OUTSOURCING: LE VIRAGE 2013 S'ANNONCE DIFFICILE
Alors qu'en 2011 le marché de l'outsourcing maintient une croissance relativement confortable, il devrait être rattrapé par la crise des télécoms. Tributaires, pour la plupart, des opérateurs téléphoniques, les outsourceurs s'organisent pour éviter la sortie de route en 2013.
En 2011 , l'outsourcing a de nouveau connu une bonne année. Avec une croissance de 10,1 % (contre 6,6 % en 2010) pour un chiffre d'affaires de 2 ,24 milliards d'euros, l'année 2011 se révèle plutôt positive. L'off-shore, qui représente 23 % de l'activité (22 % en 2010), progresse au détriment de l'inshore, que ce soit en Ile-de-France ou en province. En revanche, la taille moyenne des sites en régions croît: le nombre de positions par site passe de 313 en moyenne en 2010 à 378 en 2011. Côté ressources humaines, les résultats sont aussi favorables. La proportion de contrats à durée indéterminée continue de croître: 84 % de CDI en 2011, contre 82 % en 2010. Quant au temps plein, il concerne 92 % des salariés du secteur. Encore majoritairement féminin, le métier s'ouvre progressivement aux hommes qui, en 2011 , représentent 37 % des effectifs (34 % en 2010).
Le secteur est rattrapé par la crise des télécoms
Malgré ces chiffres prometteurs, le secteur s'attend à une régression pour 2012. « Après une croissance régulière depuis 2008, la crise et l'arrivée de Free sur le marché des opérateurs de téléphonie mobile auront un impact négatif en 2013. Nous devrions assister à une pression des chiffres, des fermetures de sites, des restructurations, voire à la faillite de certaines grandes entreprises d'outsourcing », prédit Laurent Uberti, président du SP2C. La raison de ce pessimisme? Les outsourceurs sont très dépendants du secteur des télécoms, qui représente au total 60 % de leur chiffre d'affaires et 75 % de leur chiffre d'affaires à l'off-shore. Alors que l'emploi a régulièrement augmenté, le SP2C prévoit jusqu'à 10 000 suppressions de postes sur les 64 000 existants en France.
Pour l'heure, il est difficile de prévoir avec exactitude les répercussions économiques et sociales de cette crise. Les trois acteurs historiques des télécoms, qui ont dû s'aligner sur les tarifs proposés par Free, font face à un recul de leurs marges, à une perte de clients et à une baisse de volumétrie. Ils choisissent donc naturellement de réduire la voilure à l'externe pour retrouver un équilibre budgétaire. Une pression supplémentaire sur les prix et sur les volumes pour leurs prestataires qui renégocient leurs contrats avec les opérateurs, dont certains génèrent plus de la moitié de leur activité. « Nous représentons une variable d'ajustement pour les donneurs d'ordres. Nous sommes actuellement en attente. Notre activité sur les appels entrants devrait connaître une baisse significative en 20 13, en raison de l'arrivée de Free. En revanche, les appels sortants ne devraient pas être impactés, car les opérateurs vont devoir aller chercher les clients qui sont de plus en plus volatils », note Denis Akriche, fondateur et p-dg d'Armatis, qui a racheté Laser Contact en juin 2012 et qui passe de la 6e à la 3e position du classement des outsourceurs 2011 (voir p. 44-45).
La notion de service remise en cause
Au-delà de la baisse de volumes, certains outsourceurs regrettent que la crise des télécoms remette en cause la notion de service. « Pour soutenir un service à des prix abordables et offrir une gamme de prestations à leurs clients, les donneurs d'ordres sont contraints de trouver des solutions plus économiques comme l'offshore. Depuis toujours, le consommateur ne paie pas pour le service. A l'avenir, il faudrait peut-être revoir les différents niveaux de services proposés par les opérateurs et proposer aux consommateurs de payer en fonction de ces niveaux, à l'image du secteur aérien. Dans les compagnies low-cost, par exemple, les voyageurs paient pour une prestation basique et ajoutent un complément selon leurs besoins en termes de service », soutient Peter Fergus O'Brien, président de Teleperformance France (absent du classement des outsourceurs 2011, p. 44-45) . Actuellement, c'est ce qui semble s'opérer dans le secteur des télécoms. En plus de s'aligner sur les prix de Free, les opérateurs créent de nouvelles offres low-cost qui n'intègrent plus de service clients par téléphone ou en point de vente, mais uniquement via le selfcare sur le Web. Or, pour Frédéric Jousset, président de Webhelp (deuxième du classement des outsourceurs 2011, voir p. 44-45), les opérateurs ne devraient pas, à l'avenir, avoir la possibilité de revenir sur leurs offres. « Il est difficile de croire que les consommateurs vont faire massivement le choix du payant pour obtenir un service de qualité. Quand on voit la sensibilité au centime près des consommateurs pour le plein d'essence, on peut douter de leur volonté de payer pour un service qu'ils estiment du. Les entreprises télécoms auraient tout intérêt à remonter les prix, car un forfait web et mobile à 20 euros est insignifiant pour accéder au monde numérique, à peine le prix de deux heures de parking à Paris! Au final, cette course au tarif le moins cher ne permet pas d'obtenir une couverture réseau optimale, la 3G n'est toujours pas déployée partout, les communications coupent souvent. Il serait souhaitable qu'ils opèrent ensemble un retour en arrière et qu'ils rehaussent les tarifs pour fournir au consommateur une prestation et un service client de meilleure qualité. »
Face à cette situation, la solution se trouve-t-elle dans l'intensification de l'offshore? « Le Web va, de façon évidente, capter de plus en plus les appels de premier niveau, estime Emmanuel Mignot, président de Teletech International (20e du classement des outsourceurs 2011, voir p. 44-45) . Pour obtenir des informations basiques, les consommateurs n'ont plus besoin d'appeler. En revanche, ils auront davantage besoin de conseils. Et ce type de prestations sera plus facilement réalisable en France pour des raisons de proximité culturelle. Il y aura donc forcément un rééquilibrage entre l'offshore et l'inshore. »
Malgré une croissance relative et une tendance à la stabilité, l'off-shore n'en demeure pas moins pointé du doigt, comme en témoignent deux récentes interventions politiques. En août 2012, Arnaud Montebourg, ministre du Redressement productif, a demandé à Jean-Paul Huchon, président du Stif (Syndicat des transports d'Ile-de-France) et de la région Ile-de-France, de ne pas opter pour un centre d'appel au Maroc. Dans la foulée, le député Marc Le Fur a déposé une proposition de loi visant à identifier la localisation d'un centre de contacts pour tout appel reçu ou émis avant chaque contact du client avec un téléconseiller. « Régulièrement, les politiques interviennent pour faire un coup de pub facile sur la question de l'offshore: Nicolas Sarkozy en 2005, Laurent Wauquiez en 2009, Arnaud Montebourg en 2012. Et cela se soldera par le même résultat, c'est-à-dire le rappel des autorités marocaines par les diplomates françaises que les économies sont ouvertes, que le Maroc achète des Airbus, des TGV, etc. Mais aussi que les exportations du Maroc vers la France au niveau du service client représentent à peine 300 millions d'euros par an », soutient Frédéric Jousset.
Pour compenser la pression sur les prix imposée par les donneurs d'ordres, sujet récurrent du secteur, les outsourceurs n'ont pas d'autre choix que de rééquilibrer leur modèle économique. La plupart proposent une offre mixte entre l'in-shore et l'off-shore. Certains ont trouvé une alternative au Maghreb, région la plus prisée pour l'offshore. ArmatisLaser Contact a, par exemple, créé une filiale au Portugal et installé 400 positions à Porto. L'entreprise commercialise des prestations pour des clients français. « Grâce à ces offres tarifaires à mi-chemin entre la France et la Tunisie (NDLR: Laser Contact possède un centre d'appels de 400 positions à Tunis), nous trouvons une alternative », souligne Denis Akriche.
Frédéric Jousset (Webhelp)L'enjeu est de passer dun outsourcing de capacité à un outsourcing à valeur ajoutée.
3 questions à
Pour contrecarrer Free, ses concurrents ont décidé eux aussi de proposer des prix attractifs avec, pour conséquence, une baisse du service - Comment réagir ?
Free casse ce que le secteur de la relation client essaie de mettre en place depuis plusieurs années : la valorisation de la qualité et de la formation. Au-delà de la crise chez les opérateurs, Free renie la notion de service et se retrouve destructeur de valeur. Il faut parler de ces problèmes maintenant, se mettre autour de la table et réfléchir à un éco-système équilibré et rationnel pour maintenir les emplois en France et investir sur la qualité.
L'off-shore pourrait-il être une solution ?
Stigmatiser l'off-shore est contre-productif. D'une part, il permet au modèle économique français de s'équilibrer et d'être plus compétitif. D'autre part, la flexibilité en termes d'horaires - semaine de 39 heures, travail le dimanche + permet de répondre à la demande. Enfin, si nous décidons de relocaliser tous les centres d'appels vers la France, cela coûterait entre 970 millions et 1 milliard d'euros
A la recherche de leviers de croissance
La crise conjoncturelle des télécoms a mis en lumière les problématiques des outsourceurs: la forte dépendance à un secteur et la nature des prestations demandées par les donneurs d'ordres. D'ailleurs, les deux principaux leviers pour remédier à cette crise consistent, d'une part, à viser des clients d'autres secteurs et, d'autre part, à diversifier les activités et surtout à les faire monter en gamme. « Même si Free est venu bouleverser le marché, les volumes d'appels en télémarketing se sont tassés. Les opérateurs historiques devaient miser sur l'up-selling et la fidélisation. La réduction importante des flux était donc prévisible », constate Emmanuel Mignot (Teletech International). Depuis déjà plusieurs années, les outsourceurs s'attellent à diversifier leur clientèle. Mais, la tâche reste difficile. Rares sont les acteurs qui peuvent compenser le manque à gagner dû à la baisse d'activité des télécoms. « L'équation est complexe car, pour un contrat de 200 positions supprimées par les opérateurs téléphoniques, on ne gagne que 30 à 50 positions chez un client de la banque ou de l'assurance», explique Peter Fergus O'Brien (Teleperformance France). Alors que le secteur de l'énergie a déjà externalisé, d'autres comme la banque-assurance, le retail, l'ecommerce, le tourisme ou encore le secteur public représentent des volumes plus faibles. L' avenir des outsourceurs ne se jouera pas sur les volumes traités, mais sur la valeur de la prestation fournie. «Il y a dix ans, nous proposions une activité industrielle avec des modèles de rémunération assez simples. L'enjeu, pour nous comme le reste du secteur, est de passer d un outsourcing de capacité à un outsourcing à valeur ajoutée, et de convaincre les donneurs d'ordres de nouveaux business models pour rémunérer le conseil, ou partager les gains pour la réduction de volumes avec des process LeanSixSigma, les démarches commerciales additionnelles, l'amélioration du NPS consommateur, etc.», détaille Frédéric Jousset (Webhelp). Depuis plusieurs années déjà, les prestataires s'organisent et communiquent dans ce sens. Chez Webhelp, par exemple, l'organisation s'est construite sur des business units en fonction du secteur des clients, de sorte que ces derniers obtiennent des prestations adaptées à leur coeur de métier. De son côté, Teleperformance a délaissé les activités à faible valeur ajoutée pour se concentrer sur de la rétention / fidélisation, du support technique, du recouvrement et de la relation client. «Nous avons arrêté les prestations qui nécessitaient des scripts et manquaient de souplesse. Trop réglementées, ces activités simples ne nous laissaient aucune marge de manoeuvre et risquaient de banaliser notre savoir-faire», indique Peter Fergus O'Brien. Emmanuel Mignot, lui, déplore le manque d'investissements des entreprises clientes dans la qualité du service clients: «Les donneurs d'ordres ne perçoivent pas la valeur de notre métier. Ils ne veulent pas investir dans des outils de mesure, de la formation ou des process. A force de s'inscrire dans cette démarche, on aboutit à une destruction de valeur. Est-ce la bonne manière de faire du business? C'est avec la qualité que l'on fidélise le consommateur final. Il faut l'écouter et agir en conséquence. C'est d'ailleurs surprenant que, face aux échos négatifs émanant des clients, les entreprises ne remettent pas en question ces énormes dysfonctionnements.» L'avenir des outsourceurs reposera-t-il sur une diversification et une montée en puissance de leur expertise? «En cinq ans, le baromètre BearingPoint-SP2C fait ressortir une valorisation de la filière: plus de CDI, plus de formation, plus d'appels entrants, plus de digital. Les événements économiques de 2012 bouleversent cette donne. Le prochain baromètre démontrera comment la profession a pu et su s'adapter à cet environnement défavorable», répond Eric Falque, associé BearingPoint. Rendez-vous donc en 2013...
Michel Valero (Mezzo)
En proposant des offres transverses off-shore/in-shore, nous parvenons à rester très compétitifs.
MEZZO CAPITALISE SUR SON BUSINESS MODEL
Depuis sa création en 2005, Mezzo (24e du classement des outsourceurs), qui appartient au groupe 3 Suisses International (3SI), s'est naturellement porté sur une stratégie de niche. L'outsourceur travaille exclusivement pour trois secteurs que sont l'e-commerce - VAD, la presse (Mondadori, Bayard, Lagardère) et la fi nance-assurance (Cofi dis). Grâce à ce positionnement, l'entreprise a développé des compétences sur l'ensemble des activités de relation client: télévente, fidélisation, acquisition, prise de commande, réclamation, suivi de livraison, paiement et recouvrement. « C'est un réel atout de faire partie de 3 S I, troisième groupe d'e-commerce en France, qui a toujours eu une culture de la relation client. En travaillant pour certaines entreprises du groupe, nous avons acquis un large spectre de compétences », souligne Michel Valero, directeur général de Mezzo. Il se réjouit d'ailleurs de ne pas faire partie des outsourceurs qui travaillent pour les opérateurs téléphoniques. « Notre activité est en plein développement et nous n'avons pas été concernés par la récente crise des télécoms. Depuis début 2012, nous avons notamment signé avec cinq nouveaux clients. Après avoir enregistré une croissance de notre chiffre d'affaires de 2,5 % en 2010, nous avons réalisé plus de 15 % de croissance en 2011 », explique-t-il. Avec près de 1 000 positions dont 60 % à l'off-shore (à Tunis), Mezzo prévoit de se développer davantage à l'in-shore pour rééquilibrer son positionnement et répondre à la demande de ses clients. « En proposant des offres transverses offshore / in-shore, nous parvenons à rester très compétitifs et ce, avec les mêmes exigences de qualité », ajoute Michel Valero.
L'activité off-shore
En 2011, la croissance de l'off-shore a progressé: l'activité représente 23 % du chiffre d'affaires global, contre 22 % en 2010. Les trois outsourceurs français qui ont réalisé le plus gros chiffre d'affaires à l'off-shore sont Webhelp (122,6 kEuros), Arvato France (67 kEuros) et ADM Value (40 kEuros). Quant aux effectifs, ils ont augmenté de 38 à 39 %.
Emmanuel Mignot (Teletech International)
Même si Free est venu bouleverser le marché, les volumes d'appels en télémarketing se sont tassés.
CLASSEMENT DES OUTSOUR CEURS 2011
Les résultats attestent que l'année 2011 a été relativement confortable pour les outsourceurs. Avec un chiffre d'affaires de 2,24 milliards d'euros, elle a d'ailleurs connu une croissance supérieure par rapport à l'année précédente (10,1 % en 2011, contre 6,6 % en 2010). Une vingtaine d'acteurs affichent même une croissance à deux chiffres. Quant au classement, il confirme le maintien de la hiérarchie de la quasi-totalité des dix premiers outsourceurs. On observe, cependant, deux exceptions. D'une part, l'absence de Teleperformance France qui, ne pouvant plus communiquer ses résultats par pays, n'apparaît plus dans le classement et laisse la première place à Arvato France. D'autre part, le rachat de Laser Contact permet à Armatis de figurer à la troisième place.
ENQUETE CLASSEMENT: YVELINE COUTEUX
METHODOLOGIE
Pour établir ce classement des outsourceurs 2011, Relation Client Magazine a envoyé, en août 2012, un questionnaire à plus de 200 outsourceurs français. Attention: les pure players de l'off-shore ne sont pas pris en compte. En l'absence de réponse, les entreprises ont été relancées plusieurs fois par téléphone ou par e-mail. Le critère retenu est celui du chiffre d'affaires.