L'envol vers le CRM
Le CRM sauvera-t-il le transport aérien ? C'est sans doute l'avis de la
compagnie aérienne allemande Lufthansa qui a mis en chantier un vaste programme
de gestion de la relation client, en s'appuyant sur la suite CRM de PeopleSoft,
version 8.4 customisée. « Il devient très difficile de conserver un avantage
compétitif sur les produits basiques », estime Udo Papperitz, responsable CRM
corporate et agences de la compagnie. La stratégie CRM de la Lufthansa s'appuie
sur la carte Frequent Flyer Miles & More, disponible en trois versions :
Frequent Traveller, Senator Silver et Gold. Cette carte permet aussi de gagner
des points sur les autres compagnies de la Star Alliance. La compagnie a
déterminé quatre critères qui doivent être remplis par son projet CRM. Gagner
du temps pour les clients : avec quels processus et à travers quels points de
contacts la Lufthansa peut-elle faire économiser du temps à ses meilleurs
clients ? Se différencier par rapport à la concurrence : comment individualiser
au maximum sa relation client ? Etre réactif : comment rendre la relation
client plus proactive ? Gérer les retours : comment donner une réponse à tous
les contacts émanant des clients ? La Lufthansa possède sept centres de
contacts (2 en Allemagne, 2 en Afrique du Sud, 1 à Dublin, 1 à Istanbul, 1 à
Melbourne et 1 à New York) qui fonctionnent pour l'instant en mode entrant. «
Mais nous allons introduire les appels sortants pour effectuer des campagnes
marketing vers les porteurs de cartes », précise Udo Papperitz. Ce grand
projet a été lancé en 2000, mais son déploiement commence seulement et doit se
faire jusqu'en 2006. Il est piloté par une équipe CRM intégrée au département
informatique. « C'est le seul service transversal de notre organisation. Or, un
des avantages du CRM est justement de créer des process transversaux », analyse
Udo Papperitz. De plus, avec ses 45 systèmes différents, tous capables de
compiler des informations sur les clients, la Lufthansa devait absolument
rationaliser sa gestion de la relation client. C'est pourquoi, en 2000, la
première phase du projet a consisté à créer un datawarehouse central dénommé
"Core". C'est grâce à lui que la compagnie peut avoir aujourd'hui une vue
globale des dix millions de données concernant ses huit millions de
consommateurs. Il est alimenté par le programme Miles & More, mais aussi par
les agences, les données B to B, etc. et fonctionne sur un serveur Sun. Cette
base de données centrale peut traiter 10 000 transactions par minute et
répondre en moins d'une seconde.
UN PROJET EN TROIS PHASES
Deuxième outil : "Connect". Il s'agit d'un logiciel de
front office basé sur PeopleSoft CRM, qui permet d'aller puiser dans l'entrepôt
de données pour alimenter les centres de contacts. Il doit aussi pouvoir gérer
les retours, et posséder une fonction SFA (la force de vente en agences de
voyages représente environ mille personnes). Troisième étage de la fusée CRM :
"Corona". C'est un second datawarehouse, mais dédié à l'analyse et au
reporting. Il utilise une plate-forme Teradata et le progiciel Microstrategy
pour l'analyse des informations. Cette base de données doit pouvoir traiter les
900 millions de réservations, le milliard de passages dans les avions, les 8
millions de clients et leurs 156 millions d'activités diverses, et les 180
millions de coupons de points émis. Quatrième pièce du puzzle : la nouvelle
infrastructure des centres de contacts qui s'appelle "Communicate". Le choix
des divers outils informatiques s'est effectué selon quatre critères :
fonctionnalité et architecture (exemple : un accès Web 100 % XML pour
l'interface de front office), la flexibilité, afin de personnaliser les
logiciels standards pour la compagnie, le prix et le modèle de licence, et
l'implication de l'éditeur dans le projet. Entre 2000 et 2006, le chantier CRM
de la compagnie aérienne allemande devrait connaître trois phases. La phase 1
(2000-2003), en cours, devrait être principalement technologique, avec des
projets de longue durée (supérieurs à deux ans) et des prototypes de processus
business, totalement ou partiellement automatisés. La phase 2 (2003-2004) sera
le moment de l'implantation des outils CRM, avec des projets séparés par douze
mois maximum. La phase 3 (2005-2006) verra l'utilisation de tous les
instruments de relation client, comme l'InfoFlyway, premier accès Internet haut
débit en vol (développé par Boeing). « Nous allons concentrer nos efforts sur
les consommateurs présentant une forte probabilité de devenir des clients
fidèles Miles & More », détaille Udo Papperitz. Cible intéressante en effet,
puisque 3 % des huit millions de clients M & M réalisent 47 % des quatre
milliards d'euros de revenus. Un segment à soigner tout particulièrement. Une
campagne d'appels sortants à destination de cette cible a déjà donné de bons
résultats, selon la Lufthansa. D'autres services au consommateur devraient voir
le jour, comme "l'inflight voucher". Lors d'un vol longue distance, le client
insatisfait du service à bord pourra se voir remettre directement un bon pour
des miles gratuits. A l'aéroport, le porteur de carte se verra proposer un
surclassement en fonction de son nombre de points (voir encadré). Avec ce
vaste projet dont le budget approcherait les 500 millions d'euros (voir "Trois
questions à"), la compagnie allemande compte bien développer son activité tout
en rationalisant ses coûts. A condition que les événements actuels ne
précipitent pas une crise du transport aérien qui a déjà fait plusieurs
victimes en Europe et aux Etats-Unis.
Trois questions à... Ingolf Wald, Dg CRM de Lufthansa
De quel logiciel étiez-vous équipé avant de passer à PeopleSoft CRM ?
Ingolf Wald : Vantive, ainsi que d'autres programmes plus spécialisés.
Le CRM peut-il être une arme contre la crise du transport aérien ?
I. W : Cette crise existe depuis des décennies ! Depuis la première Guerre du Golfe, et même auparavant, avec la dérégulation de la concurrence. Avant, il s'agissait de mettre le plus de gens possibles dans un avion. Aujourd'hui, tout le monde propose des cartes de fidélité. Nous avons lancé un des premiers programmes de fidélisation, mais nous devons faire plus. C'est-à-dire aller vers le CRM. Nous voulons maximiser la valeur du consommateur.
Le chiffre de 500 millions d'euros a été avancé concernant le budget de votre projet CR...
I. W : Je ne peux entériner ce chiffre. Le montant global du projet est inférieur, mais on peut néanmoins parler de centaines de millions d'euros.
Le paradis des clients fidèles selon Lufthansa
Le futur des "frequent flyers" de la compagnie allemande devrait être radieux. Tout au moins celui des Senators, titulaires de la carte haut de gamme. Exemple de ce que pourrait être le parcours d'un de ces titulaires à l'horizon 2006. Herr Muller enregistre son profil sur le système InfoFlyway (1). Il a précisé son intérêt pour le Sud-Est asiatique. Justement, la Lufthansa a lancé une promotion offrant un vol gratuit à tous les Senators ayant accru leurs miles d'un facteur X, et qui ont spécifié leur intérêt pour cette destination. Le client est averti de cette offre par le centre de contacts. Comme l'opérateur voit le profil de son interlocuteur à l'écran, il peut lui proposer automatiquement son siège préféré et son repas spécial. En réservant son billet Francfort/Singapour, Herr Muller se voit offrir une nuit d'hôtel et une location de voiture. Et ce n'est pas fini. Au check-in, le système cherche si le passager a droit à un surclassement, et lui accorde automatiquement s'il y a lieu. En vol, un agent commercial avertit le client que son bagage ne pourra lui être délivré, mais que le service des bagages perdus de l'aéroport de Singapour a été prévenu en direct (grâce à la liaison Internet haut débit embarquée). Herr Muller peut se rendre directement à son hôtel, ses valises le rejoindront. Il peut ensuite exprimer son feed-back à travers n'importe quel point de contact. Si tout se déroule à l'avenir comme prévu par l'équipe CRM, il ne pourra qu'être favorable pour la compagnie allemande. (1) Développé par Boeing, ce système de liaison Internet haut débit en vol a été expérimenté pour la première fois par Lufthansa sur le vol Francfort Washington DC en janvier 2003.