Recherche

Impliquer les salariés

Organiser l'espace, choisir le mobilier, l'acoustique ou l'éclairage sont autant de moyens d'améliorer les conditions de travail sur un centre d'appel et par conséquent, d'augmenter la productivité des opérateurs. Eux seuls sont juges de l'ergonomie de leurs outils. D'où l'intérêt d'associer le personnel à chaque projet d'aménagement.

Publié par le
Lecture
16 min
  • Imprimer


« Les grèves liées aux conditions de travail des opérateurs sont un phénomène nouveau dans les centres d'appels, observe Jean Gourault, consultant chez Réalités Marketing. L'exiguïté du poste, le bruit, l'éclairage mal adapté peuvent provoquer des maux de tête dus à des problèmes de vision, une altération de l'audition. On utilise des technologies de très haut niveau dans les centres d'appels. Mais ce n'est pas la technologie qui fidélise le client, c'est l'opérateur ! » Pour lui assurer des conditions du travail acceptables, il faut penser ergonomie : celle du poste et aussi celle de l'environnement. L'aménagement du poste de travail diffère selon le type d'activités du centre d'appels. Mais il obéit toujours aux mêmes critères de bonne utilisation des ressources humaines et d'approche sociale. Explications de Christian De Mullenheim, directeur général de Matéric : « Dans les centres destinés au télémarketing et aux sondages, les opérateurs n'ont besoin que d'un écran et d'un ordinateur. Et les patrons de ces centres n'ont qu'une seule contrainte, celle du rendement. Alors on nous demande des postes pas très larges, de 90 à 120 cm, pour un espace de 3-3,5 m2 par personne. Ce sont des boxes, comme pour des veaux. Notre réponse dans ce cas est de rappeler que dans les sociétés de télémarketing le turn-over est très important. » Pour le Dg de Matéric, il faut essayer de réduire le turn-over en donnant aux gens une sensation différente, en tout cas pas celle de travailler dans une cabine téléphonique. Il est important d'aménager des postes de façon à ce que chacun voie ses collègues sur les côtés. Et aussi d'éviter la création des plateaux démesurés. Découper les locaux en entités de 50-80 personnes est une bonne solution, qui donne l'impression d'espaces différents mais aussi d'amélioration des conditions acoustiques. Dans les services la situation est différente. Ici, le niveau d'études des opérateurs est parfois de Bac + 3 ou Bac + 4. Ils ont besoin de plus de place, entre 5 et 7 m2 par personne, et d'un environnement plus chaud. Si dans le marketing, ce sont des postes à mi-temps qui sont occupés par des étudiants, dans les services c'est plutôt du 39 heures avec des contrats à durée indéterminée. Ces personnes ont suivi plusieurs formations pour faire ce métier. C'est donc un investissement dans les ressources humaines. De plus, les clients qui appellent un service de support technique sont confrontés à une panne, à un problème. Certains peuvent se montrer hargneux. Il faut créer une ambiance plus chaude pour faire accepter aux opérateurs le travail dans ces conditions stressantes, et éviter de trop cloisonner les espaces. Pour l'opérateur, voir ses voisins et le superviseur est aussi une façon de se sentir soutenu, de ne pas se retrouver seul face aux problèmes. L'ergonomie individuelle de l'espace du poste de travail a été étudiée et disséquée en trois grandes zones. « La première zone, dite de proximité, s'étend à 10 ou 15 cm autour du corps, explique Manuela Traeger, chef d'applications centres d'appels chez Steelcase Strafor. Toute intrusion dans cette zone est psychologiquement considérée comme une agression. » Ensuite vient l'espace personnel, délimité par la longueur du bras - un rayon d'un mètre environ délimite l'espace utile et accessible à la personne. D'où le choix de Steelcase Strafor de faire des postes arrondis car toute la surface du bureau se trouve alors à même distance accessible. L'étude ergonomique du poste vise justement à optimiser l'utilisation de cet espace personnel. Enfin, la troisième zone, celle de communication, sert à accueillir les autres. « Dans cet espace, nous prévoyons un emplacement arrondi dans le meuble destiné à accueillir le superviseur avec son siège », signale Manuela Traeger.

L'ESPACE PERSONNEL À AMÉNAGER


Les recherches en ergonomie du poste se portent essentiellement sur l'espace personnel. Mais pour Michel Bensoussan, responsable de l'offre centres d'appels chez Herman Miller, la tendance est plus à l'aménagement qu'au mobilier en soi : « Il faut aller voir le client pour déterminer ses besoins et aménager en correspondance avec ses activités. Le plus souvent, nos clients en sont à la création de leur premier centre d'appels. Ils n'ont aucune connaissance en la matière, sont demandeurs de conseils et d'assistance. » L'opérateur télécoms Télé 2, pour faire face à la montée du trafic, a par exemple eu besoin d'un certain cloisonnement : il fallait éviter que les opérateurs se gênent les uns les autres. Mais les responsables de centres d'appels doivent aussi réfléchir à leurs outils. Tout informatique ou support papier ? Si le téléconseiller travaille avec du papier ou de la documentation, il faudra gérer la surface d'un plan de travail encombré. Autres types de question : s'agit-il de télémarketing pur ou d'un centre d'appels interne à l'entreprise, avec des emplois à plein temps ou du temps partiel ? Pour le poste de travail, la distance entre l'oeil et l'écran doit être comprise entre 60 et 70 cm. Cela suppose des plateaux à profondeur variable pour s'adapter à des écrans de taille différente, entre 15 et 21 pouces - la profondeur de l'écran augmente sensiblement avec sa taille, l'écart peut aller jusqu'à 10 cm de profondeur, voire plus. Cyrille Richard, chef des produits Système chez Haworth, déplore une politique d'investissements restreints en la matière : « Nous avons aujourd'hui des gammes de mobilier peu chères mais très techniques, avec la possibilité d'avoir des plateaux mobiles, de faire monter ou descendre les écrans. Malheureusement, les outils fournis aux téléopérateurs sont trop souvent en dessous des préconisations, pour des raisons de coût ». Le mobilier avec plateau réglable sur la hauteur (par système électrique) est particulièrement intéressant pour des centres qui accueillent des handicapés. Ailleurs, on peut se limiter à un réglage mécanique. Dans les rangements, il y a généralement le choix entre différents caissons aménagés selon les besoins de l'entreprise, avec un tiroir personnel, un casier pour classeurs, des trieurs, des dossiers suspendus. Côté siège, il faut, selon Cyrille Richard, « une bonne dose de mobilité pour des personnes qui vivent toute la journée assises. Un mobilier complètement statique nuit à la circulation sanguine, à la bonne répartition de la température corporelle, à la bonne tenue du dos. » D'autres fabricants de mobilier, comme Herman Miller, proposent aussi des ergonomies pour la position assise prolongée, permettant un basculement simultané du dossier et du siège. Autre élément de l'ergonomie du poste, le repose-pieds est très important pour des personnes de petite taille car il permet d'avoir une position correcte et ergonomique face à l'écran. C'est d'ailleurs le seul accessoire que l'employeur ne peut en aucun cas refuser à ses salariés.

TROIS ARCHITECTURES POSSIBLES


Le mobilier dans le centre est le plus souvent organisé en configuration linéaire, par groupes de quatre ou bien en rosace. Les constructeurs comme Matéric proposent les trois types de mobilier. Suivant la configuration du site et ses objectifs, on penchera plutôt vers l'un ou vers l'autre. Le mobilier organisé en marguerite permet d'adapter facilement la profondeur et de positionner l'opérateur dans l'axe de l'écran. La marguerite ou rosace permet aussi de réunir jusqu'à sept postes. Dans la télévente, elle offre une meilleure communication visuelle entre les membres d'une équipe. Une marguerite peut offrir un espace de 5 à 6 m2 par personne. Ce schéma est dédié aux téléconseillers qui ont besoin de plus de concentration. Un autre avantage de l'organisation en groupe de quatre ou en marguerite est d'intégrer un emplacement pour le poteau central qui servira au passage des câbles et assurera leur meilleure utilisation. « Le câblage est une contrainte forte, observe Michel Bensoussan. Selon les bâtiments, les arrivées peuvent être réalisées par le faux plafond, par la plinthe technique ou par le sol. Faire venir l'électricité jusqu'au centre du plateau est parfois un problème. En fonction de la quantité des câbles, on essaye de les faire passer par le mobilier, ou bien directement dans des cloisons techniques vides à l'intérieur. L'accès au câblage sur le plan de travail permet de reconfigurer facilement les postes. » Pour l'implantation du poste de superviseur, deux philosophies sont possibles. Soit on poste l'animateur au milieu de l'équipe, soit hors de l'équipe en privilégiant une vision d'ensemble. Le poste du superviseur a besoin de fonctions supplémentaires : plusieurs écrans, une table de réunion, des espaces de rangement, parfois une imprimante ou un fax. Pour les postes d'encadrement comme pour ceux des téléconseillers, le gros point noir dans l'aménagement est l'équipement informatique. « Pour l'intégration de l'informatique dans le mobilier nous sommes en retard, déclare Cyrille Richard. L'idéal serait d'assurer l'intégration de l'écran dans le bureau ou dans la cloison. Mais il n'y a pas de liens entre nous, créateurs de mobilier, et les fournisseurs du matériel informatique pour les centres d'appels. Nous-mêmes, chez Haworth, nous aimerions faire plus dans ce domaine - mais la concertation n'est pas admise. Nous espérons que la généralisation des écrans plats apportera des solutions nouvelles, car la diminution de la profondeur requise des postes de travail permettra de revenir sur la problématique d'intégration. » L'une des missions premières d'un ergonome de centres d'appels consiste à atténuer au maximum les nuisances sonores. « Le bruit peut être très gênant dans les métiers bancaires, observe Christian De Mullenheim. Un client s'attend à un contact intime avec son banquier. Entendre en bruit de fond les détails des transactions effectuées par d'autres opérateurs induit que les détails de votre opération peuvent être entendus par des tiers. De même, dans les assurances, quand on appelle pour déclarer un sinistre, on désire un peu de calme et d'attention de la part de l'agent. » Quand on travaille dans le brouhaha, faire répéter le client génère une perte de qualité du contact. Mais l'isolation acoustique complète n'est pas la panacée. Le centre d'appels fonctionne dans un compromis permanent entre l'isolation phonique et le travail en équipe. Le besoin de se voir, d'être en contact impose des systèmes vitrés. Mais le verre n'est pas le meilleur élément phonique car il n'absorbe pas les sons. Alors, on a par exemple recours à des cloisons semi-vitrées recouvertes de tissu dans la partie basse. Manuela Traeger met pour sa part en garde contre des parois de séparation trop hautes qui provoquent une détérioration des conditions acoustiques : « Un opérateur qui ne voit pas ses voisins a l'impression d'être seul et commence à parler plus fort. On peut gérer ce phénomène psychologique en pratiquant des découpes et des abaissements dans les cloisons ».

PERSONNALISER L'ÉCLAIRAGE


Dans les gammes des constructeurs, on trouve des panneaux absorbants conçus avec de la mousse haute densité, en double épaisseur : une âme en bois est recouverte de plus de 10 mm de mousse de chaque côté. La partie supérieure est transparente avec du verre de 8 mm. Conçus sur une structure métallique, ces éléments peuvent être montés et démontés facilement lors d'un réaménagement. « L'éclairage contribue à la santé psychologique et en même temps à la prise en compte des aspects individuels de chacun, observe Manuela Traeger. Régler l'éclairage individuel permet de l'adapter à la qualité de vue en fonction de l'âge de la personne. Pour le travail sur l'écran, il doit être supérieur à 300 lux, mais pour le travail sur papier, il faut prévoir un niveau de 500 lux au minimum. » Le plus souvent, les centres d'appels fonctionnent avec un éclairage direct au plafond. Or, les call centers ont souvent besoin d'être réaménagés rapidement en îlots, en espaces distincts. Ce réaménagement est fait par le client lui-même. Le schéma d'éclairage direct devient dès lors très vite obsolète et même improductif, car le rythme soutenu du travail toute la journée nécessite un niveau d'éclairage constant quelle que soit l'heure de la journée ou de la soirée, pour produire un effet dopant sur le personnel. « A moins de 400 lux on ne voit plus grand-chose, à moins de 1 000 lux on ne stimule pas suffisamment l'activité. Il faut donc disposer d'un éclairage qui permet l'adaptation », remarque Cyrille Richard L'idéal est d'installer un éclairage d'ambiance et de le compléter avec un éclairage individuel à basse tension, avec un faible dégagement de chaleur. Les lampes individuelles avec prépositionnement permettent d'avoir un éclairage bien réglé.

OPTER POUR DES COULEURS CHAUDES


Dans la colorimétrie, la tendance est aux teintes apaisantes. Il s'agit de réaliser un cadre harmonieux, avec quelques tons soutenus pour donner plus de vie à l'ensemble. La tonalité bois est très demandée parce qu'elle véhicule un sentiment de chaleur. « Aujourd'hui nous utilisons beaucoup de bois mélaminé dans des tons clairs, au lieu de bleu, jaune ou ocre uni comme avant », observe Christian De Mullenheim. Il est toujours possible de rajouter une touche de couleur qui rappelle la charte graphique de l'entreprise. En principe ce n'est pas utile, car le centre d'appels n'est pas censé recevoir des visiteurs. Mais cela plaît à la direction. Il faut savoir se limiter à une touche, un accessoire. Par exemple, sur les poteaux qui servent à amener les câbles. Et surtout ne pas en faire une règle. Selon Manuela Traeger, « on utilise aujourd'hui beaucoup la gamme de beige, intégrée dans les panneaux de séparation. Mais il y a des exceptions. Par exemple, AOL a voulu créer un environnement dynamique, jeune et "fun" avec une moquette bleu roi et plein de couleurs sur les murs ». Les salles de détente et de réunion sont aussi un élément important. Pour leur aménagement on peut faire appel à l'imagination de l'architecte - à condition de ne pas confondre les deux types de locaux. La salle de réunion est un local banalisé, avec du mobilier de bureau standard. Dans la salle de détente, en revanche, il faut porter une attention particulière au choix des matières et des formes. L'évacuation de la chaleur et l'aération sont un autre sujet de préoccupation. Une centaine de personnes travaillant dans le même local, avec autant d'écrans qui chauffent et d'unités centrales qui tournent, plus l'éclairage : l'ensemble a bien besoin d'un système de climatisation puissant. Souvent, la climatisation est déjà installée dans un local que l'on compte utiliser pour le centre d'appels. Dans ce cas, comme d'ailleurs de manière générale, il est prudent de consulter au préalable un architecte spécialisé ou bien un fabricant de mobilier - ils ont tous développé des services d'audit et d'aménagement. Leurs conseils permettront d'écarter des locaux inadaptés avec un plafond trop haut et non acoustique, ou bien ceux dont les matériaux ne se prêtent pas bien aux aménagements d'un centre d'appels.

Chez AMF, les salariés ont tranché dans un appel d'offres


AMF (Assurance Mutuelle des Fonctionnaires) a entamé il y a deux ans une refonte de son centre d'appels interne. « Notre centre a été inauguré en 1986, alors qu'il n'y avait pas de mobilier ni d'autres équipements spécialisés pour les centres d'appels sur le marché, remarque Jean-Claude Barousse, responsable du département de gestion des sociétaires de l'AMF. Nous avons commencé à chercher un aménagement par équipes de dix, plus un animateur, offrant à chacun un coin personnalisé et permettant un gain de place général. » Après un appel d'offres, trois projets d'aménagement ont été présentés aux salariés du centre. Les équipes ont pu visiter d'autres sites, avant de choisir le mobilier d'Herman Miller : des postes de 180 par 140, en trèfle par quatre. Ils se sont prononcés sur la hauteur de la partie vitrée des cloisons, sur la couleur et la forme des sièges - dont certains leur rappelaient le fauteuil du dentiste - et sur la qualité apparente des meubles. « Par exemple, les bureaux de Matéric ont été jugés un peu trop "quincaillerie". Le mobilier d'Herman Miller a été plébiscité pour son aspect sérieux et fiable, ses couleurs plus chaudes et ses formes arrondies. Aujourd'hui, nous sommes en train de terminer la dernière tranche des réaménagements, et je dois remarquer que les salariés sont satisfaits par leurs propres choix. »

L'aménagement, une question de culture nationale


L'aménagement des centres d'appels est très influencé par les traditions et la culture. La tendance d'espace ouvert serait à la mode aux Etats-Unis, en Grande-Bretagne et en Irlande. Les Anglo-Saxons privilégient une optimisation de la surface. Il n'y a pas de cloisons dans le bâtiment, c'est le mobilier qui apporte des séparations. Leur approche est fonctionnelle : un espace - une équipe. Cela facilite la communication à l'intérieur et le travail en équipe. Et cela leur permet d'instaurer un esprit de compétition pour pousser les performances de chaque équipe. Les centres d'appels aux Etats-Unis sont très luxueux. Pas de postes en ligne, pas de "poulaillers". « Les pays de l'Europe du Nord, Belgique comprise, privilégient davantage le rapport qualité-prix, constate Manuela Traeger, chef d'applications centres d'appels chez Steelcase Strafor. On n'y recherche pas nécessairement le moins cher, mais un meilleur rendement de l'investissement. Il y faut des centres d'appels où l'on peut se sentir comme à la maison, poser des plantes vertes, aménager des espaces privés, intégrer une crèche pour que les femmes puissent venir travailler avec leurs enfants. C'est une approche sociale et urbaine à la fois, avec prise en compte de l'infrastructure des transports publics. Si le centre d'appels se trouve à la périphérie de la ville, on demandera qu'un arrêt de bus soit créé à proximité. » La France, l'Espagne et l'Italie ont une approche différente. La considération du poste n'est pas le souci premier. On investit plus dans le design, moins dans l'aménagement. En Italie, par exemple, on va d'abord construire le bâtiment et ensuite regarder à l'intérieur - comment va-t-on caser les opérateurs ? En Allemagne, on procède de façon opposée : on juxtapose les postes de travail et ensuite, on construit le bâtiment autour.

Alexis Nekrassov

S'abonner
au magazine
Se connecter
Retour haut de page