Grande-Bretagne, figure de proue du marché européen
Le marché britannique des centres d'appels demeure de loin le premier en Europe. Et, sans doute, le plus emblématique puisqu'il exprime, par-delà ses spécificités, les tendances partout constatées : croissance de l'outsourcing, réduction de la taille des centres, difficulté à infléchir le turn-over...
Selon Datamonitor, la Grande-Bretagne regroupait, en 2002, 32 % des centres
d'appels européens, occupant sans conteste la première place du marché
régional, devant l'Allemagne (19 %), la France (17 %), l'Italie (8 %), les
Pays-Bas (7 %), l'Espagne (7 %). On estime le nombre de centres d'appels
britanniques à 3 000, pour une population totale de 400 000 salariés. « La
croissance de ce marché a vraiment démarré il y a six ans. Aujourd'hui, les
choses se sont stabilisées : les entreprises sont installées et les nouvelles
technologies offrent des perspectives intéressantes en termes d'automatisation
», explique Steve Wilson, directeur des investissements au sein de One
NorthEast, l'agence de développement pour la région Nord-Est de la
Grande-Bretagne. Tassement de la croissance, qui tourne aujourd'hui autour des
6 %, mais aussi phénomène de concentration du côté de services clients devenus
pléthoriques. British Telecom exploite aujourd'hui 150 centres d'appels. Dans
deux ans et demi, ils ne seront sans doute plus que 30. « Le phénomène est
général : les entreprises cherchent à regrouper leurs activités. BT n'échappe
pas à la règle », lance John Campbell, VP new consumers chez BT eLocation. Ce
qui n'ôte rien à l'une des caractéristiques majeures de ce marché britannique :
la dimension des centres. Là où la taille moyenne des sites en France tourne
autour de 40 postes, elle est quasiment dix fois supérieure outre-Manche.
Quelques exemples. Le groupe financier Saga, spécialisé dans les services aux
personnes de plus de 50 ans, a récemment créé un centre de contacts de 15
millions de livres, créant 600 emplois dans le Kent. BSkyB a ouvert en Ecosse
deux sites de 4 000 et 2 000 positions. Avec 250 centres d'appels, employant au
total plus de 50 000 personnes, l'Ecosse représente 10 à 15 % du marché
britannique. « Les études montrent que l'accent écossais rassure. Sans doute
parce que nous avons la réputation de gens prudents avec l'argent », sourit
Mark Mc Mullen, responsable de Scottish Development International. La dimension
moyenne des centres en Ecosse tourne autour des 300 agents. A Glasgow, 20 % des
sites emploient plus de 700 personnes.
Les services financiers, premier secteur d'activité du marché
Autres exemples de sites de
plus de 400 postes. Dans la région North East, qui recense 45 centres pour 13
000 positions de travail, British Airways compte un centre de plus de 500
stations. British Telecom dispose dans cette même région de cinq sites, dont un
qui emploie plus de 1 000 personnes. Quant au support technique d'IBM pour
l'EMEA, il emploie 1 000 agents. Filiale de United Utilities, Vertex est le
plus gros outsourcer britannique. En 2001, il a investi 6,5 M£ dans un centre
d'appels de plus de 700 postes à Whitehaven, dans le North West. Le premier
secteur d'activité au sein de ce marché britannique est celui des services
financiers, devant les télécoms. « En Grande-Bretagne, il n'y a quasiment plus
d'agences physiques dans le monde de l'assurance. Tout se fait en ligne et à
distance », signale Lynne Ross, responsable du service clients de l'assureur
Churchill à Stockton-on-Tees. Premier marché européen, la Grande-Bretagne est
également en Europe le premier territoire d'implantation pour des entreprises
désireuses de délocaliser leur service clients. En 2001, elles auront ouvert 22
sites, générant, en termes d'emploi, un quart de l'activité nouvellement créée.
Pour faire venir les entreprises étrangères, un organisme, Invest UK, fédère un
réseau de 12 agences régionales de développement économique. Invest UK repère
et recense les différents projets des entreprises partout dans le monde et,
comme on le ferait dans un appel d'offres, en soumet la liste à l'ensemble des
agences. Celles-ci s'engageant à proposer une offre dans les 15 jours. Autre
intérêt économique, autre approche. Division de British Telecom, BT eLocation
emploie 15 consultants et travaille en très étroite collaboration avec Invest
UK, l'organisme chargé de la promotion de la Grande-Bretagne auprès
d'investisseurs étrangers. L'un servant d'apporteur d'affaires à l'autre et
réciproquement. Le partenariat est d'autant plu serré que certains consultants
de BT eLocation sont missionnés en détachement durant un, deux ou six mois chez
Invest UK. Depuis juillet 2002, l'opérateur historique propose aux entreprises
étrangères une offre globale, comprenant conseil, intégration des
infrastructures technologiques et exploitation des services. « Notre objectif
est d'avoir toujours une cinquantaine de sites disponibles pour répondre à la
croissance du marché », explique John Campbell. Pour chacun de ces sites,
l'opérateur investit en moyenne 1,6 ME. L'opérateur historique propose une
offre de services globale, comprenant hébergement sur site et installation des
diverses couches technologiques. Avec une période probatoire de 6 mois en test
avant validation effective du contrat de prestation. Et un slogan : "Test
before invest". Parmi les entreprises convaincues par cette approche, la banque
Barclays, qui a vu dans le call center le meilleur moyen d'empêcher 80 % des
prospects en visite sur son site de renoncer au dernier moment par défiance
envers des procédures automatisées.
Partenariats entre BT et les outsourcers
BT ne dispose pas d'une force de production en propre
susceptible de répondre aux besoins d'externalisation des entreprises. «
Lorsque l'opérateur propose des solutions d'outsourcing, il se repose sur des
partenariats passés avec un certain nombre d'outsourcers dans l'ensemble du
territoire : Client Logic (9 000 postes), Manpower (2 500 postes), HCL (850
postes)... Au total, plus de 14 000 positions de travail », explique Alan
Baldwin, consultant télécoms chez Invest UK. Le marché de l'outsourcing en
Grande-Bretagne, à l'instar d'ailleurs de l'activité en France, témoigne en
effet d'une jolie santé. « Le marché des centres d'appels a connu des
croissances à 30 %. On est aujourd'hui entre 5 et 8 %. Seul le marché de
l'outsourcing conserve des taux à 25 %. Chez nous comme dans l'ensemble de la
Grande-Bretagne », explique Peter Shields, responsable du pôle services au sein
de One NorthEast. Dans la région du Nord-Est, 25 % des sites appartiennent à
des outsourcers. Avec un chiffre d'affaires de plus de 2 milliards d'euros, le
marché de l'externalisation en Grande-Bretagne pèse deux fois plus qu'en
France. Les analystes tablant en outre sur une forte croissance à court terme,
voire sur un doublement du chiffre d'affaires dans les prochaines années. Dans
le grand Londres, Sitel compte trois centres, Call Center Alliance deux.
Broadsystem, acteur important du marché britannique, y est également présent. «
L'outsourcing est très développé à Londres. Beaucoup d'entreprises souhaitent
avoir un service clients près de leur siège social, mais les coûts de
l'immobilier les empêchent de créer et de gérer une structure en interne »,
explique Aiden Liddle, chef de projet chez Invest UK. En Ecosse, les 22
outsourcers présents emploient 15 000 personnes. « Dans les neuf derniers mois,
nous avons signé l'installation en Ecosse de huit outsourcers internationaux.
Nous voulons faire venir les outsourcers parce que c'est en Ecosse que la
croissance est la plus forte », affirme Mark Mc Mullen.
Un quart des centres d'appels britanniques se trouve à Londres
Pour les
entreprises qui ne souhaiteraient pas franchir le pas d'une externalisation
globale, le territoire britannique abrite un certain nombre de sociétés
spécialisées dans des prestations de type "hôtel centre d'appels". Call Point
Europe compte ainsi 4 sites, dont deux en Ecosse à Glasgow (200 et 400 postes).
Les entreprises peuvent louer des postes en configuration de sécurisation et de
continuité d'activité. Sur l'un des sites écossais, une entreprise dispose
ainsi de 50 postes dédiés. Une autre formule consiste à louer les stations pour
l'exploitation d'un service clients au jour le jour. Le contrat le plus
important aujourd'hui en vigueur porte sur 160 positions. Certaines sociétés
louent quelques bureaux pour des opérations ponctuelles ou régulières, par
exemple sur une ou deux heures le soir. Autre société "hôtel", Portal, dispose
de 400 stations de travail à Lanarkshire, également en Ecosse. La région North
East compte, pour sa part, trois hôtels call centers, deux de 100 stations de
travail, le troisième de 200. Tarifs moyens proposés par ces sociétés : entre
990 et 1 150 euros par station de travail pour un mois de location.
L'externalisation est parfois la seule solution pour des entreprises qui ne
peuvent pas s'aligner sur les coûts prohibitifs pratiqués par le marché
immobilier. Le cas de Londres est à cet égard criant. Le grand Londres abrite
un quart des centres d'appels britanniques, avec une très forte majorité de
structures de moins de 100 postes. Mitial aurait même recensé plus de 1 400
micro-call centers dans la capitale anglaise. Selon London First Center, agence
de développement au sein du réseau Invest UK, Londres intra-muros compterait
200 centres d'appels, qui emploieraient 20 000 personnes. Pour des raisons de
coût, les entreprises cherchent plutôt à s'installer à l'Est de la capitale, où
l'on peut encore construire. La croissance du marché londonien se concentrera
donc sur le Grand Est. Les promoteurs immobiliers, assistés des instances
locales d'aide au développement, s'intéressent de très près aux besoins et aux
impératifs propres à l'activité des call centers. Mais Londres reste l'une des
villes les plus chères au monde. Le centre de la ville y est inabordable : de 1
000 à 1 100 E/m2, contre 230 E à Wembley (banlieue proche). Ce n'est sans doute
pas un hasard si le centre d'appels de la mairie de Londres s'est installé en
Ecosse ! Pour comparaison, le coût locatif dans la région North East fluctue
entre 180 et 215 E/m2. Seules quelques entreprises ont privilégié le prestige
et ont choisi d'installer leur call center dans le quartier de la City : Nippon
Airways, Japan Airlines, Marriott International, ainsi que quelques services
financiers. Des sites de taille plus modeste : 50 postes au maximum. « Londres
n'est pas une ville faite pour les grands centres d'appels. Mais nous faisons
tout notre possible pour que ceux qui y sont installés ne partent pas ailleurs
», explique Aidan Liddle. Quelle est aujourd'hui, outre-Manche, l'image des
centres d'appels ? « On a longtemps parlé de sweatshops (boutiques à
transpiration, ndlr). Mais ça change », signale Andrew Cooke, directeur
stratégie et marketing de London First Centre, agence de développement
économique pour la capitale anglaise. Un avis partagé par la plupart des
observateurs, même s'ils reconnaissent que des efforts d'habilitation restent à
faire. Colin Mackay, responsable de la qualité au sein de Contact Center
Association, organisation créée en 1996, revient sur les raisons d'un déficit
d'image : « Pourquoi les centres d'appels ont-ils été si impopulaires ? Parce
qu'il y a dix ans, alors que l'activité devenait courante, les entreprises ont
voulu en faire des centres de profit et ont mis en oeuvre des logiques et des
outils de suivi et de productivité qui n'ont pas été appréciés des téléacteurs.
On a trop voulu mesurer pour mesurer. »
Elaboration de normes de qualité pour l'ensemble de la profession
Aujourd'hui, CCA
travaille principalement à l'élaboration de normes de qualité et à la politique
de formation aux métiers de la relation client. Les entreprises bénéficiant du
label CCA doivent adopter ces normes et font l'objet d'un cycle d'audit : la
première année, 100 % des procédures sont inspectées, la deuxième et la
troisième année, 50 % d'entre elles et à nouveau 100 % la quatrième année. Sur
ce second axe d'action, celui de la formation, CCA a développé un label
susceptible d'accréditer les formations développées par les prestataires et
organismes spécialisés, et participe très activement aux réflexions et
programmes développés par les autorités universitaires. Ainsi, CCA a travaillé
à la conception d'une formation diplômante en alternance réservée aux 17-21
ans. De manière générale, les offres de formation aux métiers des centres
d'appels s'avèrent sensiblement plus développées de l'autre côté de la Manche.
La région North East compte, à elle seule, 5 centres de formation dédiés aux
métiers de la relation client. Quatre relevant du service public, le dernier
sous-traité au privé. Au total, l'investissement consenti par les instances
publiques pour l'exploitation de ces centres tourne autour de 2 millions
d'euros. Dans cette région, ce sont environ 2 000 personnes qui bénéficient
chaque année d'un cursus de formation aux métiers du call center. En Ecosse,
les centres d'appels sont un horizon professionnel "naturel". Les formations
pullulent, parfaitement intégrées dans les cursus des lycées professionnels et
des universités. Le turn-over, autour de 10-15 %, reste inférieur à la norme
nationale et sensiblement comparable à celui enregistré dans la plupart des
secteurs d'activité. « Les salaires, tout à fait honorables, sont connus de
tous. Et, de plus en plus, ce sont les salariés qui posent leurs conditions à
l'embauche », remarque Mark Mc Mullen. Selon ce dernier, lorsqu'une entreprise
projette d'ouvrir un site, elle recevra environ 3 000 candidatures pour un
effectif final de 250 agents : « Les salaires et les conditions de travail
aujourd'hui proposés attirent les gens de partout. » Dans cette
Grande-Bretagne fortement marquée par la crise des industries lourdes, les
centres d'appels ont constitué et font encore figure de source d'oxygène
social. Aujourd'hui, le taux officiel de chômage oscille, selon les régions,
entre 4 et 9 %. Mais il peut connaître des poches de culture. « Dans certains
quartiers de Londres, le chômage est plus élevé que partout en Grande-Bretagne.
Les centres d'appels constituent ici une véritable opportunité sociale »,
avance Andrew Cooke. Même constat pour Glasgow, où l'on recense une centaine de
sites. Dans cette cité écossaise où les usines fermaient les unes après les
autres, l'activité des centres d'appels est venue comme un levier quasi
miraculeux. La ville se désertait, les immeubles de bureaux étaient vides, le
taux de chômage frôlait les 40 %. Aujourd'hui, le taux de chômage est descendu
à 6 %. « C'est l'une des premières activités économiques de la ville », affirme
Mark Mc Mullen.
Contact Center Association : 580 membres
La CCA (Contact Center Association) a été créée en 1996 pour jeter les bases d'un cadre de rencontres, d'échanges et de concertation autour de l'activité des centres d'appels et des pratiques à promouvoir. Fin 1999, elle abandonne son statut d'association pour devenir société privée à part entière, qui emploie, à ce jour, 13 permanents. « Notre objectif est de doubler notre chiffre d'affaires dans les 18 mois », lance Colin Mackay, responsable de la qualité au sein de CCA, qui reste muet quant à la hauteur de ce chiffre d'affaires. Il y a trois ans, CCA comptait une centaine de membres. Aujourd'hui, ils sont 580, dont 20 % d'outsourcers. Les fournisseurs de solutions techniques sont acceptés sans avoir droit au titre de membre ni au droit de vote. Les entreprises peuvent adhérer autant de fois qu'elles comptent de sites. Ainsi, 40 adhésions sont enregistrées au nom de British Telecom. La hauteur des cotisations étant étalonnée sur le nombre de postes de travail des centres d'appels. Taille moyenne des centres référencés CCA : une centaine de postes.
Churchill et le télétravail
Cinquième assureur britannique sur le marché des particuliers, de l'habitation et de l'automobile, Churchill dispose de six call centers en Grande-Bretagne. Site le plus important : Stockton-on-Tees, avec environ 500 postes. Sur ce centre, Churchill a initié le télétravail il y a un an. Aujourd'hui, 37 personnes ont choisi cette formule. Avant de prendre en charge une mission en télétravail, les conseillères (il s'agit exclusivement de femmes, souvent des jeunes mères) restent en poste six mois sur le centre d'appels. L'environnement domestique de chaque postulante faisant l'objet d'une inspection minutieuse. Ensuite, les télétravailleuses sont placées sous la tutelle de teams leaders et de tuteurs "personnels" qui, tous les trois mois, se rendent sur place afin de faire un point, de s'assurer de l'adaptation de l'environnement à la tâche effectuée. Par ailleurs, les télétravailleuses doivent se rendre toutes les six semaines sur le site. Enfin, régulièrement, elles organisent des petits-déjeuners "de travail" les unes chez les autres. « Le télétravail a deux vertus majeures : il permet de libérer de l'espace et offre de la souplesse dans l'organisation des prises de poste. Par exemple, en plateau, il est difficile de faire travailler les collaborateurs assez tôt le matin ou assez tard dans l'après-midi. Avec le télétravail, c'est possible », explique Lynne Ross, directrice du centre d'appels de Churchill à Stockton-on-Tees.