Vers la segmentation des métiers
Comment s'organise le service clients de Bouygues Telecom ?
La direction clients de Bouygues Telecom recouvre diverses
fonctions : l'activation (mise en route), l'assistance-conseil, la vente de
services à valeur ajoutée et télévente, la fidélisation, la facturation, le
SAV, la fraude, le recouvrement, ainsi que des fonctions connexes comme
l'e-commerce, la vente sur le Web et, de manière générale, la vente à distance.
Le service emploie 2 500 personnes en interne et 500 personnes en externe. Soit
3 000 collaborateurs que l'on met à disposition des clients, dont 2 600 environ
qui travaillent sur nos centres d'appels, 1 900 en Ile-de-France et 580 en
province. Par ailleurs, dès octobre, nous ouvrons un nouveau centre à Tours,
qui emploiera 400-500 personnes. A ce réseau interne, il faut ajouter les sites
de nos différents partenaires outsourcers.
Quel est le schéma fonctionnel du service ?
Nous enregistrons plus d'un million de
contacts par mois, et je parle ici du volume d'appels traités par les
conseillers. Mais notre serveur vocal reçoit, ne serait-ce que pour la
vérification de la consommation, 300 millions d'appels par an. Car nous ne
sommes plus dans une logique d'appel, mais dans une logique de contact, où
toutes les technologies et tous les supports de communication ont leur rôle à
jouer. Le schéma d'organisation des plateaux est le suivant : 12 conseillers
clientèle par équipe et une douzaine d'équipes par unité. Chaque unité comptant
150 personnes. Nous avons opté pour des sites multiactivité. Ce, de manière à
proposer de l'évolutivité à nos collaborateurs. La règle, encore une fois,
étant de mettre en place sur nos sites des effectifs multiples de 150, taille
standard de nos unités. Nous avons établi différents niveaux de compétence :
conseillers juniors, confirmés et seniors. Ainsi que différents domaines
d'expertise pour les demandes qui ne peuvent être traitées en front-office :
expertise technique, expertise en matière de facturation, ou encore sur les
données à valeur ajoutée (Internet, mails, Wap...). Les services d'expertise
emploient environ 200 personnes.
Ces équipes d'experts relèvent-elles également d'une organisation plurifonctionnelle ?
Ce n'est plus le cas. Nous sommes en train de créer des équipes centrales
dédiées à l'expertise. Au départ, nous avions opté pour des cellules expertes
associées à nos équipes sur les différents sites. Or, nous sommes conscients de
la nécessité de créer un véritable contact client de deuxième niveau. Et
aujourd'hui, les volumes nous autorisent à créer des équipes spécialistes et
structurées.
Les premiers centres d'appels de Bouygues Telecom ont été implantés aux portes de Paris. Aujourd'hui, vous allez ouvrir votre troisième call center en province. Qu'est ce qui explique cette réorientation ?
Il n'y a plus de main d'oeuvre sur Paris. Le marché y est à la
fois saturé et opportuniste. Même si l'on envisageait de monter un centre pour
une seule de nos unités, c'est-à-dire de 150 postes, nous ne pourrions plus le
faire à Paris. De toute manière, mettre en place un centre d'appels de 150
personnes ne serait pas rentable. Cela pourrait l'être pour une structure dont
on sait qu'elle ne grossirait pas, ce qui n'est pas le cas dans notre activité.
Sur un centre d'appels de 150 personnes, on ne peut véritablement exercer qu'un
seul métier. Ce qui reviendrait à annoncer aux collaborateurs qu'ils se
trouvent face à cette alternative : soit ils restent à vie sur ledit métier,
soit, si toutefois ils font partie des "élus", ils peuvent accéder au
management ou aux fonctions d'expertise. En ce qui nous concerne, et dans la
mesure où nous sommes en train de centraliser l'expertise pour capitaliser sur
les compétences, notre volonté est de proposer de véritables carrières à nos
collaborateurs.
Pourquoi avoir arrêté vos choix sur Nantes, Bordeaux et Tours ?
Les aides des collectivités territoriales,
pour moi, sont connexes. Les critères de choix d'implantation sont bien
davantage liés à l'infrastructure en termes de moyens de locomotion, à la
taille du bassin d'emploi, à la topologie du site qui devient de plus en plus
importante. Nous travaillons beaucoup sur le rapport espace de travail/espace
de vie. Je m'inspire de ce qui se fait aux Etats-Unis, où les jeunes
entreprises intègrent une réelle dimension de détente, baby-foot, flipper,
cuisine, salle de gym... Je ne suis pas certain que le super confort de
l'espace de travail soit ce que réclame au premier chef le collaborateur. J'en
parle d'autant plus librement que nos centres d'appels sont plutôt luxueux.
Mais nos salles de détente ne me paraissent pas optimisées. Si je peux dégager
de la place pour que les salariés puissent jouer au ping-pong, lire des revues
au calme, écouter de la musique, regarder la télé et reviennent l'esprit dispos
à leur poste de travail, même si celui-ci n'est pas hyper luxueux, je serai
content. La notion d'espace de vie est capitale. Il faut travailler sur le site
professionnel à l'équilibre personnel. C'est en tout cas l'axe vers lequel nous
allons.
Quelle est votre politique salariale ?
Les
conseillers sont véritablement des vendeurs, avec une rémunération de vendeurs.
Chez nous, un conseiller clientèle démarre à 120 KF, auquel s'ajoute le bonus.
J'ai instauré une rémunération fixe avec bonus. Celui-ci est défini, en
fonction de critères de qualité, de quantité, de vente et de comportement. Les
conseillers sont évalués chaque mois sur ces quatre critères et ce, de manière
parfaitement quantifiable. Le bonus est individuel et collectif. Chez Bouygues
Telecom, le bonus peut représenter 20 000 francs sur une année. Pour ce qui est
du premier niveau de management, c'est-à-dire pour un responsable d'équipe, le
salaire est de 160 à 180 KF. Et accueillir des collaborateurs débutants en leur
expliquant que dès le premier niveau de management, le salaire est de 50 % plus
élevé, ça ouvre des perspectives. Sauf erreur de ma part, il y a certains corps
de métier, où l'on ne bénéficiera pas d'une telle progression sur une période
de 20 ans. Ceci montre bien qu'il y a maintenant de réelles opportunités dans
les centres d'appels.
Avez-vous été confronté à des mouvements sociaux ?
Presque tous les syndicats sont présents chez nous, et
nous n'avons encore jamais connu de mouvement social. Nous essayons d'instaurer
un langage "gagnant/gagnant" qui repose sur une écoute et une confiance
réciproques. C'est de cette manière que nous devons travailler avec les
partenaires sociaux !
Ce qui est vrai chez vous l'est peut-être moins chez les outsourcers...
Si demain, j'externalise certaines
fonctions, le niveau que je vais exiger sera élevé et de ce fait, l'outsourcer
devra bien rémunérer ses salariés. Ou alors, la qualité ne sera pas celle que
je demande et c'est moi qui ne paierai pas le prestataire. La valeur du métier
et le niveau de rémunération sont liés au niveau de compétence, dans un
contexte d'externalisation au même titre que dans le cadre de structures
internes. Prenons des tâches à plus faible valeur ajoutée, comme le tri de
courrier, le traitement de courrier ou le back-office : le niveau requis ne
sera pas le même que celui d'un conseiller qui devra remplir un acte commercial
vis-à-vis d'un client. D'ailleurs, sauf erreur, ceux qui ont le niveau de
rémunération le plus élevé sur les centres d'appels sont les traders dans les
banques d'affaires, les brokers au téléphone, qui peuvent dépasser le million
de francs de rémunération annuelle.
Bouygues Telecom avait, à ses débuts, opté pour une politique d'internalisation de son service clients. Aujourd'hui, n'allez-vous pas vous orienter plus franchement vers l'outsourcing.
Nous avons de plus en plus de mal à gérer notre
croissance. Au début, c'est "facile" de tout faire en interne. Quelques
chiffres : fin 1997, nous avions 500 000 clients, en 1998, 1,4 million, en
1999, 3 millions, en 2000 plus de 5 millions. On ne peut pas staffer longtemps
à ce rythme exclusivement en interne. Avoir des petites équipes internes pour
traiter les tâches à faible valeur ajoutée, c'est toujours possible. Si
l'activité devient très importante et si l'on fait le choix de monter de
grosses équipes pour prendre en charge ces mêmes tâches à faible valeur
ajoutée, on introduit un autre modèle économique auquel nous ne sommes pas
adaptés On peut bien sûr tout faire en interne ; tout très bien et tout très
cher. Mais le client l'acceptera-t-il ? Jusqu'où voudra-t-il payer ?
Aujourd'hui, dans le mobile, il y a des tranches de population qui ne veulent
pas payer cher. Cela étant, attention : je n'externalise pas pour faire moins
cher, j'externalise parce que je ne sais pas bien faire avec les compétences
dont je dispose. Mes conseillers s'en iraient si je leur confiais certaines
tâches ou bien les faisaient mal.
Avec qui travaillez-vous ?
Atos, Experian, Intra Call Center, Infomobile. Il y a en France
des outsourcers qui sont capables de faire du très bon travail. En fait, tout
dépend du cahier des charges qui leur est soumis. L'externalisation nécessite
un pilotage très serré. Et si le prestataire m'explique pourquoi il peut mieux
faire que moi, quel est son mode de gestion, ça vaut peut-être le coup. Puisque
nous avons un niveau assez élevé de qualité de service et d'exigences, nous
sommes en mesure de proposer de véritables challenges aux outsourcers. Ils sont
d'ailleurs tous demandeurs. Et c'est gagnant/gagnant. On peut tous beaucoup
apprendre sur nos méthodes de travail respectives. Sans rien imposer pour
autant à la sous-traitance, auquel cas cela deviendrait du délit de
marchandage.
Quelle stratégie mettez-vous en oeuvre pour fidéliser vos troupes ?
Le turn-over à Paris peut être de 20 %, ce qui est
élevé. En province, il est très sensiblement plus faible. Quand nous engageons
un collaborateur, nous le formons pendant trois semaines. Et il ne sera
véritablement autonome qu'au bout d'un mois et demi. En matière de formation
permanente, chaque conseiller bénéficie d'une demi-journée par mois. Il a
également avec son manager une réunion par semaine, et reçoit un flux permanent
d'information via l'Intranet. Tout cela induit un investissement trop lourd
pour que l'on puisse supporter des turn-over très élevés. Dès la phase de
recrutement, nous intégrons peu à peu le critère d'évolutivité, c'est-à-dire la
capacité de chacun à bouger dans les métiers. Le conseiller peut s'essouffler
au bout d'un moment. Devenir expert, certes, mais aussi perdre de sa
créativité. Pour régénérer le travail, nous devons offrir des possibilités de
mouvement. Nous avons commencé avec une position pro-généraliste. Mais, au vu
de la complexification des offres et du métier, nous sommes obligés de mettre
en place des segmentations de plus en plus affirmées. Or, si l'on veut garder
nos conseillers, il faut en même temps leur donner la possibilité de goûter à
tout. Autrement dit d'évoluer. Le management de ces métiers, c'est du tuning
permanent.
L'encadrement joue ici un rôle déterminant...
Nous sommes sur des métiers où les gens sont
jeunes, friables, parfois avec une vie personnelle non stabilisée, ce qui
permet toutes les dérives. Pour certains, c'est aussi le premier contact avec
la vie professionnelle et donc avec les notions de rigueur et de
responsabilité. D'où l'intérêt de développer le management de proximité. Chez
Bouygues Telecom, le management intermédiaire relève à 50 % du recrutement
interne et à 50 % du recrutement externe. C'est un état de fait. En la matière,
il y a deux écoles. Soit on considère que le manager est forcément du métier,
est un expert dans le métier pour pouvoir légitimement donner des ordres et
encadrer ses équipes. C'est l'option dominante. Soit on considère que le
manager gère les hommes par son charisme. C'est l'option la plus difficile,
mais, à mon sens, c'est la plus pertinente pour légitimer une autorité, pour
faire accepter rigueur, méthodologie, écoute, pilotage et compréhension. Par
ailleurs, je suis convaincu, évolution des technologies oblige, qu'un manager
au bout de deux ans a perdu son expertise. De ce fait, les experts qui n'ont
pas la fibre managériale ne peuvent pas tenir très longtemps. La conjugaison de
l'expertise et de la fibre managériale représente l'idéal.
Biographie
Richard Viel, 43 ans, est ingénieur. Il a travaillé chez Dassault Electronique Télécom, chez HP en tant que directeur marketing des activités systèmes et réseaux, puis chez British Telecom France comme directeur marketing et développement. Après avoir occupé le poste de vice-Président de la Telecom Business Unit de Bull, il a rejoint Bouygues Telecom au poste de directeur clients.
L'équipement du centre
Les centres d'appels de Bouygues Telecom sont dotés d'ACD Definity GR3 de Lucent. Sur le CTI en système Genesys se greffent les serveurs vocaux interactifs MG2. Pour la planification des effectifs, le service clients de l'opérateur utilise ACDC, un logiciel développé en interne et aujourd'hui commercialisé. L'ensemble des applicatifs est interconnecté au CTI et aux bases de données relationnelles. L'intégration de Siebel est en cours. Quant aux conseillers clientèle, ils sont équipés de microcasques mono et binoraux de marque GN Netcom (avec ou sans fil).