Des services sinon rien
Entre les différents opérateurs de télécoms, les offres de numéros à destination des centres de contacts sont aujourd'hui sensiblement identiques. Pour se distinguer, les opérateurs développent des services de plus en plus variés. Certains y ajoutent aussi des conditions financières particulières. Mais les batailles juridiques liées à la libéralisation du marché ne sont pas encore terminées, ce qui détériore quelque peu l'ambiance.
Le premier constat que l'on effectue sur le marché des télécoms, c'est que
l'offre traditionnelle des numéros à coûts partagés est peu différente d'un
opérateur à l'autre. « C'est le même principe, la même architecture, les mêmes
plates-formes techniques d'Alcatel, de Siemens ou de Nortel, analyse Hugues
Meili, P-dg de Niji, une société de conseil et d'intégration dans le domaine de
la relation client. Les modalités de partage des coûts sont assez cadrées.
Quant au réseau, pour mettre en place une simple offre purement téléphonique,
autour du numéro 800, le tuyau en lui-même ne crée pas de différence. France
Télécom est certes avantagé, mais aussi fortement concurrencé sur ce secteur,
d'où la croissance de la valeur ajoutée des services qui apparaissent sur le
marché. » Concurrence ou pas, les offres de l'opérateur historique ont évolué
de manière significative. C'est aujourd'hui bien plus qu'un numéro avec une
tarification spécifique. « Au plus simple, ça peut être un routage intelligent
sur non-réponse ou sur une tranche horaire. Mais imaginez l'insertion d'un
serveur vocal pour aiguiller les appels au premier niveau. Plus loin, le
routage entre plusieurs centres d'appels pour équilibrer la charge et pour
utiliser les compétences requises pour cet appel, c'est un deuxième niveau… »,
explique Didier Dillard, directeur de l'unité Solutions pour la relation
clients de France Télécom. La répartition judicieuse de la charge entre les
centres en interne et ceux en externe permet de baisser les coûts. Le SVI
frontal se charge d'identifier l'appel par code client, pour router selon la
valeur attribuée à chaque client.
Ajouter de la valeur différenciante
L'avantage du routage par l'opérateur réside aussi
dans les coûts du transfert : il peut être plus économique de rerouter des
appels sans créer une nouvelle communication. France Télécom offre aujourd'hui
ce transfert dans sa gamme de services dits “avancés”. « Nous travaillons à
démocratiser cette fonctionnalité, l'étendre à la quasi-totalité des clients
utilisateurs des numéros d'accueil et Audiotel », affirme Didier Dillard.
France Télécom travaille aussi sur des solutions multicanal avec des appels en
IP ou la fonction “rappel à une heure convenue”. Il est possible d'appliquer le
même type de gestion de contacts, le même routage pour les appels en provenance
du Net. « Jusque-là, les appels et les mails étaient plus souvent traités par
des équipes séparées, mais nous assistons à un rapprochement entre ces circuits
», remarque Didier Dillard. Chez Cegetel, on partage la même vision quant à
l'importance des services attachés au numéro d'appel. « Au-delà du service de
base, qu'il soit gratuit, au tarif local ou rémunéré, on doit ajouter de la
valeur différenciante. L'accueil, l'identification par le numéro appelant ou
par le code client sur le serveur vocal, le routage vers le bon agent dans
l'entreprise selon les compétences. Cela permet de gagner en qualité d'accueil
et en rapidité de traitement », confirme Hervé Broncard, directeur général de
la “division 800 et centres d'appels” chez Cegetel. Selon lui, l'accueil
automatique, le routage personnalisé, l'optimisation de la distribution des
appels et de la productivité des agents, la supervision en temps réel, sont
autant d'axes et de services qui se développent le plus. « La tendance à
remplacer les numéros géographiques par des numéros de couleur ne s'applique
pas partout, remarque Hervé Broncard. Les banques, les compagnies d'assurance
sont parfois réticentes à changer les numéros géographiques pour des numéros
800. Elles demandent à bénéficier des mêmes services de routage tout en donnant
au client l'impression d'appeler l'agence au coin de sa rue. Ce qui exige de
l'opérateur la maîtrise de la boucle locale. » A l'avenir, il sera possible de
faire transiter des appels sur les réseaux de transport de données déjà
existants dans les entreprises, grâce à la technique dite du Réseau privé
virtuel (VPN). Cette possibilité de construire des centres d'appels virtuels,
sans ajouter de composants, pourrait intéresser tous ceux qui possèdent déjà
des réseaux internes, les banques par exemple.
La guerre des tarifs
Derrière les services à valeur ajoutée, il ne faut pas
oublier la guerre des tarifs que peuvent se livrer les opérateurs. Colt, par
exemple, accorde un reversement sur les numéros surtaxés. Un simple argument
financier ? « Cela peut aussi offrir d'autres possibilités à nos clients. Par
exemple, faire appel aux services de notre SVI pour l'accueil déporté chez
l'opérateur. Son coût d'utilisation sera couvert par le dégrèvement de quelques
centimes à la minute accordé sur les revenus de leur numéro surtaxé, explique
Sandrine Couasnon, responsable des numéros spéciaux chez Colt. L'ouverture des
services à revenus partagés permet aux éditeurs de financer le service grâce à
la surtaxe de l'abonné. » Les paliers les plus demandés sont ceux facturés à
0,15 ou 0,34 euro la minute, ou encore 0,50 euro par appel. Mais ce passage
vers une rémunération directe du service par le client mérite quelques
interrogations. Comment être sûr que l'on n'a pas placé trop haut le palier
tarifaire ? « Les sociétés qui utilisent les numéros surtaxés vont vite
s'apercevoir qu'elles se sont trompées dans l'appréciation, car la valeur
ajoutée n'est pas suffisante pour justifier une tarification plus élevée à 0,34
euro la minute. D'ailleurs, il existe déjà des exemples d'entreprises qui sont
passées d'un numéro 0892 à 0,34 euro vers un 0825 à 0,15 euro la minute »,
répond Sandrine Couasnon. Colt propose également le routage intelligent avec
partage de charges et des interfaces sécurisées déportées chez le client pour
un pilotage précis de la répartition des appels. Cette option d'administration
à distance devient fréquente dans les offres. Chez l'opérateur Completel aussi,
le client fait son plan de routage de manière autonome grâce à une interface
sur Extranet. Ainsi, il peut réagir à des imprévus, des grèves, des intempéries
etc. Il peut aussi, selon les circonstances, modifier l'annonce sur le SVI. La
gestion de la répartition des appels vers des numéros “traduits” à partir d'un
Numéro Vert, offre plusieurs options. Le client peut limiter le nombre d'appels
simultanés vers chaque centre, les répartir de manière proportionnelle selon
les pourcentages de charge, les router en fonction de l'origine géographique de
l'appel… L'interface apporte des informations nécessaires pour le pilotage, les
statistiques en temps réel, notamment sur les cinq dernières minutes du
fonctionnement : le volume, l'origine des appels, les pics horaires, etc. Le
client peut ajuster le routage en temps réel. « Les numéros avec des services
attachés de routage intelligent sont destinés aux différents secteurs de
services, les banques et les assurances, la VPC, les administrations… à
l'ensemble des clients multisite », explique Carole Delabie, chef des “produits
800” chez Completel.
Coopération et compétition
Plusieurs autres opérateurs proposent eux aussi des offres pour les centres
d'appels. Hugues Meili cite LDCom : « C'est un acteur intéressant, notamment
par sa filiale 9 Télécom qui s'adresse aux PME et aussi au grand public.
L'opérateur BT est présent sur le marché de la téléphonie fixe, les services
globaux, les applications vocales interactives, l'intégration dans les systèmes
d'information des entreprises… Mais les grands groupes de téléphonie privée
pourraient tous s'y mettre en concurrençant les opérateurs “alternatifs” ». Et
la concurrence devient rude dans le contexte actuel : un opérateur comme
Prosodie achète des tuyaux auprès de Cegetel et les revend avec de la valeur
ajoutée… en concurrence avec Cegetel. On peut dire qu'indirectement Cegetel se
fait concurrence à lui-même. Mais cela lui permet de baisser le coût sur le
volume grâce aux ventes indirectes. « C'est la fusion entre la coopération et
la compétition », avance Hugues Meili. La multitude des services doit en partie
son apparition à une novation technologique : le langage Voice-XML. Celui-ci
permet d'intégrer l'interaction vocale pour avoir des applications plus
souples, plus faciles à manier. Son utilisation pour construire des services
attachés aux numéros 800, reproduit en fait la facilité de programmation propre
au langage XML de l'univers Internet. Le développement des applications pour de
nouveaux services est alors sensiblement avantagé. Quels seront les futurs axes
de développement pour ces services ? « Aujourd'hui, nous ne gérons pas encore
l'ACD du client, nous ne gérons pas l'état des agents, en ligne, en pause,
etc., répond Carole Delabie, Donc, à l'avenir, on devrait voir apparaître des
offres de gestion multisite avec le pilotage à distance des centres d'appels,
avec une connexion à leur système informatique, une remontée de la fiche client
et l'ensemble des fonctionnalités d'un ACD virtuel. Dans cette configuration,
c'est l'opérateur de téléphonie qui va gérer les transferts d'appels entre les
sites. Cette option sera financièrement intéressante sur un grand volume
d'appels traités. » Completel prétend que ce type de gestion déportée
permettrait d'augmenter les possibilités de télétravail, de créer des centres
d'appels virtuels à partir des personnes disponibles dans les agences, sans
avoir à les regrouper sur un même site. Cette analyse est partagée par d'autres
opérateurs qui travaillent sur des projets similaires. « A l'avenir, la demande
du marché devrait aussi se tourner vers l'accessibilité des services d'accueil
téléphonique pour des entités de petite taille, des agences, des agents isolés…
en absence d'un centre d'appels », remarque Hervé Broncard. Pour Didier
Dillard, « c'est l'évolution vers une situation d'absence d'équipes fixes ; des
centres d'appels ne comprenant que des postes isolés avec un raccordement par
Internet pour gérer les disponibilités. » Reste à accorder ces projets avec la
demande des entreprises. Car la démarche technique, ici, n'est pas synonyme de
l'approche business. Les solutions techniques permettent de réaliser ces
différentes possibilités sans trop de distinction. Du côté des clients, relier
les agents disponibles à un moment de la journée dans les agences pour créer un
centre virtuel est une fonction assez recherchée par les banques mais aussi par
d'autres entreprises avec une structure traditionnelle “à guichet local”,
telles que les compagnies de distribution d'eau, d'électricité.
Le télétravail n'a pas la cote
Elles souhaitent réaliser une mise en
commun des moyens sans déplacement des personnes et sans les contraintes de
gestion du changement sur le plan des ressources humaines. Le marché peut être
estimé comme prometteur. En revanche, le télétravail n'a pas la même cote. Si
les dirigeants des entreprises l'admettent sur le principe, ils réservent cet
usage aux situations de débordement, aux pics saisonniers d'activité. Et
l'absence de contact direct avec les télétravailleurs n'inspire pas confiance.
Autant de facteurs qui réduisent le champ d'application du télétravail à des
projets ou des opérations à faible valeur ajoutée. Automatiquement, les
possibilités d'investissement dans la conception et l'achat de solutions
spécifiques sont assez réduites. Les entrepreneurs délèguent volontiers les
interventions sur débordement et les opérations à faible valeur ajoutée aux
prestataires de sous-traitance. A charge pour ceux-là de gérer les troupes. La
marge d'investissement des sous-traitants est-elle toujours à la hauteur des
enjeux ? Indépendamment du cas des télétravailleurs, on peut estimer que
l'avenir est aux centres d'appels virtuels, avec l'intelligence dans le
traitement des appels et l'adhérence de la téléphonie au système informatique
du client. « Nous verrons sans doute une évolution vers le multimédia dans le
traitement des contacts, avec la sélection du média à la volée, suivant la
cible et sa joignabilité, conclut Hugues Meili. Et, pour réussir la transition,
il ne faut pas raisonner uniquement en termes de prix mais aussi regarder
l'engagement dans la durée, le contrat de service, la capacité d'intégration
dans le système informatique de l'entreprise, l'impact sur ses ressources
humaines. »