Recrutement : une question de moyens
“ Pourquoi les besoins des entreprises en ressources humaines se font-ils
toujours à la dernière minute ?” La question ouvrait la session des “Mardi de
la relation client”. Une matinée organisée et animée par Alain Aded, le 13
janvier dernier. Le dirigeant du groupe DHDM, spécialisé dans le recrutement
et la formation en centres d'appels, lançait donc les débats par cette
interrogation. Les entreprises ne feraient-elles pas du recrutement l'une de
leurs priorités ? Dans la salle, des représentants de centres d'appels intégrés
et outsourcés, des agences d'intérim, des fournisseurs de matériel… Réunis pour
échanger autour de la thématique du jour : “La problématique RH dans les
centres d'appels”. Rapidement, la matinée paraît bien trop étroite pour un
aussi vaste sujet.
Le turn-over : un mal incurable ?
Autour de la table, tous connaissent des situations très différentes. Mais tous
le reconnaissent : la professionnalisation du secteur a bel et bien commencé.
Sauf qu'elle n'est pas encore effective. Pour ne pas dire organisée… Les
compétences métier sont difficiles à trouver. Encore plus à concilier avec les
besoins de souplesse et de réactivité de ce type d'activité. Et même, une fois
engagée, la recrue ne reste pas. Le turn-over, ce mal endémique (voir CA n°
48), serait-il incurable ? Pour reprendre l'idée d'Alain Aded, recruter à la
va-vite n'est-ce pas le meilleur moyen de favoriser l'attrition de son
personnel ? A défaut d'être totalement éradiqué, le turn-over peut-il au moins
être limité ? Et ce, par un bon recrutement ? « La réponse est oui. Un bon
recrutement limite le turn-over », affirme Philippe Fremaux, directeur du
cabinet de recrutement Opteaman de la région Nord. Depuis quatre ans, sa
société adresse le marché des centres d'appels. Elle en connaît bien les
problématiques. « Nous constatons que nombre de personnes quittent ces métiers
parce qu'elles ne se sentent pas bien dans le poste. Avant de mettre quelqu'un
derrière le téléphone, il faut appréhender, certes ses compétences, mais aussi
ses motivations, sa personnalité », développe-t-il.
Bien appréhender le candidat
Pour l'un de ses clients, la Banque
Covefi, « la question ne se pose même pas ». Cette filiale du Groupe 3 Suisse
International dispose d'une équipe de 160 personnes travaillant au téléphone.
Soit la moitié de ses effectifs. Elle a recours aux services d'Opteaman depuis
septembre 2001. Le cabinet a opéré une trentaine d'embauches pour son compte
sur des profils de conseillers financiers. « A la base, c'est le recrutement
qui permet de fidéliser, juge Isabelle Defrance, la responsable RH. Il faut
faire la bonne adéquation entre la mission, la compétence et le profil. »
Annuellement, et dans son ensemble, la société de crédit connaît un turn-over
de 7 %. Elle n'a pas souhaité en indiquer le niveau sur les candidats enrôlés
par le cabinet de recrutement. Le connaissait-elle ? « Nous parvenons à diviser
le turn-over par deux ou trois », soutient le recruteur nordiste. Et de
préciser : « En revanche, on ne parvient pas à limiter le turn-over de
lassitude. » Pour ce professionnel, il est important « d'appréhender
humainement le candidat. Nous n'évaluons pas un candidat pour le juger, mais
pour déterminer la bonne personne derrière le bon poste. Et puis, en cas de
départ d'un collaborateur, il ne faut pas se dire qu'il n'est pas fait pour le
poste mais que le poste n'est pas fait pour lui. C'est totalement différent. Il
faut se donner les moyens de réaliser un recrutement qualitatif et quantitatif
». En résumé, faire appel aux services d'un cabinet spécialisé...
Une question aussi d'intégration
« Nous avons recours à
Opteaman pour des besoins de rapidité mais aussi de quantité. Il peut nous
arriver d'avoir 6 personnes à recruter d'un coup. De plus, ce que l'on
recherche avec un cabinet, c'est aussi un regard extérieur », explique Isabelle
Defrance. Chez Egg, la banque à distance, on ne fait pas appel à une société
spécialisée. Sauf cas exceptionnel. En revanche, on partage les mêmes
convictions. Oui, un bon recrutement limite le turn-over. Le directeur du
service client, Philippe Nyls, revendique 3 % de turn-over sur les 112 chargés
de clientèle engagés entre juin et octobre 2002. Un record. « Ce qui réduit le
turn-over, c'est aussi la capacité de l'entreprise à faire que le téléacteur
soit bien dans son emploi, que son intégration soit réussie et, bien entendu,
la politique salariale de l'entreprise. » Ce que la banque à distance résume
par la formule “A great place to work” ("le bon endroit pour travailler"). Une
politique d'entreprise à l'anglo-saxonne. Of course. Elle s'est, notamment,
matérialisée par un déménagement de la plate-forme téléphonique dans le centre
ville de Tours.
Trouver le bon équilibre entre le candidat et sa mission
« Un bon recrutement ne fait pas forcément baisser le
turn-over », nuance Christophe Morel d'Arleux de Clémentine International. Ce
cabinet de recrutement est spécialisé dans la recherche de personnel pour les
centres d'appels. Pour le consultant, il faut avant tout réfléchir en fonction
de la mission à réaliser. La fidélité du candidat est garantie à partir du
moment où l'entreprise peut, avec sa recrue, s'inscrire sur des missions long
terme. Entendez, des postes durables. Ce qui n'est pas forcément le cas pour
ceux dits “de premier niveau”. Comme les téléopérateurs par exemple. « Sur ce
secteur, les évolutions de carrière sont très restreintes. Il y a souvent 10
personnes pour un poste », remarque le consultant. Ce qui, il est vrai,
favorise largement le départ des collaborateurs. « Un bon recrutement passe par
une phase de réalisme de l'entreprise, estime pour sa part Philippe Amiel du
cabinet Promel. Tout d'abord, il est nécessaire de bien mesurer ce que l'on
recherche. Il faut avoir une vue objective du marché et de ce qu'est réellement
la relation client. C'est la base. » Chaque année, ce professionnel recrute une
vingtaine de cadres pour les plates-formes téléphoniques. Il considère que la
fidélisation d'un collaborateur passe par une bonne « adéquation entre la
rémunération et le profil du poste ». Or, trop souvent les entreprises
l'oublient. Et cette carte est difficilement jouable par les centres d'appels
si l'on en croit les professionnels. Outsourcers en tête. Le plus souvent, le
problème des entreprises réside dans leurs capacités à évaluer et déterminer ce
qu'est un bon recrutement. Et, dans leurs facultés à le mettre en œuvre. Ici,
la question des moyens prend tout son sens. A commencer par l'aspect
financier.
Un investissement comme un autre
Le
recrutement est un investissement comme un autre pour une entreprise. « On peut
même considérer qu'un mauvais recrutement coûte cher », renchérit Philippe
Fremaux. Egg, qui recrute elle-même ses téléconseillers, dépense en moyenne 973
euros pour chaque employé. Le coût comprend, bien entendu, tout le processus
d'embauche. De la publication de l'offre d'emploi aux entretiens en passant par
le tri des candidatures, les tests et le suivi administratif. Le recours à un
cabinet de recrutement sera en revanche nettement plus onéreux. C'est pourquoi,
il ne semble pas opportun d'y faire appel pour des postes comme ceux de
téléconseillers. Et pourtant. « C'est un métier à part entière et non plus un
job. C'est pourquoi, il faut bien appréhender le candidat », estime Philippe
Fremaux, pour légitimer le recours à ce genre de prestation. Ce type de
service se paie, chez Opteaman, forfaitairement. Soit à la journée, soit au
candidat. Certains, comme Clémentine International, se rémunère selon le
salaire qui sera perçu par le futur collaborateur. En l'occurrence, à hauteur
de 25 % du salaire brut annuel. « Les recrutements les mieux préparés demandent
du temps et assurent une durée dans le temps », justifie Christophe Morel
d'Arleux. L'un de ses concurrents reconnaît néanmoins que, « pour les
recrutements de masse, il vaut mieux le faire en interne, c'est moins cher ».
Mais, le recrutement ce n'est pas qu'une question d'argent. C'est aussi prendre
son temps. Même s'il semble que les entreprises n'intègrent pas encore cette
dimension temporelle dans leur réflexion stratégique. Enfin, ce peut être
également une question d'outils, comme les tests (voir encadré en p. 14). Quoi
qu'il en soit, cela reste définitivement une questions de moyens. Une évidence…
Des outils pour confirmer son sentiment
Les outils et autres tests d'évaluation peuvent être un bon moyen de recruter les perles rares. Les recruteurs ont de plus en plus recours à ces techniques. Mais, à quoi servent-elles ? « Elles permettent de mettre un vocabulaire sur le comportement de quelqu'un », explique Philippe Fremaux d'Opteaman Nord. Son cabinet utilise couramment QCM et autres évaluations comportementales. « Ces outils permettent de prendre une décision sur des éléments objectifs et concrets », poursuit son collègue de Paris, Laurent Rodriguez. Tous en conviennent, même en interne. Chez Egg, on utilise un petit test d'une vingtaine de questions pour juger des aptitudes commerciales, de la probité et du comportement du candidat. « Le test est là pour confirmer l'impression générale », estime Philippe Nyls, le directeur du service client. Mais peut-on faire confiance à ce genre d'outils ? « Aucun test n'est fiable. On ne peut pas s'assurer de l'honnêteté intellectuelle du candidat », prévient Philippe Fremaux. Le consultant considère néanmoins que ces outils sont exacts dans près de 95 % des cas. Ce que confirme Isabelle Defrance de la Banque Covefi. « Avec ces outils, nous avons 5 % d'erreur de casting. »