Prime aux gestionnaires
Perçus comme des centres de coûts, les centres d'appels sont rarement envisagés comme des vecteurs structurants de chiffre d'affaires, encore moins comme des postes à rentabilité. Il faut dire que la gestion d'un service clients repose avant tout sur une logique de coûts variables, ce qui ne facilite ni la mesure, ni l'efficacité. Et pourtant... Ici comme ailleurs, tout est question de management et de culture.
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"Ruineux", "pompes à fric", "gouffres financiers"..., les centres d'appels
sont souvent perçus comme des vecteurs d'anti-rentabilité par excellence. L'une
des raisons pouvant expliquer ces doutes latents relève d'un postulat originel.
En fait, dans la plupart des cas, en particulier dans les schémas structurels
français, le call center est d'emblée considéré comme un centre de coûts. Et
seulement comme un centre de coûts. Si l'on cumule les frais de fonctionnement,
les frais locatifs, le coût de financement de l'équipement, le coût
d'installation du mobilier et les salaires, on peut estimer le coût de
fonctionnement d'un centre d'appels de 100 positions à 250 000 euros. Pour un
call center de 40 positions (taille moyenne en France), on conclut à un montant
de 100 000 euros. Somme qu'il faudra adjoindre au total des coûts fixes.
Ceux-ci étant très largement fonction des choix propres des entreprises, on ne
fera pas ici d'estimation. Sachant qu'un centre d'appels est, avant tout, un
centre de coûts variables. « On est sur un business à forte variabilisation et
à faible marge. Plus qu'ailleurs, il faut une vraie culture de la gestion »,
remarque Maxime Didier, P-dg de B2S. Qui plus est, sur ces importants foyers de
coûts, certains ne sont pas linéaires, à l'image de l'immobilier. Or, c'est par
la pierre que certains se sont engagés dans des situations inextricables,
notamment des outsourcers. Tout comme le "tout-technologie" s'est parfois avéré
ruineux. Chez les outsourcers, par exemple, les sociétés qui affichent une
croissance rentable ont généralement été très prudentes dans la gestion des
coûts de structure. « Un centre d'appels, ça doit être un compte de résultats
séparé. Et le manager du centre d'appels doit être le patron d'un centre de
profit. En tant que tel, il prendra en compte et sous-pèsera l'ensemble des
paramètres alimentant une comptabilité analytique, recrutement, gestion des RH,
formation, statistiques, et ira jusqu'à identifier les éléments en amont, comme
la logistique ou les défauts produit », explique Olivier Duha, P-dg de Webhelp.
Les managers de call centers ne sont pas toujours des gestionnaires, loin de
là. Il s'agit souvent de responsables marketing, parfois de techniciens,
parfois également de commerciaux qui, tous, porteront leur temps et leurs
efforts sur la productivité et l'organisation RH.
SURSTAFFING DES POSTES FONCTIONNELS
Le fait vaut également pour les outsourcers.
Chez ces derniers, parmi les fautes de gestion, on peut identifier le
surstaffing au niveau des postes fonctionnels. « Les gros acteurs du marché
n'ont pas besoin de commerciaux. Nous sommes tous reconnus et on nous sollicite
par appels d'offres. Ce qui n'est pas le cas des sociétés de télémarketing, qui
doivent en permanence prospecter », souligne Bernard Caïazzo, patron de Call
Center Alliance. Et celui-ci de faire un parallèle entre son groupe et un
homologue allemand de même profil. Parallèle sensé illustrer les effets directs
de deux modes de gestion de centres d'appels sur la rentabilité des
entreprises. Les deux entités, CCA et son homologue allemand, se sont
introduites en bourse en 2000, avec un chiffre d'affaires égal, autour de 25
millions d'euros. L'Allemand a pu lever 30 ME, Call Center Alliance deux fois
moins. Le groupe français a investi 50 % de son capital en développement quand
son homologue allemand en investissait 100 %. En 2001, le Français affichait un
chiffre d'affaires de 60 ME avec un résultat d'exploitation positif de 10 %.
L'Allemand enregistrait un chiffre d'affaires de 40 ME pour un résultat négatif
de - 20 %. En 2002, Call Center Alliance compte 2 000 positions en France, au
Benelux, au Royaume-Uni et en Espagne. Le groupe germanique en recense autant,
toutes en Allemagne. « Notre staff fonctionnel est de 50 personnes, contre 250
pour nos confrères allemands », conclut le P-dg de CCA. Si l'on approche le
problème par la dimension rentabilité, il existe deux grandes catégories de
centres de contacts. Les centres à vocation d'acquisition et ceux à vocation de
rétention. Pour les premiers, le calcul de rentabilité est plus "naturel".
D'abord, parce qu'il s'agit d'alimenter le portefeuille client et, partant,
d'enregistrer du chiffre d'affaires. Ensuite, parce que le centre d'appels,
dans ce cas de figure, fait souvent office de canal de vente additionnel
intégré, au même titre que les points de vente ou que des services de
back-office de commande. « Lorsque le centre d'appels est identifié comme un
canal d'acquisition, les managers savent normalement calculer en amont le taux
de conversion, qui fera figure d'échelle de valeur dans la mesure de la
rentabilité », explique Olivier Duha. Le taux de conversion étant calculé sur
la base d'un ratio productivité/ dépenses structurelles. Très schématiquement,
on arrêtera le nombre d'appels passés ou reçus à partir duquel le
téléconseiller, l'équipe ou le plateau commencera à ne plus coûter d'argent.
Ce, en intégrant des paramètres relatifs aux coûts fixes et aux coûts variables
d'exploitation d'un centre, ainsi qu'à l'efficience commerciale des autres
canaux de distribution de l'entreprise. Le calcul devient moins évident dans
une configuration de rétention. Les entreprises qui pourront mesurer sont
celles qui sauront convertir la fidélisation en business. Autrement dit, non
seulement calculer ce que le client fidélisé rapporte, mais également (et
surtout) ce qu'il ne fait pas perdre. Ici, les outils sont plus rares.
GIBAUD : UN INVESTISSEMENT PROGRAMMÉ ET RAPIDEMENT RENTABILISÉ
Quoique... Dans certains cas, la fidélisation des
clients est très rapidement identifiée comme un vecteur direct de chiffre
d'affaires. En février 2001, l'entreprise Gibaud, fabricant et distributeur de
petit appareillage orthopédique, a substitué à une gestion téléphonique plutôt
artisanale des commandes un call center tout IP (M7480 de EADS). Investissement
total : 152 000 euros, dont une bonne partie sur la technologie. « Il s'agit
d'une dépense mûrement réfléchie, le projet étant à l'étude depuis trois ans,
explique Alain François, directeur marketing et commercial de la société
stéphanoise. Et l'investissement devrait être très vite rentabilisé. » Avec 10
agents, le centre d'appels réalise 50 % du chiffre d'affaires de Gibaud (35 ME
au total). Le reste étant le fait des 50 commerciaux terrain. Depuis février,
le taux d'appels perdus a été réduit de 15 %. Or, 90 % des contacts entrants
sont des appels de commande. Ce qui signifie, si l'on table sur un ratio
purement arithmétique, que la nouvelle organisation peut épargner à Gibaud, sur
un seul exercice, un manque à gagner de 2,3 ME. « Avec les modules
statistiques, nous allons également pouvoir quantifier le turn-over des
clients, ce qui est essentiel pour préparer des actions en émission », remarque
le directeur marketing et commercial. Faire de l'appel en émission - démarche
nouvelle pour Gibaud -, c'est se donner les moyens d'accroître le portefeuille
de ses 8 000 clients privilégiés, sachant que la France compte 23 000
officines. L'équation calcul prévisionnel des coûts/ rentabilité vaut
également dans une stratégie de fidélisation. Si le service clients, même en
rétention, est structurellement déficitaire, c'est qu'on ne l'a pas intégré
dans le calcul de prix de revient du produit ou du service vendu. Et c'est, la
plupart du temps, le cas. Or, le call center doit être envisagé comme un
attribut du produit ou du service promu, au même titre que l'ensemble des
éléments entrant dans la définition de ce produit ou de ce service. Prenons le
cas de la hot line technique ou commerciale (rétention) d'un fabricant
d'ordinateurs. Quels sont les "attributs" classiquement listés dans la
définition du prix de revient ? Le matériau, la fabrication, la distribution.
Admettons que le coût de l'ordinateur soit de 100 euros. Si l'entreprise veut
réaliser une marge de 33 %, elle le vendra 150 euros. Mais il lui faut
également introduire dans son calcul l'"attribut" centre d'appels. On pourra
ainsi estimer que 15 % des clients connaîtront des difficultés dans
l'installation de leur ordinateur et que 5 % ne seront pas livrés à la date
prévue. En traduisant ces évaluations en temps de production pour le help-desk,
on définira le coût du support. Dès lors, le prix de revient du produit vendu
ne sera pas de 100, mais peut-être de 115 euros. Si l'entreprise veut conserver
sa marge de 33 %, elle devra dont vendre l'ordinateur 172 euros. Avec cette
approche, le centre d'appels n'est pas encore en soi un vecteur de rentabilité,
encore moins de profitabilité, mais il peut le devenir dans la mesure où l'on
sait véritablement ce qu'il coûte et que l'on peut définir tous les seuils de
conversion souhaités. Pour peu que l'on intègre les bons outils et qu'on passe
à une comptabilité analytique.
PRISE EN COMPTE DES POSTES EN AMONT
Reste qu'à industrie égale, cohabitent des centres d'appels
qui sont plus ou moins coûteux. « On se rend compte qu'en fait, dans la plupart
des cas, ces différences de coût ne sont pas structurelles, directement
imputables au centre d'appels, mais qu'elles relèvent bien davantage de
dysfonctionnements en amont », souligne Olivier Duha. Exemple. Une société qui
honore ses délais théoriques de livraison à 80 % recevra a priori deux fois
plus d'appels qu'une autre qui les respectera à 90 %. Les coûts directement
supportés par le call center seront donc deux fois plus élevés. Or, le
sentiment de non-rentabilité est d'autant plus fort que le service clients est,
toujours dans une logique de rétention, le pôle aval, c'est-à-dire l'endroit où
sont ressentis tous les effets des dysfonctionnements en amont et, donc, le
stade de la chaîne auquel on va imputer les coûts. D'où, encore une fois, la
nécessité absolue d'une comptabilité analytique. Les déboires financiers que
connaissent aujourd'hui certains outsourcers pourraient finir de convaincre
qu'un call center est un gouffre financier. Certes, les résultats affichés par
le leader viennent infirmer ce fatalisme. Même si l'efficacité de
Teleperformance s'inscrit dans un schéma économique quasi universel et qui veut
que, sur un marché donné, le leader est souvent le plus rentable (en
l'occurrence, + 9 %). Et pour cause : c'est lui qui fait les prix. En matière
de rentabilité, il existe une prime à la taille critique. « Plus on devient
gros, mieux on partage les frais généraux et mieux on gère », signale Maxime
Didier. Or, on considère qu'au-delà de 15 ME, les entreprises passent dans une
logique industrielle. L'un des paramètres majeurs de rentabilité pour un centre
d'appels, c'est sa capacité à organiser le travail des téléconseillers pour
lisser au maximum la productivité et réduire les poches d'inactivité. Sachant
que les outsourcers, même s'ils se gardent bien de le dire, enregistrent des
taux de non-production de l'ordre de 40 %. Il suffit de leur rendre visite pour
s'en rendre compte. Or, pour optimiser la productivité, il faut disposer
d'effectifs suffisamment importants et donc avoir déjà une certaine taille. «
Pour rentabiliser un centre d'appels, il faut déjà atteindre un certain niveau
de chiffre d'affaires. Ouvrir un site de 300 positions, c'est 20 ME. Qui
aujourd'hui réalise un chiffre d'affaires de 20 ME ? », demande Bernard
Caïazzo. Pour les autres acteurs du marché, les chiffres ne sont pas toujours
aussi encourageants. Mais, lorsqu'une entreprise vit sur des taux de croissance
de 30 % avec une marge de 15 %, elle est en droit de ne pas se poser trop de
questions sur la pérennité de son activité. Elle "gère la croissance". Quand on
n'est plus porté par la croissance, et que l'on s'aperçoit que les mécanismes
internes ne sont pas si bons que ça, c'est souvent trop tard. D'autant plus
dans cette activité de l'outsourcing qui concentre toute la difficulté de
gestion des centres d'appels. En l'occurrence, pour des sociétés qui ont
aujourd'hui dix ans d'âge, le schéma est souvent le même. En phase de
croissance, les entreprises achètent des positions, qu'elles revendent ensuite
à leurs clients. Mais rapidement, ceux-ci ne veulent plus être facturés "à la
position", préférant un contrat "au volume d'appels", voire "à la minute
produite". Les patrons de centres ont agi selon les modèles d'une industrie de
coûts fixes, alors que nous sommes ici, typiquement, dans une industrie de
coûts variables.
LES MAUVAISES RÈGLES DU PRICING
Etablir un pricing basé sur la minute de production ne relève pas de la simple
équation arithmétique. « On voit encore des prestataires établir leurs prix sur
un ratio tout bête : sachant qu'un appel dure en moyenne deux minutes pour mon
client, je peux facturer une heure de production à 30 appels. C'est aberrant.
Je sais très bien, pour ma part, que dans une heure, je n'aurai pas plus de 40
minutes effectives de production », souligne un outsourcer. Temps de pause (10
minutes par heure), temps de non-production ou d'attente (entre deux appels),
ratés dans le traitement du contact... : le temps de production ne se calque
pas sur le temps linéaire. Qui va payer le décalage entre ces deux temps ?
Autre élément perturbateur : quand un client décide de passer d'un achat de
positions à un achat de minutes de production, il ne précise jamais qu'il
acceptera un fléchissement dans la qualité de service. Or, cette dimension est
également à prendre en compte dans le pricing. « Les centres d'appels ont été
créés et portés par des bons vendeurs. Aujourd'hui, ils ont besoin de bons
gestionnaires », lance Olivier Duha. Dans la relation donneur
d'ordres-outsourcer, la rentabilité est bien souvent affaire de fidélisation.
Plus la relation sera sereine, mieux l'un et l'autre y retrouveront leurs
billes. D'où, là encore, la nécessité absolue d'inscrire le tout dans une
démarche compatible, mesurée et très finement préparée. Une croissance
maîtrisée pour un outsourcer, c'est une rentabilité surveillée sur l'ensemble
des affaires et des clients. Les prestataires de services en centres d'appels
doivent à tout prix se garantir au maximum contre les retournements de
situation, toujours latents dans cette activité des plus incertaines. « C'est
par là que certains grands acteurs du marché vont souffrir. La croissance doit
être sereine et maîtrisée, sinon, c'est le bouillon. Et prendre le bouillon sur
une affaire à 300 postes, ça fait mal », résume Vincent Tuzi, responsable de
l'activité centres de contacts du groupe Victoria, qui revendique une
croissance de 30 % chaque trimestre. Dans la même filiation d'idées, Maxime
Didier explique que la taille significative qu'ont prise certaines sociétés de
gestion de call centers nées il y a seulement quatre ou cinq ans ne doit rien
au hasard. « Une croissance importante et régulière sur cinq années, ça
consomme mécaniquement de la rentabilité. Ca ne peut pas marcher aussi
longtemps si on ne fidélise pas ses clients », remarque-t-il. Sur la seule base
d'un développement organique, B2S (450 positions) affiche une croissance de 110
% (1er semestre 2002 vs 1er sem. 2001), pour un chiffre d'affaires prévisionnel
2002 de 23 ME et un résultat d'exploitation de + 7 %. Qu'il soit le fait d'une
gestion externalisée ou d'un management interne, le centre d'appels peut ne pas
être une "pompe à fric". Mieux : il peut rapporter de l'argent. Parfois
beaucoup. Reste à l'envisager comme il le mérite, c'est-à-dire comme un élément
à part entière de l'entreprise, comme un compte de résultats, comme une entité
économiquement structurante.
Le CRM, on y croit sans trop compter
Une étude publiée en 2001 par Valoris a montré que 52 % des initiatives lancées par les grandes entreprises françaises en matière de CRM font l'objet d'une étude préalable de retour sur investissements. Côté résultats, quand ils existent, ils s'avèrent dans 74 % des cas ne pas être à la hauteur des ambitions affichées. Et pourtant, 95 % des responsables interrogés disent consacrer des budgets "raisonnables" au CRM. Les investissements ne sont d'ailleurs manifestement pas voués à diminuer : dans 56 % des cas, la hauteur des budgets alloués est envisagée comme constante à échéance 24 mois, ou en faible hausse. Dans 11 % des cas, il est prévu que ces investissements doublent. Valoris a demandé aux responsables CRM au sein de grandes entreprises françaises où se trouvaient les plus mauvaises surprises budgétaires. Les déconvenues concernent de manière assez homogène les prestations d'accompagnement au changement (33,4 % des citations), la plate-forme logicielle (33,3 %), la plate-forme technique (27,8 %) et les prestations de conseil et d'intégration (27,7 %). Aucune des entreprises approchées par la société de conseil n'a jugé "très bonne" la réalité de son orientation client. Mais, pour 89 % d'entre elles, le projet CRM est jugé "assez bon" ou "en progrès notable". 11 % des responsables estimant que les choses restent à construire.