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Les INTEGRATEURS à l'assaut du marché du conseil

Les prestataires, hier encore concentrés sur la technologie, partent aujourd'hui à la conquête du marché du conseil opérationnel en organisation et en ressources humaines. Ce mouvement est largement inspiré par les exigences des clients. Le marché est à la recherche de prestations de plus en plus rapides, fournies clés en main et avec une garantie de résultats.

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Les intégrateurs ont la réputation d'un corps de métier parmi les plus traditionnels. Ils vivent aujourd'hui une mutation rapide, initié... par leurs clients. De plus en plus souvent, les entreprises demandent aux prestataires la prise en charge complète du projet. Ce qui oblige les intégrateurs à se doter de compétences nouvelles dans le domaine du conseil opérationnel et organisationnel. Cette même tendance trouve un écho inattendu du côté des cabinets de conseil classique : ils cherchent à se doter des compétences dans les domaines technologiques, réservés jusqu'à peu aux seuls intégrateurs. Dans ce cas aussi, il s'agit de raccourcir les délais dans la mise en place de la relation clients, surtout dans les secteurs qui utilisent Internet comme espace de développement. « Nos clients vivent aujourd'hui sous pression concurrentielle, dans une évolution des usages liée à des nouvelles technologies. Ils sont précipités par une espèce de torrent, avec la contrainte d'une mise en route de plus en plus rapide des projets », explique Max Cointe, directeur des activités interaction clients plurimédia chez Communication et Systèmes. Et celui-ci de citer un exemple : « Nous sommes sollicités par une chaîne de distribution pour le montage de son centre d'appels sur le Web. La décision a été prise début mai, le centre doit ouvrir début octobre. Cela nous laisse quatre mois pour toute la réalisation. L'an dernier, le même projet aurait pris au moins huit mois. Il y a trois ans, il aurait fallu douze mois pour réaliser quelque chose de similaire mais avec une configuration réduite. Je constate qu'il n'y a plus de projets étalés sur plusieurs années, mais au mieux une succession de plusieurs projets pour le compte d'un client. » La capacité de prendre en charge la totalité du projet devient cruciale. « Avant, c'était d'abord le projet et ensuite un appel d'offres pour la réalisation. Aujourd'hui, il n'y a plus que dans les administrations que l'on pense que celui qui élabore le projet ne doit pas participer à sa réalisation, remarque Max Cointe. Dans les entreprises, c'est désormais le discours inverse. On nous sollicite pour la prise en main complète. Les clients nous demandent de mettre en place l'organisation du système, de définir les profils des intervenants et de prévoir les actions de formation appropriées. La seule chose qu'ils ne nous demandent pas, c'est le conseil en stratégie. »

COMPÉTENCES TRANSVERSALES ET APPROCHE MÉTIER


Cette demande de la part des clients est liée à la contrainte de temps de réalisation, mais aussi à la prise de conscience de la difficulté à dissocier les éléments de la chaîne : les usages génèrent les besoins qui sont supportés par l'infrastructure. « Il existe trois segments d'intégration : technologique, fonctionnelle et organisationnelle, pense Marc Rozand, directeur marketing de Datapoint. La partie technologique touche à l'architecture des systèmes. Elle est réalisée en fonction des composants déjà détenus par l'entreprise ou bien de ce qu'elle souhaite avoir à sa disposition. Cette partie est le champ d'intervention traditionnel des intégrateurs ; nous allons concevoir une architecture adaptée au mieux, avec une analyse des besoins du client. La partie fonctionnelle consiste à intégrer les fonctions souhaitées par l'entreprise, à les transformer en des procédés qui deviendront opérationnels au quotidien. Et, dans la partie organisationnelle, on définit un mode de fonctionnement et une stratégie qui toucheront toutes les unités de l'entreprise. Cette partie couvre les domaines plus larges, comme la stratégie de l'entreprise et ses ressources humaines. » Pour autant, les intégrateurs ne délaissent pas leur capital d'origine : le savoir-faire technique. Mais il est désormais plus varié car le centre d'appels nécessite des compétences transversales. « Les compétences dans les technologies de mise en oeuvre sont différentes suivant le métier, observe Dominique Minier, responsable de l'offre gestion de la relation clients et télécoms chez Steria. Par exemple, elles ne seront pas les mêmes chez un opérateur de téléphonie mobile ou chez un assureur. Dans le premier cas, le client aura typiquement besoin de mettre en oeuvre l'activation des services optionnels à partir du centre d'appels. Dans le deuxième cas, il se préoccupera plutôt de la facturation. Notre objectif est de proposer une offre globale des services aux centres d'appels, couvrant le conseil, l'intégration, l'infogérance, la maintenance. Nous pratiquons désormais une approche par métier. L'infogérance fait partie de cette stratégie, nous cherchons à devenir un opérateur des services. Dans ce cadre, nous faisons appel à des partenaires, par exemple à Arthur Andersen pour la partie conduite de changement. » Parfois, l'atout d'un intégrateur se situe en dehors de ses qualités propres. Comme l'explique Bruno Citti, directeur marketing chez NCR : « Notre avantage réside dans la structure de notre entreprise qui a développé d'autres branches consacrées notamment à l'informatique décisionnelle. Nous sommes alors en mesure de connecter un entrepôt de données dans le système d'information en même temps que le montage du centre d'appels et en parallèle avec celui-ci. »

PERSONNALISATION DE PLUS EN PLUS AFFIRMÉE


Dans le mouvement de généralisation des projets liés à la relation clients, les intégrateurs ont changé d'interlocuteur au sein des entreprises. Ce n'est plus à la direction technique ou informatique qu'ils ont à faire, mais à la direction générale, marketing, commerciale ou encore à la direction des services clients. Ce sont eux les maîtres d'ouvrage, ils définissent les besoins, tandis que les directions techniques n'ont gardé que la maîtrise d'oeuvre. « La relation client couvre plusieurs départements et branches de l'entreprise à la fois, remarque Marc Rozand. C'est un projet fédérateur qui sera géré par la direction générale. Nous nous retrouvons ici dans un schéma triangulaire avec les ressources humaines, la technologie, les procédés intégrés dans le même projet. Remarquez, ce schéma ressemble beaucoup à celui d'une démarche de productivité classique. Et je pense que c'est un défaut, car cela signifie que tous les intégrateurs devraient produire et mettre en oeuvre les mêmes solutions. Mais c'est à partir de là que le travail de l'intégrateur commence, car sa valeur ajoutée sera dans la personnalisation de plus en plus poussée de la solution en fonctions des particularités du client.» « La tendance est aux logiciels intégrés, à des solutions packagées », confirme Serge Des Ligneris, directeur au conseil et développement de la gestion de la relation clients chez Sema Group. Selon lui, « c'est à l'intégrateur de développer le paramétrage des programmes et de proposer des architectures personnalisées. » « Prenez l'exemple de deux sites d'assistance technique par téléphone, continue Marc Rozand. Ils sont tous deux sur le même secteur, avec les mêmes engagements - c'est donc une relation client très normalisée. Deux intégrateurs feront chacun leur audit. C'est au niveau de l'ingénierie du projet que l'on va voir la créativité de chaque prestataire, suivant ses capacités de faire des passerelles entre les éléments du logiciel pour augmenter le niveau de services en ligne. »

RAPPROCHEMENT CONSEIL/INTÉGRATION


L'autre avantage des intégrateurs réside dans leur démarche de responsabilité vis-à-vis du client. Pour Yves Gillette, directeur associé de la division conseil et intégration chez Micropole, c'est un atout face aux cabinets de conseil : « Un cabinet de conseil participe à la recherche d'une solution et apporte son assistance dans la maîtrise d'ouvrage, mais sans aucun engagement sur le résultat. L'approche d'un intégrateur, c'est l'engagement sur l'ensemble des maîtrises d'oeuvre, sachant qu'un marché peut facilement en réunir cinq ou six : la téléphonie, l'informatique, les réseaux, l'éditeu... L'intégrateur est un conducteur des travaux, aussi bien sur le plan humain que technologique. Comme un architecte, l'intégrateur est en position de garantie vis-à-vis du client. Il est responsable des préconisations de l'éditeur, de l'engagement sur la mise en place des solutions dans l'entreprise, sur le respect des critères de temps de réponse, d'ergonomie, d'appropriation de la solution préconisée par l'utilisateur. C'est d'ailleurs la partie la plus difficile. » L'intégration de la fonction conseil peut être perçue comme une approche agressive, une expansion. Au détriment des cabinets spécialisés ? « Il n'y a ni gagnants ni perdants, mais deux métiers qui se rapprochent, estime Serge Des Ligneris. Nous avons intégré une structure conseil chez Sema depuis bientôt trois ans. Cela répond aux besoins. Beaucoup de clients nous contactent dans l'urgence. Ils ne savent pas s'ils veulent un centre externe ou interne, sur un site ou bien sur deu... En fait ils n'ont pas eu le temps de réflexion nécessaire pour poser les bonnes questions, et ils n'ont pas l'expérience suffisante pour apporter les bonnes réponses. » Les questions des clients touchent principalement à trois domaines : la localisation géographique du centre d'appels, l'organisation et les ressources humaines, et enfin les technologies. Ressources humaines, par exemple : Dois-je embaucher du personnel déjà spécialisé pour mon futur centre ou bien vais-je utiliser mon propre personnel déjà spécialisé dans mon métier ? Qui va gérer le centre d'appels, la direction commerciale, le responsable marketing ou bien un nouveau service de relations clients à distance ? Par quelle technique je commence ? Ai-je besoin d'un CTI ou simplement d'un logiciel de GRC ? Dans l'optimisation de l'existant, les mêmes questions reviennent souvent : l'externalisation, le choix des régions, le marketing, les ressources humaines, enfin les solutions techniques. L'adéquation du conseil et de l'intégration est ici très importante. Les exigences de départ sont-elles compatibles avec les solutions techniques en termes de coût et des délais raisonnables ? « Le technicien sans compétences de conseil ne pourra pas trouver les alternatives, remarque Serge Des Ligneris. Il proposera une solution technique excellente mais qui ne prend pas en compte les priorités fonctionnelles du client. Par exemple, dans certains cas, ce n'est pas le CTI mais un bon logiciel de gestion et une intégration du back-office qui peuvent être plus importants dans l'immédiat. »

MIGRATION VERS UNE CULTURE PLUS "CONSULTANT"


Les activités de conseil imposent un renforcement des effectifs. Les nouvelles recrues ont des profils de technico-commerciaux correspondants davantage à l'avant-vente - désormais ils font partie des équipes de réalisation. « Nous avons augmenté les équipes avec les ingénieurs technico-commerciaux, parfois par la promotion interne, parfois par recrutement externe. Cela fait partie de la migration interne vers des positions plus proches de celles d'un consultant, explique Max Cointe. » Le chef d'une équipe multicompétence assumera toutes les responsabilités vis-à-vis du client, qui saura toujours à qui parler. « Nous avons des équipes mixtes composées des consultants et des intégrateurs. Les cabinets de conseil suivent la même démarche. Ils intègrent des spécialistes compétents en technologies et cherchent à se positionner aussi comme des intégrateurs, remarque Yves Gillette. Mais notre avantage, c'est que, quand le client passe par un intégrateur, il n'a affaire qu'à un seul interlocuteur. Et quand il passe par un cabinet de conseil, en réunissant ensuite plusieurs prestataires pour la partie technologique, la responsabilité des choix incombe au client lui-même. » D'autres acteurs préfèrent réduire les risques en sous-traitant certaines fonctions trop éloignées de leurs compétences. « Nous cherchons à dépasser l'aspect purement technologique qui a fait la réputation de NCR, déclare Bruno Citti. Aujourd'hui, dans le cadre d'un projet, une équipe élabore et présente une organisation cible. Mais j'estime que le travail de l'intégrateur est de trouver la meilleure technologie pour intégrer les composants de base dans la nouvelle solution. Nous pourrions faire plus dans le conseil. Notre démarche est différente, nous avons sélectionné des acteurs capables d'aider le client à déterminer la volumétrie, la structure et la partie logicielle du centre suivant son métier. » Un point faible des intégrateurs réside dans leur attachement à certaines marques. Cela est particulièrement vrai sur le marché de la relation clients où de nouveaux produits apparaissent souvent. « L'intégrateur crée toujours des partenariats privilégiés, avoue Yves Gillette. Pour les progiciels, nous travaillons avec quatre éditeurs - Applix, Clarify, Siebel et Enéide. Ce choix restreint est dû au fait que je dois m'engager sur le résultat. Or je n'ai pas assez de personnel pour suivre tous les éditeurs du marché. Sur d'autres domaines c'est plus simple, par exemple avec Nortel et Alcatel qui sont les deux acteurs principaux ; c'est donc un choix forcé. »

LE POIDS DES PARTENARIATS


Les cabinets de conseil sont-ils de véritables concurrents pour les intégrateurs dans une prestation clés en main ? Les avis divergent. « Le consultant ne peut pas être un bon intégrateur, clame Marc Rozand. Le consultant est déjà vendeur d'un cahier des charges, et des conseils pour le métier. Sa matrice est d'analyser les besoins, de définir et concevoir les procédés, d'accompagner l'entreprise. Il n'est qu'assistant du client qui garde la maîtrise d'ouvrage. J'ai toujours pensé que les métiers d'intégrateur et de conseiller étaient incompatibles. La réalité prouve le contraire. Nous nous sommes aperçus que le client ne nous appelle pas uniquement pour des questions techniques. Nous allons intégrer chez Datapoint un cabinet de conseil aux métiers de relation clients. Je crois aujourd'hui qu'un consultant technique peut être hébergé par un prestataire technique. Un consultant fonctionnel et organisationnel va naturellement se regrouper avec un intégrateur technologique. On trouve déjà sur le marché des sociétés à trois têtes qui savent tout faire, du conseil métiers à l'intégration et à l'organisation. Cela correspond aux attentes du client : il veut tout clés en main. » Le clivage entre le métier d'intégrateur et celui de conseil est peut-être plus artificiel qu'on ne le pense. C'est l'avis de Philippe Cavat, vice-président de eLoyalty, qui y trouve une spécificité du marché national : « Le marché français est atypique par sa séparation entre la maîtrise d'ouvrage et la maîtrise d'oeuvre. La question des intégrateurs est au coeur de ce débat, elle s'inscrit en rupture avec la tradition d'un fort clivage entre le concept d'assistance et de maîtrise d'ouvrage et celui de la maîtrise d'oeuvre. Dans une entreprise de taille moyenne, la maîtrise d'ouvrage est assurée par la direction marketing, direction générale ou commerciale. La maîtrise d'oeuvre est typiquement déléguée à la direction des systèmes d'information. Ce clivage rituel en a induit un autre : les directions générales demandent conseil aux consultants spécialisés en marketing et en gestion de la relation clients. La direction informatique de son côté fait appel aux sociétés de services informatiques. » Cette particularité, selon Philippe Cavat, a contribué au développement des SSII : « Les structures aussi immenses que Cap Gemini, Atos et autres Sema n'ont pas leur pareil dans le monde. Ces monstres n'existent que parce qu'ils sont nourris par des directions informatiques. Il y a donc un clivage entre les métiers de conseil et les services informatiques, avec au milieu des catégories intermédiaires : conseil en organisation, en management, en ressources humaines. » Ce clivage induit des chantiers réalisés pas à pas car conduits sans parallélisme : l'intégrateur ne commence à réfléchir sur le projet que lorsque le conseil a fini son travail. Et ensuite le passage de bâton provoque des "pertes en ligne" dues à un manque de compréhension. Cette situation est-elle immuable ? Philippe Cavat observe que « dans le reste du monde, c'est le métier de fournisseur de solutions qui se développe, avec la capacité de traiter une problématique de bout en bout, depuis l'élaboration de la stratégie jusqu'à l'intégration des solutions techniques. Ce métier émerge aussi en France. eLoyalty est aujourd'hui en mesure de prendre les projets en main de façon intégrale, travaillant sur les trois domaines - stratégie, opérationnel, technologie - à la fois, avec les mêmes équipes mixtes multicompétentes ». Ces équipes seront aussi la clé de voûte pour le développement futur des projets multicanaux intégrant les agences classiques, les centres d'appels et le Web.

4Front France


« Les intégrateurs ne parlent pas toujours le même langage que leurs clients » « Nous avons fait appel à un intégrateur pour la phase finale du chantier de mise en place de Clarify, témoigne Richard Georges, directeur informatique de la société 4Front France. C'était le choix de l'éditeur lui-même qui, après un appel d'offres, nous a dirigés vers Micropole. L'intégrateur s'est occupé de la partie technique de la mise en place et nous a conseillés sur cette partie. Il nous a notamment aidés à choisir les solutions les plus appropriées parmi les différentes options proposées par le logiciel. Nous avons gardé une appréciation globalement positive de cette expérience, même si, aujourd'hui, nous aurions probablement pris des options différentes. Il faut dire qu'à l'époque c'était pour nous le démarrage et que nous ne connaissions pas le produit. Nous avons été obligés de déléguer trop de pouvoirs décisionnels à des prestataires qui ne parlent pas toujours le même langage que leurs clients. »

Choisir un intégrateur : quand et comment ?



1) Quand fait-on appel à un intégrateur ?


- quand on n'a pas de compétences en interne sur les outils logiciels. L'offre du marché est très importante, impossible à connaître de façon exhaustive ; - quand on cherche une capacité de gestion des projets complexes ; - quand on a besoin d'une bonne réactivité. Après la définition de la stratégie de relation clients, l'entreprise souhaite toujours aller très vite. Elle a besoin de beaucoup de compétences dans peu de temps.

2) Sur quels critères va-t-on choisir son intégrateur ?


- un engagement de résultat ; - une méthode de gestion de projet efficace, intégrant la gestion des risques inhérents au projet et les actions correctives ; - une connaissance du métier du client ; - une capacité d'effectuer un transfert des compétences vers les équipes de l'entreprise pendant la réalisation du projet ; - la conduite du changement : une nouvelle couche progicielle amène un changement important pour l'utilisateur final, un effort sera nécessaire pour obtenir son adhésion au projet. Source : Didier Suzanne, directeur Centres d'appels et gestion de la relation clients chez Unisys.

Alexis Nekrassov

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