Créer des programmes de fidélité VIP
S'éloigner des traditionnelles cagnottes, points, bons cadeaux.. pour proposer des services personnalisés devient la tendance des nouveaux programmes de fidélité. Une stratégie qui s'apparente à une relation-client sur mesure, avec un traitement de plus en plus vip.
Les mécaniques à points, qui dominent encore largement les programmes de fidélité, auraient-elles du plomb dans l'aile? Selon la dernière étude Audirep*, seulement 40% des Français jugent ces mécaniques généreuses et 55% d'entre-eux estiment que les programmes de fidélité se ressemblent tous. Or, 70% des entreprises déclarent qu'il revient moins cher de garder un client fidélisé que d'en acquérir un nouveau. Dans ces conditions, comment rénover les programmes de fidélité des enseignes pour renouveler leurs liens avec leurs clients?
1/Offrir moins de transactionnel, mais plus de relationnel
Sortir de la traditionnelle mécanique de récompenses liée au volume d'achat pour aller vers une véritable logique d'avantages: c'était l'objectif du supermarché en ligne Houra.fr, qui, l'an passé, est allé à la rencontre au domicile de ses clients pour les sonder sur leur perception de son programme de fidélisation. Comme l'explique Marion Remy, directrice communication et marketing du cybermarché, l'ancienne mécanique était davantage assimilée à une démarche commerciale qu'à un programme de fidélisation: "Nos clients attendaient une reconnaissance plus forte, prenant en compte leurs besoins et leurs souhaits."
Houra a donc mis en place, pour ses meilleurs clients, des services fidélisants tels que le complément de dernière minute avant livraison ou encore la livraison de dépannage après avoir été livré, sans frais supplémentaire. Et ça marche. "Ce nouveau programme a créé, chez nos clients, de l'engagement." Depuis son lancement en mai 2016, les questions et les suggestions fusent. Du coup, le service clients, actuellement composé d'une dizaine de conseillers, est souvent sollicité pour accompagner les clients dans l'utilisation de ces nouveaux services. Ce qui multiplie les occasions de contacts..."
?2/ Faire comprendre aux clients qu'ils sont des "happy few"
Autre tendance lourde, la notion d'exclusivité, de privilège réservé à une poignée de privilégiés. Sur ce point encore, Houra fait figure de référence. Pour matérialiser le lien que tisse l'internaute avec son hypermarché en ligne, le cybermarché a créé une carte de fidélité physique, statutaire, indiquant le nom du client et la date de sa première commande."L'idée est d'inciter les membres à comparer leurs avantages actuels à ceux du niveau supérieur", confie la directrice marketing. A la façon d'un programme fidélité de compagnie aérienne, H!P H!P H!P houra, 100% gratuit et automatique, se décompose en quatre statuts fidélité qui prennent en compte le nombre de points cumulés au gré des commandes de l'année écoulée: Pearl, Silver, Gold et Black. "L'objectif est de faire entrer le client dans un cercle vertueux", commente Marion Remy. ?
Dans cette même logique de sélectivité, PriceMinister a créé, en mai dernier, un programme baptisé PriceClub. Ses membres, qui adhèrent gratuitement, sont récompensés pour leurs achats, leurs ventes et leurs contributions non marchandes. Ce système permet de développer le sentiment d'appartenance à un groupe, et donc de reconnaissance, chez le client membre. Coûteux (PriceMinister évoque un budget fidélisation multiplié par 5!), le programme a toutefois donné d'excellents résultats en terme de recrutement: le budget d'acquisition aurait fondu de 30%. On voit bien là, le virage adopté avec ce rééquilibrage des investissements.
3/ Se concentrer sur les clients vraiment fidèles
"Un changement s'est opéré ces dernières années, analyse Raphaël Hodin, directeur général d'Highco Box. Récompenser 100% de sa base clients ne s'avère finalement pas rémunérateur. En revanche, miser sur ceux qui génèrent réellement du business se révèle plus judicieux. A titre d'exemple, 2,4% de la population française réalisent 80% des achats de la bouteille d'eau Vittel. D'où l'idée de toucher ce petit pourcentage de clients fidèles, de manière à en faire de vrais ambassadeurs de marques".
Ce qui passe par l'identification de cette catégorie de clients. Mais aussi par la question de la générosité. "Un programme de fidélité dans une enseigne alimentaire coûte entre 1 et 3% de son chiffre d'affaires", rappelle-t-il. C'est colossal pour l'enseigne mais rapporté à chaque client, c'est minime. D'où l'idée d'innover. C'est l'idée suivie par le trio Cora, Mondelez, Unilever. Les marques PGC financent des coupons ciblés par les clients, et le distributeur procède à la mise en avant de ces marques sur son site et sur des leaflets en points de vente... "C'est la méthode qui se déploie le plus actuellement ", observe-t-il.
4/ De petites attentions qui peuvent rapporter gros!
"Nous ne raisonnons plus par segments mais par scénarios définis en amont, affirme Raphaël Hodin, d'Highco Box. Et la créativité est sans limite...". Par exemple, un client privilégie exceptionnellement une compagnie aérienne pour faire un voyage. Celle-ci détecte ce passager inhabituel et adresse un mail à l'hôtesse, avec son numéro de fauteuil pour qu'elle puisse personnellement le remercier d'avoir choisi la compagnie.
Autre initiative, celle de l'épicier Bio C'Bon qui propose à ses clients fidèles qui partent en vacances d'arroser leurs plantes en leur absence. "Dans les deux cas, la valeur perçue par le client est importante, juge-t-il. C'est vraiment fidélisant."
5/ Proposer du sur-mesure: les banques montrent l'exemple
Les programmes de fidélité appliqués par la majorité des banques françaises depuis des années sont très coûteux: en moyenne 25 millions d'euros par banque et par an. Traditionnellement, ils reposent sur un système de points donnant accès à un catalogue de produits. Non adaptés aux nouveaux modes de consommation des clients, ils sont obsolètes. D'où l'attention portée aux nouvelles initiatives fondées sur l'expérience.
Ce que confirme l'étude Audirep 2016 * "79% des consommateurs attendent de la personnalisation", peut-on lire dans le rapport. En l'occurrence, ici, la mécanique de fidélisation repose sur l'analyse individuelle des transactions carte. Le système sélectionne des réductions adaptées aux habitudes de consommation du client, qui sont converties en cashback sur son compte bancaire. Simple et efficace. Selon les projections d'EY, les deux tiers des banques mondiales envisageraient d'adopter cette démarche. Les banques françaises ne devraient plus tarder.
Lire aussi : Paroles de conseillers & de managers – Auchan
* Etude Audirep, sur un échantillon de 1 002 Français de 18 à 64 ans menée au printemps 2016
Pour aller plus loin:
Programmes de fidélité: 35% des consommateurs souhaitent plus de personnalisation
Programmes de fidélité: lequel privilégier?
Frédéric Boublil, fondateur du cabinet de conseil en stratégie www.boublil-conseil.fr et spécialiste de la distribution, partage son expérience sur les conditions pour élaborer et exécuter un programme de fidélité performant.
- Pourquoi les programmes de fidélité doivent-ils évoluer?
Au départ, les cartes de fidélité s'appuyaient sur les données transactionnelles des caisses. Celles-ci étaient (superficiellement) analysées par le marketing et complétées par des insights quali. Il en résultait des campagnes relativement peu personnalisées et surtout contraintes par un cadre publi promotionnel qui octroyait l'essentiel des moyens aux actions de masse.
La relation client trouvait alors son territoire d'expression via la carte de fidélité, qui coûtait environ 2% du CA de l'enseigne et qui, in fine, n'apportait pas de différentiation car toutes les enseignes se retrouvaient sur des mécaniques proches, et avec un travail de segmentation client trop limité. Cette approche est à bout de souffle: elle est coûteuse, insuffisamment ROIste et rarement différenciante.
Elle est dépassée aussi, car l'accès à l'information et l'évolution du parcours d'achat bouleversent les règles du jeu. Le contact client ne se fait plus exclusivement en magasin: au contraire, c'est le web qui, dans l'écrasante majorité des actes d'achats (hors alimentaires), est le premier point de contact. Ecouter le client, c'est savoir tracer son parcours d'achat, en magasin, sur le(s) site(s) marchand(s), sur les réseaux sociaux, et via le service client. Pas facile de faire en sorte que tous ces services se parlent, ... et pas facile non plus de collecter l'ensemble des informations et de les interfacer! Or, là réside la capacité d'un d'une enseigne à construire un programme de fidélité personnalisé en fonction des segmentations clients et des moyens de l'enseigne.
- Comment les enseignes doivent-elles s'y prendre pour s'adapter à cette mutation?
Il faut tout d'abord repenser l'allocation des moyens: moins de saupoudrage et plus d'actions structurantes (sans pour autant arrêter de tester des nouvelles idées ou applis), une réorientation des dépenses vers des campagnes personnalisées, et la mise en place progressive d'une culture ROIste.
Ensuite, il faut réfléchir à l'organisation: la relation-client est transversale puisqu'elle impacte tous les services, en magasin, au marketing, au service client, mais aussi à la supply chain ou aux SI.
Le directeur de la relation client, c'est donc le PDG. C'est pour cela qu'à tous les comités exécutifs de Darty, les dirigeants de l'enseigne font un état des remontées clients les plus marquantes et dans ce cadre et sollicitent directement des opérationnels, directeurs de magasins ou directeur des ventes.
Enfin, maîtriser la relation client, c'est maîtriser la techno. Les DSI deviennent les business partners des directeurs du CRM : ils évaluent avec ensemble les systèmes et technologies les plus appropriés à la stratégie client.
- Et en termes de contenu, comment les programmes de fidélité doivent-ils évoluer ?
La question-clé est: comment l'enseigne me récompense-t-elle de ma fidélité ? Pour y répondre, les programmes reposent classiquement sur 2 piliers : un pilier marchand (c'est le cash back, les cadeaux, ou tout autre mécanique de récompense et un pilier "serviciel" (ce sont les avantages que vous avez à être un gros client: par exemple, livraison gratuite, invitation en avant-première...)
Dans ces deux domaines, l'enjeu consiste à concilier un bénéfice client pertinent avec les contraintes économiques de l'enseigne. Une segmentation client pertinente permet de proposer des mécaniques sur-mesure, en conformité avec les attentes de chaque segment (par exemple, pourquoi proposer -30% à une personne qui achèterait à -20%, mais qui, en revanche, souhaiterait pouvoir pré-réserver son produit). Elle contribue par ailleurs à humaniser la relation, avec un message personnalisé, qui vise juste.
Je compléterai en notant que la dimension émotionnelle est encore insuffisamment travaillée dans les programmes de fidélité. C'est pourtant sur ce plan que les enseignes dites traditionnelles peuvent créer un gap face à Amazon, qui excelle dans la relation transactionnelle, mais qui sera toujours un distributeur "froid". Les neurosciences favoriseront cette évolutions: avec les "data émotionnelles", les marques pourront plus finement détecter les stimuli, et ainsi bâtir des campagnes plus pertinentes et plus ciblées.
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