Recrutements sous tension
Les centres d'appels créent massivement des emplois. Progressivement, ils ont donc mis en place des process de recrutement pour répondre à l'accroissement de leurs besoins. Néanmoins, les bassins d'emploi restent limités et les plateaux peinent à trouver les bonnes compétences.
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Avec un turn-over frisant les 20 % en Ile-de-France, le secteur des centres
de contacts peine à fidéliser ses collaborateurs. Pourtant, conserver un
service de ressources humaines influe largement sur le traitement des appels.
De plus en plus de structures misent sur un recrutement pointu et précis pour
contrecarrer ce phénomène. Avec, pour objectif, de trouver du personnel
susceptible d'offrir un service de qualité au client et de s'assurer de ses
prédispositions à travailler sur une plate-forme. Au coeur d'un marché où les
offres d'emplois ne cessent de croître, la demande se contracte et les profils
classiques, à l'instar des traditionnels bac + 2, sont de plus en plus rares à
postuler pour devenir téléconseillers. Le manque d'attractivité des métiers de
la relation client pèse dans la balance. Au début des années 90, la
médiatisation du secteur n'a pas toujours contribué à relayer une image
positive des métiers qui lui sont associés.
Caractériser le poste
Le recrutement fait figure de maillon indispensable dans le
bon fonctionnement des centres d'appels. Aussi la méthodologie de sélection
est-elle un élément à soigner particulièrement. Il s'agit de déterminer les
caractéristiques du poste et, en conséquence, les aptitudes à mobiliser.
Lorsqu'un centre de contacts fait appel à une structure extérieure pour
embaucher, il doit au préalable définir le contexte d'intervention des futurs
conseillers clientèle. En l'occurrence, l'employeur précise l'ensemble des
compétences indispensables à l'exercice de la profession que le candidat retenu
devra réunir. Des critères d'autonomie, d'appétence commerciale, de capacité à
manier les chiffres sont requis.
« Valider des compétences reste complexe »,
explique Loïc de Villers, directeur général de TeleRessources. Les détails
pratiques comme, par exemple, la rémunération et le temps de travail sont
évoqués pour caractériser le poste à pourvoir. « Les contraintes en matière de
diplômes, de connaissances de systèmes informatiques, de compétences
linguistiques sont décrites en détail par nos interlocuteurs », témoigne
Évelyne Glasson Deschaumes, directeur de secteur téléservice, vente/cosmétique,
arts graphiques chez Adecco. La définition du contenu assure de mener un
processus cadré et de sélectionner les CV avec vigilance. D'autant que, comme
le précise Loïc de Villers, « aucun des postes qui possèdent une dénomination
identique n'a réellement le même contenu ». Et de poursuivre : « La clé de
voûte, avant de communiquer, c'est d'être capable de cerner sans a priori et
avec précision le profil par rapport à une réalité de contexte. J'ai la
certitude que chaque recrutement est unique. »
Les recruteurs indépendants
Pour les recruteurs
indépendants, d'autres détails ont de l'importance. Se rendre sur le lieu de
production permet d'en déterminer certains. L'environnement de travail, le
contexte, l'organisation, les méthodes de travail… sont autant de points
essentiels à communiquer aux postulants. Et pourtant, cette étape est souvent
négligée par manque de temps. Enfin, certains acteurs précisent dans leur
recrutement des besoins spécifiques. Dans le tourisme par exemple, des
connaissances en matière de géographie ne paraissent pas inutiles… L'étape de
définition des enjeux de la mission terminée, il est ensuite indispensable pour
pourvoir une offre de la diffuser. Si, la plupart du temps, le Web apparaît
comme un canal de plus en plus approprié à la parution d'offres d'emploi, le
papier conserve un fort pouvoir d'attraction. En province notamment, il reste
plus aisé de trouver de bons profils en passant une annonce dans la presse
quotidienne régionale.
Autre méthode privilégiée par les centres de contacts :
le “bouche-à-oreille” qui fonctionne encore assez bien. Pour les acteurs du
monde de l'intérim, la recherche de téléconseillers commence par la
consultation de leur base de données. N'oublions pas que leur activité
consiste, d'après Adecco, à identifier, évaluer et gérer les compétences. Ce
dernier point révèle l'importance de mettre à jour régulièrement les dossiers
des candidats et de les enrichir de leurs points forts et faibles. De même, il
s'avère important de définir les postes qu'ils ont occupés et les résultats
obtenus. Enfin, recenser leurs avis et préférences est utile pour leur proposer
de nouvelles missions adéquates.
l'intériM, un vivier de choiX
L'intérim constitue un vivier de choix pour les centres de
contacts. Deux intérimaires sur cinq le sont par choix et en particulier parce
qu'ils apprécient de pouvoir régulièrement changer d'emploi. En outre, les
téléconseillers ont accès à des postes très diversifiés. En effet, les secteurs
au sein desquels il devient possible d'évoluer sont multiples. De plus, les
structures sont de taille plus ou moins importante… Alors que l'ennui fait
figure d'ennemi redoutable en centres d'appels et que l'on évalue à deux ans la
durée maximale de présence d'un agent sur un plateau, la possibilité d'accéder
à des missions variées s'avère intéressante.
Pour attirer des candidats, les
centres d'appels tentent de convaincre leurs interlocuteurs des rapides chances
d'évolution sur les plateaux. Au bout de deux ou trois ans, les agents ont, en
effet, l'occasion d'occuper un poste de management de proximité, de devenir
expert ou encore de migrer vers le réseau. Des perspectives que les recruteurs
n'hésitent pas à mettre en avant dans les premières phases de sélection. En ce
qui concerne les postes de superviseur et de chef de plateau, le recours à des
cabinets ou encore à des chasseurs de têtes est d'usage. « Pour les
recrutements massifs de cadres, les annonces ne drainent souvent pas assez de
candidatures. Les centres d'appels se tournent alors vers une approche directe,
la chasse de tête », précise Philippe Amiel, consultant en recrutement,
directeur du cabinet Promel.
Le savoir-faire
Reste la phase de l'examen des candidatures. Le CV atteste du
parcours, de l'orientation, de la durée d'expérience et de la mobilité
géographique des postulants. La première approche consiste souvent à échanger
avec le candidat. Objectif ? S'assurer de son aisance à communiquer, à
comprendre les questions, à s'exprimer avec clarté. Cette étape invite aussi à
insister sur la cohérence du parcours. Faire parler un candidat sur ses
expériences passées permet de cerner rapidement la manière dont elles se sont
déroulées et la perception qu'il a de son activité professionnelle. Cette
discussion permet au recruteur de détecter le potentiel de son interlocuteur.
Des détails préjudiciables, à l'instar d'un accent fortement marqué et
difficilement compréhensible, sont également révélés.
Par la suite, les
compétences basiques font l'objet de tests. Il s'agit de déterminer rapidement
les connaissances métier des postulants sur les plans théorique et pratique et
leur capacité à comprendre une problématique... Ces “petits examens” portent
sur la maîtrise des techniques de communication par téléphone, les aptitudes à
la vente, la connaissance du secteur d'activité, la logique, le calcul… Ils
s'avèrent souvent éliminatoires. « Ces tests permettent de transformer des
compétences en notations et, du coup, de hiérarchiser les postulants en
fonction de leur adéquation au poste », précise Loïc de Villers
(TeleRessources). Ainsi, pour les chefs de plateau, des connaissances
techniques de management sont indispensables. Au même titre que la capacité à
évoluer, à former les collaborateurs, à piloter une dimension métier… En plus
de ces atouts classiques, « nous cherchons des personnes organisées, capables
de planifier leur journée et d'organiser leur temps de travail. Il faut aussi
qu'elles possèdent une culture technique et sachent faire des extractions, ou
encore maîtriser Excel », spécifie Philippe Amiel.
Le savoir être
Une fois les compétences de
base validées, les recruteurs se focalisent sur l'attitude du candidat. Un
critère de sélection qui prend de plus en plus d'importance. « Depuis trois
ans, on assiste à une dégradation du comportement des candidats. Certains
oublient l'importance de la ponctualité, d'autres démontrent une incapacité à
vivre en entreprise ; le niveau de langage de certains individus laisse à
désirer… », évoque Loïc de Villers. Un avis que partage Philippe Amiel. Il
constate qu'environ deux fois sur dix, les candidats qu'il doit rencontrer ne
se présentent pas au rendez-vous et ne le préviennent même pas. Se focaliser
sur le comportement du postulant permet donc de préjuger de sa bonne
intégration, de sa capacité à travailler en groupe, de la stabilité des équipes
et de la rentabilisation des formations. Les entretiens individuels restent le
meilleur moyen de vérifier cela. Pour anecdote, chez Adecco, on mesure le
savoir être pendant des séances de groupe. Il devient alors possible d'évaluer
le respect des autres, la capacité à les écouter…
Le contrôle de référence
constitue également un bon moyen de cerner les qualités du postulant. Cette
démarche s'avère plus coutumière lors de la sélection de profil d'encadrement.
Mais, parfois, elle confirme des points déjà constatés lors des diverses
rencontres. Pour autant, des volets de la personnalité méritent aussi d'être
étudiés. En effet, la plupart des intervenants mettent en avant l'obligation de
prendre en compte, pour engager un téléconseiller, sa résistance au stress et
sa capacité à régler un différend, sans prendre à titre personnel les propos
des clients. Avec le développement des services de réclamations, les
conseillers deviennent de véritables “proies”. Ils ont besoin de rester calmes
et de temporiser. Dans des situations difficiles, ils ne doivent pas perdre
leur capacité à répondre aux questions des clients et à apaiser leur
interlocuteur… L'empathie dégagée par le candidat a donc aussi son importance.
Si, comme on l'entend souvent, le sourire au téléphone compte autant que
l'information délivrée par l'opérateur, la capacité de projection du
téléconseiller devient un critère de sélection primordial.
Des profils très typés
Sur le papier, le candidat idéal a donc de
bonnes dispositions, au vu de son tempérament, à exercer la profession de
conseiller, il possède un bac + 2 action commerciale ou force de vente, ainsi
qu'une première expérience… « On se lance à la recherche de profils très typés.
Du coup, il apparaît une inadéquation entre l'offre et la demande », stipule
Loïc de Villers. Les profils commerciaux paraissent les plus touchés par cette
tendance, alors même que leurs rémunérations semblent plus attractives. Les
difficultés à trouver de bons éléments sont de plus en plus patentes. Par
exemple, chez TeleRessources, alors qu'il y a à peine deux ans, pour 400 CV
reçus, 14 étaient conservés, aujourd'hui seulement huit retiennent l'attention.
Le marché se contracte progressivement.
Parallèlement, le coût du recrutement
par média a doublé. De quoi accroître encore le nombre de problématiques
auxquelles les décideurs doivent faire face. Cette configuration pousse aussi à
diversifier les profils recrutés et à s'intéresser davantage aux dispositions à
exercer la profession de téléconseiller plutôt qu'aux simples formations
reçues. D'autant que « l'on se rend compte que le niveau d'études n'est pas
forcément le critèreclé de recrutement. La formation ne garantit pas d'être un
bon téléconseiller », avoue Laurence Lelouvier, directrice des ressources
humaines et de la communication interne d'Armatis. L'ANPE a très bien saisi ce
nouveau challenge et tente, depuis quelques années, de déceler des aptitudes
chez les chômeurs. La relation client reste un secteur dynamique et créateur
d'emplois, l'agence a donc tout intérêt à positionner les personnes aptes à
remplir la fonction d'agent en centre d'appels. Parfois, le savoir être prend
même le pas sur les compétences. La qualité du vocabulaire et de l'élocution,
au même titre que la culture générale, retient l'attention.
Dans le même temps,
et alors que les recruteurs ont de plus en plus de mal à identifier des profils
disposant des compétences adéquates, le métier se complexifie. La profession
s'est transformée. On a assisté à l'accroissement de l'offre de logiciels GRC.
De fait, les conseillers ont dû s'approprier ce type d'outil. La traçabilité
des contacts s'est trouvée enrichie, ce qui implique pour les employés de
maîtriser davantage l'écrit. Une tendance largement confirmée par l'obligation
de prendre en compte la multiplication des canaux de communication. Nul ne peut
nier la part croissante de demandes traitées aujourd'hui par e-mail. Ainsi,
l'orthographe devient de plus en plus un critère de sélection. Les postulants
sont fréquemment invités à prendre la plume à l'occasion de dictées. « De plus
en plus de clients demandent un niveau d'orthographe correct », atteste Évelyne
Glasson Deschaumes.
Face à face
Face à face La plupart du temps, une mise en situation permet de valider le ressenti des recruteurs. Il s'agit alors de tester le candidat dans les conditions de son futur emploi, que ce soit en émission ou en réception d'appels. Il peut, par exemple, être amené à traiter une réclamation grâce à un script dont il aura au préalable pris connaissance. Remplir une fiche contact fait aussi partie des petits exercices auxquels il risque d'être confronté. Pour vérifier l'aptitude des postulants à conserver leur calme et à rester posés, leur interlocuteur risque de les pousser dans leurs retranchements en amenant un débat contradictoire. Les outsourceurs mettent un point d'honneur à recruter un personnel de qualité. Ils se présentent auprès des entreprises comme des professionnels de la relation client à distance et doivent, en conséquence, trouver des collaborateurs efficaces. Pourtant, ils ont souvent des contraintes de délais et de taille d'effectifs à prendre en considération. De plus, ils manquent souvent de notoriété. Malgré tout, « ce n'est pas parce qu'il faut trouver des gens rapidement que l'on détériore le niveau de recrutement. Il demeure préférable d'intégrer moins de personnes mais de retenir celles qui ont la capacité à occuper tel ou tel poste. Nous ne faisons pas de recrutements de masse ou à l'arraché qui influent sur la qualité des profils, insiste Laurence Lelouvier. On ne peut pas se permettre d'avoir des collaborateurs n'ayant pas le niveau et qui ne pourront de fait pas suivre le développement de la société. »
ESDI recrute des potentiels à professionnaliser. Avec l'évolution de ses projets, ESDI European Line procède fréquemment à des recrutements et a développé en conséquence une méthodologie précise, basée notamment sur la mise en situation.
En 2007, ESDI European Line estime devoir recruter une cinquantaine de personnes. Face à cet enjeu, tous les moyens à disposition pour sélectionner les bons candidats sont utilisés : recrutement classique par l'ANPE, recours à l'Association pour l'emploi des cadres (Apec), agences d'intérim, actions de communication pour faire connaître l'entreprise et générer des candidatures spontanées, cabinets de recrutement…
En amont, le service de production définit son besoin. Les opérationnels remplissent un cahier des charges comprenant le nombre de ressources à mobiliser, les tâches à effectuer, les évolutions possibles, les horaires, la durée du besoin…
La direction des ressources humaines examine ensuite les potentiels disponibles en interne susceptibles de bénéficier d'une promotion. « Lorsque l'on a la chance d'avoir des salariés en qui on a confiance et dont on connaît les aptitudes et les atouts, il est dommage de ne pas en profiter et de ne pas les faire progresser. Ils garantissent que la prestation va être bien réalisée », estime Magali Boulay, directrice des ressources humaines chez ESDI European Line. Néanmoins, pour certaines missions nécessitant des agents immédiatement opérationnels, la filière interne perd de sa légitimité. Pourtant, elle assure aussi la fidélisation des collaborateurs et la stabilité de la qualité de service.
Ensuite, l'outsourceur vérifie dans les CV reçus dernièrement ceux pouvant correspondre à ses attentes. Si, à cette étape, des postes sont encore vacants, une offre d'emploi est rédigée. Pour rendre l'annonce attractive, ESDI mise sur ses projets en cours et à venir et sur les possibilités d'évolution au sein de la société. De plus, elle est assez peu restrictive. En effet, « les métiers relationnels exigent avant tout de disposer d'un potentiel et d'un savoir être. Du coup, l'annonce est assez ouverte en matière de critères de sélection. Nous ne définissons ni un parcours ni un diplôme indispensable pour rejoindre nos plateaux », souligne Magali Boulay. Et de poursuivre : « C'est à nous de professionnaliser les candidats au métier de la relation client grâce notamment à des formations. »
Outre les particularités du poste de conseiller, cette démarche s'applique également dans la mesure où peu de filières de formation adaptées existent, même si l'Éducation nationale semble avoir pris conscience du besoin et s'engage à y répondre. La localisation géographique d'ESDI, à Belfort, justifie aussi la difficulté de recruter des personnes disposant d'une expérience significative. La région compte, en effet, peu de plateaux. Pour transmettre les connaissances, ESDI s'appuie donc sur les superviseurs ayant occupé des postes opérationnels et sur une cellule de soutien métier créée l'an passé. Cette dernière intervient dans la formation des nouveaux et suit les conseillers tout au long de leur parcours.
Question d'habileté
Lors du recrutement et à l'occasion des différents entretiens et tests, la direction des ressources humaines tente de détecter des aptitudes. La capacité d'adaptation et le degré de flexibilité des postulants en font partie. « Nous avons sans cesse besoin d'être réactifs pour répondre aux attentes de nos clients et nous accommoder aux évolutions de leurs projets », explique Magali Boulay. Pour elle, il s'agit aussi de détecter les candidats adhérant au mode de fonctionnement de l'entreprise, démontrant un intérêt pour l'activité d'ESDI et une faculté à s'adapter aux différentes missions.
Autre étape-clé du recrutement : la mise en situation. Elle permet de voir le comportement de la personne plus que de juger sa performance. « Il nous est arrivé d'embaucher quelqu'un qui a raté cette étape à condition, par exemple, qu'il soit capable de reconnaître ses erreurs, d'analyser sa prestation… Ceci nous permet aussi de mesurer son attitude face à une situation d'échec », intervient Magali Boulay. Un bon recrutement reste souvent la garantie de réussite de la personne dans son entreprise et dans son emploi. « Néanmoins, il y a des paramètres que l'on ne maîtrise pas, en particulier l'évolution de la personne dans un contexte différent de celui de la sélection des candidats », estime la directrice des ressources humaines. Et de conclure : « Le recrutement n'est pas une science exacte. »