Le multicanal, encore en construction
Sous l'impulsion des banques, des télécoms et des assurances, de nombreuses entreprises ont multiplié les moyens de contacts avec les consommateurs durant les années quatre-vingt-dix, avant que les années 2000 n'amplifient le phénomène. Le face-à-face et le téléphone ont longtemps représenté les deux canaux majeurs avant que le Web ne modifie la donne. Tous les services ont ainsi été concernés par la percée de ce nouveau média, que ce soit le service clients, les supports clients, le marketing relationnel, etc. Néanmoins, il est difficile d'affirmer qu'aujourd'hui, la relation client et le multicanal sont parfaitement connectés. Et bon nombre de spécialistes de la relation client estiment que nous sommes encore dans une phase où les entreprises cherchent à distribuer le plus efficacement possible leurs produits/ services. «Celles-ci restent concentrées sur ce qu'elles savent faire le mieux: la production. La majorité des centres de relation client sont orientés pour assurer des services liés aux produits et à des problématiques de fonctionnement. Le prochain grand virage à prendre sera celui du relationnel», affirme Guillaume Burel, senior manager chez Deloitte. Même vision du côté d'Accenture: «En termes d'offre de services, on peut dire que le multicanal existe. Mais, en termes de relation client, nous avons plutôt assisté à une simple multiplication des canaux», note Xavier Gazay, senior executive au sein du cabinet de conseil.
Ce qui motive le multicanal
L'idée initiale de multiplier les canaux de contact a d'abord été motivée par une réduction des coûts. Les banques ont ainsi souhaité réduire leur réseau d'agences et, dans le même temps, le secteur des télécoms où les centres d'appels n'ont cessé de grossir à la fin des années quatre-vingt-dix, a dû trouver des solutions pour réduire la charge d'appels. L'idée, très présente au début des années 2000, était de proposer de nouveaux canaux de contact afin de moins encombrer les deux principaux (face-à-face et téléphone). Mais le résultat ne fut pas celui escompté, comme l'explique Fabrice Marque, partner Gestion de la relation client Europe et Amérique latine chez Accenture: «Non seulement, la réduction des coûts n'a pas été aussi forte que prévu, mais le nombre d'interactions entre les entreprises et les clients a progressé, notamment lorsque le client ne parvenait pas à trouver la réponse à sa question. Et, même le simple fait de lui proposer davantage de canaux peut aussi entraîner une augmentation des échanges car le client s'implique davantage avec une entreprise.»
En conséquence, au lieu d'avoir une relation client multicanal, on constate des relations clients établies sur plusieurs canaux, avec le risque d'avoir une mise de l'information sous forme de «silo». Autrement dit, en l'absence de transversalité de l'organisation, les informations provenant d'un canal donné ne sont pas toujours connues des autres canaux. La cohérence des systèmes d'information n'est pas encore au point et la crainte d'un «syndrome» du multicanal n'est pas à exclure. En effet, à vouloir disposer des dernières technologies pour épater et appâter les clients, certaines entreprises oublient de se concentrer sur les principaux canaux que sont le téléphone, les agences physiques et Internet. «Il est indispensable de renforcer le partage des tâches entre ces canaux et la cohérence de fonctionnement: il faut avoir un même dispositif d'information de façon à savoir en temps réel quelles sont les interactions entre l'entreprise et les clients», confirme Guillaume Burel.
Le téléphone toujours leaders?
Dans de nombreux secteurs, le téléphone est le moyen de contact le plus populaire pour les consommateurs. Il devrait le rester tant que les entreprises n'auront pas mis en place un autre parcours de contact plus performant. Internet, avec son réseau mondial et les nombreux services qui en découlent, possède de nombreux atouts. Le face-à-face via un réseau d'agences se trouve dans une situation paradoxale. Certaines banques, spécialisées sur le Web, rencontrent un certain succès sans posséder d'agences physiques, tandis que d'autres se sont lancées sur un redéploiement d'un réseau local estimant que leur métier se situe notamment sur une notion de conseil et de confiance que seul le face-à-face est en mesure de procurer. «Il faut bien avoir à l'esprit que, quel que soit le modèle de relation client mis en place, il y a toujours un marché en face aussi petit soit-il. Par exemple, dans le cas du commerce en ligne, une frange de la population surfe d'abord avant d'acheter en magasin, et une autre, au contraire, fait le chemin inverse en regardant en boutique avant d'acheter en ligne», explique Xavier Gazay (Accenture).
Xavier Gazay (Accenture):
«Le pilotage de l'expérience client est la notion qu'il convient de maîtriser aujourd'hui.»
Compatibilité des canaux
Un autre facteur peut expliquer ce manque de cohérence des systèmes d'information. Un certain nombre d'entreprises se sont contentées de rajouter des canaux de communication, alors que les systèmes d'information n'étaient pas forcément compatibles. «Plus le système d'information est ancien, plus le travail d'homogénéisation est lourd. Et si, en plus, les bases de données sont énormes, on comprend mieux pourquoi un client qui contacte une entreprise sur un canal ne soit pas pris en compte, ou en considération, par le service d'un autre canal», souligne Xavier Gazay. Avec la prolifération des canaux (SVI, bornes téléphoniques interactives, chat...), il existe aussi un risque de revivre le phénomène du CRM des années quatre- vingt-dix. Autrement dit, de gros investissements sur de multiples projets sans disposer d'une vision à long terme et surtout sans prendre en compte les attentes des clients. Par ailleurs, plus les entreprises sont tributaires d'un réseau historique dominant, plus une stratégie multicanal est difficile à mettre en place, non seulement pour des raisons techniques, mais aussi du point de vue humain, car la résistance au changement est souvent forte.
Aussi, les entreprises qui maîtrisent le mieux cette cohérence sont celles dont l'organisation des tâches est partagée avec une gestion événementielle du multicanal intégrée. Aujourd'hui, la prise de conscience des managers d'entreprises sur ces incohérences est réelle, d'autant plus que l'expérience client ne cesse de progresser. «En multipliant les canaux, nous avons complexifié l'expérience du client qui s'est lui-même forgé la sienne, explique Xavier Gazay. Les entreprises l'ont compris et essaient de reprendre la main sur cette notion d'expérience client. Avant, les entreprises ouvraient des canaux et attendaient que le consommateur s'y présente. Aujourd'hui, elles tracent un parcours en favorisant certains canaux en fonction des clients. Il est indispensable de maîtriser le pilotage de l'expérience client. Celle-ci doit être déterminée en fonction du style de vie, de la valeur du client, de son segment, du type d'interaction souhaité par le client.»
En outre, les entreprises de vente en ligne nouvellement créées possèdent davantage d'atouts pour acquérir cette cohérence. Avec un système d'information qui se construit autour d'une stratégie et d'une logique multicanal, les solutions de gestion de relation client sont en mesure de bien communiquer entre elles; ce qui ne garantit pas pour autant une meilleure expérience client que dans les sociétés «à l'ancienne». A l'instar de Darty des modèles de relation client multicanal fonctionnent, avec un parcours qui implique différents canaux. Ainsi, après avoir passé une commande sur Internet, le client reçoit un SMS lorsque le livreur s'apprête à effectuer la livraison, avant de recevoir par courrier un questionnaire de satisfaction sur le service proposé. Trois canaux se succèdent, voire quatre, si on prend en considération la livraison.
Guillaume Burel (Deloitte)
«Le multicanal ne doit pas être un objectif en soi, mais un moyen de toucher de manière, différente les clients et de leur donner le choix.»
Avant de raisonner sur la technologie, il faut raisonner autour des besoins des clients. «Le multicanal ne doit pas être un objectif en soi, mais un moyen de toucher de différentes manières les clients et de leur donner le choix. Un choix sur le lieu, le moment et sur la manière», explique Guillaume Burel. C'est pourquoi, les visions de l'entreprise et du client doivent être accordées autour d'une stratégie multicanal et relationnelle. Dans de nombreux cas, les besoins des clients ne sont pas assez pris en compte. Et par réaction, les consommateurs se réunissent sous forme de communautés sur Internet. Il ne faut pas oublier non plus que l'identification du profil du client prend toute sa valeur dès lors que l'on ne se contente pas d'effectuer un profil sur la seule valeur marchande . En effet, beaucoup d'entreprises basent leur profil client sur la valeur pécuniaire facturée au client. Mais la valeur la plus pertinente va au-delà et englobe des notions de potentiel, de durée de vie, etc. qui influencent l'attitude du client et le fidélisent. Une autre tendance, très forte, se caractérise par l'émergence des offres de self-care et de self-service, outils qui permettent aux clients de s'approprier la gestion de leurs comptes ou la recherche d'informations d'assistance. «Initialement, le self-care est un outil émanant des systèmes d'information. L'automatisation de l'ensemble des actes de gestion a donné naissance à un nouveau canal de contact ou de gestion. Les entreprises de services développent depuis quelques années des outils de self-care dans une optique de réduction de coûts et d'image de marque. La disponibilité et l'autonomie qui en découlent sont appréciées des utilisateurs», souligne François-Xavier Leroux, manager Telecom Media d'Ineum Consulting.
Une différenciation des traitements clients
Après avoir multiplié les canaux de relation client, les entreprises doivent apprendre à en piloter l'activité et à jouer sur leur complémentarité. Or, la place occupée par le self-service permet aux autres canaux d'être recentrés et utilisés à bon escient, que ce soit dans le domaine de la vente pour la distribution, le conseil et l'assistance pour le service client. Il est alors envisageable de rentrer dans une logique de différenciation des traitements clients: un client à forte valeur se fera traiter différemment de celui à faible valeur. Idem pour les motifs d'appels qui sont aussi traités avec discernement. «Les efforts sur la rationalisation des coûts semblent évidents; ce qui incite les entreprises à utiliser chaque canal en fonction de sa spécificité. On ne peut pas, par exemple, demander à un téléconseiller de passer 10 minutes sur un acte administratif alors que cela ne débouche sur rien en termes de valeur ajoutée, même si la satisfaction du client est obtenue», commente François-Xavier Leroux. On s'aperçoit aussi que la relation client est aujourd'hui traitée indirectement par la qualité de service. Des réponses immédiates et exactes données par SVI améliorent ainsi le temps de réponse et participent à la qualité de service perçue par le client et donc à la relation client.
Enfin, pour s'informer, satisfaire sa curiosité ou acheter, le client dispose désormais d'un large panel de moyens de contact, puisqu'aux traditionnels magasins ou catalogues se sont ajoutés les centres d'appels, les sites internet et, depuis quelques années, les SVI, les bornes multimédias interactives, sans oublier les SMS. Souhaité et apprécié des consommateurs, le multicanal est encore perfectible. Du point de vue des entreprises, il permet d'associer des objectifs souvent contradictoires: augmenter le chiffre d'affaires, tout en améliorant la qualité de service et ce, à moindre coût. Mais il subsiste encore trop de freins technologiques, organisationnels et surtout humains pour réellement parler, aujourd'hui, d'une relation client stricto sensu multicanal.
à lire
Le Multicanal au service de la relation client: tirer bénéfice des nouveaux outils de communication pour se rapprocher de ses clients. D'Alain Bernard et Djamel Khamès, Editions d'Organisation, 156 pages, 35 euros, le Marketing direct multicanal: prospection, fidélisation et reconquête du client, de Yan Claeyssen, Anthony Deydier, Yves Riquet et Francis Salerno pour la préface, Editions Dunod, 327 pages, 30 euros.