L'accueil des clients étrangers VIP, un défi majeur pour les retailers et l'hôtellerie
Alors que Jean-Yves le Drian, ministre des Affaires étrangères, annonce un objectif de 100 millions de touristes étrangers à l'horizon 2020, les professionnels de la relation client s'adressent à une clientèle étrangère aisée toujours plus convoitée.
Retailers et professionnels du tourisme peuvent souffler: après une année 2016 catastrophique, touristes et voyageurs d'affaires étrangers reviennent en France. Ainsi, "au premier semestre 2017, malgré un contexte sécuritaire très marqué, la destination Paris Ile-de-France a connu une augmentation de 1,5 million d'arrivées hôtelières et de 3,3 millions de nuitées, soit près de 1,1 milliard d'euros de retombées économiques en plus par rapport au premier semestre 2016", annonce le bilan de l'activité touristique 2017 publié par le Comité régional du tourisme de Paris Région. Signe encourageant, "la reprise de l'activité touristique a particulièrement été portée par les touristes internationaux" (+14,9% d'arrivées), selon ce même rapport. Parmi les nationalités représentées, les Américains conservent la première place, devant les Britannique, les Chinois, les Allemands puis les Espagnols. La clientèle du Proche et Moyen-Orient arrive en huitième position, devant les Japonais, dixièmes.
Ce retour en grâce profite en particulier aux palaces (dont le chiffre d'affaires croît de 3,2% au premier trimestre 2017), aux hôtels haut de gamme (+11,2%) et enseignes prestigieuses. Ainsi, les Galeries Lafayette Haussmann enregistrent une "progression à deux chiffres" durant les 5 premiers mois de 2017 par rapport à l'année précédente, déclare Agnès Vigneron, directrice des Galeries Lafayette Haussmann à Paris, auprès de l'AFP. "On a commencé à voir l'activité redémarrer à partir de la fin 2016 et, depuis, cela se poursuit, précise-t-elle. Aujourd'hui, on a retrouvé les volumes de 2015, et même, on les dépasse légèrement." Les Galeries Lafayette Haussmann ont ouvert en mars 2017 le Shopping & Welcome Center, destiné à la clientèle chinoise, face au flagship. L'espace de 4200m2 présente une sélection d'objets prisés de cette clientèle (sacs, bijoux, beauté, cadeaux estampillés Paris...). Le magasin comprend des bornes de remboursement pour la détaxe ainsi qu'un salon VIP orné de panneaux digitaux. L'affichage est traduit en chinois et le personnel est sinophone.
Entre spécificité culturelle et standards internationaux
"Les vendeurs et le personnel d'accueil sont formés à éviter tout stéréotype concernant les clients étrangers", Olivier Jacob, Inéa Conseil
Pour renforcer cette dynamique, établissements touristiques et retailers rivalisent d'efforts pour satisfaire une clientèle étrangère aisée, à fort pouvoir économique. Pour exemple, en 2016, 120 millions de Chinois sont partis en voyage hors de leurs frontières et ont dépensé 165 milliards d'euros, dont 60% en produits de luxe, selon une étude de la société de conseil Fortune Character.
Spécialistes incontestés de l'excellence de service et de l'expérience client, les palaces ont appris à marier art de vivre à la française, connaissance des spécificités culturelles de chaque nationalité de client et homogénéisation des standards internationaux. Alors que les clients, eux, attendent toujours un certain pittoresque, "les vendeurs et le personnel d'accueil sont formés à éviter tout stéréotype concernant les clients étrangers", explique Olivier Jacob, fondateur du cabinet Inéa Conseil, spécialisé dans la formation à l'accueil de la clientèle étrangère pour les enseignes de luxe.
Ainsi, la mise en avant de l'excellence à la française demeure un argument-clé. Lors de sa réouverture le 5 juillet 2017, l'hôtel de Crillon, détenu par le groupe hongkongais Rosewood Hotels & Resorts, se positionne comme "l'élégante expression de l'esprit parisien et de l'art de vivre à la française", "à la fois intemporel et avant-gardiste", indique Sonia Cheng, présidente du groupe. Fidèle à la tradition du maître de maison, le palace met en place un service exclusif de majordome unique, sorte d'interface entre le client et tous les services de l'hôtel.
En parallèle, les palaces chinois plus récemment implantés mêlent savamment culture asiatique et occidentale. Ainsi, The Peninsula Paris, détenu par le groupe HSH, accueille en 2016 une exposition de l'artiste chinois Liu Bolin, mêlant références à des peintres de la Renaissance et "shan shui" (paysages chinois traditionnels). Le spa de l'établissement propose des cours de Qi Gong (gymnastique traditionnelle) et de méditation, tout en utilisant les produits de la marque de cosmétique française "Haute Couture". De même, le groupe Marriott International s'efforce de proposer à la clientèle chinoise les points de contact qu'elle affectionne: "Nous venons de conclure un partenariat avec Alipay [le système de paiement déployé par Alibaba Group], explique Apoorva N. Gandhi, vice president, multicultural affairs at Marriott International. Nous utilisons WeChat dans nombre de nos hôtels pour communiquer avec les clients et leur permettre de régler leur séjour."
Mettre ses services de paiement à la page
À son tour, l'hôtel Shangri-Là Paris travaille sur la future mise en place de l'application WeChat, qui permettrait de communiquer sur les actualités de l'hôtel. Les palaces multiplient les services et événements à destination de cette clientèle. "À l'occasion du Nouvel An Chinois, un menu spécifique imaginé par le chef Samuel Lee autour des mets traditionnels chinois est proposé au Shang Palace (seul restaurant chinois étoilé de France)", indique un porte-parole du Shangri-La Paris. L'année dernière, le passage dans l'année du coq a été célébré avec la Danse du Lion à l'extérieur et à l'intérieur de l'hôtel. "Cette danse est une tradition chinoise, le plus souvent exécutée à l'occasion du Nouvel An Chinois. Selon la coutume, les lions doivent attraper de la salade et une enveloppe rouge contenant de l'argent. Ce butin est supposé apporter chance et prospérité pour la nouvelle année", précise le porte-parole.
Une série d'attentions attendent le visiteur chinois au Shangri-La: un guide avec des parcours en chinois est à disposition dans l'hôtel et personnalisé selon les attentes de cette clientèle. Ces clients sont accueillis avec le service du thé et bénéficient d'un service de restauration personnalisé. En effet, des nouilles sautées, du congee ou encore des dim sum sont à disposition au petit-déjeuner. Enfin, chaque client de l'hôtel découvre des amenities, des attentions offertes en chambre, à son arrivée. Le client chinois retrouve des noodles (nouilles au poulet) en plus de son assortiment.
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Une formation spécifique du personnel d'accueil et de service
Pour réussir à tenir le juste équilibre entre prise en compte des spécificités culturelles et affirmation de l'identité de chaque enseigne ou établissement, le recrutement et la formation du personnel constituent un enjeu crucial. Ainsi, les établissements Marriott forment le personnel aux différentes coutumes en matière d'accueil et met à sa disposition un site intranet, multiculturalsmarts, une bibliothèque numérique contenant vidéos, informations, présentation de chaque nationalité. "De plus, nous avons mis en place les Europe Culture Days, à Paris et à Londres, explique Apoorva N. Gandhi. Nous avons travaillé sous forme de classe avec nos équipes pour en connaître davantage sur les cultures et l'étiquette chinoise, moyen-orientale et indienne [best practices, découverte de la gastronomie, comment rompre la glace]." Une newsletter trimestrielle est également envoyée aux établissements pour indiquer les événements importants à venir pour chaque pays ou communauté religieuse (fêtes juives, coutumes liées aux mariages indiens, notamment).
Le cabinet Inéa Conseil propose des formations sur ces sujets à des marques telles que Balanciaga, Agnès B et Boucheron, ainsi qu'avec le Viparis, l'exploitant des sites de congrès et d'exposition de la Chambre de commerce et d'industrie de région Paris-Île-de-France et du groupe Unibail-Rodamco en Île-de-France. Son fondateur, Olivier Jacob, insiste notamment sur la diversité des attentes en cas d'incident, en matière de résolution des conflits: "Aux États-Unis, notamment, les retours sont plus facilement acceptés. Il convient d'adopter des process plus facilitants pour ces clients. De manière générale, l'empathie est primordiale: les vendeurs français doivent apprendre à ne pas faire de procès d'intention, et à trouver une solution acceptable en demandant ses souhaits au client."
"Les touristes VIP ne recherchent pas une expérience exactement similaire à celle qu'ils peuvent vivre dans leur propre pays", Olivier Jacob, Inéa Conseil
Face à des clients japonais, en effet, il importe d'apprendre au personnel à détecter si tout va bien car ces consommateurs ne se plaignent pas. "Dire oui et sourire constitue un signe de politesse et non de satisfaction, pour ces clients. De même, 'je ne sais pas' signifie 'non', renchérit Olivier Jacob. Les attentes sont exprimées de manière indirecte, ce qu'il convient de décrypter discrètement." De façon plus générale, "les touristes VIP ne recherchent pas une expérience exactement similaire à celle qu'ils peuvent vivre dans leur propre pays. Le conseiller, le personnel d'accueil ou le vendeur doit savoir rester lui-même tout en acceptant l'altérité."
Une formation culturelle que dispense également John Paul. L'ex-conciergerie de luxe accompagne les entreprises dans la gestion de leurs programmes de relation client et fidélisation collaborateurs, via des programmes en marque blanche. Elle propose une formation complète, fondée sur les exigences de la clientèle (la marque mais également le client final), la compréhension de l'ADN de la marque cliente et les spécificités culturelles de chaque type de clients. En plus de la formation, "le recrutement constitue un point primordial, affirme Jérôme Richard, CEO France de John Paul. Nous avons constitué une équipe d'environ 1000 concierges, provenant de palaces et hôtels 4 ou 5 étoiles. Ces équipes sont aujourd'hui enrichies par le vivier de 20000 concierges du réseau Accor [propriétaire de John Paul depuis novembre 2016]."
Formation linguistique: encore du chemin à parcourir...
Enfin, la formation linguistique laisse encore parfois à désirer, bien que de nombreuses actions soient mises en place. "Le personnel doit connaître au moins quelques phrases de bienvenue dans la langue de leur interlocuteur. Le niveau en anglais des collaborateurs n'est pas toujours suffisant, à tel point que les grands organisateurs de salon travaillent avec des agents capables d'assurer la traduction en anglais", déplore Olivier Jacob (Inéa Conseil). Au sein des établissements Marriott, au contraire, des partenariats passés avec des organismes de formation linguistique tel que le groupe Rosetta Stone assurent une homogénéité des standards linguistiques dans tous les pays. "L'accès aux formations d'e-learning, disponibles en 25 langues, est possible via le système intranet de l'enseigne et gratuit pour les collaborateurs", indique Apoorva N. Gandhi (Marriott International).
La problématique s'avère plus complexe lorsque l'enseigne ou l'établissement fait appel à des vendeurs internationaux au sein de ses magasins français (le palace Shangri-La Paris héberge au sein de ses équipes au moins une personne sinophone, par exemple). Olivier Jacob se remémore une difficulté rencontrée par une marque de haute couture durant les formations destinées à ses vendeurs et conseillers chinois: "Alors que les Français se montrent réceptifs aux brainstormings et aux jeux de rôle, les Chinois souhaitent apprendre et appliquer strictement un protocole." Pour les employés comme pour les clients, la prise en charge doit être adaptée à leurs besoins et habitudes.
Attention toutefois au biais qui consiste à axer la formation et le recrutement uniquement sur les besoins de la clientèle étrangère au sein des boutiques et établissements de prestige. Olivier Jacob cite une expérience malheureuse rencontrée au sein d'une boutique Van Cleef&Arpels "Une vendeuse russe, occupée à me présenter la marque, s'est détournée de moi pour se diriger vers un client russe qui venait d'entrer, considérant qu'un visiteur français possédait un moins fort pouvoir d'achat. Or, la baisse du tourisme russe en France, notamment l'année dernière, doit amener les marques à réfléchir sur leur stratégie et à ne pas mépriser la clientèle locale."
Hyperpersonnalisation, glocal et "concierge augmenté"
Au-delà de la prise en compte des différences culturelles, la relation avec une clientèle internationale CSP++ repose sur l'individualisation. Ainsi, la société John Paul permet à ses clients de faire appel en priorité à leur concierge préféré (en fonction de l'offre d'abonnement choisie) mais surtout, s'est dotée de "smart tools". "Ce système révolutionne la conciergerie, se félicite Jérôme Richard. Notre CRM stocke les informations affinitaires (préférences du client, historique des requêtes) et augmente les performances de nos concierges en anticipant les demandes." Le profiling réalisé par une intelligence artificielle traite les informations et suggère au conseiller des propositions personnalisées, indique la repasse d'un opéra que le client avait manqué quelques mois auparavant lors de son séjour précédent, par exemple.
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La société, à l'instar des établissements Marriott, mise sur son positionnement "global". Un même concierge sait satisfaire les besoins d'un client à Paris comme à San Francisco, grâce à une base de 50000 partenaires locaux dans le monde entier. De plus, "John Paul dispose d'une équipe de chasseurs de tendance locaux, lesquels mettent en commun leurs trouvailles via les outils digitaux", ajoute Jérôme Richard. L'accueil, voilà le graal de l'expérience client pour cette cible particulière. Permettre au client de se sentir partout compris, reconnu et partout chez lui, via un accueil qui n'est jamais tout à fait le même, mais jamais étranger.
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