Urgences médicales : un encombrement chronique
Les urgences médicales, un monde à part. Loin des centres d'appels des entreprises privées, leur mode de fonctionnement est commandé par le souci de remplir une mission de service public, menacée à terme par la hausse incontrôlée des demandes d'intervention. 15 millions d'appels par an : par-delà la question du filtrage, se pose celle de la responsabilité médicale face à des appelants peu conscients du caractère mal ciblé de leur demande.
15, 17, 18, 112 : les numéros à composer pour joindre les services publics
d'urgence reçoivent près de 15 millions d'appels par an, ce qui traduit une
croissance annuelle du trafic de plus de 5 %. Un contexte renforcé par
l'important mouvement de grève des services d'urgence des hôpitaux parisiens en
décembre dernier, ainsi que par le mouvement social des sapeurs-pompiers civils
(à Paris, les pompiers sont des militaires). Le Dr Claude Leicher, médecin
urgentiste à Privas (Ardèche), remarque : « Les urgences réelles n'ont pas
augmenté depuis des années, la croissance des appels provient surtout d'une
erreur d'appréciation du public. Les parents d'un enfant fiévreux nous
appellent parce qu'ils travaillent tôt le matin ou parce que leur médecin
traitant, quand il y en a un, n'est pas joignable le soir. La régulation
médicale est tellement encombrée que l'on constate des retards graves dans le
traitement des appels, et plusieurs dizaines de procès sont en cours du fait
d'appels mal gérés. La responsabilité médicale entière est engagée, alors que
les urgences vitales sont parfois noyées dans un fatras d'appels inutile... Les
délais d'attente deviennent inacceptables à Paris où ils atteignent plusieurs
minutes, malgré le dimensionnement du standard. En milieu urbain, les malades
savent moins se débrouiller seuls qu'en milieu rural où le tissu médical est
moins fort. » Le Dr Sydney Sebban (SOS Médecins) précise, quant à lui : «
L'augmentation des files d'attente dans les urgences hospitalières est liée à
plusieurs paramètres : il s'agit d'un service public, potentiellement gratuit
grâce à la dispense d'avance de frais, ouvert 24 h/24 et bénéficiant d'un
plateau technique performant. Les urgences ont été médiatisées, ce qui génère
une plus grande sollicitation. Le désengagement des médecins libéraux des
services de garde, astreignants et peu rémunérateurs, renforce ce phénomène. De
plus, il est de plus en plus difficile de trouver un praticien disponible le
soir. Résultat : des malades qui pourraient attendre le lendemain s'inquiètent
et viennent à l'hôpital. »
De multiples intervenants dans la chaîne de soins
Les urgences hospitalières répondent à une problématique
de service public qui exclut de facto les critères utilisés dans le secteur
privé. La rigidité des budgets hospitaliers vient freiner l'adaptation des
matériels et des personnels à un trafic croissant. « L'Assistance
Publique-Hôpitaux de Paris (AP-HP) recouvre 82 000 lignes de téléphone (en
moyenne de 2 500 à 4 000 par hôpital) et 86 000 salariés, indique Denis Poiret,
chef de projet télécom à l'AP-HP. Il n'y a pas de matériel spécifique au Samu,
seulement des compromis à mi-chemin entre ACD et systèmes de centres d'appels.
On avance petit à petit. Réunir des matériels hétérogènes, entre les postes
numériques, les enregistreurs de communication, les systèmes informatiques et
radio, revient parfois à imbriquer des pièces de Lego dans un puzzle ! On
amalgame les solutions pour obtenir la plus opérationnelle. Dans les Samu,
chaque salle de régulation dispose d'un système différent, un Matra 6530, par
exemple, pour la Seine-Saint-Denis. La qualification des données et leur
acheminement vers l'informatique de téléphonie sont un chantier prioritaire. En
effet, le permanencier doit effectuer une double saisie des informations car on
n'a pas encore l'annuaire inversé. » Le Samu-Centre 15 des Hauts-de-Seine est
le plus important de la région parisienne, en raison de la densité du tissu
économique (800 000 personnes y travaillent) et de l'importance du réseau
routier et autoroutier. Les réponses apportées aux appels sont variées :
conseil médical avec renvoi vers le médecin traitant, envoi d'un médecin
généraliste, d'une ambulance, de transport non médicalisé ou d'une équipe
mobile de réanimation type Service mobile d'urgence et de réanimation (SMUR).
« Pas plus de 10-11 % des appels concernent de vraies urgences médicales,
commente le Dr Michel Baer, directeur adjoint du Samu 92. Le Samu est une
structure définie au niveau départemental, donc différente d'un département à
l'autre. Ici, on reçoit 600 000 appels par an, sur lesquels seulement 150 000
donnent lieu à l'ouverture d'un dossier. De plus en plus, nous recevons
plusieurs appels pour une seule affaire et le délai de décrochage constitue un
vrai problème. 18 permanenciers, tous des personnels hospitaliers formés à
l'écoute, travaillent au pool de régulation. Ils procèdent à une première
qualification des appels et saisissent l'ensemble des informations sur une
fiche informatique. L'identification du numéro est essentielle car l'appelant
angoissé ne donne pas toujours l'adresse complète. L'appel est placé sous la
responsabilité du médecin régulateur, chargé du départ réflexe, c'est-à-dire du
déclenchement des soins immédiats. Une présélection est établie en fonction du
canal d'appel : s'il provient du 17, du 18 ou des corps constitués (police), il
est dirigé vers un médecin régulateur spécifique, car une liaison SDA permet
l'identification des appelants préférentiels. Le Samu 92 dispose d'un budget
téléphonie d'un million de francs par an, le matériel date de 1992 et a atteint
son upgradage maximum. Nous disposons de peu de liaisons CTI, mais espérons
obtenir des budgets pour moderniser le dispositif avant 2001. »
Traitement de l'appel en 45 secondes chez les pompiers
Le champ d'intervention des sapeurs-pompiers recouvre la protection et la
sécurité des personnes et des biens contre les incendies, les périls, les
accidents et catastrophes de toute nature. Ils jouent donc un rôle clé, comme
en témoigne leur degré de sollicitation lors de la tempête qui a touché
l'ensemble du territoire, fin décembre dernier. La Brigade des sapeurs-pompiers
de Paris est constituée de 6 842 hommes, dont la zone de responsabilité couvre
Paris et les trois départements périphériques. En 1998, elle a effectué 405 950
interventions (349 360 en 1992), et reçu plus de 2,5 millions d'appels. Là
encore, seulement 25 % des appels donnent lieu à une intervention, du fait des
nombreux appels mal orientés. Le personnel dédié à la réception des appels est
composé de 63 stationnaires, tous des sapeurs-pompiers professionnels ayant
bénéficié d'une formation complémentaire d'aide à la coordination médicale et à
la réception d'appels d'urgence, délivrée par la société Quatuor Europe. Le
traitement de l'appel réclame 45 secondes pour une demande de secours. Un laps
de temps qui recouvre la transmission de l'appel au réseau informatique des 77
centres de secours et l'exécution de l'ordre de départ d'une ambulance.
Dix-sept opérateurs sont de garde 24 h/24 tous les jours, huit sont affectés en
permanence au 18 et au 112, quatre autres à la coordination médicale, dont deux
médecins en réception d'appels d'urgence qui décident de l'envoi de moyens de
prompts secours (les ambulances rouges) et, le cas échéant, de faire appel au
SMUR. Le matériel utilisé est un PABX 4400 d'Alcatel, doté d'un central
d'accueil spécifique. Pour les appels d'urgence, quatre accès T2 permettent de
traiter 30 communications simultanées. Les appels sont gérés essentiellement en
réception, mais environ 2 000 appels sont retransmis chaque mois au Samu et 1
700 à la police, avec un matériel qui permet la conversation à trois.
SOS Médecins, visites à domicile
Parallèlement aux
services d'urgence de la sphère publique, il existe une structure privée, SOS
Médecins, qui enregistre 2 millions d'appels par an dans 60 villes, soit une
augmentation du trafic d'environ 5 % par an. Là encore, pas plus de 25 % des
appels ne débouchent sur une intervention. Les praticiens effectuent des
visites à domicile et la connaissance du tissu local est la première exigence
pour les médecins régulateurs, qui transmettent les demandes au médecin le plus
proche du domicile du requérant. Le décrochage est effectué en moins de 5
minutes, ce qui est bien trop long mais difficile à éviter, compte tenu de
l'encombrement des lignes. Le service dispose d'un PABX Ericsson, qui donne
accès au dossier administratif du patient et permet la télétransmission des
adresses. Un lien CTI est établi avec les médecins en service, tous sur pager.
Une ligne directe est établie avec les sapeurs-pompiers de Paris et le 15. «
SOS Médecins Paris reçoit 600 000 appels et effectue 420 000 visites par an
dans la Capitale et dans les départements périphériques, explique le Dr Sydney
Sebban. Il emploie 45 standardistes de permanence, employées à plein temps,
formées à la prise en charge téléphonique de demandes médicales et à l'outil
informatique. La fonction de tri est essentielle et d'une gestion délicate pour
nos agents, qui doivent repérer les symptômes plus urgents que d'autres,
dispatcher les messages et les rerouter vers le médecin le plus proche. En cas
de problème particulier, l'appel est transmis au médecin régulateur de
permanence, chargé de déployer les moyens adéquats en faisant appel, le cas
échéant, aux sapeurs-pompiers ou au Samu. Moins d'une heure s'écoule, en
moyenne, entre la réception de l'appel et la visite, effectuée par 170
médecins. Les heures de pointe correspondent à la sortie des bureaux et aux
plages tardives de soirée. » Le téléphone est le vecteur privilégié des
missions sanitaires et sociales des urgences médicales. Reste à moderniser des
matériels souvent dépassés, dans un contexte de recours croissant à des
services publics régulièrement débordés malgré le dévouement de leurs
personnels.
Les quatre services publics d'urgence
Les demandes d'intervention sont gérées par quatre numéros d'appels gratuits et interconnectés : - le 15 : urgences médicales, situées dans un hôpital, en général le centre hospitalo-universitaire (CHU) du département concerné. - le 17 : police-secours, d'où les appels médicaux d'urgence sont renvoyés par interphone au médecin régulateur du centre 15. - le 18 : les sapeurs-pompiers. - le 112 : numéro d'urgence européen, utilisé partout ailleurs dans l'Union européenne. La réception d'appels demande la présence de personnel anglophone.