Les grandes manoeuvres du CRM 2/2
Les grandes manoeuvres ont commencé autour des sociétés spécialisées dans la gestion de la relation client (CRM ou customer relationship management). Achats, fusions et partenariats se multiplient. On assiste à une réorganisation de l'offre dont les acteurs sont les éditeurs d'ERP ou les opérateurs de téléphonie. La forte croissance de ce marché est une des raisons de ces rapprochements.
DES ACTEURS DE NICHE
À LIRE AUSSI
Une fois tous ces rapprochements
effectués, l'offre de produits CRM sera certainement réduite. Les clients,
désireux de monter un centre d'appels ou de développer un projet CRM, vont-ils
souffrir de cette réduction du nombre des intervenants ? Les experts ne le
pensent pas. Pour Thierry Demier, directeur général d'Experian, « il est plus
facile de faire un choix aujourd'hui. Il y a peu, les entreprises disposaient
d'éléments disparates qui ne fonctionnaient pas ensemble. Il y avait une chance
sur deux que ça ne marche pas ! » De plus, le fait que quelques mastodontes
dominent le marché mondial n'empêche pas des acteurs généralistes locaux ou
travaillant sur des marchés verticaux d'exister et de prendre des parts de
marché. « Il y a de la place pour les niches. Des sociétés comme AIMS ou
Marketic One ont une carte à jouer », estime Dominique Beaulieu. « Il y aura
toujours une offre avec des acteurs de niche qui ont développé un savoir-faire
sur telle ou telle fonction ou secteur d'activité. La compétition est assez
importante pour que le client trouve tout ce qu'il attend et possède une
latitude suffisante pour négocier », rassure Guy Bonassi. D'autres
observateurs, comme Jean-Yves Hepp, sont moins optimistes : « Il y aura de
moins en moins d'acteurs modestes. Des sociétés comme Enéide, par exemple, ont
vocation à se marier. Les petites solutions vont êtres chapeautées par des plus
grosses. Car les clients se posent de plus en plus la question suivante :
est-ce que cette solution est pérenne ? Par contre, sur les marchés verticaux,
il y a de la place pour ces intervenants. Ainsi, dans les services
consommateurs, un outil comme Conso + est supérieur à Siebel. » Son collègue
Pierre Carron est encore plus positif sur les chances des petits éditeurs : «
L'innovation vient des petits. Depuis trois ans, on assiste à une consolidation
autour de gros pôles avec, parallèlement, des sociétés plus modestes mais plus
innovantes. Cela continuera », prédit-il. « Les acteurs de niche continueront
de se développer. De nouveaux entrants offriront de nouvelles solutions, comme
le cobrowsing par exemple (3). Les packages Suite de la page 62 front-office
ne pourront pas tout traiter », ajoute Philippe Grosjean. Et Thierry Demier de
corroborer : « Les sociétés cherchent le progiciel qui permettrait de tout
intégrer, comme cela s'est fait dans les ERP. Mais pour la relation client, un
tel outil n'existe pas. » D'autant que se profile déjà l'avenir du CRM : le
centre de contacts multicanal.
L'AVENIR PASSE PAR L'INTERNET
De plus en plus, les entreprises découvrent que leur
client peut les joindre de diverses manières. Par téléphone, à travers les
centres d'appels qui se sont équipés de toute la panoplie d'outils
informatiques : CTI, serveurs vocaux interactifs, predictive dialing, plus tous
les applicatifs CRM. Par le Web, via les e-mails mais aussi le cobrowsing. Et
demain avec les portables GSM, qui permettront d'acheter, consulter les bases
de données, passer des ordres en Bourse, etc. « La gestion de la relation
client ne se limite pas au centre d'appels. Il faut gérer l'interface de tous
ces médias. Le CRM est devenu plurimédia », analyse Thierry Demier. Plus moyen
aujourd'hui d'imposer au client un seul canal de vente, comme le faisaient
jadis les constructeurs automobiles avec leurs réseaux de concessionnaires. «
Aujourd'hui, le consommateur peut étudier les offres sur son PC à deux heures
du matin, appeler le constructeur sur son centre d'appels le lendemain, etc.
C'est au fabricant automobile de pouvoir tracer ce client à travers tous les
canaux disponibles », pense Fred Hessabi. Certaines sociétés qui n'ont pas
anticipé cette évolution sont obligées d'investir fortement pour rattraper la
concurrence. Exemple : les banques qui ont beaucoup investi sur le Minitel et
la téléphonie pour la banque à distance. Leurs concurrents étrangers qui ont
développé leurs produits directement sur l'Internet ont pris de l'avance.
Cette évolution inéluctable des centres de contact bouleverse un marché du CRM
qui est en train de se restructurer. En effet, l'intégration des technologies
Internet (avec le Web, les mails, la voix sur IP) dans les centres d'appels va
faire intervenir des start-up nées du Web et peut-être plus aptes à intégrer
ces différents outils. « On ne sait pas quels seront ces outils dans deux ans.
Certains n'existent pas encore », ajoute Jacques Roquand, responsable des
centres d'appels chez Experian. « La plupart des éditeurs "e-transforment"
leurs produits. C'est l'arrivée du "e-whatever". Le marché n'a pas fini
d'évoluer et les stratégies d'alliance ne sont pas terminées », estime Guy
Bonassi.
ACTEURS MAJEURS
CONTRE NOUVEAUX ENTRANTS
Philippe Grosjean, dont le cabinet Cambridge Technology
se présente comme "pourvoyeur de solutions pour la Net economy", parle
d'intégration entre e-commerce et e-CRM. « Le CRM "classique" via les centres
d'appels est un marché bien occupé, difficile à pénétrer pour de nouveaux
entrants. En revanche, le centre de contacts intégré, très orienté Web, est
plus ouvert à de nouveaux intervenants comme les sociétés américaines Quintus
ou Silknet », avance-t-il. « La différence se fera entre ceux qui auront la
capacité à s'inscrire dans une logique multicanal et les autres. Baan, Siebel,
Firepond vont vers le Net. Des acteurs comme Vignette et Broadvision auront
aussi leur importance », ajoute Hervé Drevot. Et, face à ces petits nouveaux,
les éditeurs de CRM, gros ou moyens, n'auront d'autre solution que de les
acquérir, renforçant encore la concentration du marché. « D'ici un an, nous
allons assister à une nouvelle vague d'acquisitions d'éditeurs de solutions
e-commerce », prophétise Pierre Carron. Celles-ci ne seront pas de trop, si on
en croit Henri d'Oriola : « Les clients sont de plus en plus autonomes et
attendent un niveau de service élevé. Or, 67 % des ventes en ligne ne vont pas
à terme parce que les internautes sont perdus. Il y a là une opportunité
considérable pour tout ce qui est CRM, à travers par exemple le Web call back.
» Mais les chantiers qui se présentent aux entreprises désireuses d'améliorer
leur relation client sont nombreux : convergence voix/données, connexion des
applications aux bases de données, multimédia. Et tout cela n'est pas évident à
réaliser. « Internet bouleverse les canaux de distribution. Mais coupler un
site web à un call center n'est pas si facile à réaliser », rappelle
Jean-Philippe Sloves.
L'ARRIVÉE DU "E-QUELQUECHOSE"
Les notions de "e-store" et "e-procurement" sont également à la mode. Il s'agit
de relier les stocks au web sur lequel les clients passent leurs ordres
d'achat. On voit bien l'avantage que peuvent tirer les sociétés comme
Peoplesoft/Vantive de ce modèle reliant back-office avec les ERP et
front-office avec les outils de CRM, avec la page web comme interface. « Le
Gartner Group nous donne environ neuf mois d'avance sur SAP, Oracle et
Baan/Aurum. Nous représentons la première solution marchande de solution
e-business. Toutes les briques sont là », affirme le directeur commercial de
Vantive. D'autres sont déjà plus loin, créant un nouveau canal de distribution
de leurs produits logiciels via le Web. Leur cible : les petites entreprises,
délaissées par les grosses entités. L'une d'elles, le leader Siebel, a mis son
architecture "100 % Web" au service d'un portail destiné aux PME. " Pour les
entreprises de 5 à 200 salariés, nous proposons d'utiliser nos logiciels sans
avoir à configurer un serveur. Pour 20 dollars (120 francs) par mois, ils
peuvent se servir de nos programmes pour des coûts très bas. C'est notre offre
"Siebel pour votre groupe", une sorte d'externalisation sur Internet »,
explique Fred Hessabi. Lancé par SAP avec son portail MySAP.com à destination
des PME, ce type de mise à disposition de logiciel CRM via le Web risque en
effet de faire mal aux éditeurs plus spécialisés. A eux de rebondir en offrant
des services encore plus pointus aux clients. Ou en se rapprochant de sociétés
"Web natives" expertes dans le "e-quelquechose"... Quoi qu'il en soit, la
croissance des marchés du CRM et du e-business est suffisante pour garantir
quelques années de vaches grasses à tous ces acteurs, les plus gros qui
grossissent encore et les plus petits toujours plus spécifiques. « La fusion
des systèmes d'information et de l'interaction client pendra entre cinq et dix
ans », avance Jean-Philippe Sloves. De quoi rassurer ceux qui trouvent que le
rythme des bouleversements était devenu un peu trop frénétique. (1) D'après
Vantive, Peoplesoft serait le troisième éditeur d'ERP aux Etats-Unis, mais le
deuxième sur le plan mondial. (2) Siebel annonçait une capitalisation de 9
milliards de dollars fin octobre 1999. Le cabinet Praemia l'estimait à 14
milliards mi-décembre. Le dernier chiffre du 22 décembre donné par Siebel
France est de près de 16 milliards. (3) Le cobrowsing consiste, pour le client
internaute, à surfer sur une page web en même temps qu'un opérateur et à
dialoguer avec lui par téléphone.
Le CRM commence à peser lourd
Difficile de chiffrer précisément le marché français du CRM. Il faut d'abord savoir ce que l'on met derrière ce terme. Prend-on en compte uniquement les revenus issus de la vente des licences logicielles ou doit-on y ajouter les frais d'intégration, de conseil et de maintenance ? Deuxième problème : les sociétés leaders sont toutes peu ou prou d'origine américaine et considèrent l'Europe comme un marché unifié. La distinction se fait parfois de manière régionale, la France étant alors considérée comme une partie de l'Europe du Sud. Les études ne distinguent pas le marché français et ne précisent pas toujours ce qu'elles prennent en compte. Néanmoins, on peut arriver à une estimation fiable en recoupant les résultats des différentes études. En 1998, le marché mondial du CRM représentait près de 2 milliards de dollars (12 MdF) d'après le Gartner Group et AMR Research, mais plus de 11 milliards selon Lucent (66 MdF). Le marché est composé de la vente de licences (65 %), des services associés (20 %) et de la maintenance (15 %). L'Amérique du Nord représente plus des trois quarts du marché du CRM (76 % selon AMR), l'Europe 17 %. En Europe, la France pèse environ un tiers du marché, soit 5 % du marché mondial. On arrive donc à un chiffre de 600 MF en hypothèse basse et 3,3 MdF en hypothèse haute. Ce dernier chiffre est d'ailleurs celui retenu par le cabinet Pierre Audoin Conseil dans une étude sur le marché du CRM en France en 1998. Mais c'est surtout son taux de croissance, environ 58 % par an jusqu'en 2003, qui fait du CRM le marché phare du moment.
Un portail pour le CRM
Le cabinet de consultants Praemia vient de lancer un site web entièrement dédié au customer relationship management (www.crmcenter.com). « C'est un portail fédérateur de la communauté d'intérêt du CRM », selon Hervé Drevot, associé chez Praemia. Il va d'abord viser le marché français avant de s'élargir à l'Europe. Ce portail a pour but de remédier au déficit d'information sur le CRM et d'inciter à la réflexion. Objectif numéro un : offrir un point d'entrée unique pour accéder à des rubriques éditoriales, un fonds documentaire et des offres commerciales des acteurs du CRM, avec fiches signalétiques à l'appui. Le site contient des études disponibles en ligne, des liens hypertextes vers d'autres sites concernant le CRM, des dossiers et articles, les programmes des salons et conférences et des fiches de lecture. Les partenaires commerciaux (qui disposeront d'espaces réservés) participeront au financement. Le site est d'abord gratuit, puis certains segments à valeur ajoutée (études, veille technologique) seront payants. Praemia veut ainsi devenir incontournable sur un marché français de la relation client qui attire de plus en plus de monde.
Progimark troisième
La troisième édition de Progimark, le salon de la gestion de la relation client - CRM, organisé par MM Salons, se tiendra les 29 février et 1er mars 2000 au Cnit Paris-La Défense. 70 exposants (progiciels, conseils, intégrateurs, constructeurs...) y présenteront leurs offres. En parallèle, se tiendront les Journées Européennes du CRM, deux jours de conférences utilisateurs co-organisées avec CXP Informations. Rens. : 01 41 18 86 18, Valérie Gruau (valerie_gruau@groupemm.com). Web : www.groupemm.com/progimark
Vers un guichet virtuel unifié
Intégrer le CRM et l'Internet, les données et la voix, c'est la dernière tendance en date. C'est ce que se propose de faire Matra Nortel avec son concept de "guichet virtuel unifié". « Deux pôles se dégagent. Le Web, qui va vers un self-service automatisé. La voix, qui reste un service humain fortement personnalisé. L'enjeu est de les unifier », explique Nicolas Eppely, directeur marketing de Matra Nortel Communications. Ce schéma comporte quatre briques : la connaissance avec un datawarehouse ; la segmentation avec le data mining ; la vente avec le SFA ; le service avec le call center. Selon Nortel, il s'agit du centre d'appels troisième génération ou "centre d'interaction multimédia". « C'est le levier du marketing one-to-one. Il faut connaître le besoin non satisfait du client. Le CRM génère un cercle vertueux qui permet créer l'offre par la demande », ajoute Nicolas Eppely. L'Internet Voice Button, utilisé par la Redoute, est un outil qui permet d'envoyer un mail et de se faire rappeler en direct par une opératrice du vépéciste. Un gestionnaire automatique des réponses aux e-mail (e-mail ACD) est également disponible. L'interaction avec les mobiles est un autre développement attendu par Nicolas Eppely. « Le mobile, c'est à la fois le chariot et le porte-monnaie électronique de demain. C'est le rapprochement des banques et des téléopérateurs. Au coeur, on trouve le CRM et les centres d'appels. »
Chronologie express
Petit retour sur les mouvements qui ont agité le marché du CRM ces derniers mois. - Octobre 1999 Alcatel rachète Genesys, spécialiste du CTI, pour 1,5 milliard de dollars (voir Centres d'Appels n°11). eLoyalty, filiale de TSC, apparaît sur le marché français en se présentant comme société de conseil en management et intégration de systèmes entièrement centrée sur le CRM (voir Centres d'Appels n°11). - Novembre 1999 Nortel acquiert Clarify, un des trois principaux éditeurs de logiciels de CRM, pour 2,1 milliards de dollars (voir Centre d'Appels n°12). Peoplesoft, deuxième éditeur d'ERP, rachète Vantive, deuxième éditeur de logiciels CRM, pour 433 millions de dollars (voir Centre d'Appels n°12). PWC et Clarify annoncent un partenariat mondial pour la mise en place de solutions de fidélisation basées sur les Web call centers (voir Centres d'Appels n°12). - Décembre 1999 Siebel et IBM annoncent un accord de partenariat à plusieurs volets. IBM remplace son outil Corepoint par l'offre Siebel et distribuera les solutions de l'éditeur de CRM.
L'externalisation, prochain chantier du CRM
Aux Etats-Unis, l'heure est à l'externalisation des stratégies CRM. Les intégrateurs profitent de la confusion qui règne autour des stratégies CRM. D'après le Gartner Group, en 2004, 70 % des sociétés qui implanteront une stratégie de CRM externaliseront la majorité des fonctions auprès d'un intégrateur. Mais les intégrateurs devront démontrer leur savoir-faire. Le Gartner Group a défini quelques critères pour pouvoir s'affirmer leader de ce "facilities management" des relations client : il faudrait posséder plus de 600 consultants dédiés au CRM, au moins 20 références d'architectures multicanal, une bonne connaissance de la maîtrise d'oeuvre dans les ventes, le marketing et les services, plus les processus classiques de ré-engineering et de méthodes de conduites de projets. La société d'études regroupe ces intégrateurs dans un "cadran magique" où l'on trouve les Big Five, IBM et Cap Gemini, ainsi que plusieurs consultants purement américains. Mais qu'elles soient globales ou locales, ces sociétés de services informatiques devront se concentrer sur les deux volets du CRM : la stratégie et l'implantation.