Un siège social à Marseille
Pour Marseille, c'est une petite manne. La cité phocéenne, qui commence à
peine de sortir d'une phase de torpeur économique et sociale, accueille sur ses
terres celui qui pourrait bien être le principal pourvoyeur d'emplois pour les
trois années à venir. America Online débarque à Marseille. Pour investir le
quartier de l'Estaque, au Nord de la ville. Avec un objectif de taille : créer
600 emplois d'ici 2004. Une telle décision ne se prend pas à la légère. Mais
chez AOL, on a fait plutôt vite. Entre le premier germe de l'idée et le premier
coup de fil reçu sur le plateau marseillais, un an se sera écoulé. Et six mois
seulement auront été nécessaires à la construction du bâtiment, confiée à la
supervision de Marseille Aménagement, société d'aménagement de la communauté
d'agglomérations. C'est justement la réactivité des interlocuteurs sur place
qui a séduit les dirigeants d'AOL. Alors que les aides apportées par les
représentations locales (Ville, conseil général, conseil régional) « n'ont pas
pesé de manière décisive », selon l'expression de Christophe Famechon, le
directeur du service clientèle et vice-président d'AOL France. Qui se refuse
toutefois à en communiquer le montant. Même discrétion au sein de Provence
Promotion, le comité d'expansion développé sous la double égide du Département
des Bouches-du-Rhône et de la CCI. « Je ne commente pas les implantations
d'entreprises », déclare Guy Guistini, directeur général. Tout au plus
apprendra-t-on qu'AOL s'est installé en zone franche.
"LE POSTE DE TRAVAIL COÛTE TROIS FOIS MOINS CHER QU'À PARIS"
Autres atouts de
Marseille : la jeunesse de sa population, son bassin d'emploi, son
infrastructure télécom. « Après Paris, Marseille est la première place
française dans le domaine des télécoms et des NTIC. C'est aussi le premier pôle
microélectronique français », affirme Guy Guistini, qui avance par ailleurs que
le poste de travail à Marseille coûte environ trois fois moins cher qu'à Paris.
Chez AOL, on avance également comme argument la relative virginité de la cité
phocéenne en matière de gros centres d'appels. Le site d'Air France, sans doute
l'un des plus importants, ne compte pas plus d'une soixantaine de positions. En
revanche, la ville abrite un nombre très important de sites, une cinquantaine
au total et toutes activités confondues. Ce qui fait certainement de Marseille
la troisième ville de France en nombre d'implantations après Paris et Lille. La
région Provence-Alpes-Côte-d'Azur se plaçant elle, sans aucune ambiguïté, en
troisième place des régions françaises (voir encadré). Sur le nouveau site
d'AOL, le premier appel était pris le 1er août. A la fin du même mois, le
centre employait déjà 130 personnes. Sorti de terre en six mois, le bâtiment de
3 200 m2 construit pour le fournisseur d'accès surplombe la baie. « Nous avons
d'emblée misé sur une capacité de 600 personnes », précise Christophe Famechon.
Si les prévisions de l'entreprise trouvaient un écho positif, l'activité centre
de contacts du FAI en France aurait quasiment doublé ses effectifs d'ici trois
ans. A croire qu'AOL envisage le moyen terme sous d'heureux auspices. Il faut
dire premièrement que, si la maison mère annonçait encore cet été son intention
de se séparer de 10 % de ses effectifs au niveau mondial, l'activité FAI du
groupe continue d'enregistrer des résultats en croissance. AOL France ayant
d'ailleurs annoncé que le plan de suppression d'emplois ne concernait pas
l'Hexagone. Il faut préciser, deuxièmement, que ce n'est pas AOL France qui
ouvre ce nouveau site, mais AOL Europe.
UN CHOIX PLUS STRATÉGIQUE QU'IL N'Y PARAÎT
L'ouverture du centre marseillais ne doit pas
être interprétée comme la simple traduction arithmétique d'une courbe de
croissance. Elle recèle des options plus stratégiques. Car le site de l'Estaque
n'est pas qu'une brique de plus dans le dispositif éclaté des centres de
contacts. Il a été ouvert pour être le nouveau siège social du service
clientèle. « En tant que siège social, Marseille abrite bien sûr une activité
de production, mais aussi tous les supports de développement : formation,
expertise de deuxième niveau, bêta-test... », note Christophe Famechon. Un
siège social pour un service clientèle, la chose n'est pas banale. Sans doute
faut-il y lire l'intérêt porté par l'entreprise à la gestion de la relation
client. « Ce nouveau site permettra notamment de répondre aux besoins
croissants d'AOL liés à ses offres compétitives et à sa volonté d'offrir à ses
abonnés une assistance de qualité », affirme Stéphane Treppoz, P-dg d'AOL
France. Certes. Mais, par-delà les déclarations de bon ton, il est surtout
intéressant de voir que l'ouverture du site se fait en totale émancipation par
rapport à la sous-traitance. Jusqu'alors, le service clientèle d'AOL fédérait
un effectif de 700 conseillers, dont environ 250 sur le seul site de
Bertelsmann Services à Noyelles-sous-Lens. « Nous travaillons également avec
deux outsourcers en province », lâche Christophe Famechon, plutôt laconique. Le
centre de Marseille, entièrement géré et exploité par AOL, employant des
salariés d'AOL, sonne-t-il le glas de l'externalisation ? Que nenni, rétorque
le directeur du service clientèle : « Nous avons développé depuis quatre ans un
partenariat sur le long terme avec Bertelsmann ». Sur combien de temps encore ?
« C'est confidentiel », répond Christophe Famechon, décidément peu locace sur
le sujet. « Il a toujours été dans la stratégie d'AOL de scinder la gestion de
sa relation client entre l'interne et l'externalisation », indique Philippe
Clogenson, directeur général développement de Bertelsmann Services. Il faut
dire aussi qu'avant le retrait de Vivendi Universal du capital d'AOL et la
fusion avec Time Warner, AOL France était une filiale d'AOL-Bertelsmann.
Peut-on dès lors considérer que la sous-traitance chez Bertelsmann Services
était de l'externalisation à part entière ? Il n'empêche, comme le souligne
Bénédicte Lucien-Brun, responsable de la communication, « la tendance est à
l'internalisation ».
VOLONTÉ DE CRÉER UNE IMPORTANTE STRUCTURE EN INTERNE
Et, si la politique d'AOL en matière de gestion de la
relation client est de combiner « développement en interne et partenariats »,
comme le confirme son Dga France, elle est aussi, très clairement, de
s'approprier l'exploitation d'une grosse et même très grosse structure. « Les
petits centres de 100 personnes, ce n'est pas dans notre stratégie. Trop de
coûts fixes. A notre niveau de production, seuls les grands centres permettent
de générer de la marge », souligne Christophe Famechon. Par ailleurs, le fait
de développer en interne un pan important de la relation client est encore le
meilleur vecteur de mainmise sur les codes culturels de l'entreprise. Enfin, la
disponibilité des effectifs demeure une assurance qualitative sur le contact
avec les abonnés. Et cette dimension qualitative, AOL la revendique à tout bout
de champ. Le vice-président France ne manquant pas de rappeler qu'AOL a été
reconnu en juillet 2001 par le mensuel Web Magazine comme le meilleur
fournisseur d'accès en France pour la performance de son assistance technique,
ce dans le cadre d'un banc d'essai portant sur 16 hot lines. Un soulagement
après les déboires médiatisés ayant suivi le lancement de l'offre "forfait
illimité" d'AOL. Le centre marseillais s'inscrit dans un système fluide de
fonctionnement avec les autres sites d'AOL. La totalité des sites est organisée
en réseau virtuel et le service est accessible à partir d'un numéro national
unique, qui reçoit environ 10 millions d'appels par an. Les appels sont
orientés en fonction de la disponibilité des effectifs et du temps d'attente
moyen pour les clients au niveau de chaque centre. « A une seconde près, les
temps d'attente sont les mêmes, ce qui est assez unique sur le marché et nous
permet de remplir au mieux nos capacités », affirme Christophe Famechon.
LE ON LINE PLUTÔT QUE LE SVI
Le numéro d'appel donne
systématiquement accès à un SVI qui ne sera qu'un outil de filtrage et
d'orientation. La machine demande simplement à l'appelant de préciser s'il est
déjà abonné. Quitte à automatiser les contacts, AOL a préféré le on line aux
fonctionnalités étendues du serveur vocal. Le site aol.fr propose une "aire
service client" conçue pour accepter l'ensemble des questions et problèmes que
l'abonné souhaite soumettre. « Nous faisons tout pour attirer les clients vers
le Web. Aujourd'hui, le on line représente 20 à 30 % des contacts avec la
clientèle. Et cette proportion est de plus en plus importante », précise
Christophe Famechon. Avec, il est vrai, cet atout dans la configuration du
système : la seule interface entre le client et son conseiller clientèle, c'est
AOL. Tout est intégré. Ce qui simplifie les process au niveau de la gestion des
e-mails et du chat. Le réseau virtuel permet au FAI de jouer - exception faite
du chat - la carte de la polyvalence, qui reste encore le meilleur moyen de
réagir au plus près des volumes d'appels entrants. Et de répondre à une
activité fortement saisonnière. La vente d'abonnements est fortement liée aux
achats de PC. Pour un FAI, la haute saison commence à la rentrée scolaire et se
termine autour de la Fête de l'Internet, vers mars-avril. Durant ce semestre,
l'activité du service clientèle est double. Ce qui ne veut pas dire que les
effectifs le soient. « Nous connaissons à peu près nos volumes. Et l'expérience
des autres pays nous aide. Nous pouvons donc travailler de manière très
anticipée sur la planification des équipes, en mettant à profit les temps non
productifs pour la formation continue par exemple. L'annualisation du temps de
travail nous permet également de moduler des plannings d'une semaine sur
l'autre », explique Christophe Famechon.
RECRUTEMENT SOUS "MÉTHODE DES APTITUDES"
Pour recruter ses troupes, AOL s'est fait aider par
l'ANPE du XVe arrondissement de Marseille, qui a pris en charge la totalité de
la présélection, selon les codes de plus en plus admis de la "méthode des
aptitudes". Critères de recrutement : sens commercial et aptitude au travail
d'équipe. Aucun diplôme requis, aucun diplôme banni. « Nous avons testé les
effets de cette méthode durant deux mois avant de donner un accord définitif.
Mais ça marche très bien », note de directeur de la relation clientèle. Et tant
mieux car AOL envisageait, fin août, de recruter entre 40 et 50 personnes par
mois jusqu'à la fin de l'année. Les nouveaux suivront une formation théorique
durant quatre semaines et une formation technique également pendant un mois.
Formation continue sur les aspects techniques (réseaux, logiciels,
fonctionnalités), formation commerciale, formation au contact client : la
direction d'AOL France avance un investissement horaire de 2 % (en moyenne
lissée sur l'année). Profil des personnes recrutées : plus d'hommes chez les
techniciens, plus de femmes chez les commerciaux. Moyenne d'âge des personnes
recrutées : moins de 30 ans. Les moins de 20 ans sont très minoritaires (moins
d'une dizaine). C'est l'un des corollaires de cette "méthode des aptitudes",
pas de jeunisme, pas d'exclusivité dans la courbe des âges. Le diplôme n'a pas
de valeur. Et ce, dans tous les sens du terme. Chez AOL, que l'on soit une
recrue de 20 ou de 50 ans, que l'on soit bac ou bac + 4, on est payé à la même
enseigne. C'est-à-dire "dans la moyenne du marché". En fait, un peu plus que le
Smic en fixe. Le service client d'AOL n'a, selon son patron, « jamais connu de
mouvement de grève ». Mais quel est le turn-over sur les plateaux du FAI ? « Je
ne veux pas avancer de chiffres en ce qui concerne nos partenaires. En ce qui
nous concerne, le taux est de moins de 10 ou moins de 20 % par an. C'est
beaucoup moins qu'ailleurs », lâche Christophe Famechon. Certes, mais entre 10
et 20 %, la marge est de taille. Les perspectives de carrière, AOL les dessine
comme tous les employeurs dans la voie hiérarchique. « Entre 80 à 90 % de
l'encadrement est issu du terrain. Quant aux recrutements externes, l'avantage
de Marseille, c'est son environnement qui permet d'attirer un management de
qualité », souligne le directeur de la relation clientèle. Dans le schéma
managérial d'AOL, les managers de plateau chapeautent les coaches, qui
encadrent eux-mêmes des équipes de 10 à 15 conseillers selon l'expérience des
uns et des autres. Autres voies d'évolution : les services du siège à Paris,
les postes de formateurs sur les différents centres de contacts, les postes de
techniciens en deuxième niveau, le développement produit en bêta-test,
l'international...
Paca en troisième position
Selon une étude Cesmo Consulting, en partenariat avec l'Association Française des Centres de relation Clientèle et le site centres-appels.com (voir Centres d'Appels n° 26, p. 74), la région Provence-Alpes-Côte-d'Azur compte entre 76 et 100 centres d'appels, figurant au troisième rang régional après l'Ile-de-France et le Nord-Pas-de-Calais. A elle seule, la région Paca représente 9 % du marché national en nombre de sites. Si l'on s'attache maintenant au nombre de positions, sa part retombe légèrement, à 6 %, la plaçant cette fois-ci au quatrième rang ex-Æquo avec l'Aquitaine, juste derrière Rhône-Alpes. Concernant les secteurs d'activité concernés par le tissu des call centers, les NTIC (informatique, télécoms, Interne...) arrivent en tête avec 23 % des centres implantés régionalement. Une donne qui n'est pas le privilège de la région Paca puisque ce primat des NTIC concerne quatre des sept régions françaises les plus riches en centres d'appels. Les outsourcers talonnent de très près les NTIC avec 23 % des sites. Suivent la banque-assurance (17 %), l'industrie (11 %) et la distribution (7 %).