Expérience client : le secteur bancaire rattrape son retard
CEM, pour Customer Experience Management. Voici le nouveau filon exploité par les banques. Ces dernières, en manque de popularité, multiplient les attentions auprès du client, en essayant de lui offrir une expérience omnicanal digne de ce nom.
Le dernier "placement" des Banques Populaires Atlantique ? Les Google Glass, qui ont été utilisées dans le cadre d'une expérience menée par son unité d'innovation technologique i-BP. Lors d'une séance test, un conseiller, chaussé de ces lunettes magiques, a pu bénéficier d'une assistance en temps réel, lors d'un échange avec un client. À l'arrivée de celui-ci en agence, s'affichent immédiatement les informations sur le profil de son interlocuteur. Puis, les capacités de reconnaissance vocale des lunettes sont mises à contribution pour alimenter la conversation : par exemple, lorsqu'il est question de crédit immobilier, les taux pratiqués par les concurrents s'affichent... Enfin, la caméra intégrée permet d'enregistrer les documents nécessaires à la constitution du dossier. Un test anecdotique ? Certes, mais qui donne une idée de la volonté des banques d'enrichir l'expérience client. Et il y a urgence, au vu de certains résultats.
À la question : "Conseilleriez-vous votre banque ?", les Français répondent "Non". Le taux de recommandation spontané du secteur bancaire français reste aussi mauvais qu'en 2013, à savoir - 14 %(*). D'ailleurs, les agences se vident de plus en plus. " 30 % des clients désertent leur guichet d'agence ", affirme Guillaume Almeras, fondateur du site de conseil bancaire Score Advisor. En cause : le manque de service clients. " C'est le facteur discriminant, explique Fabrice Marque, responsable de l'activité conseil en vente et service client pour Accenture France Benelux. Selon notre étude Global Consumer Survey(**), 12 % des consommateurs qui ont changé d'établissement financier en 2013 ont invoqué ce motif. " Fini le temps où les clients, dès qu'ils pénétraient dans une agence, s'engageaient pour un produit d'épargne supplémentaire. " Le taux de transformation est tombé à 50 %, poursuit Fabrice Marque (Accenture). Dorénavant, les établissements bancaires doivent proposer de nouveaux services, autres que financiers, pour renouer avec leurs clients. " Et de citer l'exemple du groupe bancaire espagnol BBVA. " Quand le consommateur décide d'acheter une nouvelle voiture, cette banque ne se contente pas de proposer une offre de crédit. Elle lui soumet, en fonction de son profil, une liste de véhicules, les meilleures affaires disponibles sur le Web, la liste des vendeurs potentiels à contacter... Le but étant de faciliter un maximum la vie du client ", détaille-t-il.
L'humain, le coeur de cible
Avant de déployer cette stratégie, la confiance est un prérequis. Les banques doivent, avant tout, instaurer une nouvelle proximité avec le client. En renforçant la dimension d'accueil en agence, par exemple. Ainsi, dans les agences "nouvelle génération" de la Société Générale, comme celle de Paris Tour Maine-Montparnasse, de nouveaux espaces de réception émergent : une zone pour les enfants, un parking à vélos, un petit salon détente avec une machine Nespresso... Tout est mis en oeuvre pour mettre le client à l'aise et faciliter le dialogue. Même à distance, le lien doit être conservé. Après avoir fait monter un dossier de crédit, le conseiller de la Société Générale envoie, quelques jours plus tard, un e-mail à son client, de façon à recueillir ses sentiments "à chaud".
(*) Enquête Deloitte Relation banques-clients, janvier 2014.
(**) Étude Accenture décembre 2013 Global consumer survey.
Chez BNP Paribas, le conseiller est même invité à passer des appels de courtoisie, sans objectif de vente. Le but est de personnaliser la relation, connaître les événements-clés de la vie du client, afin de lui proposer le meilleur produit et au bon moment. D'ailleurs, le mode de rémunération des conseillers a changé: l'incentive ne s'effectue plus par produit mais par univers de produit et est versé en deux temps : une partie à l'ouverture du contrat et une autre six mois plus tard, si le client a fait usage de son placement. "Cela va encore évoluer, annonce Marie-Claire Capobianco, directrice des réseaux France et membre du comité exécutif BNP Paribas. Nous allons, en effet, intégrer des critères relatifs à la satisfaction client." Pour le conseiller bancaire, cette nouvelle orientation est un véritable changement de paradigme.
Son métier se transforme : plus d'accueil, plus de relationnel et aussi plus de professionnalisme lui sont demandés. Et pour cause, les clients ont accès à davantage d'informations. Ainsi, 34 % utilisent Internet pour se renseigner sur les produits et les services, selon une étude de l'Ifop(***). "Par conséquent, ils n'attendent pas de leur conseiller bancaire qu'il leur délivre ce type d'informations. Ils attendent surtout un conseil personnalisé, utile et adapté à leurs besoins et à leurs attentes, confirmant ou infirmant les solutions envisagées initialement", décrypte Guy Poyen, directeur marketing et communication du Crédit Agricole Île-de France. "C'est pourquoi nous avons fait le choix d'investir sur la compétence avec la promotion de 450 chargés d'accueil en conseillers commerciaux dans les deux ans", ajoute-t-il.
L'expérience multicanal
Pour lui assurer une expérience multicanal optimale, le client doit retrouver en agence les mêmes outils que ceux qu'il utilise chez lui. Aujourd'hui, les banques misent sur les tablettes pour recréer la configuration du salon. "Cela permet au conseiller et au client de se positionner côte à côte, favorisant ainsi une approche plus interactive", poursuit Guy Poyen. C'est dans cette optique que le Crédit Agricole Île-de-France a développé sa dernière application en date "le compte à composer". Elle regroupe des services modulables pour gérer son compte au quotidien. "Déployée sur plus de 2 800 tablettes en agence, elle joue à la fois sur l'intuitif et le ludique, tant dans le design que dans la navigation", détaille Jérôme Caudrelier, directeur associé chez Casus Belli, qui a participé à la création de l'application. "Elle propose une double approche, souhaitée par le CA Île-de-France: une fonctionnalité déclinée par besoins via un questionnaire et une deuxième fonctionnalité organisée par services."
(***) Étude Accenture décembre 2013 Global consumer survey.
Profitant du déploiement de ces tablettes, le Crédit Agricole Île-de-France a mis en place la signature électronique. "Les documents importants sont désormais stockés dans l'espace personnel du client et accessibles via le site internet de l'établissement", confie Pascal Colin, directeur général d'Open Trust, éditeur de logiciels de confiance. "Le conseiller gagne du temps sur les opérations administratives (photocopies, recueil des documents...) et valorise le conseil."
Décharger au maximum le conseiller pour qu'il se concentre sur des tâches à valeur ajoutée, c'est le nouveau credo des banques, qui adoptent des outils de relation client ayant pour but de faciliter leur travail. L'avatar constitue l'un d'entre eux.
Dialoguer avec un avatar
"Nous avons installé un agent virtuel sur le site de la banque polonaise Bank Zachodni Wbk. Il répond 24 heures sur 24, 7 jours sur 7. Ce tchat automatisé désengorge les centres de contacts et ce, pour un montant minime, moins de 10 centimes d'euros le coût au contact ", décrit Olivia Le Guyader, directrice marketing et communication chez Askom. "Avec un impact clair : 90% de réussite, un taux de rebond divisé par deux et un doublement du nombre de pages visitées par l'internaute."
Lorsque la requête nécessite une réponse plus poussée, un conseiller clientèle reprend la main, via un média (mail, tchat...) géré par le centre de contacts. "C'est ce dernier qui coordonne l'ensemble des parcours clients à distance", indique Olivier Poggioli, directeur de la Business Unit Services Financiers chez Webhelp. Avec une explosion des usages, comme le confirme Malik Fadel, directeur du business développement chez Akio: "Pour Hello Bank, nous engageons plusieurs dizaines de milliers de conversations par tchat tous les mois. C'est le média de prédilection des clients pressés de cet établissement, qui réclament une réponse dans les 30 secondes."
"Préférence Client 2016" : la nouvelle recette de BNP Paribas
Afin d'adapter son réseau aux nouveaux usages, la banque affiche son objectif : reconquérir ses clients. La liste des moyens mis en oeuvre est importante.
- Plan d'investissement de 210 millions d'euros.
- 10 engagements de services comme l'ajustement de la tarification selon la situation ponctuelle du client, une réponse donnée en 30 secondes sur le tchat, l'historique de chaque demande client en mode multicanal...
- Renforcement du niveau d'expertise des conseillers par un doublement du volume d'heures de formation et la création de 700 à 1 000 postes de conseillers spécialisés, en complément des conseillers clientèle.
- Transformation du réseau d'agences avec la création de trois formats : Express pour offrir un gain de temps au client (5 à 10% du réseau), Conseil, pour l'accompagner dans ses prises de décision (75 à 85 % du réseau), et Projets, pour le confier à des spécialistes (10 à 15% du réseau).
Chacune d'entre elles sera équipée de la visioconférence et d'un affichage digital, relayant des informations adaptées au contexte des clients.
- Une tarification renouvelée : elle intégrera la fidélisation du client et pourra être modulable, voire baisser de manière ponctuelle, si ce dernier rencontre des difficultés passagères.
- Renforcement de l'usage des réseaux sociaux pour proposer la cocréation.
(*) Source Deloitte, enquête Relations banques-clients, janvier 2014
Le centre de contacts devient ainsi un pivot de la relation client. Au tout début, on parlait de centre d'appels, puis de centre de contacts. Maintenant il s'agit d'une plateforme omnicanal, avec une expertise de plus en plus pointue. "D'ailleurs, il n'est pas rare qu'un "conseiller" soit débauché par une agence bancaire. Ce dernier en sait autant aujourd'hui qu'un conseiller classique", affirme Olivier Poggioli, de Webhelp. Un discours commun à l'ensemble des prestataires. "Cette professionnalisation est un passage obligé pour offrir une expérience client sans couture et traiter différents médias d'interaction avec la même qualité de service", conclut Malik Fadel.
Les réseaux sociaux sont un service bancaire
Les réseaux sociaux font partie intégrante de cette nouvelle expérience client. À en croire une étude menée par Capgemini et l'Efma, près de 10% des clients présents sur les réseaux sociaux utilisent ce canal au moins une fois par semaine pour contacter leur banque. Facebook et Twitter deviennent de véritables outils de gestion de la relation client. Selon Eptica, en 2013, 80% des sites web proposent un lien vers Facebook (contre 40% en 2012) et 70% vers Twitter (contre 40% en 2012). "Logique, Facebook et Twitter servent de caisse de résonance à nos clients qui, s'ils sont satisfaits, nous recommandent, déclare Nicolas Hun, community manager chez ING Direct. Un client dont le problème a été solutionné est un client heureux qui le fait savoir."
Pour les banques, ces canaux se révèlent précieux: ils fourmillent d'informations personnelles sur les moments importants de vie des clients et sont actualisés en permanence. C'est pourquoi les jeunes banques en ligne privatisent ces espaces de discussion. C'est le cas notamment de Soon, la banque sur mobile lancée par Axa. Dans la ligne de mire, la cocréation d'applications, comme l'explique Christopher Montémont, cofondateur et directeur général de Smart Tribune, fournisseur de solutions de social CRM. "Chaque mois, nous invitons 180 000 clients à donner leur avis sur une thématique et à trouver des solutions." L'initiative séduit. "Nous affichons 15% de taux de participation", se félicite-t-il. Preuve que les clients s'impliquent. D'autant que la jeune banque apporte une conclusion sur chacune des thématiques, démontrant ainsi qu'elle prend en considération les retours de ses clients. "De plus, nous identifions les internautes qui participent le plus et nous les élevons au rang d'ambassadeurs, de sorte qu'ils usent de leur influence et recommandent la marque." La prochaine étape? Intégrer les réseaux sociaux aux services bancaires. DenizBank a franchi le pas en créant des "agences Facebook".
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La banque turque a ainsi imaginé une plateforme accessible depuis le réseau social pour accéder à ses comptes ou effectuer des virements à ses "amis". Cette démarche fera-t-elle des émules auprès des banques françaises? Toujours est-il qu'il leur reste encore des efforts relationnels à fournir pour retrouver la confiance des consommateurs.
Interview de Stéphane Luca, directeur de la relation client d'ING Direct: "C'est le client qui a la main et nous recommande"
UFC Que choisir vous classe en tête de son enquête sur les banques et la satisfaction client, avec une note de 88,4%. Pourquoi cette performance?
Depuis sa création il y a quinze ans, ING Direct a bâti son modèle sur la clarté, la simplicité et la performance. Nous avons cassé l'image de la banque traditionnelle en nous adressant très tôt aux clients via plusieurs canaux comme le Web, les réseaux sociaux, le smartphone. Sur notre appli compte courant mobile, nous observons qu'un client la consulte en moyenne une quinzaine de fois par mois. Ce type de service intensifie la relation avec le client, et selon son libre arbitre. C'est lui qui a la main. Nous l'invitons aussi à se rendre dans une de nos deux agences physiques, à Paris et à Lyon, pour venir nous rencontrer, prendre un café, discuter... Cette "omnicanalisation" de la relation nous réussit: 40% de nos clients qui utilisent au moins deux canaux sont ceux qui affichent les encours les plus importants. Ce sont également ceux qui nous recommandent le plus.
Vous revendiquez une communauté d'ambassadeurs de 3000 membres en cinq mois et, en moyenne, 150 nouveaux arrivants par semaine. Comment en êtes-vous arrivés là?
Nous avons engagé la conversation avec nos clients sur les réseaux sociaux en 2010. Spontanément, ils sont venus déposer leurs remarques sur Facebook et Twitter. À partir des mots-clés, notre call center se charge de router la demande au service concerné. Par exemple, s'il s'agit d'une réclamation personnelle, celle-ci est envoyée vers le conseiller qui la traite en message privé, en direct avec le client. Le tout, dans un délai maximum de deux heures. Une réactivité qui séduit et qui nous permet de fidéliser. Nous affichons un Net Promoteur Score de +51%(*). Une exception dans le paysage bancaire français.
Comment tirez-vous parti de cette communauté?
En décembre 2013, nous avons lancé le web café, une communauté bancaire en ligne, fondée sur le collaboratif. C'est l'aboutissement de toutes nos expérimentations. Cette plateforme de communication digitale se compose en trois parties: un labo, qui fonctionne comme une boîte à idées; un forum, pour échanger entre consommateurs sur la banque, ses services...; un blog de contenu, qui remplace la chaîne d'infos financière Monnaie que nous diffusions en partenariat avec Yahoo. Cette plateforme permet à nos quelque 925000 clients d'exprimer leurs suggestions et leurs critiques. De notre côté, nous valorisons les meilleures idées dans une logique de coconstruction.
(*) Source Bain & Company, mars?2014.
Des idées venues de l'étranger
- La carte de crédit sociale
Développer un modèle de scoring fondé sur l'étude du comportement du demandeur sur les médias sociaux. Voici l'activité de la société de crédit Lenddo, qui crée des algorithmes déterminant la solvabilité d'un emprunteur potentiel en examinant l'activité de ce dernier sur les médias sociaux et les recommandations de la famille et des amis.
- Offrir un service numérique inédit de financement
En Espagne, deux banques (CaixaBank et Banco Santander) se sont alliées à un opérateur téléphonique (Telefónica) pour monter une joint-venture. La mission de ce projet : créer des services numériques pour les clients. La première idée est baptisée Yaap Money. Il s'agit d'une application mobile d'échange d'argent entre particuliers, ouverte à tous les consommateurs, quels que soient leur banque et leur opérateur.
- La banque à domicile
Alamo FCU, la caisse populaire texane, a lancé le Concierge / Doorstep Banking. Traduisez : un service de conciergerie bancaire. Ses employés se déplacent pour rencontrer leurs clients et leur apporter tout ce qui peut leur être proposé en agence. À l'exception de fonds, bien entendu ! Les chargés de clientèle peuvent aussi aller à la rencontre de prospects. Ils se déplacent en voiture de fonction : l'Alamobile. Customisé aux couleurs de la banque, le véhicule se repère de loin. Ce qui permet à l'établissement de s'afficher visiblement dans les quartiers et de jouer un rôle local. C'est l'effet mainstreet vs Wallstreet !
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