IA, machine learning et relation client: la révolution n'en est qu'à ses débuts
L'IA et le machine learning sont devenus des tendances de fond de la relation client: les chatbots apportent un vrai bénéfice client, les échanges en langage naturel facilitent les contacts avec les marques, les conversations se personnalisent, de nouvelles fonctions émergent.
L'intelligence artificielle (IA) a fait l'actualité fin mars 2018. Ces deux lettres portent à elles seules les promesses d'une révolution articulée autour de la donnée, un facteur de compétitivité pour la plupart des secteurs d'activité, des défis gigantesques en termes d'éthique et d'emplois... En conclusion d'une journée #AIforHumanity, le 29 mars, le président de la République a réaffirmé la volonté de la France de devenir un acteur clé de l'IA et annoncé un "Plan Intelligence Artificielle" de 1,5 milliard d'euros d'ici à 2022. Deux jours plus tôt, le mathématicien et député Cédric Villani avait remis son rapport "Donner un sens à l'intelligence artificielle", qui préconise, entre autres, de consolider et de rendre visible l'écosystème français de l'IA, d'imprimer une dynamique industrielle européenne dans ce domaine, de multiplier par trois le nombre de personnes formées en IA...
Le commerce et la relation client ne font pas partie des secteurs prioritaires pointés par le rapport Villani, mais les initiatives sont nombreuses. "On voit arriver des applications concrètes de l'intelligence artificielle avec des chatbots qui renforcent la relation client à distance en simulant une discussion avec un humain, des robots physiques installés dans les magasins et les lieux d'accueil, ou encore les assistants personnels qui vont faciliter le parcours client pour toutes les questions simples, en remplaçant le clic par la commande vocale", note Eric Dadian, président de l'Association française de la relation client (AFRC), auditionné par la mission Villani.
Les méthodes d'apprentissage automatique et de classification fondées sur le deep learning, qui permettent à un programme de reconnaître une image ou de comprendre le langage naturel, ont en effet ouvert de nouvelles perspectives. Après les bots intégrés dans les applications ou dans les messageries instantanées comme Messenger ou WhatsApp, les voicebots sont en passe de devenir le canal privilégié d'une relation client augmentée.
L'arrivée de la reconnaissance faciale
Il faudra aussi compter avec des bornes vidéo qui peuvent mettre le client en relation avec un téléconseiller s'appuyant sur les informations fournies par l'IA, avec la reconnaissance faciale qui peut détecter les émotions du client ou l'identifier lors du paiement... "On entre dans un monde très connecté, où les parcours clients vont être bouleversés et les échanges entre consommateurs vont se développer. Les marques doivent apprivoiser l'IA et investir dans ce domaine car on ne peut plus vivre sans", ajoute Eric Dadian.
L'évolution des attentes des clients pousse les marques à se tourner vers des outils basés sur l'IA et reliés au CRM de l'entreprise. Les algorithmes répondent à la demande d'ultra-disponibilité de la marque et d'instantanéité dans la réponse. Les échanges traités par les bots renforcent l'autonomie du client, réduisent le nombre d'appels entrants et désengorgent les services client. La remontée dynamique des données clients et utilisateurs permet de personnaliser les échanges et d'augmenter les promesses de conversion.
L'IA associée à toutes les étapes du parcours client
Les chatbots sont déjà devenus la troisième famille d'interface, après les sites et les applications. Très efficaces pour humaniser et personnaliser la relation client, ils sont principalement utilisés pour des fonctions de support client (66,7%), de promotion (59,5%) et de CRM (50%). "Les millenials poussent les usages et contaminent les gens qui sont moins dans la cible ou plus réfractaires au changement. Nous sommes dans une phase de transition, mais les usages vont continuer à croître", assure Thomas Sabatier, cofondateur de la start-up The Chatbot Factory. Ces outils sont d'autant mieux acceptés par les clients qu'ils offrent une alternative via un contact humain ou la possibilité de basculer vers un conseiller en cours de conversation. L'IA peut répondre à des problématiques très variées, à toutes les étapes du parcours client.
OuiBot est un élément de la relation client à 360° de Oui.sncf. Lancé sur Facebook Messenger puis dans l'assistant vocal de Google, il a ensuite été intégré dans le site marchand du groupe. Il permet, pour l'heure, de chercher un train, de poser une option sur un billet ou de réserver un TGVmax. Sephora joue la carte du service et de l'humour avec son bot conversationnel sur Google Home. Les client(e)s peuvent consulter les disponibilités pour un service beauté, jouer avec l'enseigne via des quiz et écouter des podcasts beauté. Même approche pour le Parc Astérix, qui a naturellement baptisé son bot Atonservix!
Pour répondre de la manière la plus juste aux questions qui leur sont soumises, les bots doivent être entraînés. Les conseillers clientèle, qui connaissent les produits et les process de la marque, sont souvent les plus à même de les éduquer. Une équipe de cinq personnes incluant deux chefs de projet (digital et relation client), un développeur et deux conseillers spécialisés sur la relation client digitale ont entraîné le bot de relation client de Direct Energie, qui doit répondre aux questions les plus simples ou renvoyer le client vers un agent. Une quinzaine d'intentions (auto-relevé du compteur, question sur une facture...) ont été qualifiées grâce au bot trainer de Sitel avec, pour chaque intention, 100 ou 200 phrases issues de conversations réelles avec les clients. Pendant quelques semaines, les agents ont validé ou invalidé les intentions proposées par le bot. L'outil de Natural Language Processing (NLP) a alors été choisi. "Nous avons fondé le développement du bot sur l'outil Luis de Microsoft, qui s'est montré le plus efficace sur notre base, mais nous n'excluons pas de recourir à d'autres NLP dans le futur, indique Matthieu Tanguy, directeur digital et marketing. Des agents vont continuer à nourrir le bot pour tenir compte des cas clients, faire évoluer ou ajouter des intentions... À terme, un agent clientèle pourra passer 15 à 30% de son temps sur du bot training, mais continuera à exercer ses fonctions pour rester connecté à la réalité du terrain."
The Chatbot Factory a développé pour Auchan un service de sommelier. "Le vin est un des rayons où le client a le plus besoin d'être accompagné, mais il est difficile d'avoir un conseiller à disposition dans tous les espaces de vente. L'enseigne a répondu à cette demande avec un sommelier virtuel, qui suggère des accords met-vin. L'outil vient d'intégrer des recommandations géolocalisées en fonction des vins en stock dans le magasin le plus proche", détaille Thomas Sabatier. Pour Air France, la start-up a mis au point le chatbot Louis avec une première application dédiée aux bagages. L'outil a été entraîné sur des questions concernant la politique de bagages, le calcul d'un supplément de prix, les procédures en cas de perte...
"L'instantanéité est primordiale pour un client qui est à l'aéroport. Le chatbot permet aussi de gérer facilement le multilinguisme et les plages horaires de clients qui sont parfois à l'autre bout du monde", précise-t-il. Certains outils sont circonscrits au back-office. Depuis juin 2017, les chargés de clientèle de 5000 caisses du groupe Crédit Mutuel-CM11 utilisent des solutions fondées sur la technologie cognitive Watson d'IBM. L'analyse des mails de clients identifie les demandes les plus fréquentes et détermine leur degré d'urgence. Des assistants virtuels fournissent rapidement des informations aux chargés de clientèle sur les différents métiers de la banque. "Ces outils simples à utiliser ne révolutionnent pas le travail des collaborateurs. Ils leur permettent en revanche de gagner du temps sur les actions à faible valeur ajoutée et de se rendre plus disponibles sur le conseil client", explique François-Xavier Maille, directeur de caisse Crédit Mutuel à Paris La Madeleine. L'outil a été entraîné sur 34 intentions: prise de rendez-vous, opposition sur une carte bancaire, mise à disposition d'un chéquier, transmission de documents dans une opération de crédit... "Dans nos métiers, qui s'appuient sur des bases documentaires riches, l'assistant virtuel amène une plus grande fluidité dans les contacts et entretiens avec nos clients. Les taux d'utilisation progressent. Ils sont bons sur les assistants virtuels et peuvent encore progresser sur l'analyse des mails. Cela relève plus d'un changement d'habitude que d'un travail de conviction", assure-t-il.
Depuis deux ans, Bouygues Telecom s'appuie sur l'IA pour les enquêtes à chaud menées après les contacts auprès de son service client. Environ 1 million de verbatim quotidiens sont envoyés chez son prestataire Proxem, où des dispositifs d'écoute de la voix des clients les analysent et les classent. "Le motif d'insatisfaction devient une donnée structurée et requêtable, que l'on peut filtrer sur toute la base, et qui engendre un rappel des clients insatisfaits. La corrélation entre les verbatims et les centres sert aussi d'alerte pour voir ce qui fonctionne bien ou détecter ce qui doit être corrigé", souligne Kamal Harfaoui, responsable qualité chez Bouygues Telecom.
Des perspectives prometteuses, à confirmer
Les outsourceurs investissent aussi dans les technologies apprenantes. Arvato intervient sur deux types d'outils conversationnels: ceux qui orientent le client vers la bonne compétence, grâce à un serveur vocal interactif (SVI) qui navigue dans l'arborescence, et des assistants virtuels utilisés par des conseillers. Quand ses clients l'y autorisent, le groupe ajoute ses propres solutions d'IA pour aider les conseillers dans leurs échanges. Pour Stéphane Derly, directeur portfolio et solutions design, le buzz autour des bots et assistants virtuels n'est que la face émergée de l'iceberg: "Nos métiers et nos business models seront révolutionnés par l'association de l'intelligence artificielle, des techniques de Robotic Process Automation (RPA) et de valorisation de la donnée. Nous ne serons plus uniquement des apporteurs de ressources humaines, mais nous interviendrons de plus en plus en conseil sur l'expérience client grâce à un écosystème construit avec la marque et des partenaires. La proportion d'interactions humaines pourrait diminuer de moitié dans les cinq ans, mais le nombre total d'interactions va peut-être augmenter de 30 à 40% sur la période."
Malgré de bonnes perspectives, l'intelligence artificielle est encore loin de devenir l'alpha et l'omega de la relation client. Certaines fonctions ne sont pas matures: commander un Uber via un voicebot est bien plus compliqué qu'avec l'application. Les systèmes d'IA n'ont pas non plus toujours la précision attendue. Un texte compris à 95% pourra être considéré comme compris. Si la prise d'un rendez-vous n'est fiable qu'à 95%, on considérera que le service n'est pas pleinement rendu. "Toutes les solutions d'interaction s'appliquent pour le moment à des questions à périmètres fermés. On n'imagine pas encore qu'un bot puisse apporter la même empathie qu'un humain et, à plus forte raison, argumenter ou négocier", observe Stéphane Derly.
Qu'est-ce que l'intelligence artificielle peut apporter de plus important dans la relation client?
Les marques qui auront fait l'effort de travailler sur leurs données et de casser les silos pourront travailler, grâce aux moteurs d'IA, sur une masse d'information phénoménale. La vision à 360° des besoins et des comportements des clients permettra de mettre en place des stratégies de personnalisation de masse, de mieux comprendre les contextes de consommation, de lancer des démarches proactives personnalisées dans un contexte qui sert le client. Cela implique de réinventer beaucoup de choses dans une relation client qui s'est construite pendant 30 ans sur la réactivité et sur les actions de masse. S'ils sont friands de solutions d'automatisation qui leur facilite la vie, les clients deviennent encore plus exigeants pour les contacts avec un humain. Quand l'IA pousse en quelques secondes une synthèse des actions du client, la technologie aide le conseiller à calmer un irritant et à passer plus rapidement à la résolution du problème. Les conseillers vont devoir apprendre à manipuler plus de données, plus rapidement. Pour les questions complexes qui échappent aux process classiques, ils auront besoin d'un pouvoir de décision qu'ils n'ont pas toujours actuellement. Il y a donc un enjeu énorme de formation pour les conseillers.
Les assistants personnels vont-ils disrupter la relation entre les marques et les clients?
Nous ne sommes encore qu'au début de cette révolution. La plupart des moteurs parviennent à comprendre le langage naturel de manière satisfaisante, mais il leur manque encore un vocabulaire spécifique aux métiers et aux marques. La manière très anthropomorphique dont on s'adresse à ces assistants nécessite un niveau de compréhension qui intègre l'intuitif ou le sous-entendu. Grâce aux entraîneurs d'IA, c'est l'affaire de 12 ou 18 mois! Le passage de l'oeil à la voix du client est un vrai défi pour les marques, qui disposeront de moins d'écrans et de possibilités d'exposition. Cela remet en cause beaucoup de modèles publicitaires, mais un nouveau canal se crée, dont les codes seront à inventer. Le client pourra commencer la conversation avec un bot via l'assistant personnel. Pour une question plus compliquée, il restera sur la même interface, mais échangera avec un conseiller de la marque.
Quelles sont les autres pistes intéressantes?
Les fréquences vocales permettent de déduire la tonalité positive, neutre ou négative d'une conversation. Des start-up ont développé des solutions pour évaluer le Net Promoter Score (NPS) en se basant sur ces fréquences vocales. Le sentiment acoustique est une dimension complémentaire de ce qui existe déjà et qui permettra de savoir pas mal de choses.
Sur le même thème
Voir tous les articles Techno & UX