Quand l'image des centres de contacts évoluera-t-elle?
Alors que le marché de l'outsourcing poursuit sa logique d'offshorisation, les centres de contacts infirment leur image négative et apparaissent de plus en plus attractifs dans ces nouveaux bassins d'emplois. Ceci grâce à l'évolution de leur système de management.
Tâches répétitives et peu valorisées, climat stressant, management inadéquat... Dans l'esprit des consommateurs, l'image des centres de contacts est souvent associée à une qualité de service défaillante et à des conditions de travail difficiles, conséquences d'une industrialisation très rapide dans les années 2000. Alors que les acteurs poursuivent leur déploiement à l'offshore, débuté à la fin des années 1990 (+36% de chiffre d'affaires en 2017 en Afrique subsaharienne et +302% dans l'océan Indien(1)), ils s'attellent à faire évoluer leur modèle managérial et contribuent au développement économique de ces régions. Suite logique, leur image devrait évoluer positivement...
"Les centres de contacts emploient 7000 personnes au Maroc, affirme Youssef Chraibi, P-dg et cofondateur d'Outsourcia. C'est le secteur le plus important pour l'emploi des jeunes, et il contribue à 5% de la croissance du PIB." Un poids considérable pour un secteur qui n'existait pas il y a vingt ans. Le groupe Intelcia, dont le siège se trouve au Maroc, fait, lui aussi, valoir son ancrage local: "Nous sommes le premier employeur du secteur de la relation client à Douala (Cameroun), avec 900?collaborateurs, et à Casablanca (6400 salariés)", explique Saad Berrada, DRH Afrique. Arvato, par l'entremise de Franck Hulewicz, directeur de l'expertise qualité formation, assure avoir créé plusieurs milliers d'emplois en Afrique subsaharienne et constituerait le plus gros employeur de la zone. Même tendance à Madagascar, où l'outsourcing est l'activité qui offre le plus d'opportunités aux jeunes diplômés.
"Au Cameroun ou au Bénin, où seulement 4 % de la population sont bancarisés, nous ouvrons un compte bancaire à nos collaborateurs,?et offrons un contrat et une rémunération fixe?minimale", Charles-Emmanuel Berc, VIPP
Les centres de contacts contribuent à l'émergence d'une classe moyenne en Afrique subsaharienne et à Madagascar. "Au Cameroun et au Bénin, seulement 4% de la population sont bancarisés, précise Charles-Emmanuel Berc, président du Groupe VIPP. Nous ouvrons un compte bancaire à nos collaborateurs, et offrons un contrat et une rémunération fixe minimale." Dans ces bassins d'emplois, le taux de chômage affiché atteint 40%, principalement en raison d'une économie informelle importante. Travailler dans un centres de contacts permet aux salariés de stabiliser leur situation, via un fort accès au CDI (entre 75 et 100%, selon les déclarations fournies par les acteurs en place).
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Si, en France, la rémunération d'un conseiller demeure assez peu attractive, (1788€ euros bruts fixe(1) + variable, soit 120% du Smic), outre-Méditerranée, les salaires apparaissent nettement plus incitatifs: jusqu'à cinq fois le salaire moyen local au sein de VIPP, entre deux et quatre fois chez Intelcia, et de trois à quatre fois pour Outsourcia.
L'amélioration des conditions de travail pour lutter contre le turnover
S'y ajoute une politique généreuse en termes d'avantages, en raison de la nécessité de fidéliser des salariés de plus de plus qualifiés (le bac+3 devient la norme), alors que le taux de turnover est en recul sur le marché français (19% en 2017, contre 16% en 2018 (1)). Arvato et VIPP offrent, par exemple, une couverture sociale. Pour compenser l'absence de système de santé dans ses lieux d'implantation (Cameroun et Bénin), VIPP installe un centre médical dans ses locaux, au sein duquel les consultations sont gratuites. "Nous avons ouvert une pharmacie interne pour délivrer les médicaments prescrits, directement achetés aux laboratoires à prix coûtant", explique Charles-Emmanuel Berc.
De même, le groupe octroie des prêts à ses salariés afin de leur permettre de se loger. Un service nécessaire dans des régions où les loyers doivent être réglés à l'avance pour toute l'année et représentent l'équivalent de quatre mois de salaire pour un conseiller. Des offres de transport gratuit sont également mises à la disposition des collaborateurs. Dans ce métier assez largement féminisé, Outsourcia, qui emploie 65% de femmes au Maroc et 60% à Madagascar, facilite l'accès au marché du travail en organisant un système de navettes sécurisées pour les salariés dont les horaires sont nocturnes.
En parallèle, les locaux deviennent des lieux d'activités récréatives. Au sein de ses centres, Arvato propose, par exemple, des cours de cuisine, des massages, des ventes de produits, des animations sportives et associatives (marathons, escape games...). "Les conseillers sont impliqués dans l'organisation de ces activités, précise Franck Hulewicz. Cela crée une certaine proximité entre les collaborateurs et leurs managers. Je constate une forte accélération de cette dynamique depuis deux ans."
De la surveillance au management
Cette révolution dans les rapports entre conseillers et managers est évoquée par plusieurs acteurs. Le management très directif, binaire, "a presque disparu", indique Franck Hulewicz, directeur de l'expertise qualité formation chez Arvato). Au sein d'Intelcia, tous les collaborateurs ont accès au top management via des outils de communication directe, et des "cafés matin" sont organisés régulièrement pour faciliter les discussions. "Cela permet de recueillir des suggestions ou de pallier certains dysfonctionnements", commente Saad Berrada, DRH Afrique du groupe.
La professionnalisation de l'encadrement dans tous leurs lieux d'implantation constitue l'une des missions prioritaires des acteurs, lesquels s'appuient sur leur dimension internationale pour promouvoir des standards en matière de stratégie managériale et aligner les pratiques, à l'image du programme "Manag'In" développé par Intelcia (attention à la bienveillance et à la transparence, gestion de crise...), validé par une certification externe.
Dans une même logique de structuration de la gestion RH, les centres de contacts proposent désormais des parcours de formation et d'évolution à leurs collaborateurs. Des VAE (validation des acquis de l'expérience) collectives se mettent en place pour les chargés de clientèle les moins diplômés, afin d'améliorer leur employabilité via l'acquisition de BTS Négociations et digitalisation de la relation client. La mobilité interne est encouragée: "Nous procédons à des détections via des entretiens et des parcours de formation dans chaque site, afin d'identifier les futurs responsables d'équipes", explique Franck Hulewicz (Arvato). Les universités internes se multiplient (Coach Academy au sein de VIPP, Off-shore Academy pour Outsourcia...).
Diversification et montée en compétences
Cet accroissement de la mobilité s'accompagne d'une valorisation et d'une diversification des tâches réalisées par le téléconseiller. À l'image d'une équipe de "petites mains" consacrée au démarchage "dans le dur" (acquisition de nouveaux clients) s'oppose désormais des conseillers dont 79% des tâches sont consacrés au support client(1). "Le conseiller est responsabilisé de bout en bout pour gérer les problématiques de ses clients", insiste Youssef Chraibi (Outsourcia).
Au script lu se substitue une charte, laquelle permet au conseiller de diriger véritablement l'entretien avec le client. "Nous avons fait évoluer nos donneurs d'ordres, se félicite Franck Hulewicz (Arvato). Les seuls aspects encore mécaniques sont liés à la sécurité des données clients. Auparavant, la fonction de téléconseiller avait une connotation de 'job'. Aujourd'hui, c'est devenu un véritable métier." L'arrivée des nouvelles technologies participe à cette montée en compétence des agents, dédiés aussi bien au tchat qu'à la visioconférence, au téléphone ou au messaging. Les situations à traiter s'avèrent également plus complexes (banques, assurances...) et requièrent un savoir-faire plus important, tandis que le self care décharge les conseillers des charges les plus répétitives.
En parallèle, 3%(1) de l'activité des centres de contacts concernent des services à valeur ajoutée, telles que la formation, la fidélisation ou le conseil. La relation entre les donneurs d'ordres et les centres de contacts, lesquels représentent la voix de l'entreprise vis-à-vis des clients finaux, évolue vers une logique de partenariat. Le développement de ces services est porté par les technologies d'intelligence artificielle: les outsourceurs proposent désormais de développer des chatbots et de les entraîner pour le compte de leurs clients. L'expertise de ces structures leur permet également d'apporter une aide stratégique: "Nous fournissons des programmes de? transformation de la relation client qui ne touchent pas uniquement Intelcia, mais également les process de nos entreprises partenaires", fait valoir Saad Berrada (Intelcia). Une montée en gamme bien éloignée de la gestion de masse caractéristique des centres d'appels du début du millénaire.
(1) Source : "La nouvelle promesse de valeur des centres de contacts", étude EY, 2018.
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