Un nouveau chantier social 1/5
Les conditions de travail s'améliorant, la gestion des carrières n'en devient que plus urgente. Qualifications et compétences tardent encore à être reconnues sur le marché de l'emploi, faute, en partie, de filières de formation. Pourtant, la profession se bouge. Elle s'associe notamment aux initiatives en matière de validation des acquis professionnels. Un impératif si les acteurs de la relation client veulent faire de cet emploi, trop souvent considéré comme un "job d'étudiant", un véritable métier.
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Favoriser l'évolution professionnelle. Une gageure, il y a encore quelques
années, où la tentation du salarié "Kleenex" prédominait. C'est le cas encore
d'une majorité d'outsourcers qui érigent la précarité au rang de politique des
ressources humaines. La présidente de Multilignes Conseil, Sophie de Menthon,
énonce ainsi le concept du « poste transitoire ». Il s'agit de recruter des
jeunes qui, pour assumer leurs études ou démarrer leur carrière, acceptent de
travailler un an comme téléacteur tout en sachant qu'ils ne feront pas de vieux
os dans l'activité. Beaucoup d'employeurs assurent, comme Sophie de Menthon,
que « l'emploi à vie, c'est fini ». On peut certes abonder en ce sens. Mais la
crise aidant, ces jeunes, venus le temps de quelques CDD étoffer les effectifs
des plateaux, risquent d'y demeurer faute de trouver des offres d'emploi
ailleurs. De fait, le travail dans les centres d'appels reste l'un des rares
secteurs encore en croissance. L'AFRC prévoit même, pour l'année 2002, une
augmentation de 8,4 % du nombre de salariés par rapport à 2001. Et ce, même si
certains, comme Fabrice Bourdy, fondateur d'Europhone, société spécialisée dans
l'intégration de cellules d'appels au sein des entreprises, s'inquiètent du
contexte actuel : « Mettre en place une gestion ambitieuse des carrières, tout
le monde en parle. Encore faut-il que l'on sache si on va survivre au
ralentissement de la croissance qui s'annonce. Parce qu'il est impossible de
parler de perspectives professionnelles à ses salariés lorsque l'activité
connaît un infléchissement. Or, la chute en bourse des valeurs technologiques,
dont les télécoms qui représentent les principaux clients des centres
externalisés, marque le début d'une baisse des investissements en matière de
relation client. » Constat d'autant plus dommageable que l'absence de
perspectives d'évolution pèse toujours sur la mauvaise image du métier. « On
devient téléacteur faute de mieux », affirme Douglas Delannoy, chargé de
clientèle dans l'ancien centre de TPS, devenu, suite à son externalisation,
l'un des fleurons d'Arvato Services (ex-Bertelsmann Services)... Avec 60 % de
turn-over.
UNE ÉVOLUTION TRANSVERSALE
Si l'on en
croit l'enquête de la CFDT, parue en mars 2002, seuls 15,4 % des salariés, dont
le niveau d'étude oscille entre bac + 2 et bac + 4, envisagent de faire
carrière. « Aujourd'hui, on sait que la durée de vie d'un téléacteur ne dépasse
pas deux ou trois ans. C'est un métier difficile, standardisé, dont on cherche
à s'échapper si aucune perspective d'évolution à l'intérieur ne s'ouvre »,
analyse Manuel Jacquinet, directeur de la société de télémarketing Colorado.
Martine Zuber, secrétaire nationale de la CFDT communication et culture,
elle-même ancienne téléconseillère, dresse le portrait-robot de ces salariés en
mal de vocation. « C'est souvent un jeune surdiplômé, qui trouve là l'un de ses
premiers boulots. Au début, il se dit : "Je fais ça un an ou deux maxi et,
après, je cherche un emploi plus en phase avec mon diplôme." Mais il reste
encore parce qu'il a pris, par exemple, un appartement ou fondé une famille. Un
beau jour, il se rend compte que cela fait maintenant cinq ans qu'il travaille
à ce poste. Et là, c'est la catastrophe : son diplôme initial ne vaut plus
rien. » Pourtant, les taux de turn-over dans les entreprises baissent de
manière continue. Europhone est ainsi passé de 100 % en 1997 à 35 % en 2001.
Multilignes Conseil (un centre à Amiens, un autre au siège parisien) revendique
25 % sur un an. Quant à B2S, prestataire B to B, son DRH, Etienne Ortega, se
targue de n'enregistrer que 5 % de départs sur ses plates-formes provinciales
(Pau et Valenciennes) et à peine 3 % sur le centre de Symphoning à
Gennevilliers (Hauts-de-Seine). A cela, plusieurs raisons. D'abord, le sérieux
croissant de la profession. Les conditions sociales dans les centres d'appels
se sont améliorées. Et nombre d'entre eux proposent, outre des CDI, des
avantages, comme l'instauration d'une grille salariale transparente, de
mutuelle ou de chèques-déjeuners.
Trois questions à... Quynh Delaunay,
chargée de recherche au CNRS, mandatée par l'Institut de recherche syndical d'études et de recherches (Iseres) pour mener le volet français de l'enquête Tosca sur les centres d'appels.
Pensez-vous qu'on puisse toujours parler des "forçats du 3e millénaire" pour qualifier les téléacteurs ?
L'expression n'a jamais collé à la réalité globale de ce secteur. Et puis, la situation est très hétérogène, selon que l'on considère les centres intégrés ou la situation des prestataires. Les entreprises n'ont pas envie de s'engager sur le long terme avec leurs employés mais en même temps elles veulent un certain attachement à ce métier. Parce qu'elles se sont rendues compte que le turn-over leur coûtait cher en matière de formation et de coût salarial.
La gestion des carrières est-elle un thème d'actualité dans les entreprises que vous avez sondées ?
C'est difficile d'apporter une réponse claire. Encore une fois, la situation change totalement selon que vous êtes intégrés ou non à l'entreprise. Lorsque vous l'êtes, votre avenir professionnel s'inscrit dans la politique des ressources humaines. Mais dans la mesure où il y a de moins en moins de créations d'emploi, il est évident que les perspectives d'évolution sont moindres. Chez les prestataires, l'évolution de carrière est nettement plus problématique. Puisque vous avez une pyramide hiérarchique restrictive qui ne permet guère d'envisager une mobilité ascendante. Certains passeront du poste de téléacteur à celui de superviseur, mais la plupart essaieront de monter dans l'échelle hiérarchique en passant d'une entreprise à une autre.
Les compétences requises pour faire un téléacteur sont-elles reconnues sur le marché de l'emploi ?
Tout dépend du bagage initial de la personne. Est-on surdiplômé ou sous-payé ? Je dirais toutefois qu'un bac + 2 sera plus en mesure de négocier son expérience dans un centre d'appels qu'un individu sans diplôme. Mais là encore, tout est question de l'offre et de la demande. Et, en ce moment, l'offre n'est pas vraiment au rendez-vous...