Christophe Benoit : « C'est la créativité qui fait défaut aux centres de relation client »
Auteur de “Motiver par l'enthousiasme”*, Christophe Benoit, consultant en formation et management, livre sa vision de la formation en centres d'appels. Il prône un management de proximité créatif comme vecteur de développement personnel. Et donc, de performance.
Quel constat faites-vous des formations en centres d'appels ?
Il faut bien distinguer la formation dite “initiale” de celle
appelée “continue”. Sur la formation initiale, il y a peu à dire parce qu'elle
est nécessaire et incontournable. Très souvent, cela correspond à des
formations internes liées à l'utilisation d'un outil spécifique ou à des
capacités relationnelles minimales. J'ai envie de dire que c'est la formation
“du bon sens”. Sans formation initiale, on ne peut rien imaginer. La formation
continue est, elle, beaucoup plus intéressante. Nous sommes là dans du
perfectionnement. Depuis quelques années, nous assistons à l'émergence de
programmes spécifiques liés au développement personnel. Il y a une accélération
notable depuis deux-trois ans à ce sujet. Nous constatons qu'il ne suffit plus
de posséder un certain nombre d'expertises pour garantir une qualité et un
professionnalisme. Il faut maintenant apprendre à gérer son stress, ses
priorités, à être efficace… C'est une dimension que l'on peut accorder à la
formation continue, mais qui est liée au développement personnel.
Quelles sont les difficultés rencontrées en formation continue ?
Les principales difficultés consistent à découper et prévoir les
actions de formation. Nous nous heurtons à des difficultés organisationnelles
liées à la productivité. Il n'est pas facile de “sortir” dix ou douze personnes
du trafic. Nous sommes aussi confrontés à une difficulté de prestations et de
prestataires. Devons-nous faire appel à des ressources internes ou externes ?
Puis il y a une confrontation sur le contenu des dispositifs. Est-ce que ce
sont de simples piqûres de rappel ou des formations qui doivent aller au-delà ?
Il y a de multiples interrogations sur ces sujets.
Constatez-vous des différences entre discours et réalité ?
Oui. Par exemple sur
le coaching. C'est un mot à la mode en ce moment sur les plates-formes. Le
coaching en soi n'est pas de la formation. En parler, cela me fait penser à
“l'effet Canada Dry”. C'est ce que je rencontre auprès de certaines entreprises
: “Cela a le goût de ; la couleur de ; mais ce n'en est pas”. Il en va de même
pour les formations continues en matière de développement personnel. On parle
d'ici ou là de formations comportementales destinées à gérer son stress, etc.
Quand nous constatons dans les faits ce qui s'y passe, nous découvrons des
approches méthodologiques qui ne sont pas suivies dans les faits et, dans le
temps, sur le terrain. Cela reste très théorique et peu pratique.
Vous prônez des temps de formation plus courts, voire des formations “coin de table”. En quoi, ces méthodes sont-elles plus efficaces ?
Nous sommes dans le domaine des formations continues adaptées aux contraintes
du métier. Ces contraintes résident dans la productivité, la gestion du temps
ou dans le fait que ces métiers sont stressants avec pics et creux d'activité.
D'où l'obligation d'être créatif pour concevoir et découper des modules de
formation en séquences ultra-courtes comprises entre trente et quarante-cinq
minutes. Cela conduit à repenser les séquences pédagogiques d'une autre façon,
à les imaginer intensives en termes d'énergie et d'envisager de nouveaux
scénarios pédagogiques, de nouvelles manières d'animer. Ceci est très
déstabilisant pour un grand nombre d'interlocuteurs.
Existe-t-il un lien entre mauvaises performances des équipes et mauvaises formations ?
Les mauvaises performances des équipes peuvent être liées à deux
facteurs. Une mauvaise formation ? J'ai envie de dire non. Ce n'est pas
l'essentiel. Carences managériales ? Oui. Autrement dit, des difficultés à
suivre l'après formation et à établir des outils qui touchent aux compétences
et au suivi de l'élévation de celles-ci. Le management n'est pas imaginé comme
un levier pour le suivi d'une formation. Nous rencontrons très souvent des
évaluations à chaud de ce qui se fait lors des formations. C'est très souvent
positif. Mais, dans la réalité, nous constatons que cela retombe très vite. Les
managers de proximité doivent devenir des animateurs de formation pour pouvoir,
chemin faisant, réactiver des compétences et établir des messages qui prennent
un sens par rapport aux compétences. C'est une nouvelle donne. On parle
beaucoup de management et de coaching.
Quelle est votre définition du coaching ?
Le coaching repose sur un accompagnement pédagogique
non directif. C'est l'accompagnement personnel et individuel d'un collaborateur
visant à faire émerger de nouveaux comportements voire de nouveaux réflexes. Il
n'a de sens que si l'on a conscience que le collaborateur à des compétences,
mais que ses comportements sont insuffisants. Je rencontre en centres d'appels
des gens qui me parlent de coaching alors que cela relève de la formation.
Assez souvent, il y a un amalgame entre formation et coaching.
Comment éviter cet amalgame ?
Pour cela, il faut avoir
en tête une représentation très matricielle avec deux axes : celui des
compétences et celui des comportements. Si les compétences sont insuffisantes,
mais pas les comportements, on fera de la formation. En revanche, si les
compétences sont en place, mais que les comportements sont insuffisants ou
paraissent bloqués, on fera alors appel à du coaching. Le coaching n'a de sens
que si l'on a un collaborateur qui a déjà développé ses compétences. Le
coaching n'est pas pour les débutants.
Quel est le profil type du manager de proximité ou coach ?
Un manager de proximité, c'est une
personne qui a développé des habiletés, des compétences relationnelles. Ce
professionnel a une capacité à “être” plus qu'une capacité à “faire”, ou à
“faire faire”. C'est quelqu'un qui, dans le feu de l'action, est capable de
ressourcer ses collaborateurs avec des compétences de savoir être, plus que de
savoir faire. C'est loin d'être simple, ou forcément naturel.
Qui en interne est le mieux placé pour être ou devenir coach ?
La
meilleure personne est celle qui est la plus proche de l'action. C'est-à-dire,
l'animateur d'équipe ou, comme on dit, le superviseur. Bien sûr, cela nécessite
que ce dernier soit conscient de ce challenge. Il devra donner le meilleur de
lui-même par rapport à l'animation et à sa capacité à transmettre des
compétences.
Qui contrôle l'activité si les superviseurs deviennent des coaches ?
Si le superviseur devient manager-coach, qui peut
porter un regard sur ce qu'il fait si ce n'est son patron direct ? Cela veut
dire que leur patron devient à la fois leur manager et leur coach. Ce qui
complique parfois les choses. La coaching est à la fois un enrichissement des
pratiques managériales mais aussi leur remise en question.
Le coaching est-il réellement efficace ?
Tout à fait. Lorsque le
manager de proximité a la capacité de dire à ses collaborateurs qu'il change de
casquette, entre celle de manager et celle de coach, c'est gagné ! Il y a une
véritable valeur ajoutée sur le coaching. Les clients nous le disent en ces
termes. En fait, il s'agit de prendre du plaisir dans l'action en se focalisant
sur ce qui se passe bien plus que sur ce qui se passe mal. La pression est
vécue d'une toute autre façon. Les collaborateurs ont plus conscience de ce
qu'ils mettent en œuvre pour réussir. Et ça c'est très intéressant.
Tout le monde peut-il devenir superviseur ou manager ?
Sur les centres d'appels, on croit souvent que le meilleur des téléconseillers
peut devenir superviseur. C'est la perception d'un schéma de devenir. Or,
l'évolution en centre d'appels est arithmétiquement limitée. Ce n'est pas
forcément le meilleur des téléconseillers qui deviendra le meilleur des
superviseurs.
Dans votre livre, vous invitez les managers à “motiver par l'enthousiasme”. Est-ce possible en centres d'appels ?
Nous parlons souvent d'enthousiasme et d'optimisme. Nous l'avons
mesuré par des taux de turn-over en analysant différents critères. Nous voyons
que, lorsqu'un management de proximité est efficace, c'est qu'il y a un manager
avec des capacités à animer, à briser des routines, à créer et insuffler de la
nouveauté au quotidien, plus que celui qui s'inscrit dans une stricte activité
de contrôle. Lorsqu'il y a enthousiasme et optimisme, il y a très souvent
performance sur les plates-formes. Ce que nous avons qualifié “d'EPO” dans
l'entreprise. C'est-à-dire : Enthousiasme, Performance et Optimisme.
Sur quoi repose cette notion ?
Elle repose sur le
manager de proximité, sur ses compétences relationnelles, sur ses habilités à
occuper l'espace temps et sur sa capacité naturelle à reconnaître dans l'action
ce qui est bien plus que ce qui ne l'est pas. Cela demande un sacré effort pour
un certain nombre de superviseurs.
Comment votre discours est-il perçu par les personnes que vous rencontrez ?
Il est vrai que mon
discours peut paraître parfois déstabilisant. Il peut étonner. Je pars toujours
d'un bon tautologisme : “Si vous faites ce que vous avez toujours fait, vous
obtiendrez ce que vous avez toujours obtenu”. Cette idée est très ancrée chez
les professionnels de la relation client à distance. Autrement dit, il est
capital d'identifier de nouvelles pistes, d'identifier les scénarios de demain.
Même si tout va bien. Mon propos n'est pas une invitation à tout révolutionner,
mais simplement de dire aux responsables : « Si tout va bien pour vous
aujourd'hui, faites attention demain cela peut changer ». Parce que, si vous y
pensez demain, il sera déjà trop tard. C'est pour ça que les schémas que je
propose sont assez perturbants. Attention à ne pas être dans des schémas
répétitifs et remplis d'une banalité affligeante.
La répétitivité du métier nuit-elle à la motivation des téléconseillers ?
La
répétitivité nuit, par défaut, à la motivation des téléconseillers. Plus les
entreprises imagineront des scénarios “brise routine”, de la variété dans
l'action, mieux cela se passera. La clef de voûte du système repose sur la
capacité de l'entreprise à accompagner dans l'action ses collaborateurs. On en
revient au coaching. Si le coaching est mal pensé, on préfabriquera du
cache-misère sans avancer dans une démarche professionnelle. Il faut penser à
tous ces schémas d'accompagnement qui touchent à la reconnaissance des
collaborateurs dans l'action. Cela va très loin.
Quelles formes peuvent prendre ces “brise routine” ?
Pour les managers en poste,
c'est surprendre par tous les moyens. Surprendre dans les façons dont on
présente l'activité, les tableaux de bord, dans la présentation des résultats,
dans la façon d'accompagner les collaborateurs. On peut très bien, par exemple,
imaginer des managers qui organisent la “semaine de l'accueil” et changent de
thème chaque semaine. En fait, c'est la créativité qui fait très souvent défaut
aux centres de relation client en France. Cette dimension créative, c'est le
grand challenge des années à venir. * Editions d'Organisation, mars 2002.
Biographie
Christophe Benoit a créé sa société de conseil en formation et management, Arela, en novembre 2002. Après des études littéraires et artistiques, il entre aux 3 Suisses comme formateur interne en 1996. Il devient indépendant en juillet 2000 et intervient auprès de nombreux services clients (Pacifica, Crédit Mutuel, Caisses d'Epargne, CPAM, Urssaf...). Depuis 2002, il anime des ateliers de travail durant le Salon européen des Centres d'Appels (SeCA). Son credo : “transmettre l'enthousiasme et développer l'optimisme” au travail.