Quand la relation Client s'invite à la maison
Et si on-shore et off-shore n'étaient pas les deux seules directions possibles pour les centres de contacts? Il existe bien une troisième voie, le home-shore, mais ce mode d'organisation n'a pas encore fait ses preuves en France. Peu d'expériences sont menées dans les faits, alors même que le concept est séduisant et commence à faire parler de lui. Aux Etats-Unis en revanche, le «Waha» - pour Working at home agent - semble déjà entré dans les moeurs puisque, selon IDC, près de 112 000 téléconseillers, dont 80% de femmes, exercent leur métier à domicile. D'ailleurs, ces employés représentent près de 11% de l'ensemble des acteurs de la relation client à distance. C'est dire si les Américains ont saisi la viabilité du home-shore. Des entreprises comme 1 800 Flowers, AIG, JetBlue Airways, Citigroup ou General Electric, mais aussi des outsourceurs (Alpine Access ou LiveObs) se sont lancés et ont largement prouvé que le modèle n'a rien à envier aux plateaux domiciliés sur le territoire national ou à l'étranger. D'ici trois ans, IDC estime d'ailleurs que le nombre de travailleurs à domicile aura triplé.
Didier Ferrier (Eodom):
«L'home-shore ne va pas remplacer l'existant. Les donneurs d'ordres feront un mix entre les différentes solutions.»
Toutefois, cette belle réussite outre-Atlantique est difficilement transposable en France, ou nécessite en tout cas quelques aménagements. En effet, un certain nombre de barrières existent, dont les plus importantes concernent les volets culturel et réglementaire. Par exemple, devenir entrepreneur est indéniablement plus facile pour un Anglo-Saxon que pour un Français qui hésitera à perdre la relative sécurité de l'emploi procurée par un poste en CDI. En outre, le statut de travailleur indépendant, proposé à la plupart de ceux qui souhaitent démarrer une activité à la maison, ne correspond pas forcément à leurs attentes et peut parfois décourager les postulants. «Pour accepter la précarité liée au statut de travailleur indépendant, il faut qu'il y ait un enjeu économique», précise Olivier Duha, coprésident de Webhelp. Le conseiller s'apparente à un prestataire pour l'entreprise. «Au lieu d'être salarié, il devient un contractant», explique Mickaël Chaouat, gérant associé de Direct Phony, outsourceur spécialisé dans le home-shore. Le passage par une société de portage peut rassurer, mais reste assez faiblement répandu (voir page 26) . Une autre limite forte porte sur la sécurité. Certaines sociétés sont encore largement réticentes à l'idée de confier un pan de leur relation client à un outsourceur en raison de la confidentialité des données. Pour elles, faire confiance aux conseillers d'une société de home-shore est d'autant plus exclu. «Avec l'home-shore, la prestation est difficilement matérialisable. Il n'est pas possible d'effectuer des visites in situ comme chez un outsourceur classique», avance Didier Ferrier, dirigeant et fondateur d'Eodom, société qui propose des services de relation client à domicile.
David Klajman (Easycare):
«Dans trois ou quatre ans, l'home-shore pourrait représenter 5% des volumes d'appels.»
L'home-shore est pourvoyeur d'emplois
Les freins sont donc essentiellement psychologiques. Et le développement d'une tendance «home-shore» dépend beaucoup de la capacité des décideurs à faire confiance au modèle. Les donneurs d'ordres sont en effet parfois réticents à l'idée de confier des tâches à des agents déportés. Pourtant, le management reste fortement présent pour coacher les équipes. «Nous devons rester en lien avec les conseillers pour les motiver et les stimuler», explique David Klajman, p-dg d'Easycare, outsourceur spécialisé. Mais pour certains, le problème de la sécurité ne constitue pas un véritable obstacle. La mise en place de process stricts favorise la confidentialité des informations. En outre, firewall, login, espace de travail dédié, outils de connexion..., la panoplie est grande pour encadrer les risques. La technologie participe aussi à la protection. Un VPN (Virtual Private Network) assure une extension des réseaux locaux sans perte de protection face aux différents dangers. Les différents obstacles sont donc chacun contournables. D'autant que l'home-shore a du potentiel. «Dans trois ou quatre ans, il pourrait représenter 5% des volumes d'appels», estime David Klajman. Le modèle répond d'abord à une demande particulière de gestion des pics d'activité et de prise en charge du débordement. «Ainsi, nous optimisons le traitement des flux à certains moments de la journée. Nous intervenons pour solidifier les équipes d'entreprises qui n'ont pas recours à un outsourceur», atteste Didier Ferrier. De plus, il est possible de demander à un téléconseiller à domicile de ne prendre (ou n'émettre) des appels que deux heures d'affilée. Sur une plateforme, faire déplacer des agents pour un laps de temps aussi court n'est pas envisageable. L'home-shore apporte une grande souplesse et permet d'ajuster facilement les ressources aux besoins de l'activité. «Ce qui est difficile dans nos métiers, c'est d'adapter les capacités de production aux flux d'appels», confirme Olivier Duha. De fait, cette nouvelle offre entre en parfaite complémentarité avec les missions réalisées par un outsourceur en France et en off-shore, ou encore par un centre d'appels en interne. «Nous pouvons aider les différentes structures à améliorer leur rentabilité. Nous prenons alors la flexibilité qu'elles ne peuvent avoir. L'home-shore ne va pas remplacer l'existant. Les donneurs d'ordres feront un mix entre les différentes solutions. Ce n'est pas une solution miracle, mais plutôt une offre complémentaire», résume Didier Ferrier.
Et, à ce stade, les précurseurs du home-shore misent sur la qualité des profils qu'ils sont à même de fournir. En effet, les postes à pourvoir sont très demandés. La plupart des acteurs constatent l'afflux de demandes d'emploi. Une situation qui les autorise à être d'autant plus exigeants et sélectifs afin de garantir l'efficacité du service. «Il y a une forte attente. Nous recevons une dizaine de sollicitations par jour. Les gens ont envie de travailler autrement, d'être plus libres avec leur espace de travail...», précise Didier Ferrier.
De plus, beaucoup de personnes fortement intéressées par l'idée de concilier vies professionnelle et familiale se manifestent. Une situation qui a des impacts positifs sur le service rendu au client. Les agents sont plus épanouis, et donc plus performants. Car la «liberté» conférée par les missions à domicile attire des candidats aux compétences pointues ne pouvant ou ne désirant pas intervenir au coeur d'un centre de contacts. Les femmes au foyer, mais aussi les handicapés, recherchent un emploi qui corresponde respectivement à leur mode de vie et à leur faculté de déplacement. D'autres apprécient de ne plus avoir à rejoindre un site, à entretenir une voiture, à payer des frais d'essence... Dans certains cas, exercer le métier d'agent constitue le moyen de générer des revenus supplémentaires. «Le home-shore donne aux conseillers la possibilité de cumuler plusieurs activités et de dégager des revenus additionnels par rapport à leur activité principale», atteste Mickaël Chaouat. Aux Etats-Unis, des retraités profitent du filon pour compléter leur pension.
Cette forme d'organisation joue également un rôle sociétal. Elle crée de l'emploi dans les régions enclavées et sinistrées sur le plan économique. «C'est aussi un moyen pour limiter le développement de l'activité offshore», soutient Didier Ferrier.
La plupart des entreprises spécialisées dans l'home-shore proposent aux indépendants de choisir leurs horaires de manière à satisfaire leurs attentes. Ainsi, on entre dans un modèle gagnant-gagnant. En effet, aux Etats-Unis, il n'est pas rare de constater une amélioration du taux de résolution des problèmes, un meilleur taux de décroché, un accroissement de la satisfaction client lorsque l'on passe en home-shore des activités autrefois gérées en plateaux. Une étude d'AT&T Employée Telework Research montre ainsi que 73% des travailleurs à domicile sont plus productifs. Les premières expériences françaises de home-shore semblent confirmer ces tendances.
La probabilité de trouver des ressources adéquates augmente en home-shore. En effet, le bassin d'emploi visé est sans commune mesure avec celui d'une région géographique. Grâce aux technologies de centre d'appels virtuels (voir encadré page 20), les sélections de profils sont possibles sur la France entière.
A noter aussi que la moyenne d'âge des conseillers intéressés dépasse largement celle des agents physiquement présents sur les plateaux. «Nous attirons des populations plus mûres et fiables, largement investies dans leur mission», estime Didier Ferrier. De plus, on constate souvent que leur expérience professionnelle s'avère plus longue et intéressante. Tous ces éléments permettent donc de cumuler qualité et diversité des profils. Un avantage indéniable donné au home-shore qui nécessite tout de même de veiller à soigner son processus de recrutement. Le choix des personnes retenues joue un rôle essentiel dans la réussite du projet. Pour être efficaces, les structures doivent en permanence alimenter leur vivier. En outre, les outils déployés par les acteurs du home-shore, pour assurer le contrôle et la supervision, sont garants du maintien d'un niveau de service élevé.
Un modèle gagnant-gagnant
Au niveau du prix des prestations, aucun consensus n'émerge. L'home-shore reste plus coûteux que l'offshore. En revanche, sa position par rapport au on-shore n'est pas claire. Certains l'estiment bon marché. Pour Olivier Duha, l'économie est d'environ 15%. D'autres situent ses tarifs sur le même plan que ceux appliqués sur les plateaux en région. Pour les Américains, le modèle est clairement avantageux financièrement. Un conseiller coûte 40% moins cher qu'un salarié. Une différence qui s'explique par l'économie réalisée sur l'acquisition ou la location de bâtiments et l'équipement. Ensuite, en home-shore, le taux de turnover semble plus bas qu'en centre d'appels. D'où une réduction des dépenses de recrutement, de formation... Autre aspect à ne pas négliger, les bénéfices liés à une plus grande flexibilité.
Le home-shore profite à la fois au conseiller, plus libre et autonome, et à l'entreprise puisque celle-ci fait l'économie de certaines dépenses. Pour autant, la prestation mérite d'être encadrée. Les entreprises sont aussi là pour guider les postulants et les amener à trouver le meilleur confort de travail possible. «Tout le monde n'est pas éligible à l'exercice du home-shore. Il faut pouvoir disposer d'un environnement de vie compatible avec une activité professionnelle.
Par exemple, les conseillers doivent, si possible, disposer d'une pièce dédiée, sans nuisance sonore», illustre Olivier Duha. Pour ce qui est de l'équipement, la plupart des acteurs souhaitent que leurs collaborateurs s'équipent d'un ordinateur, d'une connexion ADSL, d'un casque...
Olivier Carrot (Teleperformance)
L'home-shore ne peut être qu'une brique de l'offre venant compléter un dispositif de relation client.
Les outsourceurs s'en mêlent
Les outsourceurs «classiques» regardent également en direction de l'home-shore. «Tout ce qui s'extemalise «s'home-shorise»», atteste Olivier Duha. Pour autant, «il faut que le marché soit prêt à le faire techniquement, socialement et commercialement», tempère Olivier Carrot, directeur général adjoint de Teleperformance France. A l'image de Teleperformance ou encore de Webhelp, des acteurs sont sur le point de démarrer des pilotes. Pour autant, ils restent prudents. Ils voient parfaitement l'intérêt du modèle et constatent comme les autres sa popularité auprès des personnes susceptibles de réaliser de la réception ou de la prise d'appels depuis leur domicile. Mais la vigilance les pousse aussi à regarder du côté de la loi. Le cadre réglementaire lié au statut de travailleur indépendant est strict et impose de bien s'assurer de l'autonomie du conseiller. «Techniquement, nous sommes capables de délivrer une prestation depuis le domicile d'agents. Pour autant aujourd'hui, travailler avec des entrepreneurs, c'est prendre le risque d'une requalification par l'Urssaf. Et, opter pour le salariat, c'est se couper des avantages du modèle», souligne Olivier Duha. Teleperformance imagine davantage d'instaurer l'home-shore avec des salariés. Peut-être dans l'optique de maîtriser le volet réglementaire. Autre possibilité: signer un partenariat - comme l'a déjà fait Intra Call Center - avec un des acteurs spécialisés. «Nous collaborons avec la société Eodom, car nous ne voulions pas créer une filiale spécialisée dans l'home-shore. C'est un métier spécifique et différent», explique Karine Susini, directrice marketing d'Intra Call Center. D'ailleurs, les entreprises de homeshore misent beaucoup sur la manne du rapprochement. En effet, elles ne négligent pas la possibilité de collaborer avec les outsourceurs et de leur permettre de gagner en flexibilité (essentiellement sur les heures non ouvrables).
Dans leur démarche, les outsourceurs demeurent conscients que «l'home-shore ne peut être qu'une brique de l'offre venant compléter un dispositif de relation client. Un dispositif 100% home-shore serait trop coûteux. Il convient pour des volumétries faibles avec de fortes variations d'activité. Il a aussi sa place quand une problématique de bassin d'emploi existe ou encore dès lors que les missions concernent des tranches horaires particulières», explique Olivier Carrot.
De plus, l'home-shore est un modèle différent. Il faut donc, en amont, penser un business plan. Ensuite, le mode de management ne se calque pas sur celui adopté pour les plateaux.
Au final, la philosophie du home-shore présente de nombreux attraits. Néanmoins, peu de concrétisations se trouvent mises en lumière en France. Du côté des donneurs d'ordres, «un certain nombre sont curieux, mais pas déterminés», avoue Mickaël Chaouat. Il manque encore le déclic pour que l'home-shore soit considéré comme une stratégie à part entière.
L'home-shore gagne en pertinence avec le virtuel
S'il est bien un avantage indéniable offert par les technologies des centres d'appels virtuels, c'est la possibilité de dissocier l'infrastructure des agents. Au niveau technique, les agents utilisent en effet des solutions clients légers, de sorte qu'ils peuvent s'affranchir de tout matériel, sauf du terminal téléphonique. Pour l'aspect organisationnel, un réseau basé sur la TolP va supporter la dispersion des fonctionnalités du centre d'appels. Grâce au centre d'appels virtuel, il devient possible de répartir les charges tout en conservant un routage, un pilotage et un reporting centralisés. Avec des agents à domicile, il est donc envisageable de gérer l'activité depuis un poste distant.
Travailleur indépendant: ce que dit la loi
Réglementation
La plupart des entreprises spécialisées dans l'home-shore invitent les conseillers à adopter le statut de travailleur indépendant. Un choix qui n'est pas sans conséquences...
L'home-shore peut être assimilé à de la prestation -de services. Ceci implique que le conseiller n'est plus salarié de l'entreprise pour laquelle il réalise des missions. Par conséquent, il est soit entrepreneur individuel, soit salarié d'une société de portage. «Dans les deux cas, il ne doit pas exister de lien de subordination entre le donneur d'ordres et l'agent», avertit Laurence Piganeau, consultante à l'APCE (Agence pour la création d'entreprises.) Dans les faits, le téléconseiller est libre de choisir ses horaires, l'organisation de son activité, le mode de gestion... Il faut donc à tout prix éviter de créer un lien de subordination entre les deux parties. Si cet aspect n'est pas respecté, l'Urssaf peut requalifier un contrat de prestation en contrat de travail. Le donneur d'ordres encourt, en cas de salariat déguisé, des sanctions pénales et une régularisation des cotisations de Sécurité sociale. Le fait de travailler pour divers acteurs peut éviter à un conseiller de se trouver à la limite de la légalité.
Pour l'instant, la situation juridique est assez floue, dans la mesure où l'home-shore est un concept novateur. En outre, il n'existe pour le moment aucune jurisprudence. Si l'agent choisit le statut de travailleur indépendant, il doit créer son entreprise individuelle (ou alors une société type EURL) et s'immatriculer auprès de l'Urssaf. La procédure gratuite correspond à celle destinée aux activités libérales non réglementées et invite à déposer un dossier. Seul obstacle éventuel: le bail ne doit pas comporter de clause interdisant expressément au locataire d'exercer une activité professionnelle à son domicile.
Ensuite, avant de se lancer, les conseillers doivent garder à l'esprit qu'ils engagent leur responsabilité individuelle. «A ce stade, on ne peut que leur recommander de baliser cet aspect avec la société qui soustraite», indique Laurence Piganeau.
Les conseillers dépendent du régime fiscal de la micro-entreprise s'ils ne dépassent pas 27000 euros de chiffre d'affaires annuel. Les démarches sont alors simplifiées. Ils n'ont pas besoin de tenir de comptes. Un simple livre de recettes /achats suffit. Et, pour déterminer le bénéfice net imposable, le fisc estime qu'ils doivent 34% de charges. En outre, les conseillers sont soumis à la taxe professionnelle, qui varie d'une commune à une autre.
Les charges restent un fardeau
Sur le plan social, les cotisations sont calculées à partir du régime des non-salariés. Les opérateurs paient une avance sur charges et sont ensuite régularisés. Cette situation est en passe d'évoluer. Un bouclier social existe déjà pour les artisans et commerçants et devrait être étendu aux professions libérales. Grâce à lui, les sous-traitants paient des charges (allocation maladie, retraite, CSG, CRDS, allocations familiales et prévoyance) au gré de leurs «rentrées» sans que le montant ne dépasse jamais 24,6% leur chiffre d'affaires. Par ailleurs, l'article L. 131-6 du code de la Sécurité sociale leur offre la possibilité de payer des cotisations sur un revenu qu'ils estiment. Avant de s'installer, les agents doivent bien prendre en compte toutes les dépenses et incidences associées à leur nouveau statut. «Tout ceci demande d'effectuer des démarches personnelles. En outre, le statut d'indépendant engendre des frais», atteste Laurence Piganeau.
Le portage salarial constitue une alternative. En matière d'indépendance, les mêmes règles s'appliquent. En revanche, les indépendants sont hébergés juridiquement par une structure. Cette dernière encaisse les commissions et les reverse aux conseillers sous forme de salaire. «Four tester l'activité, on peut commencer par choisir le portage salarial. Mais il faut bien réaliser que le conseiller perçoit seulement 50% des revenus», précise Laurence Piganeau.