Centre de contacts: gérer les appels conflictuels
La baisse du taux de turnover dans les équipes de téléconseillers et la sauvegarde de la satisfaction clients passent par une meilleure gestion des appels difficiles, voire conflictuels. À condition d'agir avec méthode.
Sur les plateaux des centres de contacts, les risques psycho-sociaux liés aux appels conflictuels et aux tensions au sein des équipes, en raison du rythme et de la complexité des missions, sont de plus en plus pris aux sérieux par les outsourceurs. En effet, si la seule donnée secteur disponible demeure le taux de turnover - 16% en moyenne(1)-, des mesures concrètes sont mises en place: Teleperformance France a ainsi élaboré un accord relatif à la prévention des risques psycho-sociaux.
De même, l'outsourceur crée des coaching zones, des espaces permettant un suivi individualisé en temps réel des collaborateurs potentiellement en difficulté. "Les appels conflictuels surviennent notamment lorsque la législation évolue, explique Thibault de Clisson, directeur général délégué de l'éditeur EasyVista. Certains clients peuvent en être informés avant les conseillers." Par ailleurs, le parcours du client commence désormais par une recherche sur les outils de self care, avant l'échange avec un conseiller. "La tension monte lorsque la réponse fournie par le collaborateur diffère des éléments déjà trouvés par le consommateur", complète Thibault de Clisson.
1. Identifier les facteurs du conflit
Pour éviter une montée de la tension face à un client agacé, voire franchement énervé, le bon sens est de mise: "Il faut se focaliser sur les solutions à apporter, la transparence, le mea culpa face à une insatisfaction justifiée et, bien sûr, l'écoute et le calme", résume Audrey Francke, directrice des ressources humaines France de Teleperformance. Cependant, une gestion efficace fait appel à des techniques de communication éprouvées, au nombre desquelles figure le triangle de Karpman, un jeu d'analyse transactionnelle élaboré par le psychologue Stephen Karpman en 1968.
Ce jeu, mis en place lors de sessions de formation, aide à comprendre les mécanismes du conflit. Il comporte trois personnages: la victime, le persécuteur et le sauveur. Lorsqu'une personne se présente comme étant la victime, elle entraîne l'autre à jouer soit le sauveur, soit le persécuteur. En réponse, le sauveur place la victime en situation d'incapacité à réfléchir et à agir sur son problème. Le persécuteur, lui, blâme la victime. Chacun peut changer de rôle au cours du jeu. Le but est d'identifier les différents mécanismes de manipulation à l'oeuvre afin de les mettre à distance et de désamorcer le conflit, notamment en communiquant ses émotions et ses idées.
Autre technique utilisée par les formateurs, la méthode Thomas Kilmann, laquelle illustre les diverses stratégies adoptées face à une situation conflictuelle. Le comportement de chaque interlocuteur oscille entre la détermination (la personne cherche à satisfaire ses propres aspirations) et la coopération. Cela mène à cinq actions possibles, toutes testées au cours de saynètes: rivaliser, collaborer, chercher un compromis, éviter et céder. L'attitude de chaque conseiller est évaluée et mène à la constitution de son profil. Cela permet à chacun de s'interroger sur ses forces et faiblesses.
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Au-delà de la théorie, les acteurs exploitent des exemples concrets: "Teleperformance dispose de méthodes internes fondées sur l'observation de milliers d'interactions, telles que la mise en place de simulations inversées et une prise de conscience totale des ressentis clients, indique Marie Grenier, directrice de Teleperformance Academy. Nous travaillons, par ailleurs, sur le calibrage d'appels dits conflictuels pour gagner en anticipation."
2. Améliorer son assertivité et favoriser l'écoute active
L'assertivité compte parmi les compétences à travailler en priorité. Cet état d'esprit, introduit par le psychologue américain Andrew Salter au milieu du xxe siècle, consiste à mettre son point de vue en avant, tout en respectant celui de son interlocuteur. Les conseillers et encadrants sont invités à identifier et éviter les comportements d'agression, de soumission ou de manipulation. Il s'agit, au contraire, de "convaincre, rassurer et satisfaire" le client, via une attitude "bienveillante, empathique et personnalisée", affirme Marie Grenier.
Pour travailler son assertivité face à un client mécontent, le conseiller est convié à utiliser la méthode DESC: décrire les faits, exprimer ses émotions, suggérer une solution, conclure positivement. Cet exercice permet d'énoncer un désaccord de manière constructive. Suite aux simulations effectuées en formation, les enregistrements d'appels permettent de vérifier l'assertivité d'un conseiller et de travailler sur des axes d'amélioration. Plus radicale, l'écoute active, empruntée au psychologue américain Carl Rogers, incite le client à expliciter le plus exhaustivement possible son problème, notamment grâce à la reformulation de ses difficultés et demandes. Attention, alors, à ne pas tomber dans le travers du "conseiller-perroquet": il s'agit de faire préciser une attente et de vérifier avec le client que son message a bien été compris. Cela implique de multiplier les questions ouvertes, de veiller à ne pas interpréter le discours du client et de ne pas avoir peur des silences.
3. Repérer et aider un conseiller en difficulté
Un agent confronté à un appel conflictuel est aisément identifiable: "Des signes évidents permettent aux managers de détecter ces situations, explique Audrey Francke. Le conseiller hausse anormalement le ton, il développe un non-verbal montrant qu'il est en difficulté (signes d'impatience, mimiques d'énervement), il se focalise sur la justification et ses émotions plutôt que sur les solutions à proposer au client, il perd ses moyens dans le discours et peut paniquer." Son superviseur ne doit pas hésiter à reprendre la communication ou à apporter de l'aide en direct. L'appel fini, il convient de faire un bilan avec le collaborateur sur les actions qui auraient pu l'aider. Un temps de pause est nécessaire pour que les prochains appels soient pris dans un bon état d'esprit. Teleperformance a d'ailleurs mis en place une cellule d'accompagnement psychologique externe, via le cabinet Présence Conseil, afin que ses salariés puissent recourir à une ligne d'écoute personnalisée.
4. Concilier gestion du conflit et taux de FCR
Si l'agent n'est pas en mesure d'apporter une solution immédiate, il peut indiquer au client qu'elle lui sera communiquée après recherches. "Dans ce cas, il est impératif de prendre les devants et de dire au client que c'est nous qui allons le rappeler", note Marie Grenier. En effet, cette technique préserve l'indicateur FCR (taux de résolution au premier appel). De plus, le recours à un script figé est banni par la plupart des centres de contacts au profit d'une trame plus souple. "Quand le conseiller s'aperçoit qu'une trame ne convient pas, il doit pouvoir collaborer dans l'heure avec ceux qui l'ont rédigée pour la modifier, sans solliciter forcément le service IT", plaide Thibault de Clisson.
Cela passe parfois par des mesures plus radicales. Le directeur général délégué d'Easy Vista cite la stratégie de l'un de ses partenaires: les conseillers sont autorisés à négocier la durée de paiement si un client appelle pour un impayé. L'utilisation d'une trame intégrant un arbre de décision intelligent (les réponses suggérées au conseiller se modifient en fonction de la situation) permet de confier cette marge de négociation au collaborateur. "Ainsi, le conseiller devient maître de la conversation, au lieu de subir un flot ininterrompu", conclut Thibault de Clisson. Un savant dosage entre accompagnement et autonomie.
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(1) Étude "La nouvelle promesse de valeur des centres de contacts", publiée par EY et le SP2C, 2018.
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