Créer des programmes de fidélité VIP
Frédéric Boublil, fondateur du cabinet de conseil en stratégie www.boublil-conseil.fr et spécialiste de la distribution, partage son expérience sur les conditions pour élaborer et exécuter un programme de fidélité performant.
- Pourquoi les programmes de fidélité doivent-ils évoluer?
Au départ, les cartes de fidélité s'appuyaient sur les données transactionnelles des caisses. Celles-ci étaient (superficiellement) analysées par le marketing et complétées par des insights quali. Il en résultait des campagnes relativement peu personnalisées et surtout contraintes par un cadre publi promotionnel qui octroyait l'essentiel des moyens aux actions de masse.
La relation client trouvait alors son territoire d'expression via la carte de fidélité, qui coûtait environ 2% du CA de l'enseigne et qui, in fine, n'apportait pas de différentiation car toutes les enseignes se retrouvaient sur des mécaniques proches, et avec un travail de segmentation client trop limité. Cette approche est à bout de souffle: elle est coûteuse, insuffisamment ROIste et rarement différenciante.
Elle est dépassée aussi, car l'accès à l'information et l'évolution du parcours d'achat bouleversent les règles du jeu. Le contact client ne se fait plus exclusivement en magasin: au contraire, c'est le web qui, dans l'écrasante majorité des actes d'achats (hors alimentaires), est le premier point de contact. Ecouter le client, c'est savoir tracer son parcours d'achat, en magasin, sur le(s) site(s) marchand(s), sur les réseaux sociaux, et via le service client. Pas facile de faire en sorte que tous ces services se parlent, ... et pas facile non plus de collecter l'ensemble des informations et de les interfacer! Or, là réside la capacité d'un d'une enseigne à construire un programme de fidélité personnalisé en fonction des segmentations clients et des moyens de l'enseigne.
- Comment les enseignes doivent-elles s'y prendre pour s'adapter à cette mutation?
Il faut tout d'abord repenser l'allocation des moyens: moins de saupoudrage et plus d'actions structurantes (sans pour autant arrêter de tester des nouvelles idées ou applis), une réorientation des dépenses vers des campagnes personnalisées, et la mise en place progressive d'une culture ROIste.
Ensuite, il faut réfléchir à l'organisation: la relation-client est transversale puisqu'elle impacte tous les services, en magasin, au marketing, au service client, mais aussi à la supply chain ou aux SI.
Le directeur de la relation client, c'est donc le PDG. C'est pour cela qu'à tous les comités exécutifs de Darty, les dirigeants de l'enseigne font un état des remontées clients les plus marquantes et dans ce cadre et sollicitent directement des opérationnels, directeurs de magasins ou directeur des ventes.
Enfin, maîtriser la relation client, c'est maîtriser la techno. Les DSI deviennent les business partners des directeurs du CRM : ils évaluent avec ensemble les systèmes et technologies les plus appropriés à la stratégie client.
- Et en termes de contenu, comment les programmes de fidélité doivent-ils évoluer ?
La question-clé est: comment l'enseigne me récompense-t-elle de ma fidélité ? Pour y répondre, les programmes reposent classiquement sur 2 piliers : un pilier marchand (c'est le cash back, les cadeaux, ou tout autre mécanique de récompense et un pilier "serviciel" (ce sont les avantages que vous avez à être un gros client: par exemple, livraison gratuite, invitation en avant-première...)
Dans ces deux domaines, l'enjeu consiste à concilier un bénéfice client pertinent avec les contraintes économiques de l'enseigne. Une segmentation client pertinente permet de proposer des mécaniques sur-mesure, en conformité avec les attentes de chaque segment (par exemple, pourquoi proposer -30% à une personne qui achèterait à -20%, mais qui, en revanche, souhaiterait pouvoir pré-réserver son produit). Elle contribue par ailleurs à humaniser la relation, avec un message personnalisé, qui vise juste.
Je compléterai en notant que la dimension émotionnelle est encore insuffisamment travaillée dans les programmes de fidélité. C'est pourtant sur ce plan que les enseignes dites traditionnelles peuvent créer un gap face à Amazon, qui excelle dans la relation transactionnelle, mais qui sera toujours un distributeur "froid". Les neurosciences favoriseront cette évolutions: avec les "data émotionnelles", les marques pourront plus finement détecter les stimuli, et ainsi bâtir des campagnes plus pertinentes et plus ciblées.