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L'appel d'offres : l'acte fondateur

Le bon fonctionnement d'un centre d'appels repose en grande partie sur la pertinence de choix initiaux : choix des fournisseurs, choix des outsourceurs. Comment réussir son appel d'offres ? Quelles sociétés cibler ? Quels sont les critères à privilégier dans le choix des sociétés partenaires ? Comment se faire aider ? Et par qui ? Plusieurs cabinets de consultants décryptent les différents stades de la gestion d'un appel d'offres et délivrent leurs bons conseils, étape par étape. Et les principaux outsourceurs du marché apportent leur témoignage.

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La création d'un centre d'appels, le rééquipement et surtout l'externalisation d'un call center déjà existant sont les trois principaux cas de figure où la procédure d'appel d'offres paraît être la meilleure approche pour choisir ses prestataires. Et ce, malgré les coûts supplémentaires que ce projet impose à l'entreprise. Premièrement parce que, sur ce marché jeune, le nombre de fournisseurs ne cesse de varier. Deuxièmement parce que les technologies proposées évoluent vite. Et troisièmement parce que, entre les différents prestataires apportant des technologies différentes, l'écart dans les offres varie fréquemment du simple au triple, pour le même cahier des charges. Un appel d'offres poursuit deux objectifs. D'abord, c'est une meilleure formalisation possible des besoins de l'entreprise. Et ensuite, c'est une mise à égalité des candidats. L'acquisition d'une prestation ressemble fortement à l'acquisition de matériel, du moins dans ses règles et sa méthodologie. L'objectif d'un appel d'offres est qualitatif. Ce qui ne veut pas dire que le résultat sera bon à tous les coups. Par quoi commence-t-on un appel d'offres ? Par l'arbitrage entre deux stratégies : une opération menée complètement en interne ou bien un projet réalisé avec l'assistance d'un cabinet de conseil - qui, le cas échéant, sera lui aussi choisi sur un appel d'offres préalable. Dans ce dernier cas de figure, par quel bout faut-il prendre le problème ? Peut-on choisir son équipement avant de choisir son partenaire consultant, ou après, ou les deux ? Si l'on choisit d'abord le produit, on est alors seul à prendre la décision. Sera-t-elle la bonne ? Si l'on choisit le conseil et le produit en même temps, alors on risque de mettre le consultant en face d'une solution qu'il ne connaît pas suffisamment. Et, si l'on sélectionne le consultant avant de choisir la solution, on est en droit de se demander s'il ne va pas forcer la main dans le choix des équipements ? Daniel Iatrides, responsable de la technologie et des services aux centres d'appels chez PricewaterhouseCoopers, estime que « la bonne décision est de choisir le consultant avant. Les grands cabinets de conseil connaissent bien tous les grands types de produits sur le marché. Ils sont aptes à privilégier l'approche business par rapport aux technologies. Le centre d'appels est un canal, souvent complémentaire des autres comme l'accès Internet, le direct, les forces de vente. Cela pose une problématique de gestion multicanal. Cette capacité de l'outil à traiter d'autres canaux que le centre d'appels, par exemple l'interface web, les portables des visiteurs commerciaux, est d'ailleurs une question importante à aborder lors de l'appel d'offres ».

APPEL À CANDIDATURES À L'ENSEMBLE DES ACTEURS


« Avant d'envoyer le cahier des charges aux prestataires, il est parfois intéressant de lancer un appel à candidatures à l'ensemble des acteurs du marché sur la base des pré-requis et des critères de différenciation, remarque Fabrice Moreau, directeur associé du cabinet Digiway. Les réponses succinctes, de trois à cinq pages, permettront d'effectuer une présélection avant l'appel d'offres lui-même. C'est surtout important sur les marchés au stade de démarrage comme le sont ceux des centres d'appels aujourd'hui. » La démarche de présélection est aussi pratiquée par d'autres cabinets. « Pour préparer un appel d'offres, nous envoyons un questionnaire, d'environ deux pages, à l'ensemble des prestataires, explique Jean-Yves Hepp, responsable de la relation client à distance chez Arthur Andersen. Ce document comprend des points discriminants. Par exemple : pour quel type de clients travaillez-vous ? Le but est de s'assurer que le prestataire ne travaille pas pour des concurrents directs. La localisation géographique ou la structure capitalistique sera aussi l'objet des questions. Toutes les réponses seront notées et nous procéderons à une première cotation pour choisir les cinq premières sociétés. Chaque prestataire sélectionné signera une clause de confidentialité. » Si, à la fin de ce stade aucun prestataire n'a été sélectionné, deux explications se font jour : ou bien les pré-requis étaient trop élevés, ou bien, dès le départ, on ne s'est pas adressé aux bons fournisseurs. Ici, le conseil extérieur doit jouer son rôle : présenter au client le marché, les prestations et les acteurs qui les fournissent. « Nous disons au client : "Ce n'est pas la peine de viser tel prestataire car celui-ci ne pourra pas répondre, en revanche celui-là pourra". Et parfois le client répond : "Le prestataire X ne pourra pas faire, mais inscrivez-le quand même dans l'appel d'offres, par courtoisie". Ce genre de politesse est aussi indispensable dans les rapports d'affaires », commente Fabrice Moreau. D'un autre côté, les cabinets de conseil clament volontiers leur indépendance par rapport aux technologies et architectures qu'ils proposeront de mettre en place. Jean-Yves Hepp réfute d'avance tout soupçon : « Notre démarche n'est pas de nature à biaiser le client. Dans nos propositions, nous nous basons sur des critères objectifs dans une approche binaire. Par exemple - voulez-vous inclure le CTI, oui ou non ? Et notre apport n'est pas de vendre au client une technologie ; nous lui apportons de la rigueur, une méthodologie et une connaissance du marché. Nous présenterons au client un dossier synthétique où chaque critère sera noté selon la grille d'évaluation que nous avons définie ensemble. Cela élimine la subjectivité. »

EQUIPEMENT : PRÉCISER LES OBJECTIFS EN TERMES DE BUSINESS


Premier domaine d'appel d'offres : l'équipement. Dans le secteur informatique et le secteur des télécoms, les technologies évoluent très vite. La bonne approche est alors de se concentrer sur la partie fonctionnelle, quitte à ne pas trop approfondir la partie technologie. « Le cahier des charges doit surtout préciser les objectifs de l'entreprise en termes de business. Par exemple un meilleur service client, la conquête, la fidélisation, de nouveaux secteurs géographiques - pour que le fournisseur puisse aussi apporter son savoir-faire et ses connaissances. Une entreprise dans son coin n'est pas obligée de connaître les nouvelles offres de la Silicon Valley ou celles développées en Irlande », estime Fabrice Moreau. Daniel Iatrides est du même avis : « L'erreur fréquente est de rédiger un cahier des charges trop précis. Sur un marché jeune et dynamique, c'est un leurre. La relation client n'est pas la comptabilité d'entreprise où les besoins et les solutions sont figés depuis longtemps. Les clients sont encore ici des pionniers. Ils ont le sentiment de prendre des risques qu'ils cherchent à réduire en précisant beaucoup de choses dans le cahier des charges. Erreur ! Il faut faire confiance au partenaire. » Le cahier des charges doit décrire l'existant : l'architecture existante ou à remplacer, le mode de fonctionnement qu'il faudra reproduire. Les cabinets de conseil ont généralement des cahiers des charges modèles et les adaptent au cas par cas, par exemple aux paramètres d'intégration du Web. S'il s'agit d'une reprise, il est important de donner un descriptif des caractéristiques du personnel. La problématique sociale est très forte dans la gestion du changement, lors de la reprise d'un centre avec le personnel en externe. Ces points pèseront fortement dans les choix. En revanche, le matériel est un des derniers critères, celui qui servira pour départager les offres. Une excellente solution technologique ne servira à rien si elle est proposée par quelqu'un qui ne sait pas gérer un centre d'appels.

CAHIER DES CHARGES : PAS PLUS DE SIX DESTINATAIRES


Il est aussi intéressant de préciser la forme attendue pour les réponses. « Nous demandons à ce que les réponses soient fournies sur papier et sur disquette, au format prédéfini. Cela facilitera leur dépouillement et leur comparaison », remarque Jean-Yves Hepp. Le cahier des charges doit être envoyé à trois ou quatre fournisseurs au minimum, six au maximum. A plus de six réponses, l'analyse des dossiers prendra beaucoup de temps et coûtera trop cher par rapport aux économies escomptées. S'il y a douze réponses, il n'est pas évident de connaître dans le détail chacune des douze, et ce, indépendamment de la taille du cabinet qui assiste l'entreprise. « L'idéal est de gérer l'appel d'offres par une équipe homogène de deux ou trois personnes. Il est difficile de partager l'analyse entre plusieurs équipes car, dans ce cas, c'est l'équipe la plus convaincante qui l'emportera - mais elle n'aura pas nécessairement entre les mains la meilleure offre », ajoute Fabrice Moreau. D'ailleurs, plus on mettra de personnes en parallèle et plus il faudra développer des efforts pour la coordination. A la fin, il y a le risque d'une situation où la coordination du travail nécessitera plus d'efforts que le travail lui-même. La grille de cotation servira à quantifier et à noter les offres. C'est un apport considérable dans la gestion des dossiers complexes. « Notre démarche est de dire au client : réfléchissez à vos critères de cotation ! C'est vous qui allez vivre avec la solution retenue, clame Fabrice Moreau. Le client n'a pas forcément l'expérience dans les appels d'offres, de plus il a la tête dans le guidon. Il a ses critères, nous arrivons avec les nôtres, nous discutons de la pondération et de la hiérarchie des uns et des autres. » « En premier lieu, nous allons comparer les réponses chiffrées, et ensuite analyser le niveau de service et d'engagement, explique Jean-Yves Hepp. Cette deuxième phase est d'ailleurs très importante car souvent les prestataires négligent la partie qualitative en concentrant leurs offres sur les coûts. Or, le côté qualitatif fait transparaître son engagement, sa philosophie et sa compréhension de la problématique du client. » La qualité des relations futures avec le prestataire sera décisive dans le cadre d'une externalisation. Le partenaire doit être culturellement dans l'entreprise, avec les mêmes types de relations, les mêmes valeurs que des gens en interne. Le mode de fonctionnement du prestataire doit correspondre au mode de fonctionnement de l'entreprise. Surtout dans le domaine des ressources humaines, la formation, le recrutement, le turn-over, le management, les locaux, leur surface et leur aménagement. La visite du site est indispensable.

VISITER AVANT DE CHOISIR


Pour Jean-Yves Hepp, cette visite du site est un moment crucial dans la sélection : « Après le dépouillement des offres, il est assez rare qu'un seul prestataire se détache du lot. En général, deux ou trois prestataires seront retenus pour une étude approfondie. Nous irons passer une demi-journée ou même une journée chez chacun d'entre eux. Nous voulons tout voir : les téléconseillers au travail, la technologie utilisée, les tableaux de bord, etc. Personnellement, j'irai aussi voir l'état des sièges des opérateurs et l'aménagement des coins repos. » A cette occasion, l'équipe des consultants rencontrera la direction générale du prestataire pour l'interroger sur la structure de l'actionnariat et aussi sur sa perception du projet. Ensuite, elle soumettra aux responsables un certain nombre de cas à étudier : avez-vous déjà eu à affronter tel ou tel type de projet, qu'est-ce qui a été mis en place, quels sont les résultats ? Comment maîtrisez-vous les ratios clés, celui du temps de communication, du temps de relâche entre deux appels, du nombre d'appels à l'heure ? Phase suivante, les scénarios de crise : comment feriez-vous face à tel scénario, qu'avez-vous mis en place dans cet objectif ? A ce dernier stade d'enquête, le client est généralement associé aux visites chez les prestataires. Il doit venir lui-même sentir les choses sur place. Cet interrogatoire en règle signifie-t-il qu'un prestataire qui n'a pas eu l'occasion de travailler sur le secteur d'activité qui intéresse l'entreprise sera nécessairement écarté ? « Pas du tout, se défend Jean-Yves Hepp. Nous voulons surtout vérifier deux choses chez le prestataire. D'abord sa maîtrise de l'industrie et ensuite la sincérité de ses réponses. En même temps, nous apprécions le sérieux de son approche. Sommes-nous reçus à l'heure ? Quel soin a-t-on mis à organiser notre visite ? » Contacter les références est aussi capital. Le prestataire fournit habituellement une liste comprenant entre cinq et dix références. Mais il arrive que certains fournisseurs mentionnent des références inexistantes, d'où l'importance de la visite et d'une vérification sur le site. Un contact avec les clients du prestataire offre l'occasion de voir son fonctionnement dans le temps après la fourniture du service. Est-ce qu'il vous permet d'évoluer ? Est-ce qu'il vous fait des propositions ? Quelle est sa capacité d'accompagnement, quelles sont ses connaissances dans l'évolution de la relation client, de la technologie, dans tous les métiers liés aux centres d'appels ?

LES CONDITIONS D'UN BON REPORTING


L'emplacement géographique du site du prestataire aura son importance. « Il faut s'assurer de la compatibilité du CSP moyen des agents de rapport à la cible attendue. Parfois, c'est une affaire d'accen... », précise Fabrice Moreau. On évitera de choisir un prestataire à l'autre bout de la France si l'on a prévu un reporting hebdomadaire. Il y a aussi des contraintes propres à l'activité de l'entreprise. Un service après-vente, par exemple, a parfois besoin d'une plate-forme pour les tests à côté du centre d'appels. Dans l'analyse des réponses, la pondération des coûts est forte. Chez Digiway, on estime que « le poids des coûts doit représenter entre 25 et 35 % dans les cotations, pas plus. Dans le cas contraire, existe le risque d'avoir des coûts non visibles trop élevés. C'est là que se situe la valeur ajoutée d'un cabinet de conseil, non dans l'addition des chiffres, mais dans la comptabilisation des coûts cachés et les oublis du fournisseur. Il nous est arrivé de repérer un oubli de l'ordre de 400 000 francs sur une fourniture technologique dans un contrat qui faisait lui-même un million et demi de francs ». Jean-Yves Hepp voit ici la justification des tarifs pratiqués par sa profession : « Nos consultants spécialisés dans l'analyse budgétaire constatent parfois des écarts dans les offres allant du simple au triple, à partir du même cahier des charges. Souvent, leur apport permet au client de rentabiliser notre propre facture dès la première année de fonctionnement de son centre d'appels. Et, en général, la qualité du futur prestataire se voit bien avec l'habitude. C'est ça notre avantage. Nous ne sommes pas plus intelligents que les autres mais nous faisons ce travail plus souvent. » Vient ensuite la négociation. Ici, « il faut toujours savoir s'arrêter à un moment, ne pas gratter jusqu'à l'os. Le résultat doit être encore rentable pour le prestataire. Sinon on le paiera sur la durée du contrat, explique Fabrice Moreau. La négociation n'est rien qu'un moment dans la vie d'un contrat. Une négociation trop poussée provoquera par la suite des coûts de transactions trop importants quand il faudra changer de prestataire ».

STRICTE RÉGLEMENTATION DANS LES MARCHÉS PUBLICS


Pour une société qui gère des plates-formes téléphoniques, répondre à un appel d'offres, c'est aussi se plier aux contraintes particulières de chaque secteur d'activité. Le dialogue n'est pas toujours facile. « Dans les marchés publics, la réglementation est très précise, surtout pour ce qui est des prix - ils doivent être envoyés dans une enveloppe cachetée, etc. Ce qui montre que le prix sera toujours un élément déterminant. Or, ce principe du mieux-disant fausse le jeu. Dans les services, le mieux-disant ne veut rien dire ! », s'insurge Marc Gladysz, P-dg de la société Phone Marketing. Avant de citer un autre cas de figure où le dialogue pose quelques problèmes : des projets supérieurs à un ou deux millions de francs qui impliquent les directions d'achats. « On reçoit parfois des appels d'offres très structurés, de plusieurs centaines de pages. Le problème alors, c'est que les responsables des achats n'ont pas l'habitude de notre marché. Un jour, nous avons fait remarquer à un client que les critères de tarification qu'il voulait appliquer n'étaient pas pertinents. Le client l'a reconnu et nous avons gagné le marché ! » Dernier point important, les appels d'offres ne se limitent plus à l'externalisation, la création ou l'équipement des centres d'appels. Un appel d'offres peut aussi être lancé pour l'hébergement des services vocaux interactifs, la fourniture des numéros uniques du type 800, ou encore des logiciels de gestion des ressources humaines. La localisation du centre d'appels peut aussi faire objet d'un appel d'offres car un marché existe auprès des collectivités locales. Ces dernières peuvent faciliter vos démarches administratives, vous faire bénéficier des appuis et des subventions.

Alexis Nekrassov

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