Opportunités ou opportunisme ?
Toutes proportions gardées, la délocalisation off-shore des centres de contacts a dépassé le simple effet de mode. Pressés par les donneurs d'ordres, les outsourcers tentent de réduire leurs coûts en délocalisant tout ou partie de leurs activités au Maghreb, en Afrique ou encore en Europe de l'Est. Une entreprise qui mérite une vraie réflexion, car opportunités et coûts cachés se côtoient sans complexe.
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La délocalisation off-shore des centres de contacts suscite encore quelques
débats passionnés. Si le phénomène se confirme, son périmètre reste encore
restreint. Selon le Cesmo, seulement 24 % des entreprises déclarent réfléchir à
une possibilité de délocalisation de leur centre de contacts. Parmi elles, 40 %
opteraient pour l'off-shore et 60 % pour le territoire national. Aujourd'hui,
les adeptes de l'off-shore sont majoritairement les outsourcers. « Ils ne
représentent que 20 % des centres d'appels, précise Emmanuel Richard, directeur
de l'activité relation client du Cesmo. Ainsi, sur la masse totale des centres
d'appels en France, seuls 2 % des centres d'appels sont concernés par ce type
de délocalisation. » L'impact de la délocalisation à l'étranger sur l'emploi en
France n'est pas excessif. « Les métiers du centre d'appels représentent 200
000 emplois en France contre 5 000 à 6 000 pour le Maroc et la Tunisie groupés,
estime Eric Dadian, président d'Intra Call Center et de l'AFRC. La France a
encore de nombreuses cartes à jouer notamment celles de la technologie et de la
montée en compétence. Sans compter que toutes les ressources de la province
n'ont pas fini d'être explorées. » Il n'en reste pas moins qu'en France, le
poids du coût de la masse salariale, un turn-over élevé, les contraintes
réglementaires… pèsent sur la gestion des centres d'appels. Certaines régions
du monde jouent donc la carte des coûts salariaux plus compétitifs, de la
flexibilité, de l'accès à des populations fortement diplômés pour attirer les
centres d'appels sur leur territoire. Pour les candidats à l'implantation
off-shore, un certain nombre de critères économiques et sociaux sont à observer
de près. Une première liste se dessine avec, notamment, le Maroc, la Tunisie,
la Roumanie et l'Ile Maurice. Sous l'angle des aptitudes, le Maroc et la
Tunisie disposent d'une meilleure fluidité orale que la Roumanie qui se
positionne plus avantageusement sur la maîtrise du français à l'écrit. Une
deuxième liste se profile avec, principalement, le Sénégal, le Liban, Israël,
l'Algérie, Madagascar. Encore faut-il évaluer la stabilité politique, le niveau
de risque, l'indice de technologie, etc. Quelques pionniers se sont lancés,
comme PCCI, au Sénégal. La plupart des outsourcers qui regardent en direction
de ces pays se laissent encore trois ou quatre ans afin d'analyser le terrain.
En matière de délocalisation off-shore, la vigilance reste de mise : un tel
projet doit être mûri aux regards des avantages, mais aussi des contreparties.
Les promesses de l'off-shore
Les sirènes de l'off-shore
sont récurrentes : « Un personnel qualifié pour traiter le même type d'appels à
moindre coût ». Près de 70 % des frais de fonctionnement d'un centre d'appels
sont constitués par les coûts de la masse salariale. Certains prestataires,
installés en zone off-shore, proposent des tarifs de traitement très bas avec
des coûts salariaux divisés au minimum par deux. Au final, frais de gestion du
projet et coût des liaisons télécoms compris, ils revendiquent pour leur client
une économie générale de 30 à 35 %. Les prestataires mettent en avant la
qualité du personnel recruté avec des profils bac + 4, inatteignables en France
sur ce type d'activité. Selon Frédéric Jousset, co-président de Webhelp, « ce
sont des métiers qui ont une image très positive. Si les salaires sont
inférieurs aux salaires français, ils sont supérieurs de 15 à 30 % à ceux que
proposent les entreprises ou les administrations locales pour des diplômes
équivalents. Nous pouvons miser sur la qualification du personnel, sa
motivation et sa stabilité. Notre turn-over annualisé ne dépasse pas 9 %. » La
flexibilité est aussi un argument. Si des réglementations existent, elles sont
beaucoup plus favorables qu'en France pour l'employeur. Un argument qui ne
laisse pas insensibles les entreprises soumises à une forte saisonnalité de
leur activité.
Les différents modèles économiques de la délocalisation
Lorsque le choix de délocaliser le centre de
contacts a été validé, trois possibilités se dessinent : - La délocalisation
off-shore d'un centre de contacts internalisé. Le choix d'externalisation
n'ayant pas été retenu, l'entreprise devra monter elle-même une entité sur la
zone géographique retenue. « Sur un projet de 50 positions, il faut compter
environ 1 million d'euros et dix à quatorze mois pour finaliser le projet »,
estime Frédéric Jousset. Les étapes sont longues et semées d'embûches. Il
s'agit également de disposer des ressources internes nécessaires pour piloter
ce projet : un chef de projet, un responsable télécom, des techniciens, un
responsable sécurité, un DRH, qui auront le statut d'expatriés sur place.
Aujourd'hui, cette solution a été retenue par de grands groupes qui ont
installé au minimum 150 à 200 positions. Le prix de revient s'établirait entre
10 à 12 euros de l'heure. - La délocalisation off-shore via un prestataire qui
a des capacités à l'étranger. Cette solution permet de réduire les délais de
mise en place et de bénéficier de ses infrastructures. « Pour un projet de 50
positions, il faut prévoir deux mois de déploiement et des coûts de mise en
place situés entre 10 000 et 20 000 euros », évalue Frédéric Jousset. Le coût
en ressources humaines internes est faible : un chef de projet dédié lors de la
mise en place du projet. Point non négligeable, la sécurité juridique. Vous
contractez avec une société française soumise au droit français. Enfin,
vérifiez que le prestataire dispose de solutions de back up et que ses
exigences de qualité sont comparables avec ce qui existe en interne. - La
délocalisation off-shore via un prestataire local. Cette hypothèse nécessite un
véritable benchmark. Comptez deux mois et demi pour le sélectionner, le briefer
et lui rendre visite. Généralement, ces prestataires n'ont pas d'antennes en
France. Le coût de mise en place semble s'établir autour de 10 000 à 15 000
euros. La mobilisation RH est forte, notamment sur le transfert de compétences
qui ne se réalise que sur place ou via la visioconférence. La sécurité
juridique est plus faible et la visibilité sur la pérennité du prestataire
moins aisée à obtenir.
Les contreparties ou coûts cachés
Trois axes sont à observer de près pour estimer les coûts
réels d'une délocalisation off-shore. Préserver la qualité de service a un
prix. Tout d'abord, le recrutement. Si les bassins d'emplois sont très fournis
dans certaines zones off-shore, une sélection adéquate s'impose. Selon Frédéric
Jousset, « effectuer un recrutement adapté prend du temps et lutte forcément
avec la notion d'urgence en cours sur cette démarche. » Préserver la qualité,
c'est aussi investir dans la formation. Si la maîtrise de la langue est un
pré-requis, l'imprégnation de la culture française est indispensable. Une
formation adaptée et conséquente est souvent nécessaire. Les outsourcers
implantés en zone off-shore évoquent aussi les coûts non négligeables de
l'expatriation. « La rentabilité s'obtient à un seuil supérieur à n'importe
quel centre en France, estime Thomas Buffard, directeur général de ADM Value.
En dessous de 150 positions, il n'est pas rentable de s'installer. » A côté du
recrutement et de la formation, la fiabilité et le coût des liaisons télécoms
sont également à prendre en compte. Les prestations “du bout du monde” reposent
sur la fiabilité des transmissions voix ou data. La continuité du service est
un élément fondamental pour une activité de centres d'appels. Une solution de
back up domiciliée en France et la fiabilité des opérateurs sont nécessaires
pour assurer des transmissions fiables. 3C Off-Shore a fait le choix d'un
partenariat avec deux filiales de grands opérateurs télécoms. Au Maroc, la
société collabore avec Attento, filiale de Telefonica, pour ses centres de 1
000 positions (400 à Tangers - 500 à Casablanca) et à Maurice, avec
Callservices, filiale de Mauritius Telecom, pour son centre de 196 positions. «
Ces filiales garantissent des normes qualité identiques à celles de la France
», assure Jean-Robert Iacchella, directeur associé de 3C Off-Shore. Autre point
sensible : la notion de qualité du service. Elle varie d'un pays à l'autre. Il
est donc important de formaliser très en amont ses exigences, et de suivre le
déroulé des projets. « La délocalisation off-shore est un chantier dont il faut
d'abord définir le périmètre, estime Philippe Hannuna, directeur de la relation
client et de la qualité chez Tiscali. Si le choix du pays est important, la
spécification du besoin est la base de tout projet. » Enfin, la considération
du métier de téléopérateur qui, d'après les outsourcers, bénéficie d'une image
beaucoup plus positive qu'en France, implique une incidence directe sur la
motivation des agents. Cette motivation louée par les outsourcers pourrait tout
de même trouver des limites à moyen terme. Si les candidats sont plus
volontaires, c'est aussi parce que le taux de chômage est très élevé. Il y a un
stress évident quant à la perte possible de son emploi. Cet élément est à
mettre en balance avec l'opportunité pour ces agents de travailler pour une
grande structure le plus souvent internationale. La question de la motivation
réelle reste entière, seul le développement économique de ces pays en apportera
la réponse à terme.
Tout est-il “off-shorisable” ?
Aujourd'hui, l'off-shore est une solution connue des centres d'appels, avec
toutefois le sentiment que certaines activités se délocalisent mieux que
d'autres. « Deux notions sont à prendre en compte, analyse Emmanuel Richard.
D'un côté, l'économie directement liée à la volumétrie des appels. De l'autre,
le rapport entre l'appel et le chiffre d'affaires associé. » Ainsi, une
activité de télémarketing est plus naturellement “off-shorisée” qu'une activité
de souscription de contrat. « Tout ce qu'il est possible d'externaliser en
France peut l'être en off-shore, estime Frédéric Jousset. Les contraintes et
les freins à la délocalisation off-shore sont les mêmes que pour la
délocalisation in-shore. » Ainsi, lorsque le savoir-faire et la confidentialité
sont forts, comme dans le secteur bancaire, la gestion de la relation client
est souvent internalisée. Il est peu probable que le choix d'une
externalisation off-shore soit retenu. Les limites se retrouvent également sur
des secteurs techniques. La population de techniciens et d'ingénieurs
travaillant de plus en plus en anglais, il est parfois difficile de recruter en
langue française sur ces profils. De même, « lorsqu'il y a un fort besoin
d'imprégnation culturelle ou quand il s'agit de gérer une relation Business to
Business pointue, les résultats obtenus sont en demi-teinte, complète Eric
Dadian. Il est en revanche plus simple de délocaliser les activités proches de
la vente B to C. » Le SeCA 2003 a été révélateur de la délocalisation off-shore
comme une activité concrète qui n'hésite pas à s'afficher. Il y a certainement
des cartes à jouer, mais cela suppose d'atteindre des réflexions en termes
d'avantages et de contreparties. « L'off-shore n'est pas une affaire d'amateur,
estime Philippe Baldin, directeur associé au sein du cabinet conseil Affluence.
Cette démarche nécessite une vraie connaissance de la culture locale,
économique, environnementale, politique et administrative. Sans négliger un
pilotage suffisamment précis de la relation donneur d'ordres / outsourcer. » Il
ne faut pas se leurrer, certains outsourcers qui ont une très mauvaise image en
France vont reproduire le même schéma à l'étranger. Le choix du bon prestataire
reste un gage de succès dans un projet de délocalisation. « Il faut savoir se
remettre en cause quant à nos réflexes franco-français, met en garde Frédéric
Jousset. De même, plusieurs pathologies sont à éviter : le syndrome de
l'adjudant-chef ou son pendant, l'excès de confiance ». En fonction d'une
activité ou d'un enjeu, certaines destinations pourront être privilégiées. Une
fois le choix de l'externalisation off-shore validé, tout ne coule pas de
source. Réfléchir à une localisation à l'étranger tout comme à une localisation
en France nécessite une réflexion aboutie. Il n'en demeure pas moins, que ce
sujet gagnera à se dépassionner en se focalisant d'avantage sur l'équation
avantages et contreparties.
Tiscali : l'off-shore en toute modestie
Tiscali mène deux expériences de délocalisation en Roumanie et au Maroc. Commencées il y a un an et demi à Bucarest, pour la gestion de l'écrit, et dix mois à Rabat pour celle de l'oral, ces deux expériences disjointes sont « pour le moment concluantes ». Selon l'opérateur, cela reste marginal et relève plus d'une expérience pilote. « Délocaliser ses prestations à l'étranger demande le respect d'une véritable méthodologie, estime Philippe Hannuna, directeur de la relation client et de la qualité chez Tiscali. Si le retour sur investissement peut-être rapide, il n'est pas aussi évident de maintenir la qualité de service. » Selon lui, la qualité doit pouvoir être mesurée de manière objective et être comparée avec ce qui est comparable. « Le fait d'obtenir cette qualité, peut changer la donne initiale d'investissement. Il vaut mieux obtenir -25 % à - 30 % par rapport aux coûts initiaux et garantir une qualité de service plutôt que d'obtenir - 50 %. Si les seuls critères d'analyse sont le rapport de 1 à 4 des salaires bruts, la déconvenue est assurée. Il faut rester sur une approche pragmatique et viser un bon - 30 % probant plutôt qu'un - 50 % qui ne peut garantir une certaine qualité de service. »
Ajilon joue la carte de la proximité
Si certaines entreprises s'éloignent physiquement de leur client, d'autres comme Ajilon misent sur les contacts physiques et une localisation provinciale. « Si nous sommes organisés en réseau et implantés dans des villes de Province comme Lille, Tours, Lyon, Bordeaux, c'est par volonté de proximité avec nos clients, mais également pour des raisons de coûts, explique Xavier Richard, responsable de l'activité télébusiness d'Ajilon. Le mètre carré est nettement plus abordable en province qu'à Paris, les conditions de travail, sans entamer les budgets, sont beaucoup plus agréables. » Filiale d'Adecco, Ajilon bénéficie de sa notoriété et d'un réseau de plus de 1 000 agences. « Les forces de notre offre : des prestations croisées et complexes, un contact physique avec nos clients qui doit être possible et facile. Ces observations nous ont conduits à délaisser la solution de délocalisation à l'étranger. Si nous devions un jour nous pencher sur cette possibilité, ce serait sans doute pour de l'émission d'appels, prise de rendez-vous ou après vente. En tout cas des prestations où il y aurait peu d'interaction avec la prospection terrain. »
Notrefamille.com en correspondance avec la Roumanie
Depuis novembre 2002, Sonia Rameau, directrice marketing et business développement du site notrefamille.com, a confié la gestion du chat et des mails aux opérateurs de Webhelp en Roumanie. « Cette solution nous permet de gérer une forte saisonnalité. » Chez le prestataire, un ou deux opérateurs ont été spécialement formés aux produits. Ils gèrent les mails en période creuse et répondent au chat en temps réel. Sans réticence particulière sur la délocalisation off-shore, notrefamille.com a confirmé son choix par un test concluant en novembre dernier. « Cela nous assure une flexibilité tout en préservant la qualité de service. Nous avons accès à un back office chez notre prestataire qui permet un suivi qualité efficace. Outre la formation initiale, les opératrices roumaines sont formées et informées régulièrement par mail. A ce jour, le bilan est positif. Une quarantaine de chats qui durent en moyenne sept minutes trente (!) et 25 mails par jour sont traités dans le respect de la qualité attendue. Cela nous permet un service de 9 h à 20 h, 6 jours sur 7, ainsi que les trois dimanches avant Noël. Les clefs de succès sont l'interaction permanente avec la responsable du site roumain, la garantie d'un gain de temps en interne et le bon professionnalisme des équipes. Le tout pour un coût de 3 000 euros par mois au minimum. »
Pour Teletech International, la délocalisation off-shore est un projet industriel long terme
Teletech International est installé au Maroc, à Rabat, avec 110 positions. « Le déclencheur de la délocalisation est la recherche d'économie, explique Emmanuel Mignot, directeur général de Teletech International. S'implanter sur un territoire étranger n'est viable que si un certain nombre de pré-requis sont efficients. » L'effet prix n'étant pas suffisant, Teletech International mise également sur la qualité des prestations. Cela passe par un recrutement de candidats maîtrisant la langue française, qui ont suivi des études en France. Et qui recevront une formation complémentaire pour une meilleure imprégnation de la culture française. Des salaires plus bas qu'en France, mais néanmoins d'un bon niveau pour le pays d'accueil, favorisent la motivation des candidats. Le Maroc a été choisi pour une maîtrise appréciable de la langue française et une formation technologique de bon niveau. L'Ile Maurice a été recalée pour une maîtrise du français jugée trop théorique. Quant à la Tunisie, une image fortement liée au tourisme, une taille plus réduite que le Maroc et son régime politique n'ont pas su séduire Teletech. Enfin, le Sénégal, s'il n'a pas été sélectionné, s'inscrit dans les pays potentiellement envisagés sur un avenir moyen/long terme. « Nous croyons profondément à l'avenir de la localisation off-shore, conclut Emmanuel Mignot. Nous envisageons une plate-forme de 4 000 positions à l'extérieur de Rabat programmée sur huit ans. Nous ne sommes pas pressés et considérons cela comme un projet industriel long terme. Le coût moyen reste compétitif, ce qui nous permet d'investir dans la qualité sans régression sociale. La mise en place d'un programme de procédures, de formations et de mises en application pour les premières opérations en émission d'appels commence à porter ses fruits. Nous investissons pour que notre offre soit complètement adaptée au marché français. »