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Et si on arrêtait la démago ?

Les premiers résultats d'une grande vague d'enquête lancée par la CFDT montrent à quel point les litanies des employeurs et des encadrants sur les perspectives professionnelles, la diversité des tâches et la reconnaissance salariale peuvent sonner faux.

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Une activité très fortement créatrice d'emploi, une image très négative dans l'opinion publique, un environnement social rarement enthousiasmant pour les salariés... les centres d'appels ne pouvaient pas rester longtemps hors la ligne de mire des syndicats. Et l'on ne peut que s'en réjouir. Tant il est vrai que les agents travaillant sur les centaines de call centers que compte la France n'ont jusqu'à présent que rarement fait l'objet d'une réelle reconnaissance de la part de leurs employeurs. Et doivent en toute logique en attendre davantage du côté des confédérations syndicales, quels que soient les préjugés de ces dernières et leurs visées - légitimement - opportunistes de pénétration d'un secteur d'activité. Or, la reconnaissance des employés est, et reste, Le point noir de cette activité de la relation client qui n'arrive pas à se départir des schémas sociaux du monde industriel. C'est ce que confirme les résultats d'une enquête lancée par la CFDT fin 2000 auprès d'un certain nombre de plateaux internalisés (voir encadré). Certes, cette enquête, de par la nature de la population approchée et l'absence de rigueur dans la méthodologie, n'a pas de valeur de représentativité. Mais, après tout, là n'était pas l'ambition de la CFDT. Pour le syndicat, l'objectif était de circonscrire plus avant une activité et un environnement social de lui méconnu, afin de créer les bases d'une démarche de conquête. Par ailleurs, et au passage, l'enquête menée par la CFDT ne semble pas plus aléatoire que nombre d'études quanti menées au fil des mois par de grands cabinets "faisant référence" sur le marché des nouvelles technologies.

Peu de perspectives, des horaires difficiles


En fait, les résultats de l'enquête sont bien intéressants. Et d'abord parce qu'à certains égards, ils mettent à terre les arguments les plus démagogiques déployés à l'unisson par les employeurs de ce marché. "Un vrai métier", "des perspectives de carrière intéressantes", "des salaires encourageants" à force d'être "au-dessus de la moyenne du marché"... Voilà la logorrhée patronale. Du côté des téléconseillers, le langage est tout autre. Lorsqu'on leur demande ce qui, pour eux, est "le plus dur dans leur travail" (six réponses possibles), ils sont 30 %, soit la majorité relative, à évoquer l'absence de perspective professionnelle. 24 % retenant la question des horaires de travail et 23 % le problème des cadences. Lorsqu'on les invite à s'exprimer sur leurs perspectives d'avenir dans l'emploi exercé, 29 % disent continuer de chercher un autre job à l'extérieur et 13 % affirment avoir un projet personnel ailleurs. 39 % sont "à l'affût de promotion interne" et seulement 18 % envisagent de rester. Enfin, lorsqu'on leur demande quels sont les facteurs qu'ils aimeraient voir évoluer en priorité (13 réponses possibles avec deux options maximum), 49 % optent pour les salaires, 31 % pour les horaires et 30 % pour la reconnaissance. Quant à ces fameuses polyvalence et diversité tant défendues par les responsables de centres d'appels, elles semblent trouver peu d'écho dans les faits. 83 % des téléconseillers ayant répondu à l'enquête jugent leur travail "répétitif". « Dans le cas d'une seule entreprise, la majorité des personnes ont jugé leur travail diversifié. Il s'agit de NC Numéricâble, qui était, au moment de l'enquête, en train d'intégrer le canal internet à la gestion de relation client », précise Martine Zuber, responsable des télécoms à la fédération communication de la CFDT.

Des compétences insuffisamment exploitées


Voyons maintenant la dimension responsabilisation, autre argument chéri des employeurs et de la hiérarchie de proximité. 47 % des répondants estiment que leurs compétences ne sont utilisées qu'en partie, 29 % qu'elles ne le sont pas du tout. Seuls 19 % affirment voir leurs aptitudes correctement mises à profit. La prise d'initiative semble également plus théorique que réelle : 21 % disent n'avoir aucune marge en la matière. 49 % ne prennent des initiatives que sur des problèmes simples. 28 % affir-ment "pouvoir en prendre". Sur les questions propres à l'organisation de leur travail, 29 % regrettent d'être systématiquement mis devant le fait accompli, 43 % affirment être simplement informés sans possibilité d'expression. 24 % se disent consultés. « Nous nous sommes lancés dans cette enquête avec un certain nombre de préjugés, reconnaît Martine Zuber. Et, sur certains points, nous avons été heureusement surpris. » A commencer par un taux important (34 %) de personnes "satisfaites" par des actions de formation "régulières". 39 % des téléconseillers considérant quand même que si la formation existe, elle reste "succincte". Autre objet d'étonnement pour les enquêteurs : la facture positive des relations avec la hiérarchie directe, 56 % qualifiant ces relations de "bonnes" et 29 % de "moyennes". Un climat hiérarchique plutôt positif donc, qui n'exclut pas pour autant le contrôle, les conseillers en sont bien conscients. Ils ne sont en effet que 10 % à s'estimer "rarement contrôlés". 37 % évoquant un "contrôle périodique du supérieur hiérarchique" et 32 % un contrôle "automatique par un outil informatique". Le sujet se corse avec la question des écoutes téléphoniques. Généralement présentées comme des vecteurs d'amélioration individuelle et donc de valorisation du travail, les écoutes ne semblent pas faire l'objet d'une grande transparence dans leur programmation et leur utilisation. Si 62 % des personnes ayant répondu à l'enquête disent être écoutées "tous les quinze jours, voire tous les mois", 26 % en ignorent la fréquence. En outre, seulement 22 % sont prévenues qu'elles vont être écoutées. Alors qu'une grande partie des superviseurs et responsables de centres proclament haut et fort prévenir systématiquement leurs équipes. 50 % des téléconseillers se disent prévenus "de temps en temps" et 21 % "jamais". Qui plus est, 31 % d'entre eux ne savent pas si ces écoutes peuvent faire l'objet d'enregistrement. 55 % affirmant qu'elles ne sont pas enregistrées et 18 % qu'elles le sont. Enfin, lorsque les écoutes font l'objet d'un débriefing, un total de 32 % des agents jugent que ces mises au point sont "nulles et ne servent à rien", ou constituent "un moment difficile". Sur ce sujet précisément, les initiateurs de l'enquête envisagent de réfléchir à quelques actions d'information auprès des salariés des centres d'appels sur leurs droits et sur les devoirs des employeurs (voir encadré). « Le plus frappant en la matière est sans doute la grande méconnaissance des téléconseillers quant à la législation et au code du travail », souligne Martine Zuber.

Prochain terrain d'étude : les outsourcers


Comment la CFDT compte-t-elle exploiter les résultats de cette enquête ? « Il s'agit d'un premier jet. Nous avons lancé cette enquête auprès des différentes filiales de France Télécom, ainsi qu'auprès des salariés d'Intra Call Center. Le même questionnaire fait également l'objet d'une distribution chez les outsourcers. Mais la diffusion est encore plus difficile dans la mesure où le taux de syndicalisation, très faible dans les centres d'appels (environ 2 %, ndlr), l'est encore plus au sein des entreprises où les salariés n'ont pas de perspective de carrière, ce qui est le cas des sociétés de télémarketing. Or, le questionnaire est relayé dans les entreprises par nos représentants », explique Martine Zuber. Les résultats compilés de ces différentes vagues d'enquête constitueront la base d'une réflexion sur le statut de téléconseiller et sur la viabilité même de ce travail en tant que métier. Pour Martine Zuber, il est important de s'attaquer de manière offensive à la question de la convention collective : « Aujourd'hui, il existe trois conventions nationales étendues susceptibles de s'appliquer aux salariés des centres d'appels. La convention des télécoms ne peut concerner que des sociétés exerçant dans le secteur des télécoms ou leurs filiales. La convention du Syntec recouvre 80 % des centres d'appels, ce qui est absurde puisque cette convention concerne essentiellement les cadres. Son adoption par défaut permet aux employeurs de placer les téléconseillers, qui n'existent pas en tant que tels dans la convention Syntec, en bas de l'échelle statutaire et donc salariale. Enfin, la convention des prestataires de services, la plus récemment étendue au plan national, ne concerne qu'un nombre marginal de call centers. »

Un cadre référenciel positif


Ce que la CFDT entend pouvoir à terme revendiquer de manière précise, c'est une convention collective qui soit véritablement avantageuse pour les salariés exerçant ce type de métiers. Un cadre référentiel véritablement positif. Et pas seulement applicable par défaut. Car, même si en principe les salariés se voient de facto dépendre de la branche la plus favorable en termes de convention collective, encore faut-il que les employeurs jouent véritablement le jeu. Et, en ce qui concerne les effectifs en sous-traitance, les choses sont encore plus complexes. Bref, tant que l'activité des centres d'appels n'aura pas de convention collective réellement appropriée, les salariés pourront plus difficilement faire valoir leurs droits. Et Martine Zuber de faire la remarque suivante : « En France, toutes les conventions sont bâties autour d'une activité professionnelle. Mais les centres d'appels, avec leur dimension transversale, constituent-ils une activité professionnelle ? » Autre sujet de revendication pour la CFDT - clairement lié à la question de la convention collective : la perspective professionnelle. Les call centers constituent-ils des niches d'emploi provisoires ou bien recouvrent-ils des métiers à part entière, susceptibles de développer des horizons suffisamment intéressants pour fidéliser les effectifs en aval et les attirer en amont ? « Chez BNP Paribas, la politique est de ne pas faire travailler les gens plus de trois ans sur le centre d'appels. Ce n'est sans doute pas si bête. Nous avons rencontré des conseillers chez Canal + qui sont là depuis le début. Ils sont parfois très aigris », souligne Martine Zuber, qui rappelle que si certains employeurs, à l'image de Cegetel, jouent la carte de la polyvalence, ils ne sont pas nécessairement légion. Si nul ne peut douter que des progrès ont été faits, nul ne peut non plus contester que beaucoup, et pourquoi pas l'essentiel, reste encore à faire.

27 % de taux de retour


Elaboré par un collège d'une cinquantaine de salariés d'entreprises abritant des call centers (Cegetel Services, Noos, NC Numéricâble, Canal+...) et soumis à des experts cédétistes pour suppression des questions trop "tendancieuses", le questionnaire compte 65 questions et près de 400 items de réponse. Diffusé sous le titre "Le travail en questions dans les centres d'appels téléphoniques", il a été distribué en novembre 2000 auprès de 3 000 salariés de centres d'appels internalisés de cinq entreprises du secteur des télécoms et d'Internet. 800 personnes ont répondu.

Ecoutes : ce que dit la loi


En France, l'écoute est interdite. Il s'agit d'un "principe", qui s'applique à tout contexte, excepté les écoutes administratives commanditées par l'Etat et les écoutes judiciaires qui relèvent de la décision du juge d'instruction. La loi prévoyant quelques dérogations, notamment pour la sphère bancaire. En ce qui concerne les centres d'appel, chacun est conscient que les écoutes constituent un moyen d'évaluation et de formation difficilement contournable. Néanmoins, les salariés doivent être informés de la fréquence des écoutes, de l'identité des personnes qui auront accès aux enregistrements et de la durée de conservation de ces derniers (qui ne doit pas excéder quelques jours et doivent être détruits après le débriefing). En revanche, il n'est pas obligatoire d'informer les salariés au moment même où ils sont écoutés.

Muriel Jaouën

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