Jean-Luc Koch (Devoteam Consulting). « Demain, la relation client sera un vrai canal de vente »
Stratégie Repenser les organisations des centres d'appels, responsabiliser et valoriser davantage les téléconseillers, travailler sur le fond : quelques-unes des pistes proposées par le vice-président de Devoteam Consulting pour la relation client de demain.
Quel est aujourd'hui, selon vous, le degré de maturité des entreprises françaises en matière de relation client à distance ?
Jean-Luc Koch : Le retard que la France avait en termes de maturité, il y a
quatre cinq ans, par rapport aux Etats-Unis, aux pays anglo-saxons, commence à
être rattrapé aussi bien sur la partie centres d'appels que sur la partie self
care, relation client par Internet. Mais, si les grandes entreprises ont
rattrapé leur retard, les PME sont encore loin d'avoir intégré la relation
client dans leurs processus. Elles sont plutôt en phase de découverte. Il est
intéressant de voir ce qui s'est passé chez les grands comptes où un certain
nombre d'entre eux ont réussi, enfin, à passer d'un centre de coûts à un centre
de profit. Profit en termes de fidélisation, de nouveaux clients, de qualité…
Aujourd'hui, dans les PME, c'est toujours un centre de coûts. On réagit à
l'événement, on est dans le traitement des appels. Il y a un vrai problème de
maturité des patrons français qui n'ont pas encore intégré ce concept, pas
assimilé ce que peut apporter une relation client forte en termes de business,
de part de marché, de rétention client. Il existe aussi un problème
d'organisation. La relation client, et pas uniquement au niveau des centres
d'appels, reste assez empirique. Il n'existe pas vraiment de méthodes. Mais
maturité et organisation sont des éléments longs à mettre en place au sein
d'une entreprise. Changer de processus, de culture, de mentalités…, cela prend
du temps, même avec de très bons consultants…
Existe-t-il une vraie demande de la part des PME en matière de relation client ?
J-L K : Il y a une tendance à l'évolution, mais au global, il n'y a pas d'électrochoc. L'évolution, elle existe aussi parce que beaucoup de PME fusionnent entre elles ou avec des grands groupes. Donc, de petites activités de centre d'appels, de traitement des réclamations, de service après-vente, de prise de commandes… deviennent un peu plus importantes. De petites entités, qui étaient cachées dans les services généraux, deviennent alors une entité à part entière. Et c'est l'occasion de repenser la relation client, de l'externaliser aussi, de repenser le modèle de coûts, de fonctionnement, de globaliser.
Comment les entreprises passent-elles d'un centre de coûts à un centre de profit ?
J-L K : Aujourd'hui, les profits, on les trouve dans l'up-selling. En faisant, par exemple, d'un client mécontent un client content qui va acheter plus de valeur. Quand on a fait ça, on a gagné. Mais cela veut dire qu'il faut reconcevoir ses centres d'appels. Actuellement, beaucoup d'entre eux sont très cloisonnés?: les ventes, les réclamations, l'information… Aujourd'hui, il existe des expériences où l'on commence à reconfigurer les centres avec des équipes de plus petite dimension, qui gèrent des clientèles plus précises. On recrée de la proximité dans les centres d'appels. Des gens qui vont être capables, par exemple, de traiter une réclamation et de la vente. Il y a aussi des expériences qui consistent à mettre des téléconseillers par segments de marché. Dans le grand public, cela peut être par tranche d'âge, type d'abonnement, d'achat en valeur… Et ce, pour traiter les clients différemment, avec plus ou moins d'acuité.
Dans quels secteurs voit-on ces expériences ?
J-L K : Dans ceux qui sont très avance.
Et ce sont toujours les mêmes : les Télécoms, la Banque, l'Assurance… qui sont
les plus innovants parce qu'ils traitent beaucoup d'appels et ont donc des
coûts importants. Réduire ces coûts ou les transformer en profits est
intéressant pour eux. Les Télécoms ont démarré sur de la conquête de parts de
marché ; maintenant, ils sont dans la fidélisation et dans l'anti-churn. Dans
des logiques où c'est vraiment la qualité du service client qui va prédominer.
Et la qualité, cela veut dire? proximité, compréhension, rapidité… Et surtout,
avoir une approche par segment de clients et dédier une équipe par segment. La
proximité, cela permet aussi d'identifier davantage les problèmes de fond.
Tout cela a pour but d'accroître la qualité.
Dès lors que l'on passe en centre
de profit, on change complètement de vision. On se dit : “Qu'est-ce que je peux faire pour
augmenter mes profits ?”. Et, dès que l'on parle de profit, on parle
d'investissements, donc on peut augmenter les dépenses. Et, même si on les
augmente pas, on n'est plus dans une logique de coûts. Toutes les entreprises
n'en sont pas là. Beaucoup sont dans des logiques de coûts?; mais cela ouvre
les portes de ce que sera la relation client de demain. Je pense que ce sera un
vrai canal de vente. Les ventes seront incluses dans la relation client.
Pour les entreprises matures, entre-t-on réellement dans une ère multicanal ?
J-L K : Au sein des entreprises matures, il y a deux grandes
tendances fortes. La refonte des systèmes d'information autour d'outils CRM,
pour avoir des bases de facturation, des bases clients, marketing… consolidées
au niveau d'un seul outil. Et la consolidation des canaux, surtout avec le
développement du Web qui a pris beaucoup d'importance. D'ailleurs avec des
allers et retours. Le premier réflexe a été de se dire “Super, le Web va nous
faire faire des économies. Nous allons avoir moins de trafic sur notre centre
d'appels.” Effectivement, parfois cela génère beaucoup d'économies, mais cela
peut aussi donner lieu à une relation client de très mauvaise qualité, parce
que l'on ne traite pas tout avec le Web. Et que, surtout, le Web ne se
substitue pas du tout à la relation téléphonique. Parfois même, Internet
accroît le nombre d'appels sur la relation client.
Aujourd'hui, la tendance
est de dire que ce sont deux modes de relation client très complémentaires. Les
entreprises vont même plus loin avec les projets de Web Content qui consistent
à gérer un seul contenu, mis à jour, pour les clients, les partenaires et les
salariés, avec des modèles d'accès différents. On arrive progressivement à ce
que les consultants disent depuis des années : mettre le client au cœur de
l'entreprise, la relation client au cœur des systèmes d'information, des outils
de communication. Tout ce qui est self care, outils web, est en train de se
développer. Le développement du nombre d'internautes fait que la demande
augmente. Et surtout, on découvre un nouveau modèle de communication parce
qu'avec Internet, on peut faire aussi des choses totalement impossibles au
téléphone. C'est tout l'intérêt du modèle internet : un client peut très bien
retrouver tous ses éléments de facturation, de contexte…
L'outsourcing en général, et notamment au niveau des centres de contacts, a-t-il toujours un bel avenir devant lui ?
J-L K : Les entreprises sont toujours en recherche de productivité. L'outsourcing fait partie de la problématique d'une entreprise mature en termes de relation client. Il n'est pas concevable de tout faire tout seul, comme il n'est pas concevable de tout externaliser. En fait, il existe deux grandes raisons stratégiques pour externaliser. La complexité : “C'est complexe, je n'ai pas envie de le faire et d'assurer les risques, donc je le confie à un prestataire et je le récupère après.” Sachant qu'existe aussi la logique inverse : “C'est complexe, c'est mon métier et je tiens à le maîtriser et ce n'est pas un prestataire qui va le faire.” Et la logique économique : “Il y a des gens qui vont faire ça mieux que moi. Donc j'externalise, ce qui me permet d'avoir des coûts de traitement extrêmement faibles, une grande flexibilité sur les horaires…” Je pense qu'à terme, toutes les entreprises auront une part de leur centre d'appels externalisée.
Et que pensez-vous du développement de l'off-shore ?
J-L K : Il a plutôt été reporté sur les outsourceurs. Les entreprises disent : “Moi, l'off-shore, je suis contre. Mais si mon fournisseur m'offre des prix moins chers et s'il off-shorise, c'est son problème.” Ce qui n'est pas si idiot parce que l'off-shore, c'est un mécanisme complexe. Une entreprise qui off-shorise doit aussi off-shoriser beaucoup de choses, ses fonctions de management… et donc a des coûts qui ne rendent pas l'off-shore aussi intéressant que l'on peut le penser. Quand c'est un outsourceur qui a des sites en off-shore, c'est son métier. Il a une relation continue, il peut avoir des prestations très low cost en off-shore et des prestations high level en France et mixer les deux. Pour un fournisseur, c'est devenu une logique assez naturelle que de diversifier ses gammes de produits. Mais tout le monde ne s'y lance pas non plus. Pour un outsourceur, l'off-shore, c'est un investissement donc il lui faut des garanties de marché, de pérennité. L'off-shore est intéressant quand on a beaucoup de volume. Mais le marché est assez dur pour les outsourceurs qui sont dans une phase d'optimisation des coûts, dans une logique très économique.
Quelles pourraient être les prochaines destinations de l'off-shore ?
J-L K : Les pays de l'Est. Aujourd'hui, il n'y a pas beaucoup de centres d'appels, mais beaucoup de projets d'outsourcing informatique. S'il y a de l'outsourcing dans l'informatique, il n'y a pas de raison qu'il n'y en ait pas demain dans les centres d'appels. Des entreprises vont s'implanter, de nouvelles sociétés vont se créer en Pologne, en Roumanie… Et, forcément, il va y avoir des compétences en centres d'appels, qui vont d'abord répondre aux besoins de ces pays en pleine croissance - dans dix ans, ils seront au niveau de la France en termes de PIB - puis aux besoins de débordement des autres pays d'Europe avec des offres near-shore. Aujourd'hui, aller créer une structure de centres d'appels dans les Pays de l'Est, ce sont des investissements trop importants en termes d'hommes, de recrutement, de technologies, de formation… En revanche, d'ici deux trois ans, quand des grandes entreprises, des banques,.. s'y seront installées et auront créé des centres d'appels en interne, à mon avis, on verra une concurrence pour les outsourceurs français.
Le marché de l'outsourcing en France va-t-il continuer de se concentrer ?
J-L K : L'économie en général
semble repartir un peu. Les entreprises réinvestissent sur les produits
traditionnels avec l'accompagnement service client qui va avec. Donc les
outsourceurs devraient normalement connaître une certaine embellie. Mais les
prix vont mettre du temps à remonter. Aujourd'hui, typiquement, un des facteurs
de choix d'un outsourceur, c'est le prix. Toutes les entreprises ont à l'esprit
qu'une nouvelle crise peut arriver. En plus, la bourse a un modèle de
rémunération des actionnaires qui est devenu un modèle de référence. Beaucoup
d'entreprises tiennent leurs coûts, n'investissent pas sur le long terme mais à
très court terme pour une rentabilité de l'actionnaire. Ce qui fait
qu'aujourd'hui, on satisfait l'actionnaire avant d'avoir des stratégies
industrielles, des positionnements à long terme.
Toute l'économie pense
“quarter”. Ce qui veut dire que les achats, les prix, la productivité restent
toujours d'actualité. Et que, pour les outsourceurs, en dépit de l'embellie, la
pression sur les prix va se maintenir. Donc concentration, oui. Tant qu'il y
aura une pression sur les prix, ce sont les généralistes qui vont gagner, parce
que c'est la mutualisation qui fait les prix bas. Cependant, dans toute
concentration de marché, il y a également une renaissance qui se fait avec des
approches dédiées, sectorielles. Pour les nouveaux entrants, il faut être
différenciant, apporter de la valeur ajoutée, avec une politique de
niches.
Voyez-vous des changements dans le cadre du grand chantier social qui caractérise la profession des centres d'appels ?
J-L K : La problématique des responsables de centres de
relation client, c'est de rendre plus attractif le métier de téléconseiller, en
le responsabilisant davantage, en globalisant plus ce qu'il peut faire. Il faut
repenser les organisations pour donner davantage de valeur, plus de
responsabilité au téléconseiller. Aujourd'hui, l'une des solutions, dans la
banque par exemple, c'est de dire qu'un téléconseiller est dans un parcours. Il
démarre au centre d'appels, puis passe en agence… Il existe une autre voie qui
consiste, au sein d'un centre d'appels, à trouver d'autres fonctions, au-delà
de superviseur, à faire en sorte qu'un téléconseiller puisse trouver une
carrière, un développement personnel autre que de répondre au téléphone. C'est
difficile si l'on a qu'une seule fonction au sein du centre, si l'on ne traite
que des réclamations, par exemple. Mais, lorsque l'on mutualise différentes
fonctions au sein d'un centre, on peut faire bouger les gens d'un traitement à
un autre.
Il y a également d'autres projets qui consistent à ne plus séparer
front-office et back-office, à tout traiter. Un téléconseiller doit prendre une
question et la traiter de A jusqu'à Z. S'il identifie un problème, il le traite
sur le fond. Soit en direct, soit en rappelant derrière. Ce qui donne une autre
satisfaction client, valorise le téléconseiller, en lui ouvrant d'autres
horizons, et permet aussi d'enrichir le knowledge management autour du centre
d'appels. C'est une organisation pour des centres d'appels qui cherchent à
garder, à motiver, à valoriser leurs téléconseillers.
Qu'en est-il des process qualité au sein des centres d'appels ?
J-L K : La
qualité, c'est inhérent à un centre d'appels. Mais les process qualité, c'est
consommateur en projets transverses, c'est beaucoup de temps non productif au
sens relation client. Ce sont des projets difficiles à mener. Aujourd'hui,
dans les centres d'appels, il y a beaucoup de process qualité mais uniquement
sur le traitement de l'appel et rarement sur le fond. Cela reste très orienté
productivité, avec des critères un peu standards : décroché, temps d'attente,
etc. C'est mieux que rien. Mais le vrai besoin se trouve sur le traitement du
fond. Par exemple, être capable de prendre en compte les clients “en
souffrance”, qui représentent 10 à 15 % des appels. Des personnes qu'il faut
identifier et ensuite traiter correctement. Quand on le fait, on peut parler de
centre de profit, parce que l'on a réellement gagné quelque chose lorsque l'on
a rendu satisfaits ces gens en souffrance, qui vont rester clients des années
de plus.
La démarche, c'est vraiment de mieux segmenter l'appelant. Ce qui
n'est pas facile. C'est pour cela que l'une des solutions, c'est de spécialiser
les équipes, pour qu'elles traitent une clientèle moindre, mais sur le fond.
Là, on n'est plus tellement “centre d'appels”, on est vraiment “relation
client”. Le traitement de l'appel en lui-même n'est plus aussi important. Mais
aujourd'hui, 80 % des centres “traitent l'appel”. Les organisations qui vont
être performantes demain sont celles qui seront capables de progresser dans le
sens du fond.
Biographie
DJean-Luc Koch 47 ans. Diplômé de l'Ecole Supérieure d'Electricité. Débute sa carrière en 1983 comme ingénieur d'étude chez Philips puis rejoint, en 1985, une société de services spécialisée dans les télécoms en tant que directeur technique. En 1987, assure la direction générale d'un cabinet de conseil en marketing. Fonde Cesmo, cabinet de conseil spécialisé dans les nouvelles technologies de la communication, en 1989. En octobre 2004, Cesmo rejoint le groupe
Devoteam. Jean-Luc Koch
devient alors vice-président
de Devoteam Consulting.
Président de Crestel (Club de réflexion et d'études sur les systèmes de télécommunications), il est également président du groupe Marketing informatique et télécoms de l'Adetem.
Devoteam Consulting
L'un des trois pôles du groupe Devoteam, avec Devoteam Solutions et Devoteam Opérations.
Société de conseil intervenant dans les secteurs des Télécoms, de l'Industrie, de la Santé,
de la Finance, des Services et des administrations publiques à travers trois entités : Cesmo (conseil
en stratégie marketing et gestion de la relation client), Siticom Consulting (conseil en stratégie télécoms, infrastructure et système d'information) et XP Conseil (conseil en sécurité des systèmes d'information). Trois cents consultants.
Présence dans onze pays.
Membre fondateur du réseau de consultants indépendants ITIC (International Telecommunications and Information Technology
Consultants).