Recherche

Le turn-over, un mal à soigner en urgence

Le papillonnement des téléagents est un des plus grands maux dont souffrent les centres d'appels. Qu'il s'agisse des centres de contacts internes aux entreprises ou des externalisés, les dégâts pèsent lourd dans le budget. Si les causes du phénomène sont différentes suivant le type de centre, les recettes, en revanche, peuvent être similaires.

Publié par le
Lecture
12 min
  • Imprimer


Le sujet du turn-over est archiclassique et en même temps brûlant, remarque Laurent Termignon chez Hewitt et Associés. Quand on aborde le dossier d'un centre de contacts, ce sujet vient généralement dans les trente premières secondes. La fidélisation du personnel est un enjeu important pour les entreprises de téléservices. » D'autant plus important que son coût, pour l'entreprise, est difficilement valorisé car son influence se manifeste de plusieurs manières à la fois : augmentation des coûts de recrutement, baisse de la qualité du travail, détérioration de l'image du centre et en fin de compte baisse des marges. « Le turn-over se développe et pèse de plus en plus lourd dans la fonction de la relation client. C'est un phénomène important et préoccupant », confirme Olivier Tortel, directeur associé chez Prospica, spécialiste en conseil de management. « On présente souvent la problématique du turn-over comme l'opposé du bien-être dans le travail, constate Stanislas Huin, responsable de mission au cabinet de conseil Eurogroup. C'est exact. Mais, avant le turn-over, il y a déjà le mal-être et la diminution de la qualité qui l'accompagne. Pour beaucoup d'entreprises, le centre d'appels est leur seul contact avec le client. Si le client est mal reçu, cela produit une mauvaise image de l'ensemble de l'entreprise. » Où se cachent les causes du papillonnement des agents ? Elles sont à rechercher dans les conditions de travail. Tout ce qui crée l'inconfort, génère aussi l'instabilité du personnel. Dans des centres externalisés, le turn-over est plutôt la conséquence d'un manque de moyens. Comme les centres externes sont, le plus souvent, chargés des services à faible valeur ajoutée requérant une compétence faible, et générant moins de chiffre d'affaires, les téléagents sont donc moins bien payés. Dans ces centres, il y a peu de possibilités d'évolution interne, et presque pas de stimulation possible par le plan de carrière. On peut donc faire appel aux recettes : professionnaliser les acteurs et les managers, les chefs de groupe, le chef du plateau. Car c'est aussi le constat désormais commun : les centres d'appels souffrent d'un problème d'encadrement. Les managers sont peu qualifiés pour cette tâche. Souvent, ils ne savent pas enseigner, ne savent pas entraîner leurs équipes, ne savent pas construire un argumentaire. Ce qui pourrait augmenter le turn-over. Le lieu d'implantation a également son incidence sur la stabilité des effectifs. « En France, le turn-over dans les centres d'appels est de 30 % en moyenne. Il est plus bas dans les régions, aux environs de 10 %, mais peut atteindre 60 % en région parisienne », constate Stanislas Huin. Pourtant, la plupart des centres d'appels des entreprises sont toujours concentrés autour de la capitale. La principale raison de turn-over ici, c'est la concurrence et les salaires qui ne favorisent pas la fidélité.

Paris, capitale du turn-over


Pourquoi y a-t-il plus de turn-over à Paris ? « Parce que le niveau des salaires qu'on leur offre est scandaleux, répond Sophie de Menthon, P-dg de Multilignes Conseil. J'ai honte de payer les téléacteurs au Smic plus 10 % ! Mais je ne vais pas leur offrir plus car, alors, je ne gagnerais aucun appel d'offres. J'espère qu'un jour les annonceurs vont se rendre compte de cette contrainte » Dans des régions économiquement sinistrées comme la Picardie, le chômage aide à créer la fidélisation du personnel. Mais, pour s'y installer, il faut d'abord dissocier le siège social et le centre d'appels. Cette idée n'a pas encore acquis tous les esprits, même si l'externalisation des centres en est l'illustration. Comment réduire le turn-over ? « Appliquer une politique de formation individuelle et de montée en compétence », répond Stanislas Huin. Chaque agent doit faire l'objet d'un suivi et bénéficier d'un projet individuel dès son entrée dans le centre. D'autant plus quand il exerce un métier peu valorisant de réputation - il s'agit de lui démontrer le contraire. La formation sera davantage orientée vers une acquisition des compétences plutôt qu'à une montée en grade. Une formation multicanal pourra apporter la polyvalence tant recherchée dans les centres, en apprenant aux opérateurs à traiter aussi bien le courrier postal que les contacts en provenance du Web, y compris avec l'aide de webcams. L'encadrement doit être orienté dans ce sens, pour donner aux agents une approche complémentaire de la formation.

Les centres internes ne sont pas à l'abri


L'autre possibilité consiste à organiser une rotation artificielle, sensibiliser le téléacteur aux différents métiers de l'entreprise, le faire tourner dans différents postes avec une fréquence de deux ou trois mois. Surtout faire attention aux profils dont les tâches sont particulièrement éprouvantes, par exemple le travail dans le service des réclamations. Ici, il faut faire tourner le personnel plus souvent. Dire que le problème du turn-over concerne surtout des centres d'appels externalisés fait partie des idées reçues. Ainsi, les centres internes ne sont pas non plus à l'abri. Pour expliquer la présence du turn-over dans ces centres, Olivier Tortel montre du doigt l'approche de recrutement développée par les entreprises : « Dans les centres de relation téléphonique, on rassemble parfois des gens peu qualifiés, et on oublie de leur expliquer que le contact client, c'est un métier. » Dans les centres internes des banques et des compagnies d'assurances, c'est souvent le personnel de l'entreprise qui se retrouve là, souvent par défaut. « Ces personnes sont peu motivées. Elles sont difficiles à gérer, souvent absentes, ne répondent pas aux stimulants traditionnels. Ça ressemble à une réserve d'Indiens, remarque Olivier Tortel. Ces gens sont malheureux d'être là où ils sont. On les occupe sans les professionnaliser, on les fait souvent changer de poste et, finalement, ils sont mauvais partout. » Un centre d'appels construit de cette manière peut devenir un handicap dont le coût sera éventuellement supérieur à celui facturé par un prestataire. Mais tout ce raisonnement sort du domaine des contacts clients pour rejoindre celui de la gestion des ressources humaines : une politique raisonnée de départs négociés aurait permis de trouver des solutions plus rentables. Les entreprises qui ont organisé un lien par téléphone aboutissent souvent au même constat : c'est un métier dans lequel on ne peut pas durer longtemps. Comment surmonter ce handicap ? « Une des solutions consiste à recruter des jeunes qui cherchent juste à gagner un peu d'argent, répond Olivier Tortel, et à leur offrir un contrat moral : Avec nous, vous avez l'assurance de pouvoir payer vos études pendant six, douze, dix-huit mois. Mais vous êtes avertis qu'il n'y a que peu de possibilité de progression dans ce métier. »

Recrutement égale formation


Pour les centres d'appels internes, le coût du turn-over n'est pas très différent de celui des externes. C'est celui du recrutement et de la formation, pour commencer. Avec une rotation du personnel importante, il faut réengager les mêmes coûts tous les six mois. « Pour réduire ce poste, on peut faire appel aux meilleures équipes du centre, pour qu'elles participent à la formation des équipes qui arrivent sur le plateau. C'est aussi une manière de reconnaître leurs compétences », conseille Olivier Tortel. Un téléacteur qui est sollicité pour former les nouveaux venus, c'est motivant pour la personne, cela le soulage quant à sa charge de travail quotidienne et en fait un futur superviseur tout prêt. Donc l'intérêt est double, car le coût du recrutement de superviseurs sera réduit. A noter que, sur les possibilités de promotion dans l'entreprise, les avis sont très partagés.« Lors de la création d'un centre interne, on procède souvent par recrutement externe pour pourvoir des postes d'encadrement, ou bien on recherche, en interne, de bons commerciaux avec une fibre de management. Par la suite, pourrait-on recruter l'encadrement parmi les équipes du centre ? Oui, mais comment repérer dans la foule de téléacteurs ceux qui pourraient devenir superviseurs ? », s'interroge Stanislas Huin. C'est un peu plus facile dans des grands centres d'appels, mais les centres internes des entreprises n'atteignent pas nécessairement une taille suffisante pour pratiquer le recrutement interne.

Une politique des ressources humaines meilleure en interne


La promotion vers la force de vente peut-elle devenir un stimulant ? Ici, il y a un risque de dépréciation supplémentaire des métiers du centre. « Pour moi, c'est une fausse promotion. A niveau de compétences égal, un vendeur en centre d'appels et un vendeur sur le terrain se valent », répond Stanislas Huin. Il est intéressant de faire passer le télévendeur vers les équipes de terrain. Mais l'inverse est, en général, difficile à organiser tellement le métier de téléopérateur a mauvaise presse. A noter l'expérience de quelques entreprises comme AOL où les salariés sont invités à venir travailler quelques jours au centre de contacts interne. Avec des primes d'assiduité et de compétences, les agents des centres d'appels internes bénéficient souvent d'une politique RH meilleure que l'ensemble des salariés de l'entreprise. En revanche, cette politique est plus articulée autour de primes qu'autour de journées de congés, par exemple. Mais les centres d'appels du service public font exception à cette règle : ici, on ne stimule pas ou peu avec des primes, mais surtout avec des formations. Il existe un domaine où les centres d'appels internes ont souvent l'avantage sur les externalisés : l'aménagement des postes et le confort du travail. « Les centres internes font beaucoup de progrès pour casser l'image des usines d'abattage. Des casques légers, un éclairage adapté, des espaces agrandis entre les bureaux tout cela joue beaucoup pour réduire le turn-over, estime Stanislas Huin. Ces aménagements ont un coût, mais ils participent à la diminution du turn-over qui, lui, génère des coûts beaucoup plus importants pour l'entreprise. » Cependant, il s'agit d'investissements dont on ne peut pas toujours estimer la rentabilité à l'avance. Et d'ailleurs, est-ce rentable ? Ne vaut-il mieux laisser couler et voir les agents partir ? Nous avons trouvé un responsable de centre d'appels qui adhère à cette idée, mais pas de bon coeur. « La population des téléacteurs n'est pas fidélisée, assène Sophie de Menthon, Ce sont les bons qui s'en vont et les moins bons qui restent. J'aimerais au contraire qu'il y ait plus de turn-over. » Un point de vue qui trouve rapidement sa réponse, fournie par Emmanuel Mignot, P-dg de Teletech International : « Ceux qui se plaignent de ne pas avoir assez de turn-over ? Je pense qu'ils ont mal recruté ou bien ils ont mal traité leurs agents. Et souvent, c'est les deux à la fois. Dans les téléservices, les agents deviennent performants au bout de dix-huit mois en moyenne, et ils seront amortis au bout de trois ans. Alors, ceux qui se plaignent de ne pas avoir assez de rotation du personnel, sont simplement en train d'investir dans un tonneau percé ! » Le débat sur l'approche des RH se transforme en fin de compte en un débat sur l'investissement, ce qui est logique. Et là, la solution de Teletech paraît largement plus efficace (voir l'encadré p. 38 Le turn-over ? Connais pas..). Enfin, pour espérer réduire durablement le papillonnement, il faut s'intéresser à la vision que les téléagents peuvent avoir de leur travail, et du fonctionnement de leur centre : pour eux, le téléservice, est-ce un métier ou un job ? Et, pour changer cette perception parfois négative du métier, le mot-clé, c'est la professionnalisation des équipes.

Pourquoi partent-ils ?


Pourquoi partent-ils ? Le turn-over n'est pas présent de la même manière partout. Voici quelques critères pour analyser les causes du papillonnement des agents. • Le niveau de la formation. Les jeunes diplômés bac + 2 recherchent une première expérience professionnelle. Mais on ne peut espérer les garder sans perspective d'évolution. Au bout de deux ans au plus, ils vont vouloir évoluer et commenceront à chercher ailleurs. • Le niveau des rémunérations. Offrir le Smic sans primes pour les téléacteurs qui réalisent des appels de vente, est une démarche incohérente. • La correspondance avec l'état du marché de l'emploi. Dans un contexte économique difficile, les entreprises ont clairement abusé des restrictions budgétaires. Quand le marché reprend, même timidement comme aujourd'hui, l'agent insatisfait s'en va chercher du travail ailleurs. C'est peut-être la cause principale des départs. • Le productivisme. Une grosse pression de productivité nuit à la fidélisation des agents. Ils ont besoin de sentir les efforts de l'encadrement, pour les préparer à chaque mission. • Les conditions du travail. Dans les centres qui s'adressent à la cible grand public, les horaires sont décalés. Pour les suivre il ne faut pas être marié ni avoir d'enfants. Le téléacteur qui se marie s'en ira bientôt. • Les tâches répétitives. Pratiquer des tâches mixtes entre appels entrants et sortants, ou confier aux téléacteurs la gestion des tâches administratives, permet de casser la monotonie. • Le dialogue social. De l'aveu des patrons des centres, le droit du travail n'est pas toujours scrupuleusement respecté. Favoriser l'élection du comité d'entreprise, l'associer aux décisions, permet d'améliorer le climat social.

Alexis Nekrassov

S'abonner
au magazine
Se connecter
Retour haut de page