Localisation : l'art du compromis
Aides financières diverses, infrastructures immobilières et télécoms, main-d'oeuvre formée... Les arguments déployés par les collectivités locales se ressemblent sensiblement. Pour les entreprises candidates à l'implantation, le plus difficile sera donc de déceler les montages spécifiquement étudiés pour répondre à leurs besoins. Et, au final, de se résoudre au meilleur compromis.
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« Il n'y a pas de lieu d'implantation qui conjugue des locaux idéaux, une
main d'oeuvre adaptée et bon marché, un turn-over faible et des coûts bas. Se
localiser ou se délocaliser, c'est jouer sur un compromis et non sur un
consensus », affirme Philippe Baldin, consultant, et cofondateur, au sein du
nouveau cabinet conseil Affluence. Evoluant depuis de nombreuses années dans ce
secteur si particulier, ce transfuge d'eLoyalty donne une bonne définition de
l'état actuel du marché. Les entrepreneurs doivent désormais faire des choix.
Le bassin d'emploi doit être suffisamment important pour fournir la main
d'oeuvre nécessaire. Les salaires ne doivent pas être trop élevés et il faut
anticiper la demande en créant un vivier RH disponible par de la formation
adaptée. Nul ne doute qu'en privilégiant le paramètre X, l'entreprise relèguera
le paramètre Y. Mais qu'importe car la recherche du Graal est terminée et il
s'agit aujourd'hui d'optimiser son choix sous contrainte. Paris est saturée :
plus de locaux adéquats et une main-d'oeuvre volatile. « Beaucoup ne
travaillent que trois ou six mois, le temps de gagner un peu d'argent et de
pouvoir s'inscrire au chômage. Ensuite, ils partent en vacances, persuadés de
retrouver un emploi en trois jours. Il suffit de regarder les pages orange du
Figaro le lundi », constate Philippe Baldin. Ce que confirme Daniel Guillot,
responsable fédéral cadres postes télécom à la CFDT : « L'offre est supérieure
à la demande en Ile-de-France ». Le constat devient inquiétude chez les
employeurs, comme Jack Mandard, P-dg de compuBase, qui déménage aux Ulis en
juillet prochain et qui recrute.
« UN SALARIÉ MÉCONTENT PART SE NÉGOCIER 20 % PLUS CHER »
L'équation parisienne reproduit de plus
en plus le modèle irlandais où la multiplicité des centres d'appels a provoqué
une crise en matière de recrutement, impliquant des hausses de salaire. « Si un
employé n'est pas content, il s'en va voir ailleurs. Il négociera son salaire à
hauteur de plus 20 %. A Paris, on ne parle plus de turn-over mais de durée de
vie », remarque Philippe Baldin. Bernard Caïazzo, président de Call Center
Alliance, est encore plus affirmatif : « Paris est "foutu" pour les centres
d'appels traditionnels sans forte valeur ajoutée. Pour les offres de services
plus basiques, la tendance est à la délocalisation vers la province ou les
villes moyennes où le marché d'emploi est favorable. Il n'en reste pas moins
que sur les grandes villes, si l'on veut garder les opérateurs, on devra offrir
un véritable métier. Nous, nous avons choisi de gérer toutes les activités
liées à la santé sur Paris. C'est un domaine qui exige un grand
professionnalisme et une réelle compétence. » Et d'ajouter : « Tous les centres
d'appels à Paris rencontreront des problèmes sociaux .» En 1997, l'heure est à
la morosité et au chômage. Les banlieues chauffent et les centres d'appels
apparaissent comme un nouveau métier susceptible de procurer de l'emploi auprès
des zones sensibles. Comme la plupart des sièges sociaux sont implantés à Paris
ou en région parisienne, les centres d'appels se tournent vers les communes
proches qui offrent des avantages fiscaux et sociaux ou qui mettent en oeuvre
de véritables programmes favorisant les implantations. L'effet des Zones
Franches joue à plein. Les entreprises accourent et bénéficient d'aides qui
peuvent aller jusqu'à 70 000 francs par emploi créé, sans compter les rabais
obtenus pour les taxes foncières et locatives. « C'est une négociation au cas
par cas pour les sociétés qui désirent s'installer. Les aides peuvent varier du
simple au triple », prévient Philippe Baldin. « Certaines entreprises négocient
pendant dix-huit mois et ne s'installent qu'en échange des aides promises »,
souligne Bernard Caïazzo. Le contexte est d'autant plus opaque que les
financements peuvent provenir soit des Zones Franches (44 villes) mais
également de zones qui bénéficient de la Prime à l'Aménagement du Territoire
(PAT). Dans ce dernier cas, il n'y avait pas de liste officielle avant le 15
avril 2001. Certains élus n'hésitaient pas à faire valoir que leur commune
devait bénéficier de cette subvention alors qu'il n'en était rien. Des
pratiques douteuses. Mais qu'est-ce qu'un élu ne ferait pas pour réduire le
chômage chez lui... ?
LES LIMITES DES ZONES FRANCHES
La région parisienne saturant, il faut délocaliser. A l'image de Canal Plus,
qui ouvre un nouveau centre à Rennes. Dans la recherche d'une terre d'accueil,
les critères varient. Noëlle Prétot, administrateur de Transcom en France,
explique sa démarche : « Nous ne cherchons pas les Zones Franches car les
locaux sont souvent vétustes ou mal adaptés. Les centres d'appels y sont trop
nombreux, ce qui augmente le turn-over. Nous cherchons prioritairement des
zones proches de grandes métropoles comme nous l'avons fait en Allemagne, en
Suisse ou au Luxembourg. Vélizy était un bon compromis car le taux de chômage
avoisinait les 12 % et la population y est jeune et instruite. Malgré cela, le
turn-over atteint 20 %. » Afin de répondre à la demande croissante, Transcom a
ouvert un deuxième centre dans les Vosges à Raon L'Etape et s'apprête à en
ouvrir un troisième à Tulle, en Corrèze. Pour Eric Dadian, président de l'AFRC,
Association française des centres de relation client, la province et les villes
moyennes ont une belle carte à jouer : « Regardez des villes comme Niort ou Le
Mans qui abritent des centres de mutuelles ou de banques. Il s'agit là de
métiers qui demandent de vrais spécialistes. » Angers, qui met en exergue son
université et son pôle technologique, est un exemple intéressant dans la mesure
où l'offre immobilière a été bâtie avant que ne se mette en place la stratégie
de promotion auprès de candidats à l'implantation. Proximité avec Paris oblige
(1 h 30 en TGV), les cadres dirigeants se sont assez facilement déplacés. La
ville d'Anjou a ouvert, le 5 avril dernier, une plate-forme dédiée à la
formation dans le cadre du centre de formation professionnelle. Angers
n'apparaît donc pas saturée, contrairement à Orléans qui annonce clairement
qu'elle ne désire plus accueillir d'autres centres.
LYON CIBLE LES PROJETS À TAILLE HUMAINE
Autre problématique du côté de Lyon. De
par son emplacement géographique, la capitale des Gaules et son agglomération
sont propices au développement des centres, mais l'offre locale s'est
restructurée, comme le confie Stéphane Deveaux, directeur général
d'Implantation Express, une entreprise faisant l'interface entre les communes
et les éventuels investisseurs : « Lyon peut se permettre de choisir les
candidats éventuels. La tendance y est à la gestion de projets de taille
humaine. Les gros projets à faible valeur ajoutée n'intéressent pas les
promoteurs locaux. La Ville propose très peu d'aides. Elle recherche des
projets moyens mais à forte valeur ajoutée et à vocation internationale. On
retrouvera les métiers de l'assurance, de la banque et de la santé. » A Nîmes,
on loue les luxueux locaux de Cacharel. A Nantes, on joue sur le cadre de vie.
A Bordeaux, on veut faire taire les rumeurs selon lesquelles il n'y a plus de
place. « A Toulouse, "Expertise Midi-Pyrénées Expansion" a bien compris les
enjeux, souligne Stéphane Deveaux. D'une manière générale, les développeurs
locaux ont conscience de l'enjeu et de la nécessité d'intégrer cette activité
spécifique. » Toulouse innove pour se démarquer de ses voisines et propose pour
le recrutement une méthode originale (voir encadré p. 56). Le Conseil Général
de Vienne propose des aides financières à hauteur de 27 000 francs par emploi
jeune créé. Limoges n'a pas la cote et pourtant s'inspire de la soeur
toulousaine. L'environnement y est agréable et vierge de tout centre important.
Troyes, Châlons-en-Champagne sont des alternatives à la région parisienne. Metz
met en avant sa proximité avec l'Allemagne et les projets franco-allemands
fleurissent. Bertelsmann Services s'est implanté et ne le regrette pas. Amiens
met le cap sur la formation et crée des diplômes par le biais de SupMédiaCom
qui fait des petits à Poitiers. Bref, toutes les communes font des efforts,
avec leurs moyens financiers, immobiliers et intellectuels propres. La
responsabilité et l'innovation des localités feront la différence car il
apparaît de plus en plus que les aides de l'Etat ne sont pas forcément des
éléments clefs dans la décision finale.
LES ARGUMENTS DES RÉGIONS SOCIALEMENT AFFECTÉES
Transcom cible clairement les régions
socialement touchées par la crise. Lorsque l'outsourcer s'intéresse de près à
Raon L'Etape, des négociations s'engagent avec la municipalité. Celle-ci
construit les locaux nécessaires au besoin de l'outsourcer et ce dernier loue
avec un bail de six ans minimum. Au total 400 embauches. Une manne dans cette
région meurtrie par le déclin de l'industrie textile. Même schéma à Tulle - où
c'est l'armée qui déserte les lieux - avec la possibilité d'aides au
reclassement du personnel autrefois muté à la grande muette. Le centre d'appels
de Transcom ouvrira normalement en juillet prochain. Saint-Etienne, où Transcom
doit également s'installer, est dans la même configuration : depuis le départ
de la manufacture, la plaie a du mal à cicatriser. Comme d'autres villes, elle
met en exergue une main-d'oeuvre travailleuse et fidèle. « Bien sûr, il faudra
davantage de formation. Peut-être trois fois plus, le temps de transformer des
gens qui travaillaient en usine en commerciaux. Ce n'est pas évident »,
souligne Noëlle Prétot. Nécessaires, les efforts des municipalités ne sont pas
toujours suffisants. Car l'un des objectifs de l'entreprise peut être de rester
assez éloignée d'autres call centers - tout en bénéficiant de main-d'oeuvre
appropriée et de plus en plus qualifiée, ce qui ne facilite pas la chose. Les
futurs call centers se déplacent mais n'hésitent pas à imposer à la localité
leur diktat : « Nous nous installons à condition qu'il n'y ait aucune autre
implantation prévue dans les deux ans. C'est à prendre ou à laisser. » Il
restera toujours les inconditionnels de l'aide et de la prime. Mais ils font
preuve d'une vision à court terme.
L'ANPE de Toulouse refuse la prime au diplôme
En France, le diplôme conditionne la carrière professionnelle. L'expérience du terrain n'est pas valorisée comme elle peut l'être outre-Manche et outre-Atlantique. Lors d'un recrutement, le diplôme est souvent le premier barrage (ou bagage), l'âge le deuxième. A Toulouse, l'ANPE a voulu transgresser cette règle atavique. En adoptant la méthode dite des "habiletés", initiée par un responsable de l'ANPE des Deux-Sèvres (voir "Centres d'Appels" n° 25, p. 93). Il s'agit d'établir la recherche des futurs téléopérateurs en fonction de la spécificité du métier : capacité à communiquer tant en interne qu'en externe, flexibilité, la gestion du stress ainsi qu'initiative et autonomie. Une méthodologie originale, tant il est vrai que ces qualités ne sont pas encore reconnues par des diplômes. Concrètement, les candidats sont placés en situation et doivent « définir la meilleure et la pire réponse possibles », indique Chantal Bergomier, responsable de l'ANPE Toulouse Dewoitine. L'appel à candidature ne repose ni sur l'âge, ni sur le diplôme. Pas classique au regard des annonces qui fleurissent dans les pages emploi. Avec ce recrutement, le tiers des chargés de clientèle a un niveau égal ou inférieur au bac. Depuis, ce mode de recrutement se développe un peu partout en France.
Partir pour évoluer... et revenir
« Tu pars à Tulle encadrer l'équipe ? », demande Noëlle Prétot, administrateur de Transcom, à un manager de plateau. « Non, je me suis déjà enterré à Raon L'Etape, ça suffit ! », répond celui-ci en riant. Il est des régions isolées qui restent moins attractives que d'autres. Si les citadins, lassés par les embouteillages, la pollution et le bruit, délaissent les grandes agglomérations, ce n'est pas forcément pour se perdre dans un champ. Et pourtant, si l'on veut progresser dans ce métier, il faudra parfois s'y résoudre. L'expatriation vers des sites "retirés" est souvent "vendue" par les employeurs comme le meilleur moyen de progresser dans la hiérarchie. Ce qui, dans ce métier, n'est pas du luxe. Car, quoi qu'on en dise, les centres d'appels offrent aujourd'hui peu d'évolution en termes de carrière. Jack Mandard, patron de compuBase, société spécialisée dans la constitution et la gestion de bases de données, annonce la couleur dès l'embauche : « L'évolution de carrière est quasi nulle. En revanche, vous pourrez faire valoir un réel savoir-faire après être passé par chez nous. » L'ouverture d'un centre d'appels, c'est donc pour certains l'occasion de progresser vers des tâches plus gratifiantes : encadrer, former, motiver. Expérience qui sera monnayable plus tard. Quant au salaire de l'encadrement, il tournera en moyenne autour de 13 000 francs brut. Une augmentation substantielle d'autant que la vie en province est moins chère qu'à Paris. Beaucoup investissent et font le sacrifice de partir en espérant revenir et obtenir des responsabilités supérieures dans une ville un peu moins fantôme.
Une activité porteuse dans toute l'Europe
L'activité est porteuse dans toute l'Europe et non pas seulement en Grande-Bretagne. La France est actuellement dans une spirale positive qui s'explique par le retard qu'elle avait sur des pays comme l'Angleterre ou l'Irlande, riches en centres d'appels paneuropéens. On estime, à titre indicatif, que le chiffre d'affaires des sociétés de sous-traitance de centres d'appels augmente à hauteur de 20 à 30 % dans l'Hexagone contre 5 à 10 % outre-Manche. Aujourd'hui, la donne change et la France mène de véritables campagnes afin d'attirer les opérateurs dans le pays. Nul doute que les progrès technologiques et la baisse des coûts des télécommunications encourageront les investisseurs. Tout dépendra des incitations politiques de chaque pays, de leur faculté à mettre en place des formations adaptées, des locaux adéquats et un cadre de vie.
Noëlle Prétot (Transcom) : « On ne recherchepas les Zones Franches »
Le développement de Transcom est directement lié à la déréglementation des télécoms et à l'arrivée en France de l'opérateur téléphonique Tele 2, filiale, tout comme Transcom, du groupe suédois Kinnevik AB, qui revendique 2,5 millions d'abonnés dans l'Hexagone. Une assise qui contraste avec un backstage très simple. Un décor minimaliste : un hangar carrelé sans faux plafond où les bouches d'aération s'offrent comme un décor virtuel, des câbles téléphoniques et surtout, à proximité dans un bâtiment attenant, un plateau dédié où les téléopérateurs traitent les réclamations et les nouveaux abonnements. Implanté dans plus de quinze pays, l'opérateur se veut international et multiproduit. Il offre ses services aussi bien dans la téléphonie que la banque, l'assurance et le tourisme. Mais, en ce qui concerne sa localisation, « Transcom ne recherche pas les Zones Franches où les locaux sont inadaptés et la main d'oeuvre volatile , explique Noëlle Prétot, administrateur. Auparavant, la tendance était de s'implanter près des capitales. Aujourd'hui, les critères évoluent en fonction du coût et du bassin d'emploi. » Les aléas boursiers affectant les valeurs hautement technologiques, le choix se porte aujourd'hui sur des régions vierges de call centers et dont le bassin d'emploi s'apprête à déborder. Des locaux sont construits par les municipalités et loués à Transcom. En France, Raon l'Etape, dans les Vosges, fut le premier, Tulle suivra en juillet. En Espagne, Transcom doit s'implanter à Leon, une toute petite commune proche de Barcelone.