Impliquer les salariés
Organiser l'espace, choisir le mobilier, l'acoustique ou l'éclairage sont autant de moyens d'améliorer les conditions de travail sur un centre d'appel et par conséquent, d'augmenter la productivité des opérateurs. Eux seuls sont juges de l'ergonomie de leurs outils. D'où l'intérêt d'associer le personnel à chaque projet d'aménagement.
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« Les grèves liées aux conditions de travail des opérateurs sont un
phénomène nouveau dans les centres d'appels, observe Jean Gourault, consultant
chez Réalités Marketing. L'exiguïté du poste, le bruit, l'éclairage mal adapté
peuvent provoquer des maux de tête dus à des problèmes de vision, une
altération de l'audition. On utilise des technologies de très haut niveau dans
les centres d'appels. Mais ce n'est pas la technologie qui fidélise le client,
c'est l'opérateur ! » Pour lui assurer des conditions du travail acceptables,
il faut penser ergonomie : celle du poste et aussi celle de l'environnement.
L'aménagement du poste de travail diffère selon le type d'activités du centre
d'appels. Mais il obéit toujours aux mêmes critères de bonne utilisation des
ressources humaines et d'approche sociale. Explications de Christian De
Mullenheim, directeur général de Matéric : « Dans les centres destinés au
télémarketing et aux sondages, les opérateurs n'ont besoin que d'un écran et
d'un ordinateur. Et les patrons de ces centres n'ont qu'une seule contrainte,
celle du rendement. Alors on nous demande des postes pas très larges, de 90 à
120 cm, pour un espace de 3-3,5 m2 par personne. Ce sont des boxes, comme pour
des veaux. Notre réponse dans ce cas est de rappeler que dans les sociétés de
télémarketing le turn-over est très important. » Pour le Dg de Matéric, il faut
essayer de réduire le turn-over en donnant aux gens une sensation différente,
en tout cas pas celle de travailler dans une cabine téléphonique. Il est
important d'aménager des postes de façon à ce que chacun voie ses collègues sur
les côtés. Et aussi d'éviter la création des plateaux démesurés. Découper les
locaux en entités de 50-80 personnes est une bonne solution, qui donne
l'impression d'espaces différents mais aussi d'amélioration des conditions
acoustiques. Dans les services la situation est différente. Ici, le niveau
d'études des opérateurs est parfois de Bac + 3 ou Bac + 4. Ils ont besoin de
plus de place, entre 5 et 7 m2 par personne, et d'un environnement plus chaud.
Si dans le marketing, ce sont des postes à mi-temps qui sont occupés par des
étudiants, dans les services c'est plutôt du 39 heures avec des contrats à
durée indéterminée. Ces personnes ont suivi plusieurs formations pour faire ce
métier. C'est donc un investissement dans les ressources humaines. De plus, les
clients qui appellent un service de support technique sont confrontés à une
panne, à un problème. Certains peuvent se montrer hargneux. Il faut créer une
ambiance plus chaude pour faire accepter aux opérateurs le travail dans ces
conditions stressantes, et éviter de trop cloisonner les espaces. Pour
l'opérateur, voir ses voisins et le superviseur est aussi une façon de se
sentir soutenu, de ne pas se retrouver seul face aux problèmes. L'ergonomie
individuelle de l'espace du poste de travail a été étudiée et disséquée en
trois grandes zones. « La première zone, dite de proximité, s'étend à 10 ou 15
cm autour du corps, explique Manuela Traeger, chef d'applications centres
d'appels chez Steelcase Strafor. Toute intrusion dans cette zone est
psychologiquement considérée comme une agression. » Ensuite vient l'espace
personnel, délimité par la longueur du bras - un rayon d'un mètre environ
délimite l'espace utile et accessible à la personne. D'où le choix de Steelcase
Strafor de faire des postes arrondis car toute la surface du bureau se trouve
alors à même distance accessible. L'étude ergonomique du poste vise justement à
optimiser l'utilisation de cet espace personnel. Enfin, la troisième zone,
celle de communication, sert à accueillir les autres. « Dans cet espace, nous
prévoyons un emplacement arrondi dans le meuble destiné à accueillir le
superviseur avec son siège », signale Manuela Traeger.
L'ESPACE PERSONNEL À AMÉNAGER
Les recherches en ergonomie du poste se
portent essentiellement sur l'espace personnel. Mais pour Michel Bensoussan,
responsable de l'offre centres d'appels chez Herman Miller, la tendance est
plus à l'aménagement qu'au mobilier en soi : « Il faut aller voir le client
pour déterminer ses besoins et aménager en correspondance avec ses activités.
Le plus souvent, nos clients en sont à la création de leur premier centre
d'appels. Ils n'ont aucune connaissance en la matière, sont demandeurs de
conseils et d'assistance. » L'opérateur télécoms Télé 2, pour faire face à la
montée du trafic, a par exemple eu besoin d'un certain cloisonnement : il
fallait éviter que les opérateurs se gênent les uns les autres. Mais les
responsables de centres d'appels doivent aussi réfléchir à leurs outils. Tout
informatique ou support papier ? Si le téléconseiller travaille avec du papier
ou de la documentation, il faudra gérer la surface d'un plan de travail
encombré. Autres types de question : s'agit-il de télémarketing pur ou d'un
centre d'appels interne à l'entreprise, avec des emplois à plein temps ou du
temps partiel ? Pour le poste de travail, la distance entre l'oeil et l'écran
doit être comprise entre 60 et 70 cm. Cela suppose des plateaux à profondeur
variable pour s'adapter à des écrans de taille différente, entre 15 et 21
pouces - la profondeur de l'écran augmente sensiblement avec sa taille, l'écart
peut aller jusqu'à 10 cm de profondeur, voire plus. Cyrille Richard, chef des
produits Système chez Haworth, déplore une politique d'investissements
restreints en la matière : « Nous avons aujourd'hui des gammes de mobilier peu
chères mais très techniques, avec la possibilité d'avoir des plateaux mobiles,
de faire monter ou descendre les écrans. Malheureusement, les outils fournis
aux téléopérateurs sont trop souvent en dessous des préconisations, pour des
raisons de coût ». Le mobilier avec plateau réglable sur la hauteur (par
système électrique) est particulièrement intéressant pour des centres qui
accueillent des handicapés. Ailleurs, on peut se limiter à un réglage
mécanique. Dans les rangements, il y a généralement le choix entre différents
caissons aménagés selon les besoins de l'entreprise, avec un tiroir personnel,
un casier pour classeurs, des trieurs, des dossiers suspendus. Côté siège, il
faut, selon Cyrille Richard, « une bonne dose de mobilité pour des personnes
qui vivent toute la journée assises. Un mobilier complètement statique nuit à
la circulation sanguine, à la bonne répartition de la température corporelle, à
la bonne tenue du dos. » D'autres fabricants de mobilier, comme Herman Miller,
proposent aussi des ergonomies pour la position assise prolongée, permettant un
basculement simultané du dossier et du siège. Autre élément de l'ergonomie du
poste, le repose-pieds est très important pour des personnes de petite taille
car il permet d'avoir une position correcte et ergonomique face à l'écran.
C'est d'ailleurs le seul accessoire que l'employeur ne peut en aucun cas
refuser à ses salariés.
TROIS ARCHITECTURES POSSIBLES
Le mobilier dans le centre est le plus souvent organisé en configuration
linéaire, par groupes de quatre ou bien en rosace. Les constructeurs comme
Matéric proposent les trois types de mobilier. Suivant la configuration du site
et ses objectifs, on penchera plutôt vers l'un ou vers l'autre. Le mobilier
organisé en marguerite permet d'adapter facilement la profondeur et de
positionner l'opérateur dans l'axe de l'écran. La marguerite ou rosace permet
aussi de réunir jusqu'à sept postes. Dans la télévente, elle offre une
meilleure communication visuelle entre les membres d'une équipe. Une marguerite
peut offrir un espace de 5 à 6 m2 par personne. Ce schéma est dédié aux
téléconseillers qui ont besoin de plus de concentration. Un autre avantage de
l'organisation en groupe de quatre ou en marguerite est d'intégrer un
emplacement pour le poteau central qui servira au passage des câbles et
assurera leur meilleure utilisation. « Le câblage est une contrainte forte,
observe Michel Bensoussan. Selon les bâtiments, les arrivées peuvent être
réalisées par le faux plafond, par la plinthe technique ou par le sol. Faire
venir l'électricité jusqu'au centre du plateau est parfois un problème. En
fonction de la quantité des câbles, on essaye de les faire passer par le
mobilier, ou bien directement dans des cloisons techniques vides à l'intérieur.
L'accès au câblage sur le plan de travail permet de reconfigurer facilement les
postes. » Pour l'implantation du poste de superviseur, deux philosophies sont
possibles. Soit on poste l'animateur au milieu de l'équipe, soit hors de
l'équipe en privilégiant une vision d'ensemble. Le poste du superviseur a
besoin de fonctions supplémentaires : plusieurs écrans, une table de réunion,
des espaces de rangement, parfois une imprimante ou un fax. Pour les postes
d'encadrement comme pour ceux des téléconseillers, le gros point noir dans
l'aménagement est l'équipement informatique. « Pour l'intégration de
l'informatique dans le mobilier nous sommes en retard, déclare Cyrille Richard.
L'idéal serait d'assurer l'intégration de l'écran dans le bureau ou dans la
cloison. Mais il n'y a pas de liens entre nous, créateurs de mobilier, et les
fournisseurs du matériel informatique pour les centres d'appels. Nous-mêmes,
chez Haworth, nous aimerions faire plus dans ce domaine - mais la concertation
n'est pas admise. Nous espérons que la généralisation des écrans plats
apportera des solutions nouvelles, car la diminution de la profondeur requise
des postes de travail permettra de revenir sur la problématique d'intégration.
» L'une des missions premières d'un ergonome de centres d'appels consiste à
atténuer au maximum les nuisances sonores. « Le bruit peut être très gênant
dans les métiers bancaires, observe Christian De Mullenheim. Un client s'attend
à un contact intime avec son banquier. Entendre en bruit de fond les détails
des transactions effectuées par d'autres opérateurs induit que les détails de
votre opération peuvent être entendus par des tiers. De même, dans les
assurances, quand on appelle pour déclarer un sinistre, on désire un peu de
calme et d'attention de la part de l'agent. » Quand on travaille dans le
brouhaha, faire répéter le client génère une perte de qualité du contact. Mais
l'isolation acoustique complète n'est pas la panacée. Le centre d'appels
fonctionne dans un compromis permanent entre l'isolation phonique et le travail
en équipe. Le besoin de se voir, d'être en contact impose des systèmes vitrés.
Mais le verre n'est pas le meilleur élément phonique car il n'absorbe pas les
sons. Alors, on a par exemple recours à des cloisons semi-vitrées recouvertes
de tissu dans la partie basse. Manuela Traeger met pour sa part en garde contre
des parois de séparation trop hautes qui provoquent une détérioration des
conditions acoustiques : « Un opérateur qui ne voit pas ses voisins a
l'impression d'être seul et commence à parler plus fort. On peut gérer ce
phénomène psychologique en pratiquant des découpes et des abaissements dans les
cloisons ».
PERSONNALISER L'ÉCLAIRAGE
Dans les gammes
des constructeurs, on trouve des panneaux absorbants conçus avec de la mousse
haute densité, en double épaisseur : une âme en bois est recouverte de plus de
10 mm de mousse de chaque côté. La partie supérieure est transparente avec du
verre de 8 mm. Conçus sur une structure métallique, ces éléments peuvent être
montés et démontés facilement lors d'un réaménagement. « L'éclairage contribue
à la santé psychologique et en même temps à la prise en compte des aspects
individuels de chacun, observe Manuela Traeger. Régler l'éclairage individuel
permet de l'adapter à la qualité de vue en fonction de l'âge de la personne.
Pour le travail sur l'écran, il doit être supérieur à 300 lux, mais pour le
travail sur papier, il faut prévoir un niveau de 500 lux au minimum. » Le plus
souvent, les centres d'appels fonctionnent avec un éclairage direct au plafond.
Or, les call centers ont souvent besoin d'être réaménagés rapidement en îlots,
en espaces distincts. Ce réaménagement est fait par le client lui-même. Le
schéma d'éclairage direct devient dès lors très vite obsolète et même
improductif, car le rythme soutenu du travail toute la journée nécessite un
niveau d'éclairage constant quelle que soit l'heure de la journée ou de la
soirée, pour produire un effet dopant sur le personnel. « A moins de 400 lux on
ne voit plus grand-chose, à moins de 1 000 lux on ne stimule pas suffisamment
l'activité. Il faut donc disposer d'un éclairage qui permet l'adaptation »,
remarque Cyrille Richard L'idéal est d'installer un éclairage d'ambiance et de
le compléter avec un éclairage individuel à basse tension, avec un faible
dégagement de chaleur. Les lampes individuelles avec prépositionnement
permettent d'avoir un éclairage bien réglé.
OPTER POUR DES COULEURS CHAUDES
Dans la colorimétrie, la tendance est aux teintes
apaisantes. Il s'agit de réaliser un cadre harmonieux, avec quelques tons
soutenus pour donner plus de vie à l'ensemble. La tonalité bois est très
demandée parce qu'elle véhicule un sentiment de chaleur. « Aujourd'hui nous
utilisons beaucoup de bois mélaminé dans des tons clairs, au lieu de bleu,
jaune ou ocre uni comme avant », observe Christian De Mullenheim. Il est
toujours possible de rajouter une touche de couleur qui rappelle la charte
graphique de l'entreprise. En principe ce n'est pas utile, car le centre
d'appels n'est pas censé recevoir des visiteurs. Mais cela plaît à la
direction. Il faut savoir se limiter à une touche, un accessoire. Par exemple,
sur les poteaux qui servent à amener les câbles. Et surtout ne pas en faire une
règle. Selon Manuela Traeger, « on utilise aujourd'hui beaucoup la gamme de
beige, intégrée dans les panneaux de séparation. Mais il y a des exceptions.
Par exemple, AOL a voulu créer un environnement dynamique, jeune et "fun" avec
une moquette bleu roi et plein de couleurs sur les murs ». Les salles de
détente et de réunion sont aussi un élément important. Pour leur aménagement on
peut faire appel à l'imagination de l'architecte - à condition de ne pas
confondre les deux types de locaux. La salle de réunion est un local banalisé,
avec du mobilier de bureau standard. Dans la salle de détente, en revanche, il
faut porter une attention particulière au choix des matières et des formes.
L'évacuation de la chaleur et l'aération sont un autre sujet de préoccupation.
Une centaine de personnes travaillant dans le même local, avec autant d'écrans
qui chauffent et d'unités centrales qui tournent, plus l'éclairage : l'ensemble
a bien besoin d'un système de climatisation puissant. Souvent, la climatisation
est déjà installée dans un local que l'on compte utiliser pour le centre
d'appels. Dans ce cas, comme d'ailleurs de manière générale, il est prudent de
consulter au préalable un architecte spécialisé ou bien un fabricant de
mobilier - ils ont tous développé des services d'audit et d'aménagement. Leurs
conseils permettront d'écarter des locaux inadaptés avec un plafond trop haut
et non acoustique, ou bien ceux dont les matériaux ne se prêtent pas bien aux
aménagements d'un centre d'appels.
Chez AMF, les salariés ont tranché dans un appel d'offres
AMF (Assurance Mutuelle des Fonctionnaires) a entamé il y a deux ans une refonte de son centre d'appels interne. « Notre centre a été inauguré en 1986, alors qu'il n'y avait pas de mobilier ni d'autres équipements spécialisés pour les centres d'appels sur le marché, remarque Jean-Claude Barousse, responsable du département de gestion des sociétaires de l'AMF. Nous avons commencé à chercher un aménagement par équipes de dix, plus un animateur, offrant à chacun un coin personnalisé et permettant un gain de place général. » Après un appel d'offres, trois projets d'aménagement ont été présentés aux salariés du centre. Les équipes ont pu visiter d'autres sites, avant de choisir le mobilier d'Herman Miller : des postes de 180 par 140, en trèfle par quatre. Ils se sont prononcés sur la hauteur de la partie vitrée des cloisons, sur la couleur et la forme des sièges - dont certains leur rappelaient le fauteuil du dentiste - et sur la qualité apparente des meubles. « Par exemple, les bureaux de Matéric ont été jugés un peu trop "quincaillerie". Le mobilier d'Herman Miller a été plébiscité pour son aspect sérieux et fiable, ses couleurs plus chaudes et ses formes arrondies. Aujourd'hui, nous sommes en train de terminer la dernière tranche des réaménagements, et je dois remarquer que les salariés sont satisfaits par leurs propres choix. »
L'aménagement, une question de culture nationale
L'aménagement des centres d'appels est très influencé par les traditions et la culture. La tendance d'espace ouvert serait à la mode aux Etats-Unis, en Grande-Bretagne et en Irlande. Les Anglo-Saxons privilégient une optimisation de la surface. Il n'y a pas de cloisons dans le bâtiment, c'est le mobilier qui apporte des séparations. Leur approche est fonctionnelle : un espace - une équipe. Cela facilite la communication à l'intérieur et le travail en équipe. Et cela leur permet d'instaurer un esprit de compétition pour pousser les performances de chaque équipe. Les centres d'appels aux Etats-Unis sont très luxueux. Pas de postes en ligne, pas de "poulaillers". « Les pays de l'Europe du Nord, Belgique comprise, privilégient davantage le rapport qualité-prix, constate Manuela Traeger, chef d'applications centres d'appels chez Steelcase Strafor. On n'y recherche pas nécessairement le moins cher, mais un meilleur rendement de l'investissement. Il y faut des centres d'appels où l'on peut se sentir comme à la maison, poser des plantes vertes, aménager des espaces privés, intégrer une crèche pour que les femmes puissent venir travailler avec leurs enfants. C'est une approche sociale et urbaine à la fois, avec prise en compte de l'infrastructure des transports publics. Si le centre d'appels se trouve à la périphérie de la ville, on demandera qu'un arrêt de bus soit créé à proximité. » La France, l'Espagne et l'Italie ont une approche différente. La considération du poste n'est pas le souci premier. On investit plus dans le design, moins dans l'aménagement. En Italie, par exemple, on va d'abord construire le bâtiment et ensuite regarder à l'intérieur - comment va-t-on caser les opérateurs ? En Allemagne, on procède de façon opposée : on juxtapose les postes de travail et ensuite, on construit le bâtiment autour.