[Tribune] Mobilité : réinventons l'expérience des guichets physiques
Les guichets en gare resteront finalement ouverts. C'est la fin d'un feuilleton sur l'avenir des guichets physiques dans les gares qui a tenu en haleine tout le Royaume-Uni. L'annonce faite par le Rail Delivery Group de fermer la quasi-totalité des guichets physiques du réseau ferroviaire dans les trois ans avait provoqué une telle levée de boucliers que le gouvernement britannique s'est finalement résolu à faire machine arrière en fin d'année.
Par Maxime Audouin, expert mobilité, EY Fabernovel
Les guichets physiques doivent-ils continuer comme avant pour autant ? Si le feuilleton britannique montre l'importance de l'humain dans la relation client, il soulève aussi la nécessité de repenser les guichets physiques, souvent vieillissants, pour les faire évoluer au rythme des usages et éviter une réelle fermeture. Le volume de ventes de titres de transport au Royaume-Uni a en effet diminué de 70 % depuis les années 90 au profit des ventes dématérialisées et ne représentait plus que 12 % des ventes en 2022 selon le Rail Delivery Group. Même son de cloche en France où l'Autorité de régulation des transports montre que les points de ventes physiques (guichets en gares, boutiques ou autres) ne généraient que 10 % des recettes en 2019 et toujours à la baisse.
N'ayant jamais réellement évolué depuis l'apparition de nouveaux canaux numériques, le guichet, et plus globalement l'agence commerciale, doit opérer sa mue pour ne pas tout bonnement disparaître et surtout, (re)devenir un canal de prédilection désirable et performant. Les autorités organisatrices de mobilité et opérateurs doivent avant tout adopter une approche par le design en replaçant l'utilisateur au centre d'une expérience résolument omnicanale.
L'accueil humain dans la relation client réinventé de manière systémique...
Les guichets doivent être réimaginés de manière systémique comme une partie intégrante de la relation client. Autrement dit, la mue de ce canal doit venir d'une réflexion recensant les usages de ses différents types d'usagers actuels, mise en perspective par rapport au mix omnicanal global, c'est-à-dire de tous les autres canaux de relation client existants et de leurs propres fonctionnalités.
Quels sont les usages de la population étudiante lors du pic de réabonnement de la rentrée par exemple ? Existe-t-il d'autres canaux qui leur permettraient de réaliser le dépôt des justificatifs pour bénéficier du tarif préférentiel ? Quels sont les usages des voyageurs étrangers en agence ? Existe-t-il d'autres canaux qui leur permettraient de répondre à leurs besoins ?
C'est cette cartographie qui permet de prendre des décisions pour faire évoluer les services du guichet et l'aménagement de l'agence commerciale. Elle participe à la construction d'un service cohérent en lien avec les autres canaux tout en anticipant et prenant du recul sur des effets rebonds possibles. A l'image d'une grande métropole française qui a tout récemment identifié la formation de longues queues à certains moments et avec différents types de population qui n'avaient pas connaissance d'autres canaux numériques plus rapides. Pour optimiser le parcours, la métropole a envisagé le déploiement de conseillers volants allant à la rencontre des personnes de la file, pour identifier leurs besoins et les rediriger si nécessaire (et si possible) vers une démarche en ligne. Grâce au désengorgement des files, le public qui a le plus besoin du guichet physique a pu ainsi bénéficier d'une expérience mieux adaptée à ses besoins.
La Banque des territoires a aussi adopté cette approche systémique avec le dispositif de France service. En repérant que 15 % des démarches administratives en ligne rencontraient des difficultés à être réalisées par des utilisateurs âgés notamment, la direction a construit un canal physique pensé en complément du numérique. 2600 agences de France service ont été ainsi déployées pour répondre à cette problématique.
... tout en le rendant accessible
Une fois la transformation engagée, le guichet deviendra le canal de prédilection de ceux qui en ont le plus besoin : séniors, personnes en situation de handicap, non francophones, etc. Le réseau Fil Bleu de la métropole de Tours, exploité par le groupe Keolis, a repensé son agence commerciale en 2021 avec cette vision inclusive qui a abouti à l'obtention du label ACCEV reconnaissant la « véritable qualité d'usage pour tous » et créé par le CRIDEV (Centre de Recherches pour l'Inclusion des Différences dans les Espaces de Vie) et l'APF (Association des Paralysés de France). Dès l'accueil, le profil de la personne - femme enceinte, en situation de handicap etc. - est identifié pour lui offrir une expérience et un parcours adapté. L'installation d'une boucle magnétique qui permet aux personnes en perte d'audition d'amplifier le son de la voix de son interlocuteur ou encore la mise à disposition d'un service d'interprète pour les personnes sourdes signantes sont des dispositifs parmi un arsenal complet venant répondre aux différents besoins d'inclusivité recensés de cette agence.
Finalement, comme indiquait la sociologue Julia Velkovska dans un entretien au Monde "on voit trop souvent le numérique comme un moyen de remplacer l'humain". Repenser la valeur apportée par le contact humain est l'opportunité de repenser plus globalement l'expérience vécue par l'utilisateur. Demain, les guichets physiques ne s'appuieront plus uniquement sur des approches quantitatives (chiffre d'affaires, volume de titres vendus...) mais incluront d'autres indicateurs qualitatifs pour suivre les différents services et dispositifs mis en place. D'un guichet physique à une agence d'expérience voyageur ou de conseils en mobilité, il n'y a qu'un pas : le design.
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