Chantal Tryer, Directeur Service clientèle hôtellerie EMOA d'Accor
Accor a placé le service clients au coeur de son organisation. Partenaire privilégié des opérationnels, du marketing, des achats..., celui-ci se doit de relayer les informations. Pour autant, il garde toute son indépendance et le libre choix de ses interventions.
@ Bruno Delessard
La période estivale constitue une pointe d'activité. Plus de séjours réservés signifie-t-il automatiquement plus de réclamations?
Il est vrai que juillet et août sont des mois où le service clients est fortement sollicité. Néanmoins, nous essayons de prévoir et d'anticiper l'afflux de demandes. Nous savons que les retours de congés et les lundis sont les deux moments sur lesquels nous devons nous pencher pour établir des plannings prévisionnels. Et, pour pallier les départs des chargées de clientèle, le recrutement de deux personnes en CDD s'avère indispensable.
Le reste de l'année, une équipe d'une dizaine de personnes, basée à Evry (Essonne), assure en interne la gestion de près de 30 000 échanges. Si, à une époque, le recours à un prestataire a été privilégié, ce choix a été abandonné en 2006, au bout d'un an et demi, car il ne donnait pas satisfaction. En effet, la qualité du traitement s'en ressentait tandis que la relation client n'était pas personnalisée par manque de connaissance et d'implication dans l'entreprise. De plus, cette prestation nous coûtait relativement cher.
Quelles sont, historiquement, les valeurs portées par le service clientèle d'Accor?
Nous existons depuis 1986 et avons toujours souhaité mettre le client au coeur de nos décisions. Au départ, nous ne prenions pas le relais des opérationnels, c'est-à-dire des hôtels. Nous nous assurions seulement que ces derniers répondaient bien aux clients. Nous étions juste une «boîte aux lettres» entre l'hôtellerie et les clients. Puis, nous avons cherché à prendre la main à la place de l'hôtelier. Actuellement, nous sommes en train de revenir au fonctionnement initial. Je souhaite orienter notre rôle vers de l'assistance et du conseil.
Pourquoi ce virage?
Tout d'abord, cette approche permet de rendre l'hôtelier responsable face à son client. Ce qui crée une relation de proximité. De plus, nous y gagnons en rapidité et en efficacité. Le client repartira satisfait de son séjour si, lorsqu'il signale un désagrément, l'hôtel règle rapidement son problème. En amont, il faut déterminer comment nous formons les équipes et comment nous informons le client pour l'inciter à s'exprimer dans l'hôtel et ne pas attendre de joindre le service clientèle à son retour. Nous avons beaucoup évolué sur ces aspects et travaillé à la création d'engagements, tels que le «Contrat 15» d'Ibis et le «Satisfait ou invité» de Novotel.
Techniquement, comment fonctionnent ces deux nouveautés?
Le «Contrat 15» a pour objectif de permettre aux équipes des hôtels Ibis de régler une insatisfaction en 15 minutes. Si le problème n'est pas géré dans les temps, alors le client est invité. Les médias relaient l'information et nous tentons de la rendre visible dans tous nos hôtels (dans les chambres, sur la clé...). En cas de dysfonctionnement, les équipes sont très autonomes et gèrent même l'invitation. Dès lors, on les incite à devenir proactives et à identifier en amont les sources de mécontentement. Pour «Satisfait ou invité», le principe est identique, à cela près qu'il n'y a plus de notion de temps. En parallèle, nous projetons de lancer pour les hôtels Formule 1 et Etap Hôtel un engagement baptisé «Destination qualité», aujourd'hui en test dans une quinzaine d'hôtels. Seul l'hébergement serait concerné par la prise de responsabilité.
«Il faut aussi assimiler le service clients à un dispositif d'alerte»
Cela signifie-t-il que vous estimez que le niveau d'exigence d'un client Formule 1 n'est pas le même que celui d'un client Novotel?
Ce n'est pas le niveau d'exigence qui diffère, mais le produit et les équipes. En revanche, les attentes sont aussi fortes. De plus, lorsque vous montez en gamme, les services sont plus nombreux et nous avons alors plus de risques de générer de l'insatisfaction. En outre, il arrive que des clients se rendent dans un Sofitel en semaine - parce qu'ils ne paient pas de leur poche - et le week-end retiennent une chambre dans un Formule 1 ou un Etap Hôtel.
«La relation avec le client s'établit au moment où nous produisons le service. »
Quand vous prenez ces engagements, ne cherchez-vous pas à détourner les clients de votre service?
Non. Tous les incidents pris en compte immédiatement sont signalés par les hôtels et enregistrés afin que le service clients reste concerné. En tant que prestataire de service, notre relation avec le client s'établit au moment où nous produisons le service. Avec les engagements que nous avons pris, le service clients est au niveau de tous nos hôtels et de tous nos clients.
En ce qui concerne mon équipe, elle cherche à se positionner lorsqu'un hôtel n'a pas réussi à régler son dysfonctionnement avec le client. Par conséquent, elle est amenée à faire face à des problématiques complexes. De plus, les chargées de clientèle sont souvent en lien direct avec d'autres fonctions de l'entreprise, comme les achats - lorsque l'on constate, par exemple, une multiplication des plaintes sur certaines denrées alimentaires -, ou encore le marketing, pour anticiper ses actions et connaître en amont les promotions. En ce sens, on peut dire que la place du service clients dans l'entreprise a évolué. Aujourd'hui, ce dernier aide à construire la stratégie du groupe et il faut aussi l'assimiler à un dispositif d'alerte. En comité de direction, nous parlons de son action à travers les écoutes clients, les mesures de la satisfaction...
Vous parlez de satisfaction. Justement, qui en sont les garants?
D'abord, nous repérons systématiquement dans nos bases de données les thèmes récurrents en matière d'insatisfaction. Ensuite, nous travaillons avec les opérationnels à la résolution des dysfonctionnements identifiés. Notre objectif consiste à faire progresser les hôteliers. Nous cherchons aussi les destinations particulièrement critiquées.
Le service clients est presque utilisé de la même manière que les focus groups. On sait que ce sont les extrêmes qui s'expriment chez nous. Toute notre démarche consiste à pousser les clients silencieux à prendre position. Au travers des contrats, nous ciblons bien ces populations.
Les baromètres de satisfaction sont également des outils pouvant prendre en considération les satisfactions et insatisfactions de ces clients silencieux. Leur proposer de témoigner en ligne après leur séjour nous paraît important. Pour autant, chez Accor, le service clients ne doit intervenir qu'en dernier lieu si l'hôtel n'a pu trouver de solution. Il est l'ultime recours et a alors pour mission d'enchanter le client pour le fidéliser.
Comment y parvenez-vous?
D'abord, nous ne tenons pas le même discours et ne proposons pas les mêmes compensations à un client Formule 1 qu'à un client Sofitel. Il faut apprendre à gérer cette multitude de marques tout en gardant à l'esprit les différences en termes de relation client. Dans les hôtels Formule 1 ou Etap Hôtel, le personnel n'est pas toujours présent et le service clients doit donc prendre le relais. Nous sommes presque obligés d'avoir une relation client décentralisée. Nous ne négligeons pas non plus la clientèle Sofitel qui paie cher et exige la perfection. Il faut répondre aux réclamations en fonction des spécificité. Au départ, pour relever ce challenge, chaque chargée de clientèle était associée à une marque. Mais nous rencontrions des difficultés en cas d'absence. Notre service perdait en qualité et en productivité. Aujourd'hui, nos chargées de clientèle sont en mesure de répondre à toutes les questions quelle que soit la marque concernée, mais elles sont aussi «expertes» sur un produit. Ce qui les responsabilise et les fidélise. Les générosités que nous sommes amenés à faire vont de l'invitation au remboursement du séjour, en passant par les cadeaux. Pour autant, nous savons aussi dire non et détecter les personnes de mauvaise foi ou habituées à pratiquer la réclamation à tout va. Il convient aussi de ne pas effectuer de gestes commerciaux dans le seul but de «botter en touche». Nous devons toujours trouver une réponse précise face aux dysfonctionnements. Tout ceci demande aux chargées de clientèle de faire preuve de discernement... Elles sont les seules à pouvoir émettre un avis à la suite de leurs échanges avec le client et les opérationnels.
Elles ont donc des responsabilités importantes. Quel est leur profil?
Je ne recrute jamais sur des critères de formation, mais exclusivement sur le «savoir être». Gérer les réclamations requiert des qualités précises. L'empathie, la volonté de résoudre les problèmes, la facilité à communiquer... comptent beaucoup dans des métiers de passion comme les nôtres. Le savoir-faire s'apprend. Par ailleurs, si l'inné compte, j'essaie aussi de favoriser la prise d'initiatives de mes équipes. Elles ont chacune l'autonomie nécessaire pour gérer une insatisfaction et utiliser les systèmes de dédommagement en place. En cas de réouverture de dossier, je leur demande de m'en informer. Je suis décisionnaire, mais je les pousse toujours à me donner leur avis.
Par quels canaux passent les interactions?
Majoritairement par e-mail. D'ailleurs, Internet a modifié la tâche des chargées de clientèle. Lorsque vous ouvrez ce média, il faut disposer des ressources adéquates. En outre, il nous oblige à traiter les demandes dans un délai court. Le plus difficile, avec ces contacts, est de maîtriser l'effet ping-pong; après deux retours, il est préférable d'utiliser le téléphone pour régler un litige. De plus, les clients ne rédigent pas un e-mail comme un courrier et nous avons plus de mal à cerner l'interlocuteur, à déceler ses émotions. Nous devons développer de nouvelles compétences pour nous adapter.
Tout comme les modes et les codes de communication, le client a aussi beaucoup changé...
Bien sûr. Aujourd'hui, le client est informé grâce à Internet. Des sites comme TripAdvisor lui permettent de comparer et d'autres, comme Radins.com, lui donnent des techniques pour profiter des systèmes de réclamation. Nous ne devons en aucun cas brader notre relation client. De plus, le client connaît bien ses droits. D'ailleurs, une de nos chargées de clientèle ne gère que les points juridiques. Dans ce contexte, il importe que nous développions la relation de partenariat que nous entretenons avec les hôtels. Si le client sent une faille entre le service clients et les hôtels, il va s'y engouffrer! Et puis, le client devient de plus en plus pressé. Son niveau d'exigence a alors tendance à croître. Ses revendications ont aussi évolué. Quand j'ai créé le service clientèle, nous recevions peu de réclamations sur le rapport qualité-prix, par exemple. Et nous pouvions facilement dédommager un client en l'invitant dans un hôtel. Aujourd'hui, ce n'est plus du tout la même configuration.
C'est ce qui fait le charme de votre travail...
J'ai coutume de dire à mes collaboratrices que 80% des contacts sont pris en charge par notre outil Conso Web. Sur les 20% restants, elles doivent «se faire plaisir». C'est-à-dire trouver l'originalité du dédommagement ou de la réponse. Nous recevons beaucoup de sollicitations négatives. Il faut donc chercher toutes les opportunités de recevoir des encouragements. Ceux du management ne suffisent pas et la reconnaissance des clients a encore plus de valeur. La variété des profils de réclamants rend également la tâche intéressante. Nous sommes aussi bien en contact avec les clients business qu'avec des vacanciers ayant fait des sacrifices pour s'offrir quelques nuits d'hôtel. Dans le dernier cas, nous vendons du rêve. Nous ne pouvons les décevoir parce que leur niveau d'attente est à la hauteur de leur rêve. En même temps, nous devons leur faire accepter que nous sommes parfois imparfaits et prêts à réparer nos erreurs s'ils nous laissent une seconde chance.
Ce changement du client enrichit-il vos discussions au sein de l'Amarc?
Il est vrai que l'Association pour le management de la réclamation client que je préside depuis 2004 compte aujourd'hui près de 280 adhérents et permet des débats, des échanges de bonnes pratiques, etc. En outre, les entreprises qui participent à la vie de l'Amarc y trouvent des benchmarks. C'est un moyen de valoriser nos métiers et de promouvoir notre activité dans les entreprises. Grâce à notre action, ces dernières ont tendance à démystifier la réclamation et à se décomplexer sur le sujet. Se regrouper nous assure de rester en veille aux niveaux technologique et stratégique.
Entreprise
- Onze enseignes: Sofitel, Pullman, Novotel, Mercure, Suite Hôtel, Ibis, All Seasons, Etap Hotel, Formule 1, Motel 6 et Studio 6.
- Chiffre d'affaires 2007: 8 121 MEuros (+ 6,8% / 2006).
- Résultat brut d'exploitation 2007: 2 321 MEuros.
- Résultat net part du groupe 2007: 883 MEuros.
- 4 000 hôtels dans 90 pays.
- 150 000 collaborateurs.
- 105 millions de visiteurs sur les sites internet des marques hôtelières et sur Accorhotels.com.
Parcours
Chantal Tryer a fait toute sa carrière au sein du groupe Accor. Elle a gravi les échelons pour parvenir au poste de directeur Service clientèle hôtellerie qu'elle occupe depuis 2003. A ses débuts, elle a suivi le cursus Hôtelier et restauration chez Novotel SIEH en province et en région parisienne. Deux ans plus tard, elle devient inspecteur des standards normes et produits chez Novotel. Elle y découvre tous les aspects qualité. Au début des années quatre-vingt, Chantal Tryer intègre le marketing comme assistante chef de produit, toujours chez Novotel. Et, en 1982, la responsabilité du service relation clientèle pour l'hôtellerie et le traitement de la logistique des contrôles lui incombent. Quatre ans plus tard, elle devient n° 2 du service consumérisme et qualité, avant d'occuper son poste actuel. Présidente de l'Amarc, Association pour le management de la réclamation client, depuis 2004.