DossierLe retail se met au vert
En plébiscitant de nouveaux comportements tels que le zéro plastique, le second hand ou le vrac, les consommateurs obligent les retailers à bouger les lignes. Les points de vente repensent leur distribution et leur conception pour intégrer une nouvelle dimension écologique.
Sommaire
- Les boutiques se mettent au "green"
- L'aménagement des points de vente
- L'écologie a un prix
- Des matériaux à gogo
- Quel commerce dans une ville plus durable?
- Une communication trop discrète
- La régulation des livraisons est au coeur des enjeux d'une ville plus durable
- Chaque consommateur équipé d'un smartphone peut devenir client
1 Les boutiques se mettent au "green"
"L'écologie est le grand mouvement des 20 prochaines années. C'est une problématique de fond dans laquelle tout le monde est embarqué", analyse Christian de Bergh, Dg Développement brand identity & architecture de l'agence Dragon rouge. Pour les marques, l'engagement écologique et la défense de valeurs écoresponsables sont devenus des facteurs de différenciation indéniables face à des consomm'acteurs très responsables et impliqués. De fait, selon l'étude Havas Shopper Paris, 80% des Français ont le sentiment que le commerce génère trop de pollution et 74% estiment que le respect de l'environnement est un critère d'achat essentiel.
"Même si au quotidien, nos clients n'intègrent pas automatiquement l'écoconception dans leur cahier des charges, on observe une montée en puissance régulière sur le sujet", précise Christian de Bergh. Les agences de design consultées sont toutes d'accord. L'écologie est un sujet crucial dans l'aménagement des points de vente et dans l'expérience proposée aux consommateurs. C'est devenu un incontournable. "On le sait, les consommateurs peuvent se détourner d'une marque si elle n'est pas écologique. Mais attention à ne pas opposer consommation et écologie. Il convient plutôt de réconcilier ces deux volets", explique Hélène Maillet, directrice de la stratégie et de l'innovation de Market Value (Team Créatif). "Nous devons encourager nos clients dans la voie de l'écologie et poser des marqueurs qui vont transformer les espaces de vente et l'expérience des clients ", précise Hélène Maillet.
"On assiste à une sorte d'essentialisation qui tend vers une réduction des espaces, plus faciles à gérer et moins impactants sur la terre", Gwenaël Plesse
Si ce sujet est devenu tendance, attention cependant à rester crédible pour les marques. "Les produits vendus en magasin sont-ils réellement écologiques? Paraître écolo ne rend pas écolo", explique Gwenaël Plesse, directeur de création de Saguez & Partners. "La notion d'écologie dans le retail est complexe, analyse le directeur de création, car elle implique le produit lui-même (ses origines) et la coque qui accueille ces produits (les matières sélectionnées)."
2 L'aménagement des points de vente
La tendance est au déploiement de démarches écoresponsables dans l'aménagement des boutiques. Cela implique plusieurs "chantiers": du choix des matériaux à la gestion plus économe des ressources (électricité, eau, éclairage...) jusqu'au réemploi et recyclage du mobilier. "Il est possible de donner un nouveau visage à une boutique en rhabillant du mobilier et en limitant les déchets. L'agence a ainsi repensé la librairie Suomalainen en Finlande pour laquelle nous avons réemployé du mobilier existant", raconte Hélène Maillet. Partir de l'existant et imaginer une nouvelle histoire dans un lieu réinvesti, voilà la mission des agences. Gwenaël Plesse, directeur de création de Saguez & Partners, pousse la logique à l'extrême.
"Pour moi, le retail de demain, c'est choisir un lieu tel qu'il est et se poser dedans, à l'image d'une installation éphémère comme un parc d'exposition. Demain, n'importe quel espace peut devenir un espace de vente", explique-t-il. Dans le même esprit "temporaire", les lieux de vente éphémères et les pop up stores ont le vent en poupe. "Cela génère des surprises pour les consommateurs et une nouvelle philosophie de mobilité et d'agilité pour le secteur du retail. Un pop up store se déplace à l'envi. Face à une baisse des moyens, c'est une alternative intelligente. Il y a une notion de durabilité dans le déploiement de ce concept", commente Gwenaël Plesse.
Source: étude Havas Shopper Paris 2019
L'agence de design a, par ailleurs, repensé la boutique Nature&Découvertes située dans le quartier du Marais à Paris. "C'est une boutique témoin, emblématique. La marque ne triche pas et tient son positionnement depuis le début en choisissant des matériaux nobles et en nouant des partenariats durables. L'entreprise travaille avec le même agenceur en Bretagne depuis plus de 20 ans et a fait le choix de garder le même A.D.N. et de ne pas réduire les coûts sur les matières utilisées", témoigne le directeur de création de Saguez & Partners.
Même exemple d'engagement de marque, le concept déployé par l'agence Dragon rouge pour un de ses clients. Cette année, l'agence a lancé "Greet", une nouvelle chaîne du groupe Accor dont le premier hôtel a vu le jour à Beaune en juin dernier. Ce sont des hôtels low cost en périphérie des villes destinés à donner une deuxième vie à des hôtels indépendants. "Cette chaîne regroupe des constructions 100% recyclées. Cinq designers transforment les lieux existants sur le principe de l'upcycling en privilégiant les produits écologiques et les circuits courts", explique Christian de Bergh. La marque du groupe hôtelier surfe sur les tendances actuelles et revendique son positionnement auprès de ses clients. Autre exemple d'initiative écoresponsable, le lancement de "La lisière de Lafôret", chaîne du groupe immobilier. "Le concept repose sur le principe de "je vends une maison, je plante un arbre". L'idée est de thématiser et rendre visible la promesse de la marque", témoigne Christian de Bergh.
Parmi les autres tendances liées à l'écologie qui se développent, le choix de développer des formats plus petits fait des émules chez les marques et enseignes. "Écologie rime avec économie de moyens. On assiste à une sorte d'essentialisation qui tend vers une réduction des espaces, plus faciles à gérer et moins impactants sur la terre, explique Gwenaël Plesse de l'agence Saguez&Partners. Cela permet aussi de faire des tests face à des clients plus volages. Le retail devient ainsi plus léger, plus mobile et plus agile. Le déploiement de réseaux identiques a vécu."
Depuis quelques années, le vrac fait également son entrée dans les rayons des magasins bio mais pas que, à l'instar de Franprix et de ses déclinaisons Noé et Darwin. Les boutiques de vêtements se lancent aussi dans le recyclage. H&M a lancé son espace "Take care" et sa gamme "Conscious". "Les magasins 100% vrac ou 100% second hand sont pour demain", note Hélène Maillet. Market Value a imaginé un comptoir de réparation de produits pour Espace émeraude, une enseigne de jardinage installée en Maine-et-Loire.
3 L'écologie a un prix
"Il ne faut pas négliger la dimension économique de l'écologie. Cela peut être un frein pour les marques. C'est pourquoi nous devons proposer à nos clients une large palette de possibilités d'agencement", note Hélène Maillet. Les marques ne sont pas encore tout à fait prêtes à dépenser beaucoup plus pour s'offrir une étiquette écologique. "En tant que designers, nous avons une responsabilité dans les choix de la marque. Nous devons les aider à apporter des réponses plus incisives sur le sujet de l'écologie. Les choix sont désormais stratégiques", analyse Gwenaël Plesse. "Monoprix a fait le choix d'un engagement raisonnable sur le plan financier, sur la base de partenariats. L'enseigne est dans une dynamique "win-win" en offrant de la visibilité à des petites marques, tout en bénéficiant de leur singularité dans ses linéaires", précise Hélène Maillet.
4 Des matériaux à gogo
Pour aiguiller les clients dans leurs choix et pour rester en veille permanente sur les évolutions des matières et des produits, les agences ont créé des matériauthèques. "Nous devons avoir un coup d'avance pour fournir des idées à nos clients. Mieux, nous disposons en interne d'un outil baptisé "Green Griffe" qui passe chaque brief client au filtre de différents critères écologiques (écoconception, réemploi, recyclage...) pour "faire le pas de plus". C'est un investissement sur l'avenir car nous savons qu'en matière d'engagement écologique, il n'y aura pas de retour en arrière", explique Hélène Boga, responsable des matériaux et de la responsabilité durable à l'agence Market Value.
L'agence Dragon rouge dispose de la même structure depuis une dizaine d'années. "Notre rôle d'agence, c'est de concevoir avec des matériaux propres. Nous veillons à la traçabilité avec le choix de produits labélisés écoresponsables dans notre matériauthèque. Tous nos projets sont alimentés par une bibliothèque de matériaux propres", ajoute Isabelle Husson, responsable de la matériauthèque de Dragon rouge. On l'aura compris, l'agencement des boutiques green est aussi une histoire de storytelling. "On sélectionne des couleurs et des matières naturelles qui racontent l'écologie. L'écueil pour une marque est de porter un discours très engagé mais d'avoir des valeurs éloignées de l'écologie", conclut Hélène Maillet.
L'écologie est un sujet crucial dans l'aménagement des points de vente et dans l'expérience proposée aux consommateurs.
5 Quel commerce dans une ville plus durable?
Le commerce et la ville ont toujours eu des destins liés, mais leurs liens se sont progressivement distendus. Le développement des centres commerciaux a accompagné l'étalement urbain, créant en périphérie des villes de nouvelles polarités accessibles en voiture. Ils ont engendré un mode de consommation qui a longtemps fait la prospérité de la distribution et la satisfaction des acheteurs, mais aussi contribué à la raréfaction du commerce de centre-ville.
Ce modèle commercial, encore très fréquenté, est pourtant contesté de toutes parts. Par des individus qui ont réorienté une partie de leurs achats vers le e-commerce, qu'ils jugent plus pratique et plus compétitif sur les prix , et qui prennent leurs distances vis-à-vis d'une consommation au bilan carbone peu flatteur, et qui souhaitent consacrer moins de temps à leurs achats ou réduire leur usage de la voiture.
6 Une communication trop discrète
"C'est le signe de la prise de conscience par tous des problématiques de ressources, mais cela montre aussi que le retail est coupable d'avoir longtemps fait du développement durable sans jamais le dire, note Emmanuel Le Roch, délégué général de Procos, la fédération pour la promotion du commerce spécialisé. La ville doit devenir plus économe, mais rester un espace avec des commerces, et donc des clients!" Cette nouvelle équation est encore loin d'avoir livré toutes ses solutions. En partie car le commerce a longtemps été oublié des réflexions sur la ville de demain. "Après s'être concentrées sur des outils très technologiques, puis sur des aspects énergétiques et la mobilité, les réflexions sur la smart city ont commencé à inclure le commerce il y a deux ou trois ans, notamment pour venir en aide aux centres-villes", observe Philippe Sajhau, membre du comité ville au Syntec numérique.
Alors que la "périphérisation" des agglomérations et la congestion des axes routiers allongent les temps de transport, les consommateurs rationalisent leurs usages: "L'acte d'achat devient de moins en moins une destination et se réalise de plus en plus sur les lieux de flux", précise Arnaud Ernst, directeur associé chez AID Observatoire, cabinet conseil spécialisé en urbanisme commercial. Cette intégration dans les parcours de vie favorise la diversification des circuits, explique la fréquentation des enseignes de proximité de centre-ville ou des solutions de click-and-collect.
L'ObSoCo pointe aussi l'importance du rapport des clients à la consommation dans l'évolution des usages: si les gros consommateurs en ligne et en magasin sont aussi ceux qui ont le plus augmenté leur fréquentation des centres commerciaux, les clients proches des mouvements écologistes ont déjà réorienté leurs achats au profit des commerces de quartier et des marchés(1). Les enseignes d'alimentation bio profitent de la montée en puissance du commerce de précision.
7 La régulation des livraisons est au coeur des enjeux d'une ville plus durable
Pas facile en revanche de concilier l'objectif d'une ville plus durable avec la frénésie de livraisons qui s'abat sur les agglomérations dès lors que la chaîne logistique doit alimenter le commerce physique et les livraisons individuelles liées à l'essor du e-commerce. "Beaucoup de municipalités se plaignent de la présence permanente de camions de livraison qui bloquent les rues, pénalisent le commerce de proximité et augmentent le volume de cartons à collecter par le service des ordures ménagères", remarque Arnaud Ernst. Certaines souhaitent rééquilibrer les contraintes qui pèsent sur les acteurs, à l'image du maire de Cannes qui a proposé de taxer les colis du e-commerce pour alléger les taxes foncières du petit commerce. Faute de solution, les villes finiront peut-être par interdire la circulation des camions dans certaines rues...
Des points de regroupement des flux à l'entrée des agglomérations pour massifier la fin du parcours pourraient être une option. "C'est difficile à mettre en place car cela suppose de détricoter les schémas logistiques des cinquante années précédentes, conçus dans des modèles d'efficacité différents", reconnaît Emmanuel Le Roch.
Dans les grandes métropoles, qui concentrent d'importantes populations de cadres et d'étudiants, l'évolution des usages sera déterminante: "Les consommateurs vont-ils continuer à se faire livrer très massivement les produits à domicile, au travail ou dans les lieux de flux, ce qui obligera à envisager une approche holistique des flux, ou leur rapport au magasin va-t-il renforcer l'importance du commerce de proximité? Il faut travailler sur ces deux aspects car le point d'arrivée sera sans doute entre les deux", pronostique-t-il. Dans les villes moyennes, les habitants continueront à se déplacer pour fréquenter les magasins.
Faire revenir les clients dans le centre des villes moyennes est un autre grand défi de la ville de demain. Beaucoup d'initiatives ont été récemment lancées, en particulier le plan "Action coeur de ville" de mars 2018 ou la loi ELAN, qui donne des compétences aux territoires pour planifier le commerce. "C'est très positif mais, si le centre-ville se positionne comme un centre commercial à ciel ouvert, il sera toujours moins performant que l'original, prévient Arnaud Ernst. Pour redevenir attractive, la ville moyenne doit cultiver d'autres champs autour de la convivialité et scénariser une offre dans laquelle le commerce deviendra une activité parmi d'autres." Des projets de halles ou de recycleries, des marchés de producteurs, des opérations autour du patrimoine culturel et historique, entre autres, peuvent aider ces villes à se singulariser.
Si l'alimentaire semble bien ancré en ville, l'hyper centre doit réussir à stabiliser la téléphonie et l'optique, et tenter de faire revenir les enseignes de mode ou de décoration, fortement concurrencées par le e-commerce. Cette phase de reconquête suppose que les villes s'attaquent au prix du foncier et des baux commerciaux, mettent en place des offres de mobilité adaptées, affrontent avec pragmatisme les intérêts contradictoires et s'arment de patience avant d'espérer engranger les premiers résultats.
8 Chaque consommateur équipé d'un smartphone peut devenir client
Le numérique aide à redynamiser le commerce de proximité. "Ces commerces doivent a minima devenir visibles des clients potentiels, par exemple avec un site qui fédère l'offre commerciale de la ville et puisse être interrogé par un moteur de recherche, ou une application qui fonctionne comme une sorte de carte de fidélité chez les commerçants de centre-ville. Cela suppose d'avoir une association des commerçants représentative et d'avoir un effet fédérateur, par exemple à travers des offices du commerce", fait valoir Philippe Sajhau. À tout moment, chaque consommateur équipé d'un smartphone peut devenir un client!
La plateforme "Shop in Sud", testée depuis mai dans les Bouches-du-Rhône à l'initiative de la Fédération Commerce en 13, regroupe 200 commerçants -dont 80 à Marseille- identifiables via un sticker "commerce connecté". Ils peuvent être géolocalisés, proposer des commandes à partir d'un catalogue en ligne ou de la livraison via des solutions de mobilité douce.
Les réseaux sociaux sont aussi un bon moyen pour mettre en avant l'actualité du magasin auprès d'une clientèle de proximité et élargir sa zone de chalandise au-delà de son quartier. Quel que soit sa taille, le commerce physique doit aussi devenir multicanal et se diversifier, par exemple en offrant des services (comme la collecte de colis) ou des points de dépôt pour les producteurs locaux afin de favoriser les circuits courts. En alliant intelligence artificielle et data, les enseignes de proximité peuvent mieux connaître la clientèle de leur quartier: en ajustant leur offre à la demande, elles se montrent écologiquement plus vertueuses. Si les solutions prometteuses ne manquent pas, c'est en mettant toutes les cartes sur la table que la ville et le commerce parviendront à se réconcilier et à inscrire toutes les dynamiques commerciales dans une proposition plus durable.
(1) ObSoCo, Observatoire du rapport des Français aux espaces commerciaux, vague 1, octobre 2018
En quête d'un modèle plus durable, la ville organise une nouvelle coexistence entre commerce physique et e-commerce, grande distribution et commerce de proximité. Les évolutions des comportements et des parcours d'achat n'en sont qu'à leurs prémices.
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