Maroc : l'oasis et ses mirages
Le royaume chérifien s'ouvre à l'international et aux investisseurs étrangers. Le pays vit à l'heure de la mondialisation et tente d'attirer à lui les acteurs européens de la relation client à distance. Ses atouts ne manquent pas. Surtout en ce qui concerne la délocalisation. Mais, en la matière, la volonté politique doit être suivie d'effets structurants. L'activité est porteuse de grands espoirs, notamment en termes d'emplois. Certains allant jusqu'à parler de nouvelle Irlande, voire d'Eldorado... Mais des interrogations liées à la taille du marché intérieur et à la zone susceptible d'être couverte se posent déjà.
« Le Maroc est un pays dans lequel la culture du centre d'appels est à
créer. Mais c'est une activité qui s'adapte parfaitement aux habitudes et aux
pratiques culturelles de ce pays. Les Marocains sont conviviaux, ont le sens du
relationnel et savent faire preuve d'une grande amabilité. » C'est en ces
termes qu'Emmanuel Mignot, P-dg de Teletech International, argumente son choix
d'implantation au Maroc. Le pays fait ces temps-ci beaucoup parler de lui dans
le monde de la relation client à distance. Certains y voient des opportunités
de développement, d'autres des limites liées à un environnement encore peu
adapté. Mais tous regardent dans la même direction. De fait, certains signes ne
trompent pas. Le royaume chérifien s'ouvre aux entreprises internationales et
ses représentants rappellent à l'envi les opportunités économiques d'une
implantation sur son territoire. Une volonté politique émanant tout droit de
Rabat et du palais royal. Le Maroc ne veut pas rester à l'écart de la
mondialisation. L'accord d'association économique, signé le 1er mars 2000 avec
la Communauté européenne, ainsi que la perspective d'une zone de libre échange
à échéance 2010 devraient faciliter les choses dans ce domaine. Aujourd'hui,
plus qu'auparavant, c'est toute une frange du monde des affaires, mais aussi de
la société civile, qui aspire à la modernisation d'un pays en pleine
affirmation de soi. Les organismes et autres offices représentatifs de l'Etat
se rangent der-rière la détermination politique de leur roi. Au centre des
préoccupations : la réduction du chômage, notamment celui des jeunes. C'est
pourquoi le pays attend beaucoup du marché des NTIC dont dépend étroitement
l'activité call center au Maroc. André Azoulay, conseiller auprès du jeune roi
Mohammed VI, remarquait récemment à l'occasion d'un colloque que « les métiers
liés aux NTIC peuvent, dans certaines conditions, géné-rer au Maroc quelque 3,4
milliards de dollars de chiffre d'affaires et faire passer le nombre d'emplois
d'environ 10 000 actuellement à 80 000 d'ici le début de l'année 2004 ». Des
perspectives encourageantes pour un pays qui multiplie les gestes d'ouverture
en direction des investisseurs internationaux.
LES NOUVEAUX HORIZONS DE LA DÉRÉGLEMENTATION
L'action la plus représentative en
la matière reste la libéralisation du marché des télécommunications. L'ANRT
(Agence nationale de réglementation des télécommunications, voir encadré),
créée pour l'occasion, veille dorénavant à faire respecter le jeu de la
concurrence. Et là aussi, c'est une manière de signifier aux entreprises
étrangères que certaines choses changent. Ces signes suffisent-ils à faire du
Maroc le nouvel Eldorado pour les centres d'appels ? Voire la prochaine
Irlande, comme beaucoup l'espèrent ? « Nous assistons aux frémissements du
décollage. Le marché a commencé à bouger avec l'attribution de la deuxième
licence GSM à Meditelecom en juillet 1999 », note Karim Zaz, directeur général
de Maroc Connect, filiale de Wanadoo qui a intégré une activité de gestion de
la relation client. L'arrivée d'un nouvel opérateur téléphonique et l'ouverture
du marché des télécoms à la concurrence contribuant de fait à préparer le
terrain au développement de l'activité call center. De 189 000 abonnés au
téléphone mobile en novembre 1999, le Maroc en compte, un an plus tard, près de
deux millions, soit plus que le nombre de bénéficiaires du réseau fixe (1,4
million en juin 2000). Autant dire qu'une telle croissance a demandé une
certaine réactivité à l'opérateur historique, Maroc Telecom, en termes de
services clientèle. De son côté Meditelecom a pu s'appuyer sur la force
d'Atento, filiale de l'opérateur espagnol Telefonica spécialisée dans la
sous-traitance de services clients, pour mettre en place des ressources dédiées
à la relation client. Et ce, dès le lancement de son offre commerciale.
L'implantation d'Atento lui permet d'affirmer ses ambitions pour le marché
local, mais aussi pour celui de la délocalisation. Deux perspectives totalement
différentes. Environ 95 % des entreprises marocaines sont des TPE/PME. Des
sociétés qui sont loin d'être sensibilisées aux questions de gestion de la
relation client. Les 5 % restants sont des grands comptes, mais qui n'ont pas
forcément assimilé la valeur ajoutée que leur procurerait une stratégie de CRM.
Même si les plus importants, à l'image de Royal Air Maroc, ont passé le cap
depuis plusieurs mois maintenant (voir CA n° 23, p. 30). « Nous sommes passés
d'un marché où les grandes entreprises marocaines étaient dans un système
confortable et protégé, où très peu d'efforts étaient fournis pour le client, à
des investissements et une prise de conscience des avantages du marketing »,
indique Karim Zaz. Malgré tout, le marché local pour les centres d'appels
demeure limité.
ETAT DES LIEUX D'UN EXISTANT MAL IDENTIFIÉ
Le CFCE (Centre Français du Commerce Extérieur) aurait
répertorié une quinzaine de centres d'appels qui emploieraient environ 3 000
personnes. Que ce soit du côté des citoyens ou des entreprises, la relation
client n'est pas encore entrée dans les moeurs. Il est difficile donc de
convaincre de l'utilité de développer une stratégie de GRC et d'implémenter les
outils idoines. Du côté des éditeurs CRM, même constat. « Le marché marocain
est un marché neuf, mais prometteur. Il est moins important que celui de la
Belgique, mais il n'est pas équipé. Son évolution est plus lente car il n'y a
pas assez de références, les grands comptes hésitent encore. En termes
d'outils, ce sont les mêmes besoins, mais pour des plates-formes plus petites.
Le marché des centres d'appels de plus de 100 positions est quasiment
inexistant », remarque Albert Alcabas, responsable Maroc chez Com 6. La taille
des plates-formes pour le marché intérieur étant estimée entre 5 et 30
positions environ. Une estimation qui semble contredire les chiffres du CFCE,
selon lesquels la taille moyenne des centres d'appels tournerait localement
autour de 200 positions. Divergence d'évaluation qu'explique peut-être le
positionnement commercial de Com 6, éditeur ciblant avant tout les structures
petites et moyennes... Devant les balbutiements du marketing one-to-one et les
hésitations de certains grands comptes, des besoins dans le conseil,
l'expertise et l'intégration se font sentir. « Le Maroc est le marché le plus
mature du Maghreb pour les centres d'appels, mais il y a d'importants besoins
en termes d'accompagnement des entreprises », note, pour sa part, Ghizlane
Haloui, directrice de Vocalcom Maghreb.
LA DÉLOCALISATION PLUS EN PHASE AVEC LES ATTENTES DES INVESTISSEURS
L'éditeur français a
décidé d'installer une filiale sur place en septembre 2000, contrairement à
d'autres sociétés préférant passer des accords de partenariat avec des acteurs
locaux. Démontrant, d'une certaine façon, leurs réticences à investir sur un
marché encore trop peu représentatif. Un marché intérieur certes restreint de
par sa taille, mais où des activités de niche se créent. La qualification des
bases de données paraissant, en l'occurrence, prometteuse pour les prestataires
de services locaux. « La connaissance du client n'est pas un acquis. Les bases
de données ne sont pas encore qualifiées. C'est à ce niveau que peuvent se
développer les prestations de téléservices », note Omar El Alami, cofondateur
de Cybercom, une société marocaine spécialisée dans les prestations de
télémarketing. Malgré ces opportunités, le marché intérieur semble relativement
limité. Sauf, peut-être, en ce qui concerne la délocalisation. « Le Maroc peut
devenir une plate-forme francophone pour les centres d'appels », affirme Jamal
Belahrach, directeur général de Manpower Maroc. « La répartition du marché des
centres d'appels devrait s'effectuer entre 20 % pour le marché local et 80 %
pour celui de la délocalisation », note Anne Bendler, directrice commerciale
d'H2A, qui prévient toutefois qu'il est prématuré de parler de véritable
marché. « La délocalisation ne doit pas se faire de façon anarchique. Il faut
laisser le temps au Maroc de mettre les structures adéquates en place, comme,
par exemple, la protection des données, la baisse des coûts de communication »,
estime-t-elle. Sur ce dernier point, le Maroc réalise d'importants efforts.
Même si les communications à l'international ne demandent qu'à baisser (4
dirhams/minute vers la France, soit 2,52 francs), les infrastructures semblent
suffisamment développées pour accueillir une activité call center. Les
transmissions sont assurées en grande majorité en numérique, et une liaison
spécialisée de 2 Mbits entre la France et le Maroc coûte entre 150 000 et 200
000 F par mois.
UN BASSIN D'EMPLOI PROPICE À L'ACTIVITÉ DES CENTRES D'APPELS
L'un des atouts principaux du Maroc est sa
proximité géographique avec les marchés européens et notamment ceux de
l'Espagne et de la France. La proximité linguistique constitue également une
opportunité : le Maroc abrite une forte communauté francophone et hispanophone.
Un argument de poids pour les investisseurs potentiels, d'autant que le pays
dispose d'un bassin d'emploi impressionnant. D'une part, la population
marocaine est jeune et diplômée. D'autre part, le taux de chômage sur la
tranche des bac + 2/+ 4 atteint les 25 % en zone urbaine. On comprend mieux
l'enjeu que représente l'installation d'investisseurs internationaux au Maroc.
« L'un des avantages du Maroc réside dans les ressources humaines. Les jeunes
diplômés sont compétents, ils ont soif d'apprendre, l'envie de travailler pour
faire avancer leur pays », remarque Anne Bendler, qui a recruté et formé la
grande majorité du personnel de Maroc Telecom. « La compétence existe au Maroc,
mais elle n'est pas valorisée », note, quant à lui, le dirigeant de Manpower
Maroc. L'agence d'intérim a, devant les demandes des entreprises, mis en place
une structure de trois personnes chargées de recruter les ressources
indispensables au bon fonctionnement d'un centre d'appels. Pour une annonce
diffusée dans la presse, le recruteur reçoit une centaine de réponses en deux
semaines. Un taux important pour le marché marocain de l'emploi, mais qui
n'induit pas que toutes les candidatures seront retenues. Bien au contraire.
Surtout lorsqu'il s'agit d'un projet de délocalisation. A ce niveau, le
recrutement devient beaucoup plus draconien. La maîtrise parfaite de la langue,
ainsi qu'une bonne connaissance de la culture du pays délocalisateur
apparaissent ici fondamentales. Des exigences parfois difficiles à honorer mais
qui peuvent être palliées par un bon niveau de formation. Car, pour les
entreprises, l'enjeu de la délocalisation semble se porter sur ce terrain.
LES ENJEUX DE LA FORMATION
Même si au Maroc le travail
de téléacteur n'exige pas d'expérience initiale, le marché de formation dispose
d'un potentiel certain. L'OFPPT (Office de la formation professionnelle et de
la promotion du travail) a été sollicité pour apporter une solution aux
demandes des entreprises en matière de ressources humaines de personnel. « Nous
allons nous concentrer avant tout sur le marché de la délocalisation car c'est
le plus difficile à satisfaire », constate Mounir Chraibi, directeur général de
l'office. Illustration par l'exemple. L'OFPPT a mené en collaboration avec
Manpower Maroc une opération de recrutement autour de postes à pourvoir dans
les centres d'appels. 16 stagiaires en deuxième année de la filière tertiaire
de l'office de formation ont postulé. 12 ont été retenus, dont quatre aptes à
exercer dans un contexte en délocalisation et huit pour le marché local. Face à
ces résultats, l'office devrait créer dans le courant de l'année des programmes
d'accompagnement, surtout en ce qui concerne l'élocution et la culture propre
au pays ciblé. « Il est primordial d'offrir une formation sur la culture du
pays pour lequel les téléacteurs seront à même de travailler. Il est important
de connaître les différents départements du pays ou encore les termes qui
définissent tel ou tel organisme, comme, par exemple, la Sécu... », explique
Frédéric Salinié, directeur des programmes d'Altitude Marketing, un outsourcer
français installé depuis plus d'un an à Rabat. Mais une formation de ce type
demande plus de temps. En moyenne, entre trois et cinq semaines pleines sont
indispensables avant de commencer la prise en charge des appels. « Il est
nécessaire de multiplier par quatre le temps de formation. Cela demande des
investissements lourds pour chaque téléacteur », indique Ghita Lahlou El
Yacoubi, directeur général de l'outsourcer Phone Assistance. Un financement
s'élevant à quelque 10 000 dirhams par téléconseiller, selon Phone Assistance.
Chiffre confirmé du côté de Manpower. Rien d'alarmant cela dit pour Altitude
Marketing. « En France, le budget d'un centre d'appels est consacré à 70 % aux
ressources humaines. Cette proportion est ramenée à 30 % au Maroc », analyse
Frédéric Salinié. Et pour cause ! Les salaires sont bien inférieurs à ceux du
marché français. En moyenne de 50 %, voire plus. De quoi encourager les
entreprises dans leur aspiration rentabiliste à la délocalisation. D'autant
que, comme tous les gouvernements, celui du Maroc se prête au jeu des
subventions et autres aides pour attirer les investisseurs. Les efforts
semblent moins marqués en ce qui concerne les tracasseries administratives. Si,
de ce côté, on se veut rassurant en annonçant la création d'un guichet unique,
il n'en demeure pas moins que, jusqu'à maintenant, 17 étapes administratives
étaient nécessaires pour s'installer. De par ses atouts, le royaume chérifien
compte jouer un rôle dans l'univers de la relation client à distance. Ses
références se situant en Europe du Nord, Irlande en tête. Mais les avantages,
quels qu'ils soient, ne doivent pas empêcher de mener une réflexion sur
l'intégration de ces métiers dans un environnement culturel et cultuel
différent. Car les entreprises pourraient très vite se trouver confrontées aux
mêmes difficultés qui poussent aujourd'hui certains acteurs à délocaliser
(pénurie de main-d'oeuvre, turn-over...). Le Maroc parie sur la création de 50
000 emplois dans les centres d'appels d'ici cinq ans. Une échéance avancée par
nombre d'acteurs locaux pour situer la maturité du marché marocain dans le
secteur. Mais n'est-ce pas trop tard ? Il semblerait que le marché marocain
tente de s'imposer davantage comme une solution supplétive à une offre
européenne déjà bien pourvue en terres d'accueil. Ce, en privilégiant les
petites structures éclatées et reliées virtuellement. Quoi qu'il en soit,
depuis que le vent du CRM s'est levé au nord du Vieux Continent, il souffle en
direction du sud et atteint les rivages du bassin méditerranéen. Le Maroc,
conscient des enjeux de la relation client, se rêve aujourd'hui en "nouvelle
Eire" des centres d'appels. A lui maintenant d'insuffler une dynamique de la
relation client comme a su le faire l'Irlande en son temps.
L'ANRT : comme l'ART, en plus jeune
L'Agence nationale de réglementation des télécommunications a vu le jour en 1997. Son rôle est de "fixer les contours généraux de la réorganisation du secteur des télécommunications", au rang desquels on retrouve la libéralisation du marché marocain des télécommunications. En juillet 1999, elle accorde la deuxième licence de téléphonie mobile à Meditelecom, société dans laquelle on trouve Telefonica (30,5 %), Portugal Telecom (30,5 %), la BMCE Bank Group (20 %), Akwa Holding (11 %) et le fonds de pension CDG (8 %). Elle veille, entre autres, à garantir le libre jeu de la concurrence, à l'égalité de traitement des usagers en matière de tarification... Ses grands chantiers pour l'année à venir concernent un appel à l'acquisition de plusieurs licences (boucle locale, interurbain, backbone). En ce qui concerne l'UMTS, la compétition devrait survenir l'an prochain. L'ANRT souhaiterait pouvoir en attribuer trois. Tout dépendra de la réussite de l'UMTS dans d'autres pays. Le lancement d'une licence internationale interviendrait, quant à lui, en 2002. « Avec la libéralisation des télécommunications et la venue de nouveaux opérateurs locaux, nous assisterons sans aucun doute au développement de nouveaux centres d'appels locaux », note un industriel du secteur.
Les acteurs du marché marocain
Il est difficile d'établir une liste exhaustive des acteurs évoluant sur le marché des centres d'appels au Maroc. D'une part, la jeunesse de l'activité n'a pas encore donné lieu à la mise en place d'un organisme professionnel dédié et, d'autre part, tout semble évoluer très vite dans ce domaine. Du coup, difficile d'établir tendances et autres perspectives émanant de sources viables. Toujours est-il que, du côté de l'internalisation, et comme l'affirme un éditeur de solutions CRM, « tous les grands comptes sont des clients potentiels ». De leur côté, les outsourcers sont plus ou moins en train de mettre en place leurs structures, à l'image de Cybercom qui change de locaux et compte déployer 90 positions de travail, ou encore Phone Assistance, créé en septembre 2000, qui table sur la mise en place de 250 positions de travail. Transcom, groupe scandinave, s'est associé à l'opérateur marocain CBI pour développer un call center dans le courant de l'année à Casablanca. Atento, filiale de l'opérateur espagnol Telefonica, dispose déjà de 600 positions de travail entre Casablanca et Tanger. Un troisième centre d'appels serait prévu à Tétouan portant l'investissement total à plus de 450 millions de dirhams. Enfin, Altitude Marketing, le premier centre d'appels européen à s'installer au Maroc, a investi 40 MF à Rabbat pour 150 positions. A terme, l'outsourcer compte développer entre 500 et 600 postes de travail.
Le Maroc en chiffres
Superficie : 711 000 km2. Population : 28,3 millions d'habitants, dont 46,6 % de ruraux. Population active : 52,5 %. Chômage : 14,2 % (22,4 % en milieu urbain). 84,9 % des chômeurs ont entre 15 et 34 ans. Monnaie : 1 dirham = 0,63 franc. PIB 2000 (prévisions) : 363,4 MdDM (35,5 Md$). Source : CFCE