DossierTourisme : un secteur fragmenté par la révolution digitale
À l'image d'autres secteurs, le tourisme a été bouleversé par l'arrivée du digital. Les acteurs traditionnels se sont retrouvés en concurrence avec des pure players qui ont su répondre aux nouveaux besoins des consommateurs, à savoir le selfcare et le sur-mesure. Zoom sur un marché morcelé.
Sommaire
- Le digital bouleverse le secteur du tourisme
- Les consommateurs réclament des voyages personnalisés
- Mytravelchic.com
- Les agences physiques ne séduisent plus
- Le haut-de-gamme tire son épingle du jeu
- Miser sur le savoir-faire des agents
- L'e-tourisme en chiffres
- L'e-tourisme en chiffres
- Avis clients : 34 % en tiennent compte pour faire leur choix
- Pour en savoir plus...
1 Le digital bouleverse le secteur du tourisme
Depuis 2008, le secteur du tourisme subit une crise profonde. Les tour-opérateurs, notamment, affichent des résultats en berne. De début novembre 2012 à fin avril 2013, ils ont enregistré une baisse de 6,6 % de leur volume d'affaires (2,124 milliards d'euros). Plusieurs raisons expliquent cette situation.
Au-delà des causes conjoncturelles - Printemps arabe, crise économique, phénomènes climatiques et baisse de la consommation - les professionnels évoquent l'évolution structurelle du marché. À l'origine de celle-ci : le Web qui, depuis plus de dix ans, révolutionne les comportements de consommation et le marché de l'offre. Ainsi, à l'instar de nombreux secteurs, le tourisme n'a pas été épargné par l'impact du digital. Les usages et des attentes en matière d'expérience client ont profondément évolué. " Depuis dix ans, notre métier a bien changé. Avant, les clients venaient nous voir car ils étaient incapables d'accéder au produit directement. L'expérience s'avérait trop complexe. Aujourd'hui, ils peuvent tout gérer en ligne. Désormais, notre plus grand concurrent est le client lui-même ", constate Emmanuel Foiry, président de Kuoni, agence de voyages on et off line spécialisée dans les Maldives et l'Île Maurice.
Avec la montée en puissance du Web, les acteurs traditionnels tels que Fram, TUI ou encore Thomas Cook se retrouvent en concurrence avec des pure players distributeurs et destockeurs (Last Minute, Expedia, Ebookers, Voyage Privé, Promovacances, etc.) et des pure players producteurs et distributeurs, spécialisés dans le sur-mesure (Mytravelchic.com, Planetveo). Selon le Nouvel Économiste, " seulement 17 ans après sa création, l'Américain Expedia est devenu le tout premier vendeur de voyages dans le monde, avec 34 milliards de dollars de volume d'affaires. "
Aujourd'hui, les acteurs historiques peinent à faire face. Ils n'ont pas pris en compte suffisamment tôt l'utilisation massive du Web dans le parcours client. Selon la Fevad, 84 % des Français partis en vacances en 2012 sont passés par Internet pour préparer ou réserver leur voyage. L'e-tourisme se présente ainsi comme le premier secteur sur les achats en ligne, avec un chiffre d'affaires en France de 17,7 milliards d'euros et une croissance de 7 % en 2012.
Un bilan qui s'explique par l'appétence des consommateurs pour le selfcare, au détriment des agences physiques. Aujourd'hui, ces derniers préparent et achètent leur voyage sur le Web en toute autonomie et se fient aux commentaires des autres voyageurs. " Dans ce domaine, le prix détermine en grande partie le choix pour un même type de produits. Plus les offres sont simples, plus le prix a de l'importance. Ce qui n'est pas le cas si les consommateurs attendent de la personnalisation et du sur-mesure ", souligne Emmanuel Foiry (Kuoni). Pour obtenir ce type de prestation, le consommateur fait appel à un spécialiste, qui lui concocte un séjour personnalisé en fonction de ses envies. Selon Geoffroy de Becdelièvre, cofondateur de Planetveo (pure player du voyage sur mesure), ces offres connaissent une forte croissance : " Les ventes de voyages individuels "à la carte ou sur mesure" augmentent de 10 à 15 % par an, tandis que les voyages en groupe stagnent. "
Le secteur du tourisme n'a pas été épargné par la montée en puissance du digital. Baisse du volume d'affaires, mise en concurrence directe... les acteurs traditionnels ont du mal à faire face. Quant à lui, l'e-tourisme tire les profits de cette révolution digitale.
2 Les consommateurs réclament des voyages personnalisés
En lançant, en 2008, Planetveo (rebaptisé Marco et Vasco) , Geoffroy de Becdelièvre part du principe qu'il faut capter le consommateur sur le Web mais opérer l'ensemble des interactions client par téléphone ou par e-mail. Lorsque l'internaute tape le nom d'une destination dans Google - Planetveo est très bien référencé - il tombe sur une page spécifique à cette destination lui proposant la mise en contact avec un expert. " Le site sert exclusivement de point d'accueil pour se faire connaître et capter le maximum de clients potentiels. Nous réalisons l'acte de vente essentiellement par téléphone, car le sur-mesure en ligne n'existe pas. Pour instaurer une vraie relation et concevoir un voyage personnalisé, le conseiller, spécialisé dans la destination, doit prendre le temps de connaître les besoins de son client, développe Geoffroy de Becdelièvre. Pour cela, rien de mieux qu'un échange par téléphone pour en savoir un peu plus. "
Pour proposer ce type de prestation, les indicateurs tels que la DMT (durée moyenne de traitement) n'entrent pas en jeu. Le premier échange peut d'ailleurs durer entre 20 et 40 minutes. En revanche, l'envoi du devis se fait le plus souvent par mail, de même que le paiement.
En s'appuyant sur 140 experts, chacun spécialisé dans deux ou trois pays, l'entreprise mise avant tout sur sa connaissance des destinations. " Nous ne sommes pas un voyagiste. Nous offrons une expérience et la découverte d'une culture. Tout est fondé sur une relation personnalisée avec un interlocuteur unique de bout en bout du parcours client ", ajoute Geoffroy de Becdelièvre.
Certains acteurs n'hésitent pas à mettre en avant leurs experts voyage. Sur leurs sites, ces derniers se présentent en photo avec leur parcours et leurs destinations de prédilection. De cette façon, les pure players montrent que ce n'est pas parce que la relation se gère à distance (téléphone et mail) qu'elle est déshumanisée pour autant.
3 Mytravelchic.com
En 2012, Mytravelchic.com a fait voyager 10 000 clients. Créé en juin 2011, le tour-opérateur haut de gamme a déjà recruté 600 000 membres (dont 300 000 proviennent directement de Bazarchic.com) et devrait réaliser 15 millions d'euros de chiffre d'affaires en 2013.
Avec un panier moyen de 2 500 à 4 000 euros, Mytravelchic.com propose trois types d'offres sur son site : les ventes privées flash, les départs immédiats et les offres catalogue. " Il n'y a pas deux clients qui achètent le même voyage, car nous misons sur la personnalisation. Nous vendons de l'intime et non des box internet ", affirme Frédéric Savoyen, cofondateur de Mytravelchic.com.
Pour assurer cette promesse, le site s'appuie sur une équipe de spécialistes du voyage et du Web, qui s'attache à faire coïncider l'offre et la demande du client. Le pure player est à la fois producteur et distributeur de voyages. Il teste ses partenaires avant de les sélectionner. Pour les consommateurs, l'expérience est multicanal. Excepté le point de vente physique, Mytravelchic dispose de tous les canaux : téléphone, e-mail, Web et tchat.
Aujourd'hui, 60 % des réservations se font intégralement sur le Web. Les 40 % restants se répartissent en deux catégories : 20 % de clients appellent pour se rassurer et les autres 20 % pour organiser un séjour sur mesure.
La clé du succès de Mytravelchic, selon son cofondateur ? " Nous nous occupons de la totalité du voyage au meilleur prix. Les clients s'attendent à retrouver le même niveau de service qu'ils avaient auparavant en agence. ".
Certains pure players, dont Mytravelchic.com et Planetveo, ont su tirer profit du digital et ont réussi à concilier sur-mesure et on line.
4 Les agences physiques ne séduisent plus
Pourtant, selon une étude commanditée par Easyvoyage, celles-ci attirent peu de visiteurs : seulement 16 % des Français sont passés par une agence de voyages pour commander leurs vacances de printemps 2013.
Certains professionnels expliquent que le modèle comporte des limites, dans la mesure où deux à trois personnes en point de vente ne peuvent pas maîtriser chacune des destinations commercialisées. Si un client se déplace en agence, c'est justement pour obtenir des informations et des conseils précis, en complément de tous les éléments qu'il a déjà pu recueillir sur les forums et autres espaces communautaires.
Car, s'il y a bien un élément déterminant qui marque l'évolution du comportement du consommateur, c'est son niveau d'information. Les acteurs qui disposent d'agences physiques rétorquent en expliquant les bénéfices que les points de vente apportent. " L'agence renvoie à une réalité physique de la marque. Même si la vente n'est pas conclue sur place, l'entretien avec un conseiller permet de rassurer le client dans son choix, argue Emmanuel Foiry (Kuoni). Ce même conseiller répond aussi aux appels entrants. "
Plutôt que de renvoyer les appels entrants vers un centre de contacts, plusieurs tour-opérateurs préfèrent se reposer sur leurs collaborateurs en agence. C'est le cas de Thomas Cook, qui a d'ailleurs supprimé ses call centers et renvoyé l'ensemble des appels vers les agences (près de 900 personnes en France).
En réponse à ces nouveaux tour-opérateurs, les agences physiques présentent le seul avantage d'offrir une relation en face-à-face.
5 Le haut-de-gamme tire son épingle du jeu
Pour sa part, Directours, qui affiche une croissance de 8 % en 2012, privilégie une stratégie off line. Le pure player, spécialisé dans le haut-de-gamme, prévoit d'ouvrir huit agences d'ici à 2015. Cette décision a été motivée par l'ouverture d'un premier point de vente à Lyon en 2012, qui a été couronnée de succès. " Même si les clients ne poussent pas la porte de l'agence, sa présence rassure et donne une existence physique à notre marque. Depuis son ouverture, nous avons observé une progression de 30 % sur l'activité dans la région Rhône-Alpes ", explique Nouara Adrar, responsable du service réservations / SAV chez Directours.
Le tour-opérateur, qui vend des prestations identiques à d'autres acteurs, mise avant tout sur le service et la réactivité pour se distinguer. " Les clients peuvent utiliser la même compagnie et séjourner dans le même hôtel. En revanche, ce qui va permettre de faire la différence, c'est l'expertise de nos conseillers et notre réactivité. Nous rappelons les clients dans les 2 heures après une demande et nous avons un taux de décroché de 95 %. Il est primordial d'être réactif car, en quelques clics, le client envoie plusieurs demandes et zappe très vite ", note Nouara Adrar.
Autre valeur ajoutée mise en avant par le voyagiste : sa disponibilité par téléphone, tous les jours de 9 à 20 h, et le fait qu'il soit joignable par e-mail 24 h / 24, en cas de besoin lors du séjour. Comme pour les autres acteurs, Directours mise sur la prise en charge par un conseiller voyage unique.
À noter tout de même, la plupart des spécialistes du sur-mesure qui proposent un service personnalisé s'adressent à une clientèle CSP+, dont le panier moyen se situe entre 2 000 et 5 000 euros. Restent tous les autres pure players de l'"autopackaging" (Last Minute, Expedia, Ebookers, Voyage Privé, Promovacances, Voyages-sncf.com, etc.), qui drainent actuellement la croissance et répondent en majorité aux attentes des voyageurs d'aujourd'hui.
Même si les voyagistes traditionnels s'enlisent parce qu'ils n'ont pas su prendre le virage du Web suffisamment tôt, certains tentent de réagir.
TUI France envisage d'investir massivement dans les technologies digitales et le multicanal, de façon à ce que le client accède à une même offre en agence, sur le Web, sur mobile et sur tablette. Actuellement, le groupe réalise seulement 20 % de ses ventes sur Internet, contre 50 % en Grande-Bretagne.
Chez certains tour-opérateurs qui souffrent de la crise, l'heure est à la fermeture d'agences pendant que d'autres optent pour des stratégies off line qui font leur succès.
6 Miser sur le savoir-faire des agents
Thomas Cook, pour sa part, prévoit de séparer production et distribution. " Fabriquer des voyages et les vendre sont deux métiers différents ", a souligné Michel Résséguier, président de Thomas Cook, dans Le Figaro. Toujours selon le journal, le groupe prévoit de laisser sa marque Jet Tours élaborer les voyages pendant que la marque Thomas Cook se positionnera comme l'enseigne des agences.
Sur son blog, Françoise Gri, présidente du groupe Pierre et Vacances Center Parcs depuis 2012, partage ses convictions sur la valeur ajoutée que les acteurs historiques peuvent apporter au consommateur. " Les clients attendent des acteurs du tourisme une spécialisation fine sur un type d'expérience de voyage, du conseil, un engagement personnel et un sens de la relation. Il faut encourager les maîtres d'hôtel à investir le Web social pour entrer en contact direct avec les résidents actuels. Leurs connaissances permettent de fournir un service fondé sur des informations très qualifiées, que le client ne pourra pas trouver à travers une recherche sur Internet. Ce savoir-faire humain reste hors de portée des agences en ligne comme Booking.com. C'est une force sur laquelle les professionnels doivent s'appuyer pour faire la différence. Voilà un des axes majeurs sur lesquels je compte insister dans les prochains mois ", indique-t-elle.
Chez Selectour Afat, on s'attaque au cross canal et à la mobilité. L'entreprise prévoit la sortie de son nouveau site web et d'applications mobiles en décembre 2013. " Après trois ans de transition, nous devons prendre des parts de marché sur le Web et le mobile. Nous devons être dans la poche des clients ", a déclaré Jean-Pierre Mas, président de Selectour Afat, lors du salon Top Resa 2013.
Alors que les pure players se sont confortablement installés sur le marché, les acteurs historiques commencent tout juste à répliquer en adoptant une stratégie cross canal et digitale. Cette réaction semble bien tardive au regard d'autres secteurs qui ont depuis longtemps pris le train en marche.
Les acteurs traditionnels possèdent une véritable connaissance de l'expérience voyage. Une valeur ajoutée grâce à laquelle ils souhaitent marquer leurs différences.
7 L'e-tourisme en chiffres
8 L'e-tourisme en chiffres
- En 2013, 38 % des consommateurs consultent les forums pour préparer leur voyage.
- En 2012, l'e-tourisme représentait 33 % des parts de marché de l'e-commerce, devant le sexe et les sites de rencontres (27 %), suivi des sites de jeux et de paris en ligne (20 %).
- 35 % des internautes ont déjà préparé leurs vacances depuis leur mobile et 10 % ont déjà acheté des produits touristiques depuis leur smartphone.
- 96 % se disent influencés par les avis de leurs amis sur les réseaux sociaux.
Sources : Fevad et Observatoire des usages du digital (AFRC / Orange / groupe Colorado).
9 Avis clients : 34 % en tiennent compte pour faire leur choix
Le tourisme est, de loin, le secteur qui engendre le plus d'avis clients en ligne, TripAdvisor étant le premier générateur. Même si les internautes ne peuvent plus s'empêcher de consulter les commentaires sur un hôtel ou un restaurant, les avis clients suscitent encore la méfiance.
Selon une étude de Yuseo, sur les 91 % des consommateurs qui consultent les avis clients pour un voyage, seuls 34 % les intègrent vraiment dans leur processus de décision. S'ils sont majoritairement intéressés par les commentaires en ligne, les cybervoyageurs restent encore peu enclins à déposer le leur.
Ainsi, seuls 33 % d'entre eux donnent leur opinion sur les réseaux sociaux. Au total, sur les 67 % de consommateurs qui ne laissent aucun avis, 35 % vont privilégier le partage verbal et 32 % gardent l'information pour eux. Parmi les 33 % de personnes qui s'expriment suite à leur périple, 9 % le font sur leur propre blog et 9 % plutôt sur les sites indépendants spécialisés. Légèrement derrière, 8 % des internautes postent leurs commentaires sur le site de l'enseigne avec laquelle ils sont partis, devant les blogs de consommateurs (7 %).
Vue d'ensemble des chiffres de l'e-tourisme et de l'importance des avis clients.
10 Pour en savoir plus...
Mobile : la révolution programmée du e-tourisme
Les réservations de chambres d'hôtels via les smartphones explosent, au même titre que celles effectuées pour le soir même. Un terrain propice à l'émergence d'un nouveau modèle d'applications mobiles, favorisant des offres quotidiennement renouvelées, à des prix très agressifs.
Inconnu en France il y a encore deux ans, le site de locations Airbnb est devenu le premier lieu à visiter avant de partir en vacances. Louer un loft à New York, une villa dans le Var, un château en Espagne, tout est possible sur ce site. Imaginé par un trio d'Américains malins, en 2008, la plateforme mondiale a déjà séduit 4 millions de voyageurs dont 3 millions en 2012. Ce succès phénoménal repose sur une technique qui fait recette sur le Web, les recommandations des internautes.
Fram propose une formation 100% on line à ses agents
Le tour-opérateur vient de mettre en place " FRAM Training ", un dispositif de formation à distance et d'accompagnement pour les agents de voyages. La vocation de ce programme en ligne : leur permettre de mieux connaître les produits pour mieux conseiller les clients.
Le Club Med se lance dans la cocréation
L'appli Facebook participative conçue par KRDS permet aux fans d'imaginer le nouveau village de Val Thorens.
Avis de consommateurs : la norme Afnor en bonne voie
Après un an de travaux et une consultation publique, la norme Afnor encadrant les pratiques concernant la gestion des avis de consommateurs devrait voir le jour au plus tard en mai prochain. Retour sur les principes de cette norme.
Pour plus d'informations sur l'e-tourisme, nous vous invitons à consulter ces liens complémentaires.
Sur le même thème
Voir tous les articles Stratégies