Philippe Laulanie Responsable du département Développements Multicanaux, Banque de Détail France, BNP Paribas
Issue d'un groupe projet créé en 1998, la Banque de Détail Multicanal de BNP Paribas est une réalité opérationnelle et efficace, qui a transformé le modèle de vente de la banque. Retour sur dix ans de construction étape par étape, puis de montée en charge.
Dans quel cadre se situe votre département Développements Multicanaux?
Il se situe au sein de la division Retail de la Banque de Détail France, qui s'occupe des particuliers et du «small business» (petites entreprises et professionnels). Cette division, qui agit aux côtés de l'animation commerciale des réseaux de proximité, comprend en particulier les activités marketing, mais aussi la maîtrise d'ouvrage des grandes filières retail (monétique, titres, crédits, épargne...) et la maîtrise d'ouvrage des outils et canaux de distribution, dont le département Développements Multicanaux a la charge.
Que représente ce département aujourd'hui?
C'est un groupe d'une centaine de personnes, dont environ soixante-dix en interne et une trentaine d'assistants extérieurs. Il réalise les projets de maîtrise d'ouvrage principalement sur cinq grands pôles d'activité: un pôle Téléphonie, pour les évolutions applicatives des organisations du Centre Relation Client (CRC) et du serveur vocal, et l'ensemble du schéma téléphonie pour le réseau; un pôle «Poste de travail», avec les outils multicanal et gestion de la relation client associés; un pôle centré sur la gestion et l'urbanisation des bases de données clients, le décisionnel, la Business Intelligence; un pôle consacré aux référentiels et mécanismes généraux multicanal et, enfin, un pôle Internet, fixe et mobile, sur lequel nous remplissons à la fois des fonctions de maîtrise d'ouvrage et d'animation commerciale, en liaison avec la direction commerciale. Ce département, issu d'un groupe projet, s'est construit au fur et mesure de l'avancement du projet multicanal et a agrégé les différentes briques multicanal.
Comment est née la Banque de Détail Multicanal?
C'est à la fois une histoire d'hommes et de volonté des «sponsors» principaux, qui n'ont pas changé en dix ans. Ce sponsoring indéfectible et prioritaire de la direction générale constitue l'un des grands facteurs-clés de succès du projet. En 1998, Michel Pébereau et Baudouin Prot ont demandé de mener une mission stratégique sur un programme de rénovation de notre modèle de distribution de la banque de détail. Et ce, face à différents événements identifiés en 1997: développement des technologies, nouveau comportement des consommateurs, évolutions de la banque tant dans ses process que dans son corps social... Nous avons réfléchi avec le Boston Consulting Group et l'ensemble de l'état-major. Et, en novembre 1998, un comité exécutif a décidé d'un ticket d'investissement pluriannuel de 250 millions d'euros. Avec pour ambition de reconstruire la banque de détail autour d'un modèle «customer centric», multicanal - et non à canaux multiples - et intégré.
Quelles en ont été les grandes étapes?
Ce projet a été géré en trois étapes visibles, décidées dès le début. Après avoir constaté que le «tout on line» n'était pas la solution, il a été décidé que la première étape devait être celle de la téléphonie. Avec deux grands axes: passer de nos deux call centers parisiens «BNP en ligne» à un centre de relation client fondé sur la technologie IP, pouvant faire de l'entrant, du sortant et de l'e-mail et disposant de deux plateformes connectées virtuellement. Par ailleurs, nous voulions que la première activité du CRC soit fondée sur l'accueil des appels entrants et le reroutage des appels réseau qui passaient, depuis 1996 et parallèlement à l'ouverture de BNP en Ligne, par une centaine de structures d'accueil téléphonique. Les infrastructures du CRC devaient donc accueillir ce reroutage massif et gérer l'accueil des agences de manière qualitative et sous un angle service.
«Le multicanal est un sillon que l'on doit tracer»
Parcours
45 ans, ingénieur agricole, Cesma MBA et IHEDN. Après une première expérience à la stratégie et au marketing de Saint-Gobain, il intègre en 1 987 BNP, devenue BNP Paribas. Il passe trois ans en tant que responsable marketing régional à Nantes, puis quatre ans à l'Inspection Générale / Audit en tant que chef de mission, suivis de quatre années en tant de responsable du Contrôle de Gestion BNP France. Depuis dix ans, Philippe Laulanie est responsable du Département et organisation Projet Banque de Détail Multicanal de BNP Paribas.
Membre du board et administrateur de l'Efma (European Financial Marketing Association), il est également membre de la Commission Banque à Distance FBF et vice-président de l'Agora des directeurs de la relation client.
Choisir l'IP était alors novateur et risqué...
C'était un vrai risque technologique qui a été assumé par la direction générale pour des raisons stratégiques. Nous avons fait d'emblée plusieurs choix: la plateforme Cisco ICM, le traitement des e-mails et l'ouverture de deux plateformes de 1 50-200 personnes - à Paris et Orléans -, fondamentalement pour tester le modèle de virtualisation. Le pilotage était fait sur Paris, mais avec une gestion des flux indifférenciée. Et, quand nous avons ouvert une troisième plateforme en 2004, à Lille, la réplique s'est effectuée sans problème, puisque l'infrastructure était faite pour cela.
Autre choix: nous avons voulu identifier très tôt le client sur le serveur vocal. Dès le haut, par le biais d'un numéro client qui appelle un dossier client. En fait, dès le schéma téléphonique, nous testions le multicanal intégré. Aujourd'hui, sur nos 26 millions d'appels annuels, 22 millions passent par le SVI. Car il est simple et efficace.
Les deux premières plateformes ont été ouvertes en juillet 2001 . Mi-2002, l'ensemble du schéma téléphonique était acquis.
Quelle a été la deuxième étape du projet?
Parallèlement à la téléphonie, nous avons réfléchi à la construction d'un nouveau poste de travail multicanal. Nous avions deux possibilités: une progicialisation, avec des modules CRM du marché, ou une construction en interne. Après un benchmark, nous avons pris dès 1 999 la décision de construire une «nouvelle workstation» propriétaire, avec Cap Gemini, pour nous accompagner dans la construction et l'intégration, et avec un choix technique fondateur, le XML.
Tout a été réalisé autour d'une matrice de résolution de la demande du client agrégée en cinq «vues clients» et avec au maximum trois profondeurs d'interactions. Au-delà des fonctions classiques - agenda, to do list... -, nous avons également créé des scripts pour faciliter la vie des vendeurs. A travers leur poste, ils doivent être capables de gérer les différentes situations clients, de manière fluide et processée «end to end». Aujourd'hui, il existe plus d'une centaine de situations clients «scriptées», qui permettent une gestion intégrée et multicanal des principaux actes quotidiens.
Testé dès juillet 2001 sur le CRC et par des groupes tests en province, ce poste de travail a été déployé dans le réseau en 2002 et 2003. Il a entraîné avec lui la mise en oeuvre d'un nouveau modèle de vente fondé sur le principe «plus de services, plus de contacts = plus de ventes». L'insertion des 20 000 postes de travail s'est, en premier lieu, réalisée à travers 250 réunions, animées par l'équipe projet et destinées à l'ensemble des managers du réseau. Puis elle a été relayée en local par ces managers, qui ont formé leurs équipes aux nouveaux poste de travail et modèle de vente.
Parallèlement, nous avons basculé l'ensemble des services d'accueil avec une volonté délibérée de «qualité maximale», pour prouver au réseau que nous n'étions pas en concurrence mais bien en complémentarité. Nous ne sommes pas entrés dans la guerre des canaux; nous avons un réseau unique et multicanal. A titre d'exemple, la commission d'un produit vendu reste encore entièrement au bénéfice du réseau physique, sachant que, sur le CRC, il existe des primes indexées avant tout sur la qualité de service et de traitement des flux. Nous avons ainsi pu prouver aux agences que la distance générait de la qualité, de la disponibilité. A leur avantage et pour mieux garantir la proximité sur les actes à forte valeur ajoutée.
Et, enfin, la troisième étape?
C'est celle de Bnpparibas.net, livré mi-2003. Notre objectif était de réaliser un portail bancaire multicanal, présentant nos agences, apportant des services et disposant d'une messagerie connectée à la base de données clients.
Nous avions prévu un million d'utilisateurs uniques pour 2007. Nous y sommes arrivés un an plus tôt parce que l'ensemble du réseau a été mobilisé autour d'un objectif: faire monter les clients dans le train Internet qui, lui-même, est le train multicanal. Avec le discours suivant: «C'est bon pour le client, bon pour la banque et bon pour vous parce que notre offre internet est multicanal. Tout ce que fera le client sur Internet sera partagé dans son dossier et donc connu du vendeur en agence comme des téléconseillers.» Aujourd'hui, la majorité du réseau est pleinement rassurée sur cette intégration et sur la complémentarité.
Sur quelles bases le triptyque CRC - station de travail - Internet doit-il fonctionner?
Les deux fondations sont la Business Intelligence autour d'une base clients unique et les référentiels, qui constituent la face cachée de l'iceberg.
Nous avons créé un CRM intégré sur une base de données clients unique, en mettant en place un entrepôt Teradata avec une plateforme SAS, qui filtre tous les jours les événements venant de la DB2 transactionnelle IBM.
Quant aux référentiels, nous en avons créé trois majeurs: clients, organisations et produits-services. Pour le référentiel clients, nous avons changé le modèle basé sur un compte à vue rattaché à une agence en un modèle client unique qui, autour du numéro client, intègre les transactions, les relations dans l'ensemble des canaux...
Fin 2003, l'ensemble du dispositif était déployé. Quels en ont été les effets?
La montée en charge de tous les flux a généré de la recette, de la satisfaction et de la recommandation. Sur la période 2003 à 2006, nous avons connu une progression de notre PNB de plus de 1 5%, ce qui nous place parmi les banques les plus performantes en France en la matière. En 2003, nous avions 40 millions de dossiers clients ouverts sur l'exercice. En 2007, nous allons frôler les 150 millions. Aujourd'hui, nous arrivons à diffuser plus de 20 millions d'opportunités de contact au réseau, dont une sur deux engendre un contact réel. Par ailleurs, nous avons constaté une augmentation du taux de recommandation de BNP Paribas, qui a gagné deux points cette année.
Ce modèle multicanal marchant bien, nous avons commencé à le cloner. En France, pour la Banque Privée et au niveau du «small business». Et en Italie, où nous répliquons la majeure partie de ce modèle, avec des «Italian Touchs», sur la BNL, banque rachetée il y a deux ans.
Comment voyez-vous l'évolution des flux de contacts?
Une substitution est en train de s'opérer. Internet va passer devant la téléphonie qui va devenir une voie complémentaire et de réassurance, voire d'expertise, en particulier avec le Web Call Back, et peut-être à terme la visio. Nous devrions connaître une progression annuelle de 30 à 40% de nos flux internet. Il faut donc que nos plateformes, aujourd'hui capables de traiter l'e-mail, deviennent aussi fluides dans le traitement des interactions internet/téléphonie.
Après s'être concentré sur l'entrant, le CRC va développer les appels sortants, mais des appels ciblés, au bon moment, toujours en complémentarité avec le réseau. Le SVI devrait enregistrer une baisse de ses flux, de 5% à 10% par an.
Nous allons également passer à la deuxième phase de la téléphonie. Les solutions permettant maintenant de faire du reroutage différencié, nous allons mettre plus d'intelligence, d'efficacité et de fluidité dans les modes de reroutage agences.
Quelles leçons tirez-vous de ces dix ans?
Le multicanal, c'est long, compliqué, mais c'est le modèle gagnant et aujourd'hui dominant en matière de distribution «retail». C'est un sillon que l'on doit tracer, sans perdre le cap, étape par étape. C'est un gros ticket d'investissement. Et, au-delà, c'est surtout un changement culturel majeur de modèle de vente. Qui s'appuie sur la vague technologique mais que l'on doit doser avec la demande client. Il faut gagner la confiance et la fidélité du client, pour gagner ensuite sa rentabilité. Et ne pas ouvrir la guerre des canaux, mais jouer sur la complémentarité. Si le réseau vend la distance, c'est parce que la distance est bonne pour le réseau. Mais, avec le multicanal, ce n'est plus uniquement le modèle de vente qui change, mais aussi celui de l'animation commerciale et du marketing.
Pour tracer le sillon du multicanal, il faut que le réseau suive et que l'insertion soit intelligente. Elle doit se matérialiser dans la durée par une action de «Change Management» récurrente et pas seulement par des actions de formation ponctuelles. Autant on peut faire des ruptures technologiques que l'on maîtrise, autant dans l'insertion d'un nouveau modèle, il ne faut pas de rupture mais une évolution permanente.
@ Photos: Bruno Delessard
«Il ne faut pas ouvrir la guerre des canaux, mais jouer sur la complémentarité.»
entreprise
- Le groupe BNP Paribas est présent sur les cinq continents avec 1 55000 collaborateurs dans plus de 85 pays.
- Produit net bancaire 2006: 27,9 milliards d'euros, + 27,9% par rapport à 2005.
- Sixième banque mondiale et première entreprise française (Global 2000 Forbes' 2007).
- Banque de Détail en France: 6 millions de clients, 2 200 agences, 4500 guichets et automates de banque.
- 212 centres de Banque Privée.