Téléacteur, faute de mieux...
L'Observatoire des hommes et des organisations du groupe Adecco a interrogé un certain nombre de téléacteurs sur leurs motivations, leurs attentes et leur perception du métier. De quoi nuancer largement les discours pontifiants de certains employeurs...
Deuxième volet de l'étude menée par le Lab'Ho, Observatoire des hommes et
des organisations d'Adecco. Durant l'été 2000, cette entité du groupe
spécialisé dans le travail temporaire a publié un rapport détaillé sur les
salariés des centres d'appels. Après avoir relayé les données essentielles de
cette étude concernant les profils, les qualifications et les salaires des
personnels (voir n° 22, p. 71), Centres d'@ppels s'attarde aujourd'hui sur la
perception qu'ont les téléconseillers du call center. Pour réaliser le volet
qualitatif de son étude, Lab'Ho a recueilli au cours de 30 entretiens les
témoignages de téléconseillers âgés de 19 à 40 ans. Objectif : décrire la
perception que les salariés ont de leur environnement professionnel. Attention
: les personnes interrogées ayant été sélectionnées au sein du propre fichier
d'Adecco, il est évident que les environnements et conditions de travail
décrits sont davantage inspirés par ce que proposent les outsourcers et les
entreprises de télémarketing que par des sociétés gérant un service client en
interne. Trois grands traits se dessinent. Tout d'abord, une grande
hétérogénéité dans les parcours des téléacteurs. Une grande diversité ensuite
dans l'analyse des facteurs de satisfaction et de motivation, dans la
perception de leur rôle au sein de l'entreprise. Enfin, un certain nombre de
dénominateurs communs dans le vécu du travail de téléopérateur : le souhait
d'obtenir "un jour" un travail plus riche ou une fonction plus
responsabilisante ; le regret de ne pas être suffisamment reconnu, ne serait-ce
même que "vu" ou "entendu" ; l'hésitation sur le fait d'avoir à qualifier son
travail de "job" ou de "métier".
LE HASARD ET LA NÉCESSITÉ
En ce qui concerne les chemins qui mènent au centre
d'appels, ils sont heureusement assez divers. Néanmoins, le hasard (absence de
vocation), la nécessité (urgence à trouver un emploi) et les rencontres
(recommandation, bouche à oreille) sont parmi les facteurs d'explications les
plus souvent avancés. Les exemples les plus nombreux de démarches volontaires
vers les postes de téléconseillers se retrouvent au sein des télémarketeurs,
chez les personnes recherchant des missions de courte durée conciliables,
notamment avec les études. L'orientation vers ces métiers étant alors d'autant
plus évidente que l'offre est à la fois importante et accessible en termes de
qualification et d'expérience. Il est à cet égard intéressant de remarquer que
l'apparition de plus en plus manifeste d'un tissu de centres ou de structures
de formation aux métiers des centres d'appels est parfois ressentie comme un
processus contraire à l'intérêt réel du métier : « C'était encore un des corps
de métiers où l'on pouvait arriver sans avoir fait d'études » (F, 30 ans,
niveau bac + 4, superviseur). En s'attardant sur la perception du métier
lui-même, les consultants d'Adecco avouent avoir été « frappés par le nombre
important de témoignages sur le rôle "magique" du centre d'appels » pour
vaincre la timidité. Mais, de manière générale, le métier est ressenti comme
une porte d'entrée dans la vie professionnelle au même titre qu'une autre, à
condition que l'expérience puisse être valorisée. Vecteur d'intégration
sociale, cette activité permet, selon de nombreuses personnes, de continuer sa
construction personnelle. Par-delà cette vertu d'amorçage, quelles compétences
les métiers du call center permettent-ils d'acquérir ? La conscience d'avoir
acquis de réelles compétences est en tout cas largement partagée par les
personnes interrogées. Et ce, quelle que soit leur formation initiale. Les
métiers du centre d'appels apprennent à "maîtriser une relation téléphonique",
"acquérir des techniques de prise de rendez-vous", "améliorer mon discours",
"développer une certaine capacité d'écoute", "développer mon sens de
l'autonomie et une vision beaucoup plus large du travail". En fait, cette
acquisition de compétences, si réelle soit-elle, ne relève pas d'un cadre
évolutif formalisé. Il s'agit bien davantage, semble-t-il, d'un apprentissage
"sur le tas", où les bénéfices personnels comptent au moins autant que les
bénéfices professionnels. Et l'expérience du call center est bien souvent
ressentie comme un tremplin vers d'autres activités, ce qui, d'une certaine
manière, n'alimente pas de manière positive l'image du call center : « même si
ce n'est qu'un job, j'ai beaucoup appris. C'est un véritable plus pour mon
projet professionnel. De toute manière, tout travail sert toujours à quelque
chose » (F, 21 ans, bac + 2, téléactrice). Les centres d'appels sont-ils de ce
fait perçus comme de réels générateurs de perspectives en matière de carrières
? Selon Lab'Ho, il semble que la perception varie en fonction du niveau
d'études. "Plus le niveau de qualification augmente, plus on voit de réel-les
chances de promotion." Quoique... Hors la fonction de superviseur, peu de
perspectives sont évoquées.
PERCEPTION TRÈS CRITIQUE DES CONDITIONS DE TRAVAIL
Plus prosaïquement, les téléconseillers
semblent assez critiques quant à l'environnement direct de travail : locaux,
ergonomie, matériel... Selon Adecco, ils disposent d'un espace de 7 à 12 m2
pour peu qu'ils aient la chance de travailler sur un plateau non cloisonné.
Casques, scripts (mal acceptés parce qu'ils donnent l'impression d'"être des
robots"), horaires décalés (plutôt bien appréciés car ils permettent de
conjuguer vie professionnelle et études ou activités familiales)... Tous les
aspects relevant des conditions quotidiennes de travail ont été abordés lors
des entretiens entre les consultants d'Adecco et les téléconseillers. Jusqu'à
la question des pauses qui constitue un sujet sensible parce qu'elles relèvent
des rythmes de travail, sur lesquels les syndicats sont très vigilants. Et le
rapport de Lab'Ho de préciser : "La temporisation, ou délai entre deux prises
d'appels, s'est réduite dans certains centres à cinq secondes. Les syndicats et
les téléopérateurs qui témoignent au fil d'interviews affirment que, dans la
pratique, la temporisation réelle est souvent de deux secondes." Quant au
contrôle du travail (statistiques, écoutes, appels mystères), il est vécu de
manière négative, souvent associé à du "flicage", d'autant plus qu'il est
ressenti comme constant. Les consultants d'Adecco ont également demandé aux
téléacteurs d'imaginer, de manière graphique, la plate-forme "idéale". Les
résultats sont intéressants à plus d'un titre. D'abord par la diversité des
propositions, par la naïveté de certains dessins ensuite, par la très forte
prégnance des formes géométriques et symétriques. Fort peu de courbes, beaucoup
d'angles et de cloisons. En fait, et c'est bien là le paradoxe, le centre
d'appels idéal s'apparente étrangement au call center du réel.
La mutation des grilles de recrutement
Dans la dernière partie de son rapport, Lab'Ho aborde la question des critères de recrutement arrêtés par les responsables des ressources humaines ou les responsables de centres d'appels pour répondre aux besoins propres des call centers. Pour ce faire, les consultants d'Adecco se sont entretenus avec des directeurs des ressources humaines ou des responsables de centres d'appels. Il en ressort que si toutes les entreprises sont confrontées à des difficultés de recrutement, le challenge qui se pose pour répondre aux difficultés de recrutement ne consiste pas tant à "faire plus de la même chose" (bac + 3 au lieu de bac + 2, petite annonce sur 1/4 de page plutôt que sur 1/8), mais de faire autrement : "Quelle est la zone de pertinence sur laquelle on travaille ? Quels sont les critères qui correspondent aux enjeux réels ?". Le média de recrutement le plus largement utilisé restant la petite annonce. A cet égard, quatre caractéristiques apparaissent : la quasi-absence de précision quant au recruteur (nom, activité, taille, nombre de salariés...) ; l'absence de définition de poste ; la limitation des qualités requises ("sourire et motivation") ; l'absence totale de mention d'une perspective d'évolution. De manière générale, deux types de stratégies sont mis en oeuvre. Premièrement, une approche "objective" de la situation : mise en rapport des repères institutionnels contenus dans le CV (âge, diplômes, expérience, cohérence de l'ensemble) avec la description institutionnelle de l'offre d'emploi (descriptif du poste, salaire...). Deuxièmement, certains employeurs vont privilégier la prise en compte d'une singularité du candidat, de son histoire personnelle et privilégier ses capacités relationnelles afin de ne retenir, de manière plus subjective, que ce qui lui permettra de s'adapter au poste. Etant bien entendu que, dans le cadre de recrutements massifs (et a fortiori urgents), ce type d'approche est plus difficilement applicable parce que plus long et, surtout, plus "risqué". Ce sont ces recruteurs-là qui vont appliquer le "principe d'indépendance entre la relation et le savoir", formalisé par Ernst & Young, qui aurait une incidence positive sur la courbe de performance des conseillers (voir schéma). Principe selon lequel il est facile de former le personnel sur les aspects techniques, produits et services, et qu'il est préférable de définir des critères d'embauche autour des qualités essentielles de communication, d'expression et d'aptitude relationnelle.
Motivation ou satisfaction ?
Dans le verbatim des personnes interrogées par les consultants d'Adecco, dès lors qu'il s'agit de connaître leurs facteurs d'intérêt pour les métiers exercés sur les centres d'appels, il n'est pas évident de faire la part de la motivation et de la satisfaction. Pour les catégories à relativement faible niveau de salaire, c'est souvent le type d'ambiance ou la nature des relations personnelles qui est mis en avant. « Tant qu'à être payé au Smic, autant travailler dans une ambiance agréable. Je préfère travailler plus loin si j'y gagne en qualité » (F, 28 ans, bac + 2, téléactrice). Pour ce superviseur de niveau bac + 4, c'est le hasard qui fait office de facteur déclenchant : « Quand on aime la communication, le relationnel, on est servi. Et puis moi, j'aime les chiffres (...). Maintenant, je ne pense pas qu'on est a priori passionné par la relation téléphonique avec qui que ce soit, on n'en tire pas une valeur. » Cela traduit-il une difficulté à dire ce que sont les motivations réelles, ce qui est positivement recherché. Ou est-ce le fait que les seules véritables motivations demeurent très prosaïques : besoin de travailler rapidement, de trouver un boulot facilement, avec des horaires souples ?
Méthodologie
L'étude de Lab'Ho (Observatoire des hommes et des organisations du groupe Adecco), menée l'été dernier en partenariat avec la direction des études d'Adecco, repose sur plusieurs approches : pige de la presse (1999 et 2000), documentation, deux entretiens de groupe rassemblant chacun une dizaine de téléacteurs, examen approfondi de 430 CV recueillis dans les réseaux Adecco (agences Téléservices) et Phonecco, rencontre de 30 téléacteurs en entretien individuel, reconstitution de l'intégralité des verbatim. Par ailleurs, Lab'Ho a rencontré une trentaine de responsables des ressources humaines ou de responsables opérationnels de centres d'appels (intégrés ou externalisés).