Pierre Morgat (StimOnLine) : «La fidélisation consiste à mettre en œuvre une stratégie gagnant-gagnant»
Auteur d'un ouvrage sur les stratégies et outils de fidélisation (1), Pierre Morgat, directeur de FidéliStim, département fidélisation de l'agence conseil StimOnLine, revient sur le rôle à jouer par les centres de contacts dans les politiques de fidélisation des entreprises.
Quelle définition globale de la fidélisation donneriez-vous ?
Pierre Morgat : Cent pour cent du chiffre d'affaires d'une entreprise provient
de deux facteurs : la conquête d'une part et la fidélisation de l'autre. La
fidélisation est totalement complémentaire de la conquête clients, même si
beaucoup d'entreprises l'ont oubliée. Si l'on prend l'exemple de la chute des
start-up, on constate que, neuf fois sur dix, elles étaient dans des stratégies
de conquête à outrance. Or, la fidélisation dans le cadre de la relation client
consiste, ni plus ni moins, à la mise en œuvre d'une stratégie gagnant-gagnant
au sein de l'entreprise, afin que cette dernière atteigne ses objectifs de
rentabilité. Elle va par conséquent dépenser plus d'argent sur des clients qui
rapportent davantage et faire en sorte que ces derniers aient le sentiment
d'être privilégiés et d'exister. Autrement dit la relation client et la
fidélisation, c'est faire exister l'autre.
La segmentation est-elle indispensable ?
P. M : Oui. On ne peut pas traiter tout le monde de la même manière. Les
historiques de consommation, la typologie des produits notamment, permettent,
sur certains segments, de réinvestir une partie de la marge, et sur d'autres,
de l'éviter. Il convient donc d'avoir une politique ciblée.
Quels rôles ont à jouer les centres de contacts dans les stratégies de fidélisation ?
P. M : Le centre de contacts est un outil de fidélisation et non
une fin en soi, au même titre qu'une newsletter ou un site internet… Le
problème en France est que, très souvent, avec la vague CRM de ces cinq
dernières années, nous avons connu des effets de mode. Il fallait posséder
l'outil dernier
cri. Et les centres d'appels n'ont pas été
épargnés. Avant de se tourner vers un outil, il faut définir au préalable la
stratégie de
l'entreprise.
Quelles sont les spécificités du centre de contacts dans le dispositif de fidélisation ?
P. M : Le centre de contacts est indispensable, car c'est l'un des canaux les
plus interactifs. Il permet une relation en temps réel. En amont des call
centers, néanmoins, il peut y avoir des outils contre-productifs. Les cascades
de serveurs vocaux, par exemple, peuvent s'avérer dissuasifs pour
l'utilisateur. Si les centres de contacts sont vitaux, il faut les replacer
dans le cadre de la stratégie de relation client et intégrer dans cette
démarche le client lui-même.
Comment se rapprocher du client ?
P. M : Les techniques du marketing téléphonique fonctionnent de la même manière
depuis des années et répondent à une logique imparable. L'enjeu n'est pas dans
cette mécanique mais dans la capacité à mettre de l'intelligence relationnelle
dans un outil, qui est par ailleurs assez pointu technologiquement. En effet,
il n'y a pas de souci pour interfacer la téléphonie avec un ordinateur et une
base de données relationnelle. Mais il est nécessaire de valider que
l'utilisation du centre de contacts, dans la stratégie de relation client, est
bien pensée. Autrement dit, que ce dispositif ne correspond pas seulement aux
besoins de l'entreprise mais aussi à ceux du client. La problématique est alors
plus large et concerne le multicanal. Néanmoins, l'expérience montre que l'on
ne remplacera jamais la relation humaine. C'est aussi sur ce point que les
centres d'appels s'avèrent vitaux dans la relation client. Ils permettent en
effet d'intégrer, en ligne, une approche humaine, à l'écoute, et qui peut
répondre en temps réel… Ce n'est, par exemple, pas le cas avec un extranet
client.
Les résultats sont-ils à la hauteur des attentes ?
P. M : En termes d'intelligence relationnelle, s'il y a une bonne typologie des
demandes clients faites au préalable au sein du centre, les réponses sont assez
rapides et 80 % d'entres elles sont standardisées. Les 20 % qui échappent à ces
prévisions vont être davantage révélatrices de la qualité des gens en ligne.
Or, aujourd'hui, les centres de contacts connaissent un turn-over relativement
fort. Ce phénomène est notamment lié à la structure des coûts français mais
aussi à la philosophie des call centers où il y a une tendance à privilégier le
volume plutôt que la qualité. Or, le client ne se préoccupe pas de la structure
des coûts, quand il a payé pour un service à 0,34 centime d'euros la minute.
Comment développer la connaissance client que vous préconisez ?
P. M : En ce qui concerne la connaissance client, il y a trois
niveaux de lecture : ce que les clients font, ce qu'ils disent et ce qu'ils
pensent. Cela forme une sorte de pyramide et, plus vous la gravissez, plus le
niveau de connaissance est élevé. Le call center est idéal pour approfondir la
connaissance et comprendre ce que les clients disent. C'est donc un outil
fantastique, mais il n'est malheureusement pas toujours géré comme il le
faudrait.
Comment procèdent les centres qui fidélisent leurs clients ?
P. M : Ils agissent sur la satisfaction du client d'abord, puis sur le service
et éventuellement sur l'événementiel. Telles sont les différentes stratégies de
fidélisation que va pouvoir déployer un centre. Le centre de contacts, comme
les politiques de marketing direct, est sur un modèle du rapport entre les
coûts et les gains. Ainsi, la fidélisation est rentable, car elle coûte moins
cher que le recrutement. Quand une relation avec un client existe déjà, il est
plus facile de la développer et de la rendre plus profitable que de dépenser de
l'argent à pénétrer des marchés assez figés.
Quelles sont les grandes étapes de mise en place d'une politique de fidélisation ?
P. M : La mise en place est simple. Il faut une stratégie de relation client,
le call center étant l'un de ses outils. Il faut, par ailleurs, savoir à qui
l'on s'adresse et développer la connaissance du client. Sur ce point, des
progrès restent à faire. En effet, le centre de contacts est certainement l'un
des outils les plus réactifs, accessible en temps réel, et l'un des plus
puissants avec le face-à-face.
Quelles sont les marges de progrès ?
P. M : Techniquement, les centres sont quasiment irréprochables. Les outils
vont jusqu'à fournir des analyses en prédictif. Néanmoins, l'important est de
savoir si cela répond aux attentes du client. Aussi, ce qui manque le plus aux
centres, c'est l'intelligence relationnelle. En effet, les entreprises savent
très bien ce que représentent les call centers de leur point de vue, mais elles
ne s'interrogent pas suffisamment sur la perception de leurs clients.
Quel rôle jouent la base de données et les outils de CRM dans les politiques de fidélisation ?
P. M : Un centre sans base de données, c'est comme un vélo sans roue. Cela fait
cinq à six ans que l'on parle de CRM et que, du fait des grands cabinets de
conseils et des éditeurs notamment, on a confondu la relation client avec le
CRM et les progiciels. Or, c'est une idée fausse. Depuis la nuit des temps,
les commerçants font de la relation client sans ordinateur avec des services de
proximité, de la personnalisation et tous les outils de la relation client. Ils
font cela très bien, certainement mieux que beaucoup d'entreprises qui
disposent de kyrielles d'outils.
Quelle est la recette ?
P. M : D'abord, il n'y a pas tellement de clients à gérer de concert, mais
surtout il y a dans ces structures commerçantes beaucoup
d'intelligence relationnelle. Le commerçant connaît bien ses clients et la
manière de les satisfaire. Faire exister l'autre et avoir un bon sens de
l'intelligence relationnelle, telles sont les clés de la satisfaction et de la
fidélité. Une fois cette perception acquise, la base de données est bien
entendue fondamentale. Il est nécessaire qu'elle soit en adéquation avec les
capacités de renseignements des téléacteurs. De plus, elle doit être
relationnelle, comme son nom l'indique, et centrée sur les besoins du client.
Vous parlez des téléacteurs comme d'un deuxième client. Pourquoi ?
P. M : La fidélisation, nous la concevons de manière globale. On fidélise
d'abord les actionnaires pour avoir les moyens de faire une politique de
fidélisation client. Ensuite, il faut fidéliser les équipes. Si le turn-over
est trop important, c'est que la structure a un souci. Nous préconisons des
opérations de stimulation des plateaux de téléacteurs qui permettent, notamment
dans le cadre de challenges, de rémunérer la performance des téléacteurs. On
demande au téléacteur de fidéliser les clients, mais on ne les fidélise pas
eux-mêmes. Il est important également de développer une intelligence
relationnelle avec les téléacteurs en les considérant comme des clients
internes de l'entreprise.
Pour développer l'implication des téléacteurs, quelles sont vos préconisations ?
P. M : Nous identifions les leviers qui peuvent satisfaire les téléacteurs de
manière à ce que leur relation avec les clients soit gérée en parallèle avec
leur relation avec l'entreprise. Si on les fidélise, ils vont comprendre eux
aussi comment satisfaire les clients. C'est la théorie du “mimétisme animal” de
René Girard, en quelque sorte, dans le bon sens du terme. On peut alors
décliner des concours et des challenges, comme celui du téléacteur le plus
souriant, qui a le meilleur taux de satisfaction client, le meilleur taux de
réponse aux questions difficiles… Une partie des critères devrait s'appliquer à
ce qu'attend l'entreprise et l'autre à ce qu'attend le client. C'est en cela
qu'il y a de nouvelles voies à explorer. Si on délaisse le téléacteur, le
client va s'en rendre compte et, au final, cela va jouer sur les résultats de
l'entreprise.
Peut-on mesurer le degré de fidélité d'une cible?
P. M : Oui. Les actes d'achats permettent de mesurer en termes de montant, de
récence et de fréquence, la fidélité. L'idéal est de demander aux clients leur
ressenti par rapport au service et de favoriser la remontée d'information. Le
triptyque “satisfaction, fidélité, valeur” est l'ascenseur vers la rentabilité.
(1) Fidélisez vos clients, 3e édition,
Editions d'Organisation, 2005.
Biographie
Pierre Morgat
40 ans.
Diplômé de l'ISC Paris,
Pierre Morgat est directeur
de FidéliStim, département
fidélisation de l'agence conseil StimOnLine, spécialisée dans la relation et la fidélisation client.
Après avoir occupé de nombreux postes chez l'annonceur, et
dernièrement pris les postes de directeur marketing de l'Essec Management Education et de directeur de la veille stratégique d'IIR (Institute for International Research), Pierre Morgat
intervient aujourd'hui sur
des missions de conseil.
StimOnLine
Agence de fidélisation et d'animation de réseaux, créée en 2001.
Quatre pôles d'activité :
• fidélisation de clients,
• animation de réseaux,
• stimulation de force de vente
• agence de communication avec
des développements récents sur
les centres d'appels.