Accueil des handicapés: du chemin reste à parcourir
L'accueil téléphonique, virtuel et physique des clients handicapés reste le parent pauvre de la relation client. De SFR à Garnier, en passant par EDF, certains pionniers adaptent leurs infrastructures, ouvrant une voie que d'autres emprunteront d'ici à 2015, année du durcissement des sanctions à l'égard des entreprises qui pratiqueront la «discrimination».
L'Hexagone compte actuellement plus de 5 millions de personnes handicapées, sur un total de 65 millions d'habitants. Les personnes dites «à mobilité réduite», dont font partie de nombreux seniors, représentent plus de deux millions d'individus. Une population importante et surtout croissante, puisqu'en 2050, un Français sur trois aura plus de 60 ans, et 63 % des personnes handicapées auront plus de 45 ans, selon l'enquête Handicap, invalidité, dépendance (HID) du ministère de la Santé, réalisée en 2004. En effet, le vieillissement de la population amène les acteurs publics et privés à se préparer, en rendant accessibles leurs infrastructures et en formant leur personnel d'accueil. Un enjeu sociétal, mais aussi commercial, puisque les personnes âgées sont des consommateurs à fort pouvoir d'achat.
Préserver son image
Au-delà de l'enjeu de marché, cette notion d'accueil égalitaire des clients, quelle que soit leur condition physique, peut avoir des répercussions importantes sur l'image de l'entreprise, et tout particulièrement sur son e-réputation. Car si l'effort déployé par certaines grandes marques à l'égard des personnes handicapées a été salué par les internautes, le contraire est encore plus vrai: certains faux pas ont engendré des retombées médiatiques désastreuses. En 2010, par exemple, deux soeurs, qui se déplaçaient en fauteuil roulant et souhaitaient voyager ensemble en TGV, essuient un refus de la SNCF. Raison invoquée: il n'est possible d'accepter qu'un seul fauteuil par rame. L'anecdote est aussitôt relayée par les médias, dont Le Parisien, Aujourd'hui en France et France Info. Un coup médiatique dont la compagnie ferroviaire se serait bien passée... Inès Dauvergne, responsable diversité de l'Institut mécénat de solidarité entreprendre pour la cité (IMS), un réseau de 200 entreprises engagées dans des démarches sociétales innovantes, met en garde les entreprises: « Elles doivent veiller, pour ne stigmatiser ces consommateurs, à adapter leurs produits et leur communication à partir d'une connais sance précise de leurs attentes. »
@ Cristof'Studio
La loi du 11 février 2005
D'autant qu'à l'aspect éthique s'ajoute un impératif légal. L'intégration des handicapés est devenue une obligation citoyenne depuis l'entrée en vigueur de la loi du 1 1 février 2005 sur l'accessibilité, pour l'égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées. Celle-ci s'adresse à tous les établissements recevant du public (ERP) , donc aux entreprises, aux transports collectifs, aux communes et aux services de communication publique. Cette loi sans précédent a donné dix ans aux organisations pour rendre leurs infrastructures, leurs services et leurs produits accessibles aux personnes handicapés (lire l' encadré sur la loi de 2005 , ci-contre) . En 2015 , toute organisation qui refusera d'accueillir - physiquement, téléphoniquement ou par e-mail - une personne handicapée ou à mobilité réduite sera sanctionnée. A titre d'exemple, une organisation qui refusera de fournir un bien ou un service à une personne handicapée sera passible de trois ans d'emprisonnement et de 45 000 euros d'amende. En dictant les objectifs à remplir d'ici à 2015 , cette loi réorganise peu à peu la société et l'univers des services à la personne, dans un souci d'égalité. Le chantier est pharaonique, tant l'accessibilité nécessite de réaménagements. « Dix ans, c'est un peu court pour révolutionner les infrastructures publiques, souligne Nicolas Guéchot, chef de projet Handicap à La Poste. Car même si les grandes entreprises sont conscientes de ce qu'elles ont à mettre en place, certaines autres, plus petites, ne savent pas bien par où commencer. En effet, il y a une marge d'interprétation dans les directives imposées par la loi de 2005. » Un avis partagé par Sylvain Denoncin, directeur général d'E. O. Guidage, une société lyonnaise spécialisée depuis 1989 dans l'installation de balises audio, de marquages au sol et de bornes multisensori elles adaptées aux non-voyants: « La loi fixe bien une obligation de résultats, mais sans obligation de moyens. »
Et de fait, à quatre ans du «couperet» de 20 1 5 , force est de constater que l'accueil universel des clients est un voeu pieux dans bon nombre de grandes entreprises, et dans la plupart des PME. Et pour cause: les investissements induits par cette mise en conformité sont énormes, même si les tarifs pratiqués par les prestataires prennent en compte la taille des établissements concernés.
Des contraintes matérielles lourdes
A titre indicatif la mise en conformité d'un établissement de grande capacité (plus de 1500 personnes) peut coûter jusqu'à 200 000 euros HT. A plus petite échelle, le réaménagement du salon de coiffure grenoblois Cristof ' Studio (photo page 30), modèle d'accessibilité subventionné par la fondation L'Oréal, a coûté 10 000 euros HT. Pour les grands comptes, l'investissement financier 500 millions d'euros pour rendre accessibles ses gares et ses trains d'ici à 2015. Membre du Conseil national consultatif des personnes handicapées (CNCPH, lire ci-contre), la compagnie ferroviaire consulte, chaque mois, huit associations concernées par le handicap, afin de mettre en oeuvre des services adaptés. En mai 2006, elle a, ainsi, expérimenté «la gare de l'accessibilité» à la gare ont parnasse, à Paris, pour tester 30 équipements, et interroger 1 000 individus (employés de la SNCF et clients handicapés) pendant près de trois mois. Suite à cette expérimentation, la SNCF a adopté un certain nombre d'équipements ad hoc, comme des bandes de guidage au sol et est énorme. Par exemple en 2006, la SNCF a investi 500 millions d'euros pour rendre accessibles ses gares et ses trains d'ici à 2015. Membre du Conseil national consultatif des personnes handicapées (CNCPH, lire ci-contre), la compagnie ferroviaire consulte, chaque mois, huit associations concernées par le handicap, afin de mettre en oeuvre des services adaptés. En mai 2006, elle a, ainsi, expérimenté «la gare de l'accessibilité» à la gare Montparnasse, à Paris, pour tester 30 équipements, et interroger 1 000 individus (employés de la SNCF et clients handicapés) pendant près de trois mois. Suite à cette expérimentation, la SNCF a adopté un certain nombre d'équipements ad hoc, comme des bandes de guidage au sol et des balises sonores. En mai 2009, souhaitant pousser plus loin de démarche, elle a lancé l'opération «train laboratoire de l'accessibilité», testant différents services à bord des trains, comme les toilettes universelles. La Poste a, quant à elle, alloué, pour l'année 2011, une enveloppe de plus de 600 000 euros aux matériels dédiés aux personnes handicapées. L'année passée, l'entreprise a réaménagé ses bureaux d'accueil du public, en installant des bandes de guidage au sol et dans les escaliers, ainsi que des boucles magnétiques qui amplifient la voix des guichetiers. Sur 850 bureaux de poste rénovés partout en France en 2010, seuls une dizaine a été jugée «hors normes» par les commissions d'accessibilité, chargées de vérifier la mise en conformité des ERP.
De grandes marques se mobilisent
En outre, la relation client dédiée aux personnes handicapées s'organise autour des nouveaux services et produits conçus spécialement pour cette population. Réunis au sein de l'Association française des opérateurs mobiles (AFOM) , Orange, SFR et Bouygues Telecom ont signé, en 2005 , une charte dans laquelle ils s'engagent à développer un certain nombre de services adaptés, comme les factures en braille et des fonctionnalités spécifiques sur les appareils téléphoniques (grosses touches, logiciel agrandissant les caractères, etc.) . Chacun d'eux propose, par ailleurs, un choix de mobiles adaptés: terminaux à commande vocale, compatibles avec des appareils auditifs, appareils conçus pour les handicapés moteurs... Dans la grande consommation aussi, quelques pionniers s'engagent... En mai 2010, la marque de cosmétiques Garnier (groupe L'Oréal) a mis en place une plateforme de relation client dédiée aux sourds et malentendants. Avec la solution «Sourdline(R)», elle permet à ces consommateurs de communiquer sur Internet avec un conseiller, soit en langue des signes, via une webcam, soit par écrit (chat instantané, e-mail, SMS) , ou même par fax. Le logo Sourdline figure même, désormais, sur de nombreux produits Garnier. Pour créer cette plateforme, la filiale de L'Oréal a signé un partenariat avec GuideCaro, une société prestataire de services à destination des sourds et malentendants (lire l'encadré GuideCaro p. 32). Responsable du Centre conseils consommateurs de L'Oréal France, Sébastien Larmignat explique la démarche de Garnier: « La mise en place de la Sourdline a pour but d'élargir le nombre de nos consommateurs et s'inscrit dans la politique développement durable de la marque ». Comme Garnier, plusieurs grandes marques utilisent la plateforme «Sourdline»: Danone, Blédina, BNP Paribas ou encore les fromageries industrielles Bel. Depuis 2003 , EDF possède également une plateforme en ligne dédiée aux personnes malentendantes, baptisée «eSourds». Ouvert de 9 heures à 17 heures du lundi au vendredi, ce service digital enregistre près de 800 connexions mensuelles. L'électricien s'est d'ailleurs largement investi dans l'accueil des personnes handicapées. Il a, notamment, investi dans l'aménagement de ses points d'accueil. Ainsi, quatorze de ses 140 boutiques «Bleu Ciel» sont équipées d'une webcam, afin de permettre aux sourds et malentendants de communiquer en langue des signes. Sa boutique parisienne, située au 70 boulevard Barbès, dans le XVIIIe arrondissement, propose même aux déficients auditifs de rencontrer un conseiller pratiquant la langue des signes, chaque lundi et vendredi, de 9 heures à 17 heures.
Engagé dans une politique de développement durable, le groupe a également ouvert 29 nouvelles boutiques éco-conçues et écogérées, consommant peu d'énergie et, surtout, accessibles à tous. Récompensé pour cette initiative, EDF a reçu, en octobre dernier, la Palme de l'entreprise citoyenne lors des Palmes de la relation client organisées par l'Association française de la relation client (AFRC).
Réorganisation interne et formations des personnels
Enfin, au-delà de l'aspect strictement financier, l'accueil sans distinction de tous les publics se heurte à des freins humains. Pour relever le défi , les entreprises doivent s'atteler à de vastes chantiers de réorganisation interne et de formation de leurs salariés. Très engagé dans la défense de l'égalité des chances, SFR a embauché, en juillet 2010, quatre vidéoconseillers de la plateforme Deafi line, formés par la société Deafi (lire encadré p. 34) et pratiquant la langue des signes. « Nous attendons encore un mois avant d 'établir le bilan de ce nouveau service, indique Antonella Desneux, directrice de la citoyenneté et de l'innovation sociale, et directrice développement durable chez SFR. Nous apprenons en marchant! »
La SNCF a elle aussi investi dans la formation de ses équipes. Elle propose un service gratuit d'accueil et d'accompagnement des personnes handicapées en gares, et forme donc ses agents d'accueil à la prise en charge du handicap. Brigitte Rigaud est responsable de la Délégation à l'accessibilité et aux voyageurs handicapés, le service qui « tient le rôle de chef d'orchestre de l'accessibilité au sein de la SNCF ». A ce titre, elle coordonne les actions à envisager et les formations pour y parvenir: « Au-delà des services rendus aux personnes handicapées, l'ensemble de nos initiatives ont pour but de les rendre plus autonomes ». Et plus libres.
Personnel d'accompagnement, bandes de guidage au sol, balises sonores: la SNCF a investi massivement
Pour Antonelle Desneux directrice de l'innovation sociale chez SFR, « la prise en charge universelle des clients est une priorité ».
La déficience auditive est, de loin, le premier handicap de nos compatriotes En 2004, en France, 3,5 millions de personnes souffraient d'une déficience auditive, et 450 000 étaient atteintes de surdité.
- La même année, notre pays comptait 60 000 aveugles et près d'1,5 million de malvoyants
- Quant aux handicapés moteurs, ils étaient plus de 1,4 million en France en 2004. Source: Enquête Handicap, invalidité, dépendance (HID) du ministère de la Santé.
Focus
Le Conseil national consultatif des personnes handicapées (CNCPH) est une instance nationale qui agit en lien direct avec le ministre en charge du Handicap. Ses missions sont d'assurer la participation des personnes handicapées à l'élaboration et à la mise en oeuvre des politiques les concernant, mais aussi évaluer la situation du handicap et formuler des avis et propositions pour l'améliorer.
GUIDECARO, PAR ET POUR LES SOURDS
GuideCaro est une société spécialisée dans les services adaptés aux sourds et malentendants. Créée en 2005, elle a pour mission d'intégrer la surdité dans les relations avec les publics internes et externes. La société GuideCaro, créatrice de la plateforme Sourdline (www.sourdline.com), propose aux déficients auditifs un relais téléphonique, un portail d'informations et une offre de téléphonie mobile conçue en partenariat avec Coriolis Télécom. La société dispense également une offre de services B to B, qui comprend des prestations de formation et de conseil.
Focus
Le site Internet Jaccede.com recense tous les lieux accessibles aux personnes à mobilité réduite, grâce notamment aux indications des internautes. Le site compte plus de 15 500 lieux et plus de 4 000 membres (au 23 janvier 2010) La nouvelle appli Jaccede Mobile, disponible gratuitement sur iPhone et Android, permet en plus de géolocaliser les lieux répertoriés en temps réel.
CE QUE DIT LA LOI DU 11 FEVRIER 2005
Loi n° 2005-102 du 11 février 2005 pour l'égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées.
« Art. L. 114. - Constitue un handicap, au sens de la présente loi, toute limitation d'activité ou restriction de participation à la vie en société subie dans son environnement par une personne en raison d'une altération substantielle, durable ou définitive d'une ou plusieurs fonctions physiques, sensorielles, mentales, cognitives ou psychiques, d'un polyhandicap ou d'un trouble de santé invalidant. »
Définition de l'accessibilité commune à tous les ministères français:
« L'accessibilité requiert la mise en oeuvre des éléments complémentaires, nécessaires à toute personne en incapacité permanente ou temporaire pour se déplacer et accéder librement et en sécurité au cadre de vie ainsi qu'à tous les lieux, services, produits et activités. »
L'accès des personnes handicapées doit répondre aux mêmes exigences que pour les autres citoyens. Il faut mettre en oeuvre des moyens de compensation qui facilitent l'accès tout en ne rompant pas l'égalité avec les autres citoyens.
Accessibilité à quoi?
- un accès aux lieux, donc une accessibilité physique pour tout type de handicap. Si une accessibilité universelle de tous les bâtiments ne peut être atteinte, il convient cependant de permettre un accès aux bâtiments publics, dans des conditions compatibles avec le patrimoine et le fonctionnement des services ;
- un accès aux prestations, aux services dispensés, dans des conditions au besoin adaptées, si elles ne peuvent être identiques à celles qui s'appliquent au reste du public ;
- un accès à l'information sur le droit et sur les conditions d'exercice de ce droit ;
- un accès à l'exercice effectif de ce droit.
Comment?
Les moyens à mettre en oeuvre sont à moduler et peuvent comprendre:
- des aménagements architecturaux et matériels ;
- un accès facilité aux services, en aménageant au besoin certaines modalités des prestations. Ces aménagements peuvent nécessiter des moyens technologiques (par exemple sous-titrage) ou humains (aide) ;
- une information et une formation des personnels concernés ;
- si les aspects économiques (solvabilité, ressources des personnes handicapées) ne peuvent être retenus en tant que tels dans le cadre d'une définition de l'accessibilité, ils peuvent cependant participer de la problématique.
Zoom
En France, plus de 4 200 sites et équipements touristiques ont été la bellisés «Tourisme et handicap» depuis la création du label, en 2001.
3 questions à... JEAN-CHARLES, p-dg de Deafi, entreprise de formation des sourds et malentendants au métier de vidéoconseiller: Nous avons créé un nouveau diplôme, unique au monde, de vidéoconseiller
Quelles sont les missions de votre entreprise?
Les sourds et malentendants sont inégalement traités par les services d'accueil à distance et hotlines. Ces services sont pourtant incontournables pour joindre administrations, institutions et entreprises. Aujourd'hui, en France, si l'on compte 1 téléconseiller pour 250 habitants, 4 millions de personnes sourdes ou malentendantes représenteraient un potentiel de 16 000 emplois de «vidéoconseillers». Forts de ce constat, nous avons créé, avec l'Association nationale pour la formation professionnelle des adultes (AFPA), le nouveau métier de «vidéo-conseiller client» (V2C), accessible après une formation diplômante et reconnue par l'Etat, unique au monde.
DEAFI a aussi oeuvré pour faciliter l'accès des sourds aux centres de relation client. Pouvez-vous nous en dire plus?
Nous avons mis en place DeafiLine, la première plateforme vidéo professionnelle permettant à des clients sourds ou malentendants d'être directement dirigés vers des conseillers, eux-mêmes sourds, qui dialoguent avec eux en Langue des signes française (LSF), par webcam ou par tchat. Notre mission ne consiste pas à reproduire un modèle de relation client en le traduisant en LSF: nous cherchons à tenir compte des particularités de la surdité. Près de 60 % des sourds profonds ont des difficultés avec la lecture ou l'écriture. Cependant, les mêmes communiquent aisément en LSF.
Quelles évolutions constatez-vous depuis la loi de 2005?
Nous assistons à une prise de conscience de la part de certaines entreprises. L'émergence progressive de l'éthique et du développement durable dans les politiques des entreprises va favoriser la prise en compte du handicap. Quelques entreprises font déjà appel à des travailleurs handicapés, notamment dans le domaine de la gestion de la relation client à distance (téléphone, tchat, mail, courrier). D'autres adaptent leur site internet aux malvoyants. Mais nous restons pionniers dans le domaine de la gestion professionnelle de la relation client adaptée aux sourds et aux malentendants, en combinant employabilité et accessibilité. Nous entendons continuer à définir les bonnes pratiques qui seront - nous en sommes persuadés - adoptées par les futurs concurrents.