Shell fait de Manchester son laboratoire européen
« Il y a dix ans, nous menions une existence privilégiée. Le marché des
carburants était sous-alimenté et nous avions trop de clients. La seule chose à
faire, c'était de s'assurer que l'on disposait de suffisamment de produits »,
se souvient avec nostalgie Toby Detter, directeur du programme de service
clients chez Shell European Oil Products. A partir des années 80, un changement
profond s'opère. Le marché devient vite saturé et les consommateurs commencent
à réclamer des services. Or, à cette époque, la structure d'accueil
téléphonique de Shell est loin de pouvoir gérer efficacement cet afflux de
demandes. Le client doit passer au minimum quatre coups de téléphone pour
trouver le bon interlocuteur. « Nous avions près de 100 numéros de téléphone
différents. Même en interne, il était difficile de joindre quelqu'un »,
rappelle Toby Detter. Dans certains pays, la multinationale ne possède même pas
de service réclamations !
Simplifier la relation clients
Or, la société pétrolière travaille essentiellement avec
des clients B to B : gérants de stations services, transporteurs,
professionnels de l'industrie ou du bâtiment. Et ces clients-là passent des
commandes importantes, de l'ordre de plusieurs centaines ou milliers de litres
de carburants ou de lubrifiants. « Nous avons alors décidé de créer un numéro
de téléphone unique », poursuit le directeur du programme relation clients.
Initiative par laquelle le pétrolier vise à simplifier la relation à distance
avec sa clientèle, mais également à s'assurer que les services commerciaux et
marketing sont bien alimentés par les informations remontant du terrain. En
1996, Shell étudie les différents prestataires de progiciels de gestion de la
relation client. Point Information Systems est déjà en place au Royaume-Uni et
des systèmes propriétaires fonctionnent en Espagne, Italie et Grèce. Après
avoir passé en revue les différentes solutions, une short-list est arrêtée, où
l'on retrouve Point et Vantive. L'éditeur irlandais est abandonné en raison
principalement de son manque de support international. Siebel n'est même pas
envisagé, trop focalisé, selon les décideurs de Shell, sur les ventes. « L'idée
majeure était de tout standardiser en même temps », souligne Toby Detter.
50 000 dollars par poste
Par ailleurs, le pétrolier
ayant installé l'ERP (progiciel de gestion intégré) SAP, il a besoin d'un
logiciel capable de s'interfacer avec ce programme de back-office. Il lui faut
aussi consolider les données provenant des nombreux services ou divisions, pour
avoir une vision globale des clients. C'est un service interne au pétrolier,
(Shell Services International), qui s'occupe de l'intégration avec SAP,
tandisqu'Andersen Consulting aide à la configuration de Vantive aux procédures
internes de Shell. Mais le coût d'un tel centre de contacts n'est pas neutre.
En 1998, le Gartner Group a publié une étude qui fait mention d'un prix de 50
000 dollars par poste (environ 300 000 F de l'époque). Et ce, hors intégration
avec le back-office et SAP. Cette estimation n'inclut pas non plus
l'infrastructure téléphonique (PABX, ACD, SVI, etc.), mais prend en compte la
licence du progiciel de CRM (autour de 3 000 dollars par agent, soit près de 19
000 F), le nettoyage des données dans les bases, le reengeeniring des processus
et les serveurs. Le coût est considérable, d'autant que Shell doit créer des
centres de contacts similaires dans seize pays d'Europe de l'Ouest. C'est
pourquoi le pétrolier décide de faire un test avec un seul système standardisé,
disponible uniquement en langue anglaise, qui sera ensuite déployé dans
l'ensemble des pays visés.
Implémentation : de trois mois à six jours
Grâce à cette standardisation des processus à un échelon
européen, Shell est parvenu à faire baisser le coût par agent à 12 000 dollars
(84 000 F). « Si l'on peut développer une seule fois les processus, puis les
déployer sur une quinzaine de sites en Europe, on peut économiser beaucoup
d'argent », pense le directeur du programme service relation clients. Par
exemple, les coûts d'intégration entre front et back-office chutent
drastiquement dès la première implantation effectuée. Ainsi, s'il a fallu trois
mois pour implanter puis tester l'interface entre SAP et Vantive Enterprise sur
le premier chantier, celui de Wythenshawe (près de Manchester), la même
opération effectuée ensuite aux Pays-Bas n'a pris que six jours. En mai 1998,
tout est en place dans le centre de Manchester. Le progiciel de CRM permet non
seulement de mieux gérer les demandes des clients, mais aussi de mettre en
place des opérations de cross selling. En effet, avant la mise en oeuvre de ce
programme, moins d'un client sur dix achetait plus d'un produit dans le
catalogue du pétrolier. « Il y a là un énorme potentiel commercial », estime
Toby Detter, qui chiffre ces ventes additionnelles autour de 500 000 livres par
an (plus de 5 MF). Et Shell veut que le canal téléphonique devienne encore plus
important dans le processus commercial. En effet, Grâce au CRM, les opérateurs
peuvent prendre tous les types de commandes, qu'il s'agisse de carburants ou de
lubrifiants. L'objectif affiché étant à terme la polyvalence des agents.
Six semaines de formation initiale aux produits
Le
centre de Manchester est organisé sur trois étages. Le premier concentre les
équipes administratives et techniques. Au deuxième, on trouve un plateau dédié
aux ventes et au back-office. Au troisième travaillent les opérateurs chargés
de prendre les commandes. Tous les agents utilisent les progiciels Vantive et
SAP. Au troisième étage toujours, un tableau lumineux recense l'état des lieux
en matière d'appels entrants. Environ 85 % des appels sont traités en moins de
quinze secondes. Le 6 décembre dernier, à l'heure du déjeuner, le tableau
affichait 1 140 appels, dont 1 087 étaient en cours de traitement. La
conversation la plus longue a duré deux minutes et deux secondes. Quatre
clients étaient annoncés "en attente". Les agents sont recrutés avec
l'équivalent d'un bac + 2 et le turn-over est d'environ 20 %. « Nous espérons
le faire baisser, car la formation est longue, de l'ordre de six semaines pour
bien maîtriser les 2 500 combinaisons de produits », estime Mark Hart,
responsable de la communication. Pour retenir les salariés, Shell a mis en
place un restaurant d'entreprise et une salle de sport. Le pétrolier revendique
également une politique de ressources humaines attractive. La rémunération est
incitative, avec un fixe de 12 000 livres par an (120 000 F) plus 2 600 £ de
primes pour un agent débutant (26 000 F), 14 500 £ (145 000 F) et 2 600 £ pour
un téléopérateur confirmé. La prime étant liée aux performances. La moyenne
d'âge est de 25 ans, mais Shell ne fait pas de "jeunisme". On peut ainsi
rencontrer dans ce centre plusieurs personnes d'âge mûr. Enfin, le fait d'être
une multinationale permet au pétrolier de proposer à ses employés des postes
dans toute l'Europe. Tous ces efforts visent à conserver au moins deux ans les
agents (coût de la formation oblige). Ils sont organisés en équipes de dix à
quinze personnes, encadrées par un chef de groupe. Sur les 220 équivalents
temps plein qui travaillent à Wythenshawe, 30 à 40 sont des intérimaires.
Prochaine étape : le e-commerce
Concrètement, lorsque
l'agent reçoit un coup de téléphone pour une commande, soit il fait monter à
l'écran une fiche et entre le numéro de compte du client dans le formulaire
généré par Vantive, soit il crée une nouvelle entrée. Une fois l'appelant
identifié, une fiche, avec tous les renseignements le concernant (nom et
qualité de l'interlocuteur, précédentes commandes, questions posées), apparaît.
Pour valider la commande, l'opérateur bascule sur un écran SAP, dans lequel il
entre différentes informations : nombre de litres, numéro de livraison, numéro
de commande, etc. La facture est ensuite envoyée par voie postale. Les agents
ne résolvent pas les problèmes en direct, mais transfèrent l'appel des clients
vers le support technique. Par ailleurs, certains opérateurs sont chargés d'un
ou plusieurs comptes. Le client en question pourra en demander un nommément
lors de son prochain appel. Une "inbox" recense les problèmes à résoudre et les
opérateurs doivent la consulter au moins une fois par jour, pour vérifier si
les spécialistes des autres services ont bien pris en compte ces demandes. Tant
que le problème n'est pas résolu, le cas reste ouvert. Ce système de CRM
associé au back-office va être implanté dans le monde entier. Prochaine étape
pour les centres de services clients de Shell : le commerce électronique.
Technologie : vers le CTI et Internet
Pour l'instant, le centre de Wythenshawe est équipé d'un ACD Aspect pour la distribution des appels, d'un serveur vocal interactif muni d'une carte Dialogic reliée à l'ACD, d'enregistreurs de l'américain Q Consulting, du logiciel TCS pour la gestion des personnels et bien sûr du progiciel de CRM Vantive Enterprise. Le couplage téléphonie informatique (CTI) est envisagé dans un proche avenir. « En 2001, nous aurons un système de CTI, avec lequel nous pourrons créer des fiches clients à partir d'appels téléphoniques mais aussi d'e-mails ou de fax », précise Allan Holmes, responsable du développement du centre de contacts. Shell étudie de près la solution de Genesys. Côté e-commerce, le pétrolier dispose aujourd'hui d'un site web B to B, nommé e-cats, développé par la filiale australienne du groupe. Il permet aux professionnels de se connecter grâce à un mot de passe et un numéro personnel, puis de passer commande. Ils peuvent aussi télécharger le catalogue électronique, avec les spécifications techniques des produits. Mais le paiement en ligne n'est pas encore disponible. Par ailleurs, la solution Vantive va être intégrée aux Palm Pilot des commerciaux (sous le nom de "Vantive on the go" ou "Vantive sur la route") pour leur permettre de se mettre à jour quel que soit l'endroit où ils se trouvent.
Un centre de contacts pour le Royaume-Uni
Le centre de contacts de Wythenshawe, près de Manchester, a été ouvert par Shell European Oil Products en novembre 1997. Il permet de gérer 60 000 clients B to B originaires du Royaume-Uni (Angleterre, Pays de Galles, Ecosse, Irlande du Nord). Ceux-ci commandent par son intermédiaire, dans un catalogue de 2 500 produits, 8 milliards de litres de carburant et 150 millions de litres de lubrifiant, pour un chiffre d'affaires de 4 milliards de livres (environ 40 milliards de francs). Parmi ces clients, on trouve environ 2 000 stations services, 7 000 industriels, 3 000 transporteurs, des grossistes, des ateliers, etc. Le centre emploie pour l'instant 220 équivalents temps plein qui reçoivent chaque semaine 20 000 appels entrants et procèdent à 15 000 appels sortants. Wythenhawe est ouvert du lundi 7 heures au vendredi 20 heures et jusqu'à 13 heures le samedi. La durée moyenne d'un appel est de 2 minutes 51 secondes. Le taux de résolution des problèmes par téléphone s'élève à 92 %.