L'omnicanal suffira-t-il à sauver la grande distribution ?
Carrefour vient d'annoncer un grand plan qui vise notamment à renforcer son approche omicanale. Mais n'est-ce pas trop tard ? Pour Jean-Paul Crenn, spécialiste du e-commerce et de la transformation digitale, il n'est pas certain que cela suffise à sauver la grande distribution.
Quelle est la situation de la grande distribution ?
La grande distribution s'effondre : les fermetures de magasin sont massives aux Etats-Unis (8000 en 2017, plus que lors de la crise de 2009), au Japon les magasins subissent une baisse importante de l'activité, en France la fréquentation des hypermarchés recule. Ce sont des phénomènes structurels, et des alternatives à l'achat en grande surface se développent, avec en tête l'e-commerce. On estime qu'en 2022, il représentera 40% du retail aux Etats-Unis. Amazon a imposé de nouvelles normes en matière de livraison ou de relation client qui ont rendu le consommateur beaucoup plus exigeant.
Pourtant, des pure players comme Amazon créent leur propre point de vente...
Le commerce physique ne va pas disparaître complètement. Mais beaucoup de consommateurs, surtout ceux qui ont un certain niveau de vie et de consommation, ne vont plus aller acheter en magasin. Ils iront pour l'expérience et pour l'expertise, pour rencontrer quelqu'un qui connait bien le produit. C'est tout le modèle économique de la galerie marchande bâtie autour d'un hypermarché qui est à revoir.
(à lire aussi : 7 nouvelles boutiques physiques de pure-players)
A quoi ressembleront les points de vente ?
Deux typologies devraient se développer. D'abord, les magasins assez haut de gamme, spécialisés et qualitatifs, qui seront capables de proposer une véritable expérience en magasin. Le positionnement de Carrefour sur le bio est à ce titre assez astucieux, car ainsi ils visent les CSP+ urbains. Mais je ne sais pas si cela marchera à long terme, car Amazon vise maintenant ce type de population, comme on le voit avec Amazon Prime ou avec le rachat de Wholefood aux Etats-Unis.
La chute de la grande distribution telle qu'on la connait correspond à la disparition des classes moyennes
Et de l'autre côté, des magasins en zone périphérique, avec des produits qui ne supportent pas le transport, à faible marge, et pour lesquels il n'y a pas de réel intérêt à la livraison. C'est le cas de GiFi par exemple. La chute de la grande distribution telle qu'on la connait correspond à la disparition des classes moyennes, qui sont de plus en plus éclatées entre une classe aisée et une classe paupérisée. Or, le commerce actuel est encore configuré pour les classes moyennes.
Dans son plan d'investissement, Carrefour indique vouloir mettre l'accent sur l'omnicanal. Pourtant, vous semblez sceptique.
L'omnicanal est nécessaire, mais il est loin d'être suffisant. Il est beaucoup plus facile d'aller vers l'omnicanal en partant du e-commerce, car la culture d'entreprise est totalement différente. Le e-commerce est déjà centré sur le client et la donnée, ce qui est fondamental pour une stratégie omnicanale. Or, les retailers physiques ont une culture centrée sur le chiffre d'affaires et le point de vente. C'est facile à énoncer, mais à mettre en place, c'est une révolution copernicienne. Le commerce physique fait face à une problématique de désinvestissement : il faut faire évoluer la typologie du magasin, diminuer la surface, faire évoluer tout son réseau. Le e-commerce doit investir mais n'a pas tout ce poids de l'histoire à affronter.
Une stratégie omnicanale est indispensable mais elle fait diminuer les marges
Alors que les distributeurs qui ont investi dans du multicanal cumulent le coût du digital, qui est important, et celui du retail. La croissance de leurs activités en ligne cannibalise les ventes en magasin et réduit leur marge. La seule possibilité, c'est de faire du multicanal rapidement, pour répondre aux attentes. Mais beaucoup de distributeurs vont mourir parce que cela fait diminuer leurs marges et qu'ils n'arrivent pas à augmenter le total de leurs activités.
Comment les distributeurs peuvent-ils s'en sortir ?
La relation avec les investisseurs est importante : aujourd'hui, ils ne jurent que par le digital, mais ils doivent accepter que durant quelques années leur investissement ne soit plus rentables, et qu'il y ait une vague de transformation digitale et brutale. C'est pour cela que Carrefour aurait du aller plus dans le qualitatif, en misant sur des surfaces plus petites. Les très grandes surfaces ne peuvent pas tenir face au numérique et aux magasins spécialisés dans l'entrée de gamme. Mais les investissements disponibles n'augmentent pas, et les actionnaires peuvent préférer investir dans des entreprises comme Amazon, qui promettent à terme une situation d'oligopole et actuellement un prix de sortie très important.
(à lire aussi : Omnicanal : les entreprises contraintes de faire leur mue)
En admettant que les investisseurs suivent, comment mener une stratégie omnicanale efficace ?
La question à poser au client est "êtes-vous prêt à recommander la marque ?"
Il faut faire évoluer la culture d'entreprise. Faire en sorte par exemple que le responsable d'un magasin physique n'ait pas un intéressement financier seulement aux résultats du point de vente, idem pour le responsable du e-commerce. Il faut aligner les comportements avec des objectifs communs. (à lire aussi : Omnicanal : quelle rémunération pour les commerciaux ?).
En magasin, les vendeurs ne doivent pas raisonner qu'en termes transactionnels mais aussi relationnels. La clé, c'est de créer une relation plus forte pour qu'il y ait un investissement. Et la question à poser au client est "êtes-vous prêt à recommander la marque ?", car cela démontre un réel investissement chez lui. Et pour qu'il s'investisse, il faut de la fluidité entre les différents canaux de vente, ne pas lui imposer un procédé mais lui laisser plusieurs options pour l'achat, la livraison.
A lire en page 2 : les stratégies à adopter par les marques
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