DossierMarques et innovation: allier créativité et agilité
Loin des effets gadgets liés aux nouvelles technologies, l'innovation se conjugue avec facilité d'usage, fluidité du parcours et personnalisation de l'offre. L'écoute et l'humain restent plus que jamais les piliers de la considération client.
Sommaire
- Innover avec des technologies plus humaines
- Tenir ses promesses
- Innover pour simplifier
- Les moments de vérité ou de surprise sont attendus par les consommateurs
- Des moments de signature
- La techno à gogo
- Deejo: la voix comme support d'innovation
- "Nous innovons pour créer la confiance", Allianz France
- "L'innovation est dans l'humain!"
- Quelle est la place de l'expérience client dans la transformation digitale des entreprises?
1 Innover avec des technologies plus humaines
L'innovation dans la relation client n'est peut-être pas celle que l'on croit. Loin des labs, des départements R&D et des nouvelles technologies apprenantes, l'expérience client fait peau neuve dans sa dimension responsable. Dans un contexte sociétal où les consommateurs s'inscrivent eux-mêmes dans des démarches raisonnables et raisonnées (alimentation, écologie, consommation...), ils n'en attendent pas moins des marques et des entreprises. Plus du tiers des Français attendent des marques qu'elles aient un rôle sociétal et s'engagent, selon l'Observatoire Wellcom du sens.
Qu'est-ce que cela signifie en termes d'expérience client? Tout d'abord, que ce département doit être au coeur de la transformation digitale des entreprises au regard des enjeux. Ensuite, que les moyens mis en oeuvre (qu'ils soient techniques ou non) servent une stratégie claire et lisible par tous les collaborateurs. "Avant de s'engager dans une démarche innovante, l'entreprise doit s'assurer que le parcours client déployé est spécifique à la marque et qu'il est identifié en tant que tel. La condition sine qua non, c'est que le projet soit accepté en interne en mode open innovation. Il ne faut pas oublier que le premier client en interne, c'est le collaborateur. Ensuite, au-delà de la prise en considération du client, les marques doivent être en capacité d'anticiper les besoins des consommateurs. Une culture du service client, c'est avant tout une culture d'entreprise", analyse Brice Auckenthaler, associé et cofondateur du cabinet Tilt Ideas.
Lire aussi : Le prix reste prioritaire pour les Français, mais l'expérience client devient essentielle
Les moyens mis en oeuvre servent une stratégie claire et lisible par tous les collaborateurs
Même constat chez Bearing Point: "Il y a une accélération très forte des entreprises sur le sujet de l'innovation technologique mais elles doivent maintenant s'orienter vers une innovation organisationnelle et sociale. L'enjeu pour ces entreprises est d'installer de l'intelligence émotionnelle dans la relation", note Muriel Monteiro, associée expérience client et innovation.
2 Tenir ses promesses
La relation qui unit le client et la marque est désormais nourrie par un discours de preuve. Preuve d'un engagement réciproque, sincère et authentique. La deuxième édition du baromètre X Index de BETC Digital confirme la tendance puisque l'item sur "la marque tient ses engagements" a été classé comme le facteur le plus influent de l'expérience client en France: 30% pour les bricks & clics et 27% pour les digital natives. "Un critère qui montre qu'aujourd'hui les actions parlent plus que les mots. Les consommateurs ont tendance à juger une marque non sur ses promesses, mais sur sa capacité à les tenir", explique Olivier Vigneaux, CEO de l'agence.
"La véritable innovation est dans l'usage des nouvelles technologies au service d'une nouvelle vision de la relation client", Olivier Vigneaux (BETC Digital)
Les exemples se multiplient. La Maif, éternelle championne des podiums de la relation client a inscrit l'obsession client dans sa charte relationnelle et le prouve via une écoute client irréprochable. La Camif, pour sa part, joue la carte de l'emploi locale et crée 160 postes dans la ville des Deux-Sèvres. Fin août, 30 multinationales ont aussi signé le "Fashion Pact" destiné à réduire la pollution de l'industrie textile. Suez, groupe français de gestion de l'eau et des déchets, souhaite devenir un leader de l'économie circulaire et bas carbone. Pour cela, il a inscrit 17 engagements à son agenda 2017-2021 et dresse un état des lieux régulier du niveau d'avancement des chantiers. Autant de marques qui démontrent qu'au-delà des intentions, les actes figurent à l'ordre du jour de leurs stratégies. "On vit un tournant et on quitte l'euphorie de la technologie pour aller vers l'usage. L'heure de la responsabilité, de la solidarité et du sens est venue pour les marques dans leur dialogue avec les consommateurs", analyse Serge Biscard, Head of Engagement et Performance Marketing chez Ogilvy.
3 Innover pour simplifier
Innover, mais pour quoi faire? Telle est la question récurrente à laquelle il convient de répondre. Selon Arielle Bélicha-Hardy, D-ga de Kantar division insights, la réponse est claire: "Le seul critère retenu par le consommateur face à ces initiatives innovantes, c'est la simplification de l'usage et de la relation. Or, la simplicité, c'est de la complexité digérée, il faut donc que les entreprises anticipent les attentes des clients et intègrent les données en suivant une stratégie claire orientée "customer centric". Les marques doivent surprendre le client - de plus en plus exigeant - grâce à de nouveaux modes d'échange". " Le "waouh effet" n'est pas seulement technologique, il doit être humain aussi. Le consommateur doit en tirer bénéfice. L'innovation, c'est aussi l'expérientiel ", complète Muriel Monteiro.
4 Les moments de vérité ou de surprise sont attendus par les consommateurs
"La véritable innovation est dans l'usage des nouvelles technologies au service d'une nouvelle vision de la relation client. Nous sommes entrés dans l'ère de la pertinence et de la personnalisation. Le défi des marques est de tenir cette promesse en réussissant à orchestrer ces technologies, au-delà du volet transactionnel. Cela devient difficile car, pour les consommateurs, la dernière meilleure expérience devient la norme", développe Serge Biscard de chez Ogilvy.
Pour relever ce challenge, des initiatives émergent. Puisque l'engagement du consommateur se nourrit de l'ADN de la marque, certaines donnent accès à leurs coulisses pour partager des moments exclusifs. À l'instar de la marque Van Cleef & Arpels qui a ouvert ses portes au grand public en lançant la première école d'initiation à la joaillerie et à l'horlogerie. La marque de luxe propose des cours de découverte et d'expérimentation. "La banque américaine Umpqua s'illustre dans la gestion de son expérience client avec deux exemples: d'abord un accès direct au président de la banque avec une ligne disponible pour les clients en agence, et des affiches en vitrine qui font la promotion des commerçants du quartier pour démontrer l'ancrage local du partenaire financier", témoigne Brice Auckenthaler.
5 Des moments de signature
La personnalisation fait partie du pack émotionnel qui unit la marque et le consommateur. Pour cela, il faut faire preuve de flexibilité, de transparence et d'une maîtrise de la donnée client. La personnalisation est plébiscitée avec des innovations data driven à l'instar de cette boutique Nike à Los Angeles qui pilote ses collections en fonction des données locales. "Elle élabore des collections de façon personnalisée en fonction des demandes et des attentes des clients voisins, témoigne Olivier Vigneaux. Le défi à venir pour les marques réside dans leur capacité à insuffler leur signature dans n'importe quelle expérience, à créer ce que nous appelons des "moments de signature", des empreintes mémorables."
6 La techno à gogo
Même si l'humain reste au coeur du contrat émotionnel, les marques doivent faire face à l'inexorable intrusion des nouvelles technologies dans l'expérience client. Selon l'étude "Experience 2030: The Future of Customer Experience"*, publiée par Futurum Research et réalisée par SAS, la technologie constituera le principal moteur de la transformation de l'expérience client. D'ici 2030, pas moins de 67% des interactions entre les marques et les consommateurs à l'aide d'appareils numériques seront traitées par des machines intelligentes plutôt que par les intervenants humains d'aujourd'hui. Et 69% des décisions lors des interactions clients seront prises par des machines intelligentes.
De fait, 62% des marques investissent dans des assistants vocaux basés sur l'IA pour l'assistance client et l'amélioration des stratégies d'interaction client. 58% investissent dans l'IA vocale en tant qu'outil interne de marketing et de vente. Plus de 50% des marques investissent par ailleurs dans la réalité augmentée et virtuelle afin d'aider les consommateurs à visualiser à distance l'aspect ou l'utilisation d'un produit ou d'un service. Et 53% sont à la recherche d'outils de réalité augmentée ou de réalité virtuelle pour améliorer l'utilisation des produits et l'auto-assistance.
Bonne nouvelle, les consommateurs se disent prêts à accepter ces nouvelles technologies émergentes dans leur rapport aux marques d'ici à 2030. Dans 10 ans, le monde aura bien changé et l'innovation offrira de nouvelles perspectives aux marques pour inventer des parcours client à la fois ludiques et performants.
*En mai 2019, Futurum Research a lancé une enquête auprès de plus de 4 000 panélistes (consommateurs, industries et secteur public) dans une trentaine de pays.
Les marques, non contentes d'investir dans les nouvelles technologies au service de la relation client, doivent désormais apprendre à les faire entrer dans les usages.
7 Deejo: la voix comme support d'innovation
Comment créer une expérience mémorable lors de l'achat d'un couteau de poche? C'est le défi relevé par Luc Foin et Stéphane Lebeau, les deux fondateurs de la marque Deejo qui propose des objets personnalisables. "C'est l'histoire d'un objet, tout sauf accessoire, qui porte sur sa lame, l'âme de son propriétaire", promet la communication de la marque. Lancé en 2014, le site propose une expérience 3D pour découvrir la gamme de produits et commander en ligne.
"Très vite, nous avons séduit les urbains actifs, âgés entre 35 et 70 ans et sensibles aux beaux objets. Nous avons vendu 300000 couteaux en 2018 et notre activité est en hausse de 30% en 2019", détaille Luc Foin. L'activité e-commerce représente 30% des ventes qui représentent huit millions d'euros en 2019. La marque est présente dans 40 pays à travers le monde mais la France reste le marché leader. Avec pas moins de 10000 configurations possibles (choix des matériaux du manche, de la lame, du texte à graver, des tatouages sur la lame...), les couteaux Deejo peuvent être également configurés chez les 1000 points de vente revendeurs ou dans la toute nouvelle boutique du Marais à Paris. "Très vite, nous avons cru dans le potentiel de la voice technology. L'application vocale "Dis Joe" a été lancée en France en mars 2019. Il s'agit de notre propre écosystème et nous lancerons en 2020 avec notre partenaire Ingenico, une solution de paiement vocal sans avoir à revenir sur le site pour finaliser la transaction", annonce Luc Foin.
Lire aussi : Sellsy fait évoluer son CRM avec l'IA
"La personnalité de la marque doit se lire dans l'interface vocale. Le ton employé crée une rupture", précise Olivier Vigneaux, CEO de BETC digital qui accompagne la marque depuis ses débuts. Après six mois d'usage, l'utilisation de cette technologie est encore balbutiante puisque le paiement via mobile représente moins de 1% du volume des ventes. "Les consommateurs sont encore dans la découverte de la technologie, mais nous y croyons", assure Luc Foin. Ce qui est sûr, c'est que "Dis Joe" a su créer un univers de marque original et mémorable. C'est déjà bien...
La jeune marque de coutellerie Deejo propose une expérience d'achat intuitive et décalée sur son application mobile.
8 "Nous innovons pour créer la confiance", Allianz France
La voix du client est portée au Comex d'Allianz France. Qu'est-ce que cela traduit en termes d'organisation et de stratégie de l'entreprise?
A.S.G: Notre objectif est d'avoir une organisation totalement cohérente avec les nouveaux besoins des clients. Nous avons créé, depuis deux ans, la direction service client qui a été élargie à tous les segments clientèle. Cette nouvelle direction, représentée au Comex, regroupe donc tous les collaborateurs qui sont en contact avec les clients finaux ou intermédiaires. L'objectif est d'unifier nos pratiques et de mettre au centre de nos préoccupations la gestion de bout en bout de la relation client, et surtout son amélioration constante. C'est une organisation qui n'a pas d'équivalent chez nos concurrents.
J.B: Un enjeu clef consiste à faciliter la vie de nos clients en développant de nouveaux services digitaux et en mettant en place des briques technologiques permettant d'accélérer les parcours.
Quelle organisation déployez-vous en interne autour de l'innovation?
A.S.G: Toutes nos actions liées à l'innovation doivent nous permettre de devenir influenceurs du marché. Nous mettons en place un dispositif global qui inclut des actions en interne pour embarquer l'ensemble de nos collaborateurs à travers la co-création intraprenariat, l'innovathon (hackathon interne) mais aussi à l'externe avec notamment le lancement d'InnovAllianz, un fonds d'investissement stratégique dédié au financement de start-up qui bousculent aujourd'hui le marché de l'assurance.
Quels sont vos projets globaux autour de l'intelligence artificielle?
J.B: Nous mettons en place des solutions, grâce aux technologies apprenantes, qui nous aident à traiter plus rapidement les demandes de nos clients. Nous venons de lancer une plateforme unique d'IA baptisée "Ask", qui permet d'améliorer le parcours client grâce à une utilisation avancée de la donnée. Elle propose deux solutions: "Ask Mail" analyse les e-mails et assiste chaque année et en temps réel les collaborateurs dans le traitement de près d'un million de courriels, car cette technologie comprend la nature des demandes formulées et détecte leur niveau d'urgence. D'autre part, "Ask Bot" est un robot téléphonique qui permet aux agents de poser oralement des questions pour une redirection en temps réel vers le conseiller le plus pertinent. Nos projets portent aussi sur la personnalisation. Dans le cadre d'indemnisation journalière en cas d'arrêt maladie, nos technologies de scoring et de data permettent de détecter les profils de clients à qui l'on peut naturellement faire confiance en simplifiant les contrôles pour un remboursement immédiat.
A.S.G: L'innovation doit être au service du client. Grâce à ces technologies, les équipes peuvent se repositionner sur des sujets qui créent plus d'empathie, d'intimité et de proximité avec le client. Nous innovons pour créer la confiance. En 2019, Allianz est classée n°1 du baromètre "Best Global Brands" du cabinet américain Interbrand. Cela témoigne de notre capacité à déployer des stratégies en rupture sur le marché de l'assurance grâce à l'innovation.
Quelle est votre stratégie "customer centric"?
J.B.: Nous cherchons à personnaliser les parcours dès l'entrée en relation et tout au long de la vie du client, notamment en prenant en compte dans tous les points de contact une meilleure connaissance du client. Nous travaillons aussi à simplifier les process, en mettant l'accent sur un moment clef dans notre secteur, le remboursement suite à un sinistre.
Anne-Sophie Grouchka,membre du comité exécutif et directrice du service client d'Allianz France, et Jean Boucher, directeur de l'expérience client, de l'intelligence artificielle et du big data d'Allianz France, reviennent sur la prise en compte des besoins du client.
9 "L'innovation est dans l'humain!"
Quelle est, selon vous, la place de l'innovation dans l'expérience client?
SD&LB: On a cantonné l'innovation à des sujets techniques qui sont des solutions de surface. Or, l'innovation est tout sauf un sujet technique. Ce qui est révolutionnaire, c'est de donner aux acteurs de l'expérience client les moyens de délivrer des solutions à des problématiques d'usage. Cela revient à révéler le "quoi" et à créer le "comment y parvenir". Plutôt que d'aller chercher des innovations technologiques et de leur trouver des débouchés, il faut faire l'inverse et observer les consommateurs dans leur situation d'usage et régler leurs problèmes. Pour cela, il faut faire remonter la voix du client.
10 Quelle est la place de l'expérience client dans la transformation digitale des entreprises?
SD & LB: Ne parlons pas de transformation digitale car ce sont souvent des échecs. Parlons plutôt transformation avec l'humain au coeur. Le digital vient en support. La France est très en retard sur le sujet de l'expérience client. Ce n'est pas un pays qui a la culture du service. La centricité client est un moyen d'accompagner le changement. Elle permet à l'interne de diffuser un état d'esprit et une langue commune qui cimente les collaborateurs. Et cela introduit des nouvelles façons de travailler qui permettent d'aligner l'action sur la promesse de la marque. Le signal fort en entreprise est la nomination d'un responsable de l'expérience client qui siège au board. Cela indique que la transformation est en cours.
Comment voyez-vous évoluer la relation entre la marque et le consommateur?
SD & LB: Elle est au coeur de l'innovation. Il faut mettre en place des dispositifs de collecte et d'écoute de la voix du client sur l'ensemble des points de contact. Cela permet de redonner le pouvoir aux collaborateurs qui sont au contact des clients pour changer l'expérience au quotidien et nourrir sa connaissance. Il y a deux acteurs: le client et l'entreprise. Et le troisième est la situation d'usage (retour produit, échange, réparation...) Et cela, c'est nouveau. Tant que l'entreprise n'aura pas introduit la situation, elle aura du mal à utiliser le bon canal au bon moment. C'est un élément à prendre en compte car l'expérience client s'incarne dans les accidents davantage que dans des parcours fluides. L'expérience client doit inclure toutes les situations.
Lire aussi : Quelles sont les attentes de la Génération Z ?
Quelles entreprises ou marques font preuve d'innovation dans ce ce domaine?
SD & LB: Les secteurs de l'hôtellerie, le retail, les mutualistes mais aussi les compagnies aériennes sont précurseurs. Certaines marques en France font figure d'exemple comme Accor, la Maif, IBM, Procter, Starbucks... Et toutes les plateformes issues de la nouvelle économie.
Quelles sont les étapes d'une relation durable?
SD & LB: La responsabilité des entreprises est d'incarner les valeurs de la marque dans des promesses tangibles. Elles doivent agir avec respect et considération du client. La première étape est de respecter ce contrat de base. Livrer la promesse. C'est déjà bien. La fidélité du client découlera, dans un second temps, de l'excellence opérationnelle de la marque.
*L'expérience client en pratique, éditions Eyrolles, novembre 2019, 152 pages.
Sylvie Daumal et Laurence Body, auteures de "L'Expérience client en pratique", se positionnent contre une innovation déconnectée de l'humain et des situations d'usage.
Sur le même thème
Voir tous les articles Veille & Tribune