[Tribune] Le langage des chatbots, progrès et imperfections
Chaleur sans familiarité, meilleur ordonnancement du langage: les chatbots progressent mais leur discours reste à parfaire, explique Jeanne Bordeau, alias, Madame Langage, auteur de l'étude "Le langage des chatbots et des FAQ".
Les pratiques en langage digital de vos marques évoluent. Les conversations se sophistiquent. L'intelligence artificielle, l'utilisation des datas, l'usage des podcasts et des chatbots y participent. De plus les marques démultiplient leurs lieux de dialogue. Ainsi, la Société Générale offre dans son écosystème digital: le service client, l'appli, les réseaux sociaux, la FAQ, l'espace client ainsi que le tchat avec un conseiller. L'horloger de luxe IWC dialogue avec ses clients via son service client, ses réseaux sociaux, et son livechat. Mais le chatbot reste un compagnon de conversation privilégié.
En effet, les bots peuvent aider à convaincre et à vendre s'ils possèdent un langage qui concrétise la proximité et des réponses efficaces aux besoins des clients. Cela exige d'ordonnancer le langage, de créer une cohérence entre ces lieux de conversation de tout l'écosystème digital pour nourrir avec justesse et pertinence la variété des réponses données aux questions posées par les clients dans la diversité de ces nouveaux lieux de discussion.
Même si on nous parle beaucoup de l'oral et de podcasts, le bot reste un outil très utilisé car il crée un échange qui génère des réponses claires et immédiates. L'internaute a un accès à l'information 24 heures sur 24 et 7 jours sur 7. Avec les bots, la marque aide à créer de la pédagogie et pousse plus loin l'intelligence du client en l'aidant à mieux formuler ses propres questions. Dans ce nouveau dialogue nourri d'intelligence artificielle et de data, la marque a gagné en clarté. Et en précision. Ainsi Ariane, le bot d'Ircantec explique à l'internaute pas à pas les démarches à effectuer pour demander sa retraite. Les explications pour plus de pédagogie sont en plus ponctuées de connecteurs logiques tels "après, puis, enfin...". N'oublions pas que plus on nourrit un bot, plus ses réponses s'affinent. Le bot Ariane d'Ircantec devient un conseiller qui sait être un aiguilleur et nous renvoie tout au long de la discussion à tous les autres endroits où nous pouvons trouver de l'information.
De plus, le bot dans ses discours sait ajouter de la chaleur et de la relation. Ainsi, Le bot de la Société Générale, SoBot, déclare "je ferai de mon mieux pour vous guider au bon endroit". Le chatbot sait aussi reformuler certaines questions de l'internaute quand il veut de façon induite réussir à l'orienter et l'influencer. Le bot est capable d'écouter, de répondre, d'accompagner et sait nous le faire sentir. Aloha, le bot d'Adecco, vous répond, même à 2 heures du matin:
- Une recherche de stage? C'est bien noté.
- Paris, nous sommes bien d'accord sur cette adresse?
Certains bots réussissent à écrire de façon naturelle et complice. On peut féliciter OUIbot de OUI.sncf, qui parle court et connivent:
- D'où partez-vous?
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- Quelle carte de réduction avez-vous?
- On se connaît?
- C'est parti pour un Paris-Marseille le mois prochain.
- Dites-moi où et quand vous voulez partir, je m'occupe du reste!
Dans le luxe, on constate une attention encore plus soutenue à l'internaute. La marque de haute horlogerie IWC nous demande, par exemple: "If you need special attention or have a question that did not find an answer yet, please feel free to contact our customer care team" / "Si vous avez besoin d'une attention particulière ou ne trouvez pas la réponse à votre question, sentez-vous libre de joindre notre customer care team".
Le bot sait aussi se nourrir de nos discours pour augmenter sa mémoire et chaque jour nous toucher de mieux en mieux. Il sait aussi nous quitter sans nous laisser, puisqu'il évite souvent avec finesse les formules de salutation qui viennent terminer le débat. Il nous pose des questions ouvertes comme, "vous avez-vous une autre question?" ou "puis-je faire autre chose pour vous?" pour nous faire comprendre que le lien n'est jamais rompu.
Si les chatbots ont progressé, des bémols subsistent. Parfois la compréhension que le bot a des demandes de l'internaute reste limitée:
- Je suis désolé, je n'ai pas compris votre question ou je n'ai pas encore la réponse à celle-ci, s'excuse SoBot, le bot de la Société Générale.
Et Aloha d'Adecco nous dit: "Désolé, je n'ai pas compris votre demande. Cependant, je pense avoir trouvé 10 articles correspondant à votre requête, souhaitez-vous les consulter?" Une partie des dialogues des chatbots reste encore tapissée de boutons et de mots clés. On a alors le sentiment d'être guidé par un QCM. On ne se sent pas dans le naturel d'une conversation. SoBot de la Société Générale enjoint l'internaute de cliquer sur un choix de boutons qui le renvoient sur des thèmes identiques à ceux de la FAQ de la banque, comme "compte et budget, crédit à la consommation, documents, épargne et placements, moyens de paiement...".
On constate au sein de notre étude sur le langage des chatbots et des FAQ que bien des formulations trop conceptuelles subsistent. Jamais on ne parlerait de cette façon à l'oral. SoBot nous dit "la tarification s'applique..." ou encore "pour toute question relative à votre situation personnelle...". Ariane de l'Ircantec nous dit: "Comment demander ; comment obtenir, comment éditer". Pour se relier à l'internaute, ces questions pourraient être plus empathiques. Le client a désormais l'habitude d'une relation d'égal à égal, des formules comme "vous devez, je vous invite à, il faut...", peuvent sembler un brin comminatoires.
Être chaleureux, être complice, ce n'est toutefois pas être familier. Doser la justesse d'une conversation est délicat. Ainsi Randy, le chatbot de Randstad tutoie d'emblée l'internaute: "Quel emploi recherches-tu? Discutons ensemble et trouvons les meilleures opportunités pour toi." Il serait bon de savoir ce que l'internaute préfère. Les marques devraient également songer davantage à irriguer dans leur langage digital les valeurs qu'elles revendiquent et à créer une tonalité qui leur ressemble. La Société Générale nous parle d'innovation, pourtant, dans son discours, sur le fond, aucun verbe lié à cette valeur n'apparaît. On pourrait rêver de lire des verbes comme "imaginer, avancer, entreprendre, créer...". Quant à la tonalité, elle reste trop neutre pour faire naître une sensation d'inventivité.
Enfin, c'est dans la personnalisation du dialogue que le langage des bots reste le plus à renforcer. C'est dans l'univers du luxe que l'on trouve le plus d'attention de personnalisation. Le chabot de la marque de haute horlogerie, IWC, se présente en faisant sentir au client qu'il est unique: "Je suis votre conseiller personnel IWC/ I am your personal IWC advisor". Il demande: " Vous voudriez être le premier à découvrir la collection? / "Don't you want to be the first to discover the collection?" Le chatbot de Jaeger Lecoultre utilise le mot "concierge": "Je suis votre concierge Jaeger Lecoultre". Comme James Salter nous le confirme une langue de qualité s'écoute: "Bien écrire, c'est entendre la voix des mots." Plus que jamais, cette phrase est à méditer. En effet, le digital doit savoir installer des dialogues où le style et le ton doivent participer à vous distinguer.
L'auteur
Depuis 25 ans, grâce à des études et la publication de notes de tendance, Jeanne Bordeau scrute le langage des marques et des entreprises. Elle intervient sous le label de Madame Langage. Cette analyse fait suite à l'étude "Le langage des chatbots et des FAQ", du 23 septembre 2021.
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