifier le tissu économique et le profil de la
main-d'oeuvre. La raison : s'inscrire durablement dans les échanges
internationaux en y intégrant des métiers à plus forte valeur ajoutée. La
Tunisie a déjà prouvé par le passé qu'elle était une destination crédible en
matière de délocalisation de plates-formes de production pour les secteurs
manufacturiers (textile, habillement, cuir et chaussures) ou industriels
(mécanique, électricité, composants automobiles). Aujourd'hui encore, les fonds
engagés sur le sol tunisien (flux nets d'investissements directs étrangers -
IDE - de 504 ME en moyenne de 1997 à 2000) attestent d'une destination
privilégiée par les entrepreneurs étrangers. Avec les centres d'appels, c'est
un nouveau pari qui est à relever : celui de l'accueil des nouvelles
technologies.
DES AIDES AU CAS PAR CAS
« Il y a une
véritable volonté politique, mais il existe un manque de confiance de
l'administration face aux nouvelles technologies », explique Ali Babbou,
directeur général de 3S GlobalNet, une société au métier historique
d'intégrateur aujourd'hui positionnée sur l'accès Internet. Les institutionnels
en proie aux réformes structurelles consécutives à la signature en 1995 de
l'accord de libre échange avec l'UE (effectif en 2010) doivent opérer plus
avant la transition démocratique. Un gage de stabilité sociale et de
renforcement de l'Etat de droit dont les NTIC ont aussi besoin pour arriver à
maturité. « Les Tunisiens veulent maîtriser tous les niveaux d'une activité. Il
existe des règles pour tout. Ce qui implique des procédures longues et
fastidieuses. Mais elles sont rationnelles. », juge Thierry Mouraud,
responsable export d'Avaya pour l'Europe de l'Ouest et l'Afrique du Nord. Ce
qui implique parfois des retards. Pour preuve, lorsque Teleperformance France
s'implante à Tunis, il rencontre des difficultés pour l'import de son matériel
informatique avec les douanes tunisiennes. Les services de contrôle n'étant pas
familiers avec la notion d'"exportation de services". Les institutions sont
encore peu sensibilisées aux nouvelles technologies mais prêtes à aider au cas
par cas. « Les pouvoirs publics sont très bien disposés avec les projets
créateurs d'emplois », indique Habib Gaïda, délégué pour la France de l'Agence
de Promotion de l'Investissement Extérieur (APIE) de Tunisie. Le gouvernement a
demandé, par exemple, à Tunisie Telecom, l'opérateur public, de bien vouloir
réviser sa grille tarifaire pour les demandes émanant de centres d'appels.
Teleperformance France en a été le premier bénéficiaire avec une réduction de
près de 30 % sur la location de ses lignes spécialisées (demi-circuit, 2 Mo)
entre la France et la Tunisie. Une baisse consentie parce que l'outsourcer
français a pu justifier d'importantes créations d'emplois. A terme, sa filiale
disposera de 730 positions de travail sur deux sites aux alentours de Tunis
(290 à Charguia 1 et 440 à Ben Arous). Le premier, ouvert en décembre 2000,
emploierait déjà 435 personnes. Le second devrait, en juillet prochain,
accueillir un premier lot de 220 positions de travail avec, à la clef, autant
de postes à pourvoir.
40 % D'ÉCONOMIES SUR LES FRAIS DE FONCTIONNEMENT
« Si nous souhaitons développer l'activité en
Tunisie, il faut installer une véritable task-force, ouvrir le marché aux
nouvelles technologies et mettre en place une stratégie globale d'accueil.
C'est-à-dire faire de la publicité, offrir des aides à l'installation et
développer la formation », ajoute le dirigeant de 3S GlobalNet. « Il faut
monter des plates-formes crédibles et prêtes à l'emploi. L'Etat doit manifester
sa volonté au travers de facilités », juge de son côté Alain Guettaf, dirigeant
de Direct Call Center, un outsourcer français installé à Tunis qui adresse, en
plus du marché local, les prestataires hexagonaux pour leur proposer des
solutions de débordement ou de back-up. Des moyens qui font défaut, mais que le
gouvernement de Tunis n'est pas prêt à mettre en place pour un secteur
d'activité donné. Son credo étant de laisser le marché se structurer par
lui-même. Pas d'interventionnisme, mondialisation oblige. Pas non plus d'aides
directes à l'installation. D'autant qu'en adoptant le statut off-shore, les
investisseurs disposent d'une défiscalisation de leurs résultats pendant dix
ans, d'une exemption de la TVA, des droits de douane et d'un acquittement des
charges patronales à hauteur de 16,5 %. Toute une panoplie d'avantages fiscaux
qui s'ajoutent à ceux inhérents au pays. « En Tunisie, une société peut
économiser jusqu'à 40 % de frais de fonctionnement par rapport à la France,
estime Alain Guettaf. Les tarifs des prestations peuvent être inférieurs de 30
à 50 % au prix du marché français. » Une différence en partie due au niveau des
salaires tunisiens associé à une flexibilité du temps de travail (40 ou 48
heures par semaine). Ce dernier point a convaincu La Redoute. Le vépéciste
pouvant, par l'entremise de son prestataire STT, étendre son activité "prises
de commandes" aux dimanches et jours fériés. En tout, 5 à 6 % de son volume
d'appels annuel (16 millions par an) sont traités à partir du sol tunisien. Le
salaire minimum en Tunisie étant, pour 48 heures de travail hebdomadaire, de
près de 155 E par mois et de 135,5 E pour 40 heures par semaine. Des
rémunérations de base qui ne sont pas celles retenues pour les salariés
officiant en centres d'appels. Mais qui restent néanmoins en deçà de celles
pratiquées en France. En moyenne, un téléopérateur bac + 3 perçoit une
rémunération de l'ordre de 300 E mensuels. Pour sa part, Teleperformance France
rétribue son personnel tunisien 340 E mensuels net pour 40 heures de travail
par semaine et un peu plus de 270 E pour ses agents travaillant 33 heures par
semaine. Les cadres intermédiaires percevant un salaire de 500 E par mois.
LE BASSIN D'EMPLOI D'UNE PETITE RÉGION DE FRANCE
« Nous
tenons à nous donner les moyens d'une sursélectivité. La différence de salaires
entre la France et la Tunisie existe, utilisons-la pour accomplir cette
sursélectivité », explique Patrick Dubreil, P-dg de Teleperformance France. En
clair, le leader français cherche par une rémunération attractive à s'adjoindre
les meilleures compétences et à les fidéliser. Ce qui, pour le moment, n'est
pas trop compliqué. « Nous n'avons pas de mal à recruter parce que nous n'avons
pas de concurrence », reconnaît Marie-Pierre Boileau, la directrice de STT.
Pour l'heure, il est difficile d'estimer la disponibilité de la main d'oeuvre
tunisienne. Pour une annonce diffusée dans la presse, STT reçoit en moyenne 1
000 appels. Au terme de la sélection, seules 245 personnes sont recrutées. « La
Tunisie dispose du bassin d'emploi d'une petite région de France. Il y a des
ressources humaines de qualité, mais ce dernier sera vite saturé », augure
Philippe Baldin, directeur associé d'Affluence, société conseil spécialisée en
relation clients. Sur plus de neuf millions d'habitants, 50 % auraient moins de
22 ans. La Tunisie comptabilise plus de 208 000 étudiants et estime que, chaque
année, 54 % des nouveaux venus sur le marché de l'emploi auront un niveau
universitaire (23 %) ou seront issus d'une formation professionnelle (31 %). Un
bassin d'emploi propre à intégrer des centres d'appels mais avec quelques
difficultés dans la maîtrise du français. « Pour la francophonie en Tunisie, il
y a une différence entre le discours officiel et la réalité, concède un
représentant du Centre de Langues de l'Institut Français Culturel (IFC). Les
jeunes générations parlent moins bien le Français que leurs parents. » Un fait
dû, selon de nombreux observateurs, à une baisse de la qualité de
l'enseignement. Un déficit que le gouvernement cherche à enrayer. D'une part
avec la réforme de l'enseignement débutée en 1995 et d'autre part, au moyen de
la formation.
UNE POLITIQUE DE PILOTAGE DES FORMATIONS PAR LA DEMANDE
Conscient que cette dernière devient « l'un des leviers de
commandes de l'investissement », l'Etat a entrepris une large réforme de son
dispositif. Toutefois, pour ce qui concerne les demandes de formation en
centres d'appels, il laisse aux sociétés spécialisées le soin d'y répondre. «
Il existe une demande face à laquelle il y a une offre de sociétés privées,
spécialisées dans la formation en centres d'appels. L'Etat préfère jouer son
rôle d'animateur, d'incitateur de marché plutôt que d'opérateur. La demande
étant de nature privée, l'offre doit l'être aussi », explique Moncef Ben Saïd,
secrétaire d'Etat du ministère de la Formation Professionnelle et de l'Emploi
(MFPE). Du coup, le gouvernement peut prendre en charge la formation et le
recrutement via l'ATE (Agence tunisienne de l'emploi), le BNEC (Bureau national
d'emploi des cadres) ou encore le FIAP (Fonds d'insertion et d'adaptation
professionnelle). Un dispositif dont a bénéficié STT pour ses premiers
recrutements en 2000. « Nous avons recherché les aides institutionnelles parce
que nous n'avions pas de repères. Puis, avec la compréhension du système, nous
sommes devenus plus autonomes », explique Patrick Dubreil. La filiale
tunisienne aurait fait appel au Centre de Langues de l'IFC pour la formation
d'une soixantaine de personnes. Un perfectionnement en français qui devait
continuer, mais qui s'est arrêté. « Il y a de nombreux projets qui s'égarent
dans les arcanes administratifs », note un membre de l'IFC. Ce qui n'empêche
pas les projets d'implantation de se constituer. « Depuis plus d'un an
maintenant, nous sommes très sollicités », indique brièvement le délégué de
l'APIE. La venue de Teleperformance France y étant pour beaucoup. « Je suis
content qu'ils se soient installés en Tunisie », affirme l'un des concurrents
locaux. Il est vrai que STT a essuyé les premiers plâtres et largement
contribué à tracer la voie auprès des institutionnels du pays. Ce qui manquait
jusqu'ici. Pour le reste, les investisseurs potentiels - surtout des
outsourcers - seront sans aucun doute sensibles aux opportunités tunisiennes.
Eux qui, dans un contexte tendu, sont en recherche permanente d'une meilleure
rentabilité.
Un marché local limité mais à sensibiliser
« Il est difficile de prévoir le taux de pénétration des centres d'appels en Tunisie, explique Behjet Boussofara, directeur de Systel, un intégrateur et distributeur d'Avaya. Tout dépend de la prise de conscience des grandes entreprises et de la facilité pour les PME tunisiennes d'intégrer les technologies associées. » Même si quelques entreprises ont sauté le pas (la Poste tunisienne, Mediastore, Batam, la banque ATB, etc.) ou sont sur le point de le faire (Tunis Air, Tunisie Telecom), peu nombreuses sont celles qui comprennent les bénéfices que peut générer la gestion de la relation clients. « Aujourd'hui, le marché local doit bénéficier d'un catalyseur, d'un moteur. Si une grande entreprise commence tout le monde va suivre », prévoit Sahbi Gargouri, P-dg de SPG, une SSII se positionnant sur la prestation de services. Ceci dit, le marché n'en reste pas moins limité. « Ce qui limite le marché, c'est 10 à 15 % d'abonnés au téléphone fixe », juge Alain Guettaf, dirigeant de la société d'outsourcing Direct Call Center. Estimée à une trentaine de positions, la taille des plates-formes est rapport à celle du marché intérieur tunisien. « Deux positions en Tunisie correspondent à 40 en France », estime Zouhir Mouelhi, directeur général de Tunis Call Center, filiale de Tunisie Leasing spécialisée dans les prestations de services. Et d'ajouter : « Il n'existe pas de ressources commerciales en Tunisie pour vendre le produit centre d'appels ».