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[Tribune] IA et IE au service de l'expérience client augmentée: le cas du Japon

Au Japon, l'efficacité des machines se combine aux soft skills humains pour offrir une expérience irréprochable. Une harmonie encore difficilement réalisable en Europe, selon Anne-Christelle Vogler, directrice chez Kea&Partners.

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[Tribune] IA et IE au service de l'expérience client augmentée: le cas du Japon

Le Japon est marqué par un fort esprit client et une culture de l'excellence. Dans l'archipel, toute expérience de service se doit d'être irréprochable, de belle facture et délivrée de manière extraordinaire. La culture japonaise est également très influencée par le shintoïsme et le bouddhisme. De ce fait elle, est très ouverte à l'égard des objets inanimés: pierres, machines ou robots, comme en témoigne la culture manga qui décrit positivement Astro, Goldorak et autres Chobits. Autre raison de cette ouverture aux machines : le déclin démographique. Le pays devrait perdre 40% de sa population active d'ici à 2065. Dans ce contexte, les machines ont pris une place considérable, des vending machines aux kaiten zushi, en passant par les robots de compagnie.

Cette omniprésence des machines au Japon interroge, vue d'Europe, où l'essentiel des débats oppose le plus souvent homme et machine. Dès la Révolution industrielle, le mouvement du luddisme illustre un rejet de la machine qui contraste avec l'exemple japonais. La différence actuelle est que la machine est devenue intelligente et apprenante. Cette capacité à combiner efficacement et harmonieusement l'homme et la machine, en d'autres termes l'IE (l'intelligence émotionnelle) et l'IA (l'intelligence artificielle), est déterminante en matière d'expérience client:

- pour délivrer une qualité de service irréprochable: prérequis pour rester dans la course sur son marché mais non suffisant pour faire la différence. La machine permet des avancées significatives dans ce domaine (rapidité et constance d'exécution, capacités analytiques et de stockage démultipliées);

- pour faire vivre une expérience client mémorable et singulière par rapport à une concurrence sur des territoires beaucoup plus étendus qu'avant. La capacité à ajouter la "petite touche" qui fait la différence est davantage le terrain de jeu de l'homme, fort de ses soft skills (compétences émotionnelles et relationnelles): politesse, personnalisation, mémorisation des préférences etc.

La culture japonaise du service est caractérisée par deux points clés: la machine fait partie intégrante de l'expérience client, et le client doit être satisfait du service.

La machine au coeur de l'expérience de service japonaise

Le Japon pays fut l'un des premiers utilisateurs de machines automatiques au début des années 1950. Depuis l'apparition de l'intelligence artificielle, les japonais ont pris le parti de doter leurs robots d'IA afin de doter les machines d'une certaine autonomie. Ainsi, en juillet 2015, l'hôtel Henn Na a ouvert près de Nagasaki avec l'ambition de devenir le premier hôtel presque entièrement opéré par des robots, dans une logique d'efficacité opérationnelle.

Au-delà de l'exemple Henn Na, poussé à l'extrême, l'IA amène la société japonaise à conjuguer automatisation de certaines tâches (avec la machine) et renforcement du conseil (avec l'homme), là où les sociétés occidentales se posent avant tout la question des pertes d'emploi. Lorsqu'un client entre dans un magasin au Japon, y compris dans le moindre konbini, des employés ont pour fonction de l'accueillir par un sonore "Irasshaimase" (Bienvenue ) et de le remercier avec une inclinaison parfaite à 30°. Il en va de même dans les restaurants ou les hôtels, où quelqu'un attend à côté de l'ascenseur et remercie le client pour son attente ("thank you for waiting"). Sans parler des services particulièrement raffinés, dans les ryokan, les grands magasins, les maisons de thé pour la cérémonie chadô, etc.

Bien servir: une obsession

Finalement, la question de la relation client ne se pose pas en termes d'IA ou d'IE au Japon mais de performance: c'est un enjeu business évidemment mais aussi un enjeu individuel. Ne pas être au niveau des attentes d'un client n'est pas une situation tolérable pour un japonais.

Cette exigence s'applique tant pour l'homme que pour la machine. C'est ce que l'expérience de l'hôtel Henn Na a récemment démontré: l'établissement a licencié plus d'une centaine de robots en janvier 2019 au motif de leur contre-productivité. En effet, ces machines étaient davantage source de dysfonctionnements que d'optimisation et ne répondaient pas à toutes les attentes clients car incapables de s'adapter ni dotées d'intelligence des situations, là où l'homme sait exploiter toute la palette de ses compétences humaines.

L'hôtel a été rattrapé par le principe de réalité de la collaboration IA-IE: la relation doit exploiter au mieux les compétences de chacun. L'omotenashi, hospitalité à la japonaise, nécessite avant tout de laisser une empreinte émotionnelle et relationnelle: le terrain de jeu de l'homme. Au final, cet échec est extrêmement positif et démontre que le collaborateur humain a de l'avenir!

L'auteur


Anne-Christelle Vogler est directrice chez Kea&Partners, coauteur avec Stéphane Dalla Libera du Livre Blanc "La révolution des compétences", paru en 2018.


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