ToIP, le difficile équilibre entre l'intérêt et le coût
La téléphonie sur IP (ToIP), qui consiste à faire passer la voix sur un
réseau de données, est dans toutes les têtes. Ainsi, en septembre dernier, 50 %
des responsables informatiques et responsables de services clients, interrogés
par Cesmo*, déclaraient étudier les solutions de ToIP. Cependant, seulement 5 %
de ces mêmes responsables avaient des projets d'investissement à court terme
sur cette technologie. On perçoit un décalage entre l'intérêt que suscite la
ToIP et son déploiement au sein des centres d'appels, où la priorité va plutôt à l'optimisation de
l'existant. « Aujourd'hui, moins de 10 à 15 % des centres d'appels sont équipés de ToIP. Les bonnes vieilles technologies
classiques sont encore largement utilisées », souligne Olivier Savouret, senior
manager spécialiste des centres d'appels chez Valoris. L'installation de la
ToIP est souvent une question d'opportunité. Si un centre d'appels s'implante
dans des locaux sans ins-tallation téléphonique, il choisira probablement la
ToIP. En revanche, lorsque les infrastructures télécoms existent, la
justification du passage à la ToIP est moins facile. « Un matériel télécoms de
type PABX est aujourd'hui amorti sur sept à dix ans. Après il peut être
intéressant de se poser la question de la ToIP », estime Yann Jolivet,
consultant centres d'appels au sein de la société de conseil et d'ingénierie
Devoteam.
La ToIP peut avoir un intérêt fonctionnel. Elle facilite le
déploiement du couplage téléphonie informatique et la migration vers le
multicanal (e-mail, call back, chat, co-navigation), tous les flux, même la
voix, utilisant le protocole IP et transitant sur un même réseau. Toutefois,
« dans les faits, très peu de centres d'appels ont, aujourd'hui, besoin des
fonctionnalités offertes par la ToIP. Dans 90 % des cas, les appels portent sur
des problèmes de facturation ou des demandes relativement simples. Moins de
10 % des centres d'appels ont besoin de prendre la main sur le navigateur de
leur interlocuteur ou de leur pousser des pages web », constate Pierre
Beaufils, CEO du cabinet de conseil Greenwich Consulting. Et, des services
comme la remontée de fiches clients sont possibles avec la technologie voix
traditionnelle, même si les efforts d'intégration devront être plus importants.
La ToIP a un avantage évident en termes d'architecture pour ceux qui, dotés de
plusieurs établissements, souhaitent centraliser leurs équipements. En ToIP,
les centres d'appels ou les agences d'une entreprise sont tous reliés à un site
central où est basée l'intelligence du système. Ainsi, même les plus petits
sites bénéficient de toutes les fonctionnalités disponibles sur le centre
d'appels central. Par exemple, il suffit d'installer un seul dialer pour que
les agents de tous les sites puissent participer aux campagnes marketing. Mais,
là encore, pour une entreprise qui ne peut pas ou ne souhaite pas passer à la
ToIP à court terme, il existe des solutions de contournement, tels que les
centres d'appels virtuels hébergés.
Des prestataires proposent aux entreprises
d'héberger leurs applications ou de leur louer des solutions clés en main.
Ainsi, il est possible d'accéder à des services de distributeur automatique
d'appels, des serveurs vocaux interactifs ou même à du couplage téléphonie
informatique. Il suffit de relier chaque centre d'appels à la plate-forme du
fournisseur pour qu'il dispose de toutes les fonctionnalités offertes. Pour les
centres d'appels qui choisissent de passer à la ToIP, deux stratégies sont
possibles: basculer tout en IP, en faisant table rase de l'existant, ou migrer
progressivement vers la ToIP. Aujourd'hui, la plupart des PABX sont compatibles
IP, ce qui facilite les solutions hybrides. Une migration partielle permet de
vérifier le comportement de son réseau de données quand on y ajoute de la voix.
En outre, un système hybride provoque des doublons: il faudra, par exemple,
deux outils de statistiques, une équipe de maintenance pour chaque réseau, etc.
(voir tableau ci-contre ToIP: deux scénarios de déploiement
possibles).
Attention aux “à côtés” coûteux
Au prix des équipements de ToIP s'ajoutent d'autres coûts, moins visibles. Ainsi, il faut prévoir un budget pour réaliser l'audit de son réseau de données et financer sa mise à niveau éventuelle. Cet audit recensera les équipements qui nécessitent des mises à jour logicielles ou matérielles afin d'assurer la priorisation des flux. En effet, si la voix n'est pas trèsconsommatrice en débits, elle est très exigeante pour les délais d'acheminement. Les paquets voix doivent donc être prioritaires sur les autres applications. « Les infrastructures des réseaux de données ont bien évolué. Une bonne partie des équipements, aujourd'hui, savent gérer la qualité de service. Mais, il faut savoir les paramétrer, ce qui nécessite une remise à niveau du savoir-faire des équipes d'exploitation », estime Fabrice Moreau, directeur associé du cabinet Digiway Consulting. Connaître la nature des flux qui passent sur le réseau de données, pour ensuite désigner leur degré de priorité, peut également prendre beaucoup de temps.
Autre point très important: l'alimentation
électrique des postes IP. Dans un système téléphonique classique, les postes
sont alimentés par le PABX. Les postes IP, eux, devront être branchés
directement sur le réseau électrique (ce qui nécessite d'ajouter une prise à
chaque poste de travail) ou télé-alimentés via les équipements réseaux. Seuls
les matériels les plus récents, et relativement haut de gamme, permettent la
télé-alimentation. Toutefois, en cas de coupure électrique ou de panne réseau,
en ToIP, il n'est plus possible de passer ou
de recevoir des appels. Il est donc nécessaire de redonder tous les serveurs et
toutes les liaisons de données, si l'on veut avoir le même taux de
disponibilité qu'un réseau téléphonique classique. C'est d'autant plus
important lorsque l'on a une architecture centralisée: le moindre incident sur
le site principal peut bloquer tous les autres centres d'appels. « Il faut donc
envisager des solutions de secours en rapport avec l'accueil minimum que l'on
souhaite délivrer. Il est bon également de s'interroger sur la nécessité de
construire une salle blanche informatique pour sécuriser son réseau », note
Yann Jolivet. Pour un réseau hybride, prévoyez en sus le coût des passerelles
nécessaires entre le PABX et la solution ToIP. Et, même si vous êtes en tout
IP, vous devrez conserver quelques lignes téléphoniques classiques car des
périphériques, tels que les fax et les modems, ne sont pas compatibles avec la
ToIP.
Reste, enfin, le sujet des combinés téléphoniques. « Choisir un soft
phone ou un téléphone IP est plus un problème culturel qu'un problème
technique », juge Daniel René, responsable marketing ToIP et applications chez
Amec Spie Communications. Avec un soft phone, il n'y a plus de téléphone.
Cependant, il faut vérifier que les postes de travail sont dotés d'une carte
audio de qualité suffisante et que cette nouvelle application est compatible
avec l'environnement informatique de l'entreprise. Le soft phone nécessitant de
la place sur l'écran, il est souvent nécessaire de réaménager l'agencement
visuel des applications dédiées aux centres d'appels. Même s'ils sont plus
chers que les soft phones, les téléphones IP ont souvent la préférence des
entreprises. Peut-être pour se rappeler le bon vieux téléphone! * Etude
Cesmo sur les services et solutions technologiques dont souhaitent bénéficier
les entreprises en matière de gestion de
la relation client (septembre 2005).