Régis Béjanin, Saur france
Dans le cadre d'un vaste programme d'amélioration de la qualité de son accueil téléphonique, le numéro 3 du service de l'eau en France a fait passer le nombre de ses sites d'accueil de 150 à 37. Mais sans renier ses valeurs de proximité, comme l'explique son directeur Clientèle, Régis Béjanin.
Quelles sont les principales caractéristiques de Saur France ?
Régis Béjanin : Saur France est l'une des quatre filiales
opérationnelles du groupe Saur, lui même filiale du groupe Bouygues. Son métier
de base est le service de l'eau potable et de l'eau usée qui, en France, est
placé sous la responsabilité des collectivités locales, qui peuvent en confier
une partie ou l'ensemble à des sociétés privées. Numéro 3 du marché, la société
couvre toute la France, avec une forte présence, historique, dans l'Ouest. Elle
est davantage implantée en milieu rural qu'urbain.
Comment êtes-vous organisés et où se situe le service clientèle ?
R. B :
Géographiquement, la France est découpée en six régions, chacune ayant entre 5
et 6 centres, des centres de profit, ayant eux-mêmes des secteurs. Par
ailleurs, nous sommes organisés en filières métiers - Eau potable, Eau usée,
Travaux et Clientèle - et supports. La filière Clientèle bénéficie d'une
animation verticale avec, dans chaque région, un “animateur”, responsable
clientèle, et également dans chaque centre un animateur clientèle manageant une
équipe de chargés de clientèle, pour les tâches administratives, et d'agents de
clientèle, pour celles de terrain. Pour que tout ceci fonctionne, et pour bien
enchaîner les tâches, nous sommes dans une logique de processus, destinée à
garantir la satisfaction client du début jusqu'à la fin.
Qui sont vos clients ?
R. B : Saur France a deux types de clients : les
élus, qui sont les décideurs des contrats que l'on nous confie, pris en charge
par l'activité commerciale, et les 3 millions de consommateurs, qui payent le
service, pris en charge par l'activité clientèle. Cette dernière intervient sur
tout l'historique de la vie du client : son information - depuis son souhait de
s'abonner et durant toute la vie de son contrat -, le relevé des compteurs qui
amène à la facturation, l'émission de la facture - et toutes les questions qui
la concerne en termes de moyens de paiement, d'échéances… - et le
recouvrement.
Comment s'effectuent les contacts avec ces consommateurs ?
R. B : Historiquement et majoritairement, à 70 %,
ces contacts sont téléphoniques. Mais pendant longtemps, le téléphone a été une
"non activité". Même pas un sujet. Il n'existait aucune notion de trafic, le
matériel était à la discrétion des responsables de centre… Lors de la création
de la filière Clientèle, au milieu des années 90, il est très vite apparu que
son organisation serait limitée compte tenu du fait qu'il n'existait aucun
système d'information. D'où le lancement, il y a six ans, d'un très gros
chantier, baptisé Saphir, qui se termine actuellement, et qui a été construit
avec pour objectif de mettre le client au cœur du projet. Ce système
d'information a été construit avec un workflow de façon à distribuer
automatiquement les tâches au bon interlocuteur. Parallèlement à sa mise au
point, est apparue la nécessité de travailler sur l'accueil téléphonique, comme
le montraient également les enquêtes de satisfaction consommateurs.
Quel projet avez-vous mis en place ?
R. B :
Initialement, il s'appelait “Projet centre d'appels”, à l'image de ce que l'on
voyait chez les grands opérateurs en réseau, traitant la relation client par ce
biais. Une réflexion s'est engagée sur : “Comment traiter la relation client
quand on appartient au groupe Saur”. Et nous avons vu que le problème n'était
un problème de “centre d'appels”, mais bien d'amélioration de l'accueil
téléphonique. Le projet a été rebaptisé PAAT, “Projet d'amélioration de
l'accueil téléphonique”. Et il a été pris en mains par le biais d'un diagnostic
poussé et réfléchi, de juin 99 à fin 2000. Sachant qu'il s'agissait d'un sujet
sensible, sur lequel les collaborateurs avaient des attentes importantes, au
niveau des situations critiques, de l'absorption des pointes d'appels…, et se
considéraient parfois abandonnés par le management en la matière.
Qu'avez-vous retiré de ce diagnostic ?
R. B : Nous
avons vu que l'organisation était très éclatée, dispersée tant sur le plan des
ressources humaines que technologiques. Il existait 150 points d'accueil
téléphonique, chacun occupant à peine un temps plein. D'où une qualité
difficile à garantir en termes de taux d'appels répondus de manière
satisfaisante. Un appel sur quatre était perdu, il n'y avait pas de possibilité
d'absorber les pointes, d'élargir les plages d'ouverture… Le tout avec un parc
de téléphonie hétérogène. Nous nous sommes également aperçu que le trafic au
niveau national était plus lissé que nous le supposions et que les fluctuations
étaient faibles au cours de la semaine.
Fin 2000, quels objectifs vous fixez-vous ?
R. B : Etre ouvert de 8 h à 18 h partout en
France et améliorer le taux d'efficacité, avec un objectif à trois ans de 95 %
d'appels répondus ; un taux à maintenir toute l'année. Pouvoir absorber les
pointes tout en garantissant la qualité de la réponse. Optimiser l'organisation
avec une harmonisation du matériel et mieux connaître les flux d'appels pour
étudier les comportements et attentes des clients et ainsi adapter
l'organisation. Le tout dans une optique d'amélioration de la qualité de
service.
Concrètement, quel plan d'action avez-vous mis en place ?
R. B : Nous avons eu une réflexion tous azimuts. Fallait-il
créer une plate-forme nationale ? Six plates-formes régionales ? Conserver 150
sites en mutualisant l'organisation ? Externaliser ? Conserver les sites et
créer des plates-formes de débordement ? Tous les scénarii ont été étudiés.
Pour aboutir à un recentrage de nos ressources humaines et technologiques, avec
un système original, consensuel et répondant à une préoccupation aussi bien des
consommateurs que des élus : conserver a minma la proximité du terrain. Notre
plan a reposé sur trois points. Tout d'abord créer une plate-forme par centre.
Un pas important puisque nous passions ainsi de 150 sites à 37. Mais ce sont de
petites plates-formes, à taille humaine, d'une dizaine de personnes, conservant
un caractère local et qui n'engendrent pas de rupture entre les chargés de
clientèle et le terrain. Deuxième point : doter ces plates-formes d'un outil
commun pouvant faire évoluer l'organisation et envisager la mutualisation
virtuelle. Et, troisième point : mettre en place la formation et l'animation
des chargés de clientèle.
Quelles tâches sont affectées aux chargés de clientèle sur ces nouvelles plates-formes ?
R. B : Nous
n'avons pas la volonté de les spécialiser entre front et le back office. Les
chargés de clientèle ont un emploi du temps réparti, par leur animateur local,
entre les deux tâches. C'est un changement d'organisation important car notre
volonté est aussi de passer d'une relation individualisée à une notion de
relation partagée. Si, pour la gestion du back office, il est nécessaire de
responsabiliser les chargés de clientèle sur un territoire, c'est-à-dire un
portefeuille de contrats, en revanche, en front office, ils doivent se partager
plusieurs portefeuilles.
Comment avez-vous géré cette mise en place sur le plan social ?
R. B : Il n'y a pas eu de licenciement.
Lorsque des attachés de clientèle ne souhaitaient pas rejoindre une
plate-forme, pour une question de distance rédhibitoire, par exemple, leur
poste a été redéployé vers du back office et non plus du front. Ce chantier a
été mené par les centres eux-mêmes, avec l'aide de l'animation nationale et
régionale. Mais il n'y a pas eu de couperet venant d'en haut. Tout a été résolu
au cas par cas.
Allez-vous aller vers encore plus de recentrage ?
R. B : Nous pratiquons la méthode des petits pas. Nous ne sommes
pas partisans d'un Big Bang. Aujourd'hui, notre système est évolutif. Il nous
permet de tester l'élargissement de la maille et son efficacité. Nous sommes
toujours dans une approche itérative et d'observation.
Quelle a été votre démarche en ce qui concerne l'outil ?
R. B : Nous avons tout
de suite pris ce sujet au niveau national et envisagé de mutualiser les 37
sites. Une étude a été menée en juillet 2001, le cahier des charges a été
établi en septembre-octobre 2001, suivi d'une consultation, pour une décision
en mars 2002. Pour le choix de l'outil et son déploiement, nous avons travaillé
avec Optimum, filiale du groupe en charge des solutions informatiques,
accompagnée dans la rédaction du cahier des charges, le choix des partenaires
et le déploiement par le cabinet Digiway. C'est Spie Communication qui a été
choisie comme maître d'œuvre et EADS pour le matériel.
Comment s'est effectuée sa mise en place ?
R. B : Tout d'abord avec une
plate-forme test au siège, en mai-juin 2002. Puis sur trois sites pilotes, dans
l'Ouest, en juillet 2002, pour tester la mutualisation. Le déploiement s'est
effectué d'abord sur 15 sites jusqu'au 31 décembre 2002, puis sur les 22 autres
jusqu'en mai 2003.
Quelles sont les fonctionnalités de votre outil ?
R. B : Les chargés de clientèle, selon leur planning, rentrent
dans des fonctions de centre d'appels à partir de leur PC. Nous sommes dans un
mode de fonctionnement connecté - déconnecté. Nous disposons de la distribution
d'appels au sein des plates-formes, de messages d'accueil de qualité,
respectant l'identité des filiales, de messages avec temps d'attente, de
messages de dissuasion, quand il y a trop d'attente, de messages hors des
heures d'ouverture avec possibilité de basculement automatique sur l'astreinte
téléphonique, toujours au niveau local, de messages exceptionnels si besoin…
Nous avons la visibilité des files d'attente, la supervision en temps réel au
niveau national, toutes les statistiques pour comprendre le comportement du
client et pouvoir s'adapter… Et puis, bien sûr des casques, ce qui a été une
révolution chez nous…
Avez-vous mis en place des SVI ?
R. B : Nous disposons de cette fonctionnalité, mais nous ne
l'avons pas mise en service parce que nous n'avons pas souhaité le faire en
termes de qualité de la relation client.
Où en êtes-vous de la mutualisation ?
R. B : Techniquement, nous sommes au point, mais
cela constitue une deuxième étape. 2003 a été l'année du déploiement de
l'outil, 2004 est celle de la consolidation. Nous devons nous assurer de
l'harmonisation dans l'exécution des processus. Saphir est un outil très
structurant. C'était un prérequis pour la mutualisation. Mais nous préférons
rester au niveau local, dans un premier temps, pour consolider l'organisation.
Et le débordement sera ouvert quand nous aurons la garantie que le système
d'information permet de bien répondre au client consommateur et de générer de
la satisfaction.
Comment avez-vous concrétisé le troisième point de votre plan ?
R.B : Il était très important d'accompagner
culturellement le projet, de rassurer des chargés de clientèle qui n'avaient
pas été recrutés pour ces activités d'accueil téléphonique. D'où la mise en
place de beaucoup d'animation, de formation. Pour la formation, nous avons
conçu, avec Digiway et notre centre de formation interne, IDFP, un module,
essentiellement comportemental, pour renforcer la qualité d'accueil. L'ensemble
des 350 chargés de clientèle des plates-formes ont suivi ce module. Cette
formation a non seulement permis de renforcer leur savoir faire mais a aussi
constitué un vecteur de communication, permettant d'expliquer le pourquoi, de
dédramatiser… Elle a contribué à la conduite du changement. Mais, une fois
cette formation effectuée, il fallait la compléter d'une formation continue et
d'un management de proximité. D'où la mise en place, dans le plan 2004, d'un
deuxième module, destiné aux animateurs locaux qui doivent jouer un rôle
d'écoute, de conseil…
Quels sont les premiers résultats de votre nouvelle organisation ?
R. B : Tous les sites sont ouverts de 8 h
à 18 h. L'harmonisation des messages d'accueil est fait. Et, d'un taux
d'efficacité estimé de 75 %, nous sommes passés à un taux mesuré de 83 %. Quant
à la satisfaction client, par rapport à la disponibilité et aux plages
d'ouverture, elle est passée à 90 %, soit deux points de mieux.
Et au niveau des chargés de clientèle ?
Ce métier a très vite été
accepté et apprécié par les chargés de clientèle qui n'ont plus à gérer le
stress des pointes. Et l'organisation front et back office permet d'avoir des
activités bien séparées et de les mettre dans des situations sereines.
L'acceptation a été également été forte parce qu'il n'y a pas eu
d'externalisation, pas de plate-forme nationale. Et maintenant, beaucoup de
chargés de clientèle sont intéressés pour travailler dans cette filière.
Biographie
39 ans, diplômé de Centrale Paris, Régis Béjanin est entré au sein du groupe Bouygues en 1991, dans l'activité Travaux Publics. Il rejoint Saur France en 1993 en tant que chef de centre. En 1997, il travaille pour Saur International sur la zone Europe de l'Est. Chef de projet centre d'appels pour Saur France en juin 99, il devient ensuite responsable du service projets, puis directeur Clientèle adjoint. Il a été nommé directeur Clientèle de Saur France en 2004.
Saur France
Filiale à 100 % du groupe Saur, lui-même filiale à 100 % du groupe Bouygues. Activités : gestion des services d'eau et d'assainissement, traitement et élimination des boues d'épuration, multiservice (gestion de golf public, d'équipements scolaires ou de loisirs). 6 millions d'habitants desservis en eau potable pour 7 000 communes. CA consolidé 2003 : 1,4 MdE d'euros. 6 500 collaborateurs. 6 directions régionales. 37 sites d'accueil téléphonique. 2,1 millions d'appels en régime de croisière.