Quelle place pour le centre d'appels dans l'entreprise ?
Dans une conjoncture qui pousse à une réduction drastique des coûts dans l'entreprise, le centre de contacts doit évoluer de la notion de centre de coût à celle de centre de profits. Pour ne pas tomber dans l'engrenage de Sisyphe, les entreprises qui ont internalisé un centre de contacts devront lui donner une place à part dans leur stratégie de développement.
Selon le Cigref, 90 % des grands comptes ont intégré un centre d'appels.
Quant aux services proposés par ces call centers, ils sont fonction de leur
finalité première : services de support, d'assistance et de renseignement pour
75 % des entreprises, pôles marketing et commercial pour 15 % d'entre elles. Le
positionnement du call center dans l'entreprise ne sera pas le même selon que
celle-ci est l'unique, voire le principal point de contacts avec le client ou
qu'elle dispose de nombreux points de contacts (réseau, commerciaux itinérants
ou forces d'intervention de type dépannage). « En fait, dés qu'il y a un autre
point de contacts avec la clientèle, avec des hommes derrière, il est
indispensable de réfléchir au positionnement des uns par rapport aux autres, à
leurs relations de travail au quotidien, à leurs relations économiques et aux
incidences que cela entraîne, explique Fabrice Moreau, directeur associé chez
Digiway. Bien souvent, la communication qui est faite autour du centre d'appels
se limite à dire qu'il va décharger les commerciaux d'une tâche peu
enrichissante, à savoir la prise de rendez-vous. » Des commerciaux en
concurrence au sein d'une même entreprise, dénigrant les produits des autres,
c'est souvent l'aboutissement d'une politique de commissionnement. La logique
voudrait que, si le centre d'appels est vécu comme un centre potentiel de
revenus, l'activité commerciale soit dynamisée par un système de
variabilisation à la commission. Rémunérer l'orientation commerciale d'un
conseiller, sa capacité à gérer la relation avec son client dans le respect
d'une certaine qualité permet d'éviter les mises en concurrence douteuses avec
les autres entités de l'entreprise. Dés lors que le centre d'appels est pris en
charge au sein même de l'entreprise, la communication en interne sur son
existence, sa raison d'être, son fonctionnement devient incontournable. Le
centre d'appels n'est pas qu'une simple cellule de marketing téléphonique
exploitée à des fins ponctuelles. Il s'agit d'une activité à part entière au
sein de l'entreprise, activité cruciale dans la mesure où elle constitue le
pivot de la relation client. Aujourd'hui, les entreprises sont fortement
concernées par l'évolution de leurs ventes, de leurs revenus, de leurs
ressources. L'activité traditionnelle est vécue comme générant des coûts et non
des profits. Cependant, le centre de contacts conserve un potentiel commercial.
« L'évolution va se faire progressivement, estime Bernard Caïazzo, président de
Call Center Alliance. Nous sommes encore dans la fable de l'hypermarché qui
reçoit 10 000 clients par jour et qui ne proposerait pas de produit mais
seulement de l'information. Une fois le client sorti, elle essaierait de le
rattraper pour lui vendre quelque chose. » De plus en plus d'entreprises
mettent en oeuvre dans les centres de contacts des démarches de télémarketing
et de télévente pour engendrer du revenu.
PLUS PRÈS DU MARKETING
Dans l'organisation de beaucoup d'entreprises, le centre
de contacts dépend du service client et non du service marketing, ce qui crée
parfois une certaine opposition, voire même des conflits. « Or, aujourd'hui, si
on veut développer les centres de contacts dans les entreprises, on doit
absolument faire entrer la dimension, l'intelligence marketing, estime Bernard
Caïazzo. Sans elle, le centre de contacts ne pourra pas développer la relation
client et ne pourra donc pas générer du revenu. » Cette évolution ne peut se
faire en interne qu'avec la caution de la direction générale. Le Dg va devoir
expliquer que le service client doit se rapprocher du service marketing-vente
pour mener les nouvelles actions avec des résultats à la clé. Le service client
doit intégrer cette nouvelle donne ou passer sous la coupe du service marketing
si la coopération n'est pas effective rapidement. Placer le centre de contacts
au plus près du marketing-vente lui permettra de générer du revenu, de devenir
source de rentabilité. Le positionnement du centre de contacts en termes
d'organisation, de responsabilité ou de hiérarchie est loin d'être évident. «
Il faut distinguer les différentes missions du centre d'appels, explique
Fabrice Moreau. Ainsi, au sein d'une même compagnie d'assurance ou d'une même
banque, le call center peut dépendre de plusieurs directions. Lorsqu'il a une
activité qui gravite dans la sphère commerciale-marketing et l'autre dans la
sphère service-support, elles dépendront respectivement de la direction
marketing, voire commerciale, et de la direction services aux assurés ou, dans
le cas d'une banque, de la direction des services bancaires. » Or, une
entreprise, quelle que soit son activité, a intérêt en termes de mutualisation
des technologies, d'aménagement, de gestion des personnes, à faire en sorte que
tout soit regroupé dans une même structure. S'il est donc possible de diviser
le centre d'appels en plusieurs entités qui seront rattachées aux directions
correspondant à leurs activités respectives, il est également envisageable de
créer une nouvelle direction, dédiée, par exemple, à la relation clientèle.
Certaines banques, comme le Crédit du Nord, ont ainsi ouvert une direction
banque à distance. Quelle qu'elle soit, la solution adoptée doit tenir compte
de la mission du centre de contacts. Compuware, éditeur de logiciels, a
installé dans ses locaux une cellule de 4 téléprospecteurs, salariés d'Actel. «
Cette cellule ne dépend ni du service marketing ni de la cellule de gestion
commerciale, mais directement de la direction générale, explique Jean-Philippe
Joly, directeur trade marketing chez Compuware. Nous considérons que le
marketing n'a pas vocation à suivre le traitement des contacts qu'il génère et
que le service commercial doit traiter les contacts sans avoir à fournir des
statistiques. Un lien étroit existe cependant entre les différents services.
Ainsi, les téléacteurs sont intégrés au sein d'agences commerciales, ce qui
permet un contact permanent avec les commerciaux. Ceux-ci sont ainsi au courant
des dernières prospections, ils peuvent également intervenir sur les appels des
téléprospecteurs pour les aiguiller ou les corriger. » Chez Cortal, banque
multidistribution, spécialisée dans les produits d'épargne, les conseillers
financiers qui travaillent sur les différentes plates-formes dépendent d'une
direction de la relation clientèle qui, elle-même, dépend directement de la
direction générale. Cela n'exclut pas pour autant les liens avec les autres
directions. « Le lien avec la direction marketing est très fort, précise Benoît
Gommard, directeur de Cortal France. Il est facilité par la proximité
géographique de ces deux services situés dans le même immeuble. L'avantage pour
le marketing est de repérer immédiatement les résultats du lancement d'un
nouveau produit ou d'une nouvelle cam-pagne. » De son côté, la Banque Populaire
des Alpes, qui a réorganisé il y a deux ans son réseau, a transformé son centre
de contacts, Alodis, en canal de distribution à part entière. Jadis interface
entre l'agence et le client, Alodis distribue aujourd'hui les mêmes services et
produits que l'agence. « Le centre de contacts dépend de la direction
d'exploitation qui est lui-même rattaché directement à la direction générale,
précise Gilbert Heraud, directeur du centre de contacts Alodis Banque Populaire
des Alpes. Je suis moi-même intégré au même rang que les directeurs de secteur
avec qui j'entretiens une relation très étroite. »
L'ÉCUEIL DE LA CONCURRENCE INTERNE
La place du centre d'appels, lorsque
l'entreprise a décidé de l'intégrer, ne doit pas pour autant faire de l'ombre
aux autres entités. Il s'agit en tout cas de veiller à ne pas créer une
concurrence malsaine entre le centre de contacts et les autres entités
internes. Soumettre les collaborateurs à une même convention collective
(lorsque l'activité du centre de contacts le permet), équilibrer et lisser dans
la mesure du possible la politique salariale, voilà qui permet, dans une
certaine mesure, d'éviter cette dérive. Ainsi, chez Axa, tous les salariés des
centres de services sont soumis à la convention collective d'Axa. Si, dans les
centres de services IARD et vie, le personnel administratif perçoit une
rémunération fixe, sur les plates-formes d'assistance commerciale les
collaborateurs au statut de commerciaux perçoivent une rémunération fixe
complétée d'un variable individuel. La difficulté était donc de ne pas créer de
concurrence entre les plates-formes d'assistance commerciale et le réseau des
distributeurs. « La différence avec le réseau commercial dit "debout" réside
dans l'absence de commission car le client relève du distributeur même si il
passe directement par la plate-forme commerciale, explique Yves Laurent,
directeur organisation interne et déploiement du service d'Axa en France. Cette
dernière agit, vis-à-vis du client, en étroite collaboration avec le réseau des
distributeurs. » Au-delà d'une concurrence commerciale, il est parfois
difficile de faire admettre en interne le centre de contacts ou autre centre de
service comme un canal de distribution à part entière. « Il a fallu plus d'un
an pour démontrer en interne que la technique métier des centres de services
était la même que dans le restant de l'entreprise et qu'il n'y avait pas de
déquali- fication », précise Yves Laurent. « Je me suis rapidement rendu compte
qu'Alodis était vécu comme une pièce rapportée au réseau, estime pour sa part
Gilbert Heraud. Au départ, il y avait de nombreuses interrogations de la part
de l'agence. "Est-ce que le centre de contacts va traiter mes clients avec le
même professionnalisme ?", etc. Ce qui dénotait une véritable méconnaissance du
système. Pour parer à cela, nous avons mis en place une démarche qualité avec
un process validé par un organisme extérieur. Cette réflexion, menée en mai
2001, a abouti à une certification en septembre 2002. C'est un gage de qualité,
un véritable contrat de service signé entre le directeur de l'agence et
moi-même. » Pour aller dans le sens de cet exemple, il est évident que
certaines directions sont plus sensibles que d'autres à l'arrivée d'un centre
de contacts. Ce dernier devra parfois établir un contrat de service. Il ne
s'agit pas ici d'instaurer un positionnement hiérarchique mais une relation
client/fournisseur : le centre d'appels étant le client et l'entreprise le
fournisseur. En définitive, le bon fonctionnement du centre de contacts
dépendra du soutien des autres fonctions de l'entreprise.
UN CANAL DE DISTRIBUTION À PART ENTIÈRE ?
Au sens traditionnel du terme, un
canal de distribution est généralement autonome et correspond à un segment de
clientèle donné avec des produits dédiés, une tarification spécifique, etc.
Dans le cas de la banque, le centre d'appels n'est pas à proprement parler un
canal de distribution mais un canal de relation. « Même si il y a quelques
exceptions, il traite les mêmes clients que les agences, précise Fabrice
Moreau. Il s'agit d'une notion de relation plus que de produits différenciés. »
Dans la banque à distance, le centre d'appels est donc un canal de relation où
sont distribués les mêmes produits aux mêmes conditions que dans les agences.
Dans le secteur de l'assurance, la situation est similaire. Ainsi, chez Axa il
existe officiellement, depuis fin décembre 2002, trois types de centre de
services : centres de services IARD, centres de gestion vie et plate-formes
d'assistance commerciale vie. « Leur mission consiste à proposer les mêmes
services que ceux de la gestion traditionnelle tout en facilitant l'accès
direct au client », souligne Yves Laurent. Loin d'être des entités à part, les
centres sont parfaitement intégrés au sein d'Axa. Leurs équipes sont à
proximité des services de gestion traditionnelle tout en étant sur des plateaux
séparés. A l'inverse de ces exemples, certaines entreprises notamment des
banques et des assurances dites "directes", des vépécistes... ont décidé
d'utiliser le centre d'appels comme un canal de distribution au sens marketing
du terme. Dans ce cas de figure, l'entreprise et son centre de contacts se
confondent largement, ce dernier représentant souvent plus de 80 % des
effectifs de l'entreprise et de ses coûts de fonctionnement. Quel que soit le
cas de figure, les entreprises n'ont pas fini de plancher sur le sujet. Il
s'agit, non seulement de vendre le projet en interne, ce qui demande du temps
et une communication claire et transparente, mais aussi de repenser la
rentabilité du centre de contacts. L'entreprise ne peut plus se permettre de le
considérer comme un bras mort. La prise de conscience existe même si elle est
encore très progressive en France. Les mentalités ont encore bien du chemin à
parcourir pour appréhender le centre de contacts comme un véritable centre de
profits. Autant de travail en interne pour les entreprises désireuses de
favoriser l'émergence d'une nouvelle génération de centre de contacts.